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Date: 19980623

Dossiers: 96-2163-UI; 96-119-CPP

ENTRE :

F.G. LISTER TRANSPORTATION INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1] L'appelante, F.G. Lister Transportation Inc. (Lister), s'est adressée au ministre du Revenu national (le “ ministre ”) pour qu'il soit statué sur la question de savoir si les conducteurs de grands routiers exerçaient un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage lorsqu'ils ont fourni leurs services comme conducteurs à l'appelante au cours de la période allant du 1er octobre au 31 décembre 1995. Dans une lettre datée du 9 août 1996, le ministre a informé l'appelante qu'il avait déterminé que les travailleurs dont les noms figurent à l'annexe A — jointe à la lettre d'avis dont elle fait partie intégrante — étaient employés en vertu d'un contrat de louage de services et étaient donc considérés comme des employés de la société appelante. Le 9 août 1996, le ministre a également avisé l'appelante qu'il avait été déterminé que les conducteurs de camions exerçaient un emploi ouvrant droit à pension pour l'appelante aux termes des dispositions du Régime de pensions du Canada. L'appelante a interjeté appel — 96-119(CPP) — de cette décision et les deux avocats ont convenu que l'appel serait tranché en fonction du résultat du présent appel et que les témoignages entendus s'appliqueraient aux deux appels.

[2] L'appelante est d'avis que les conducteurs de grands routiers exercent une profession unique en son genre et que, dans les circonstances, ils étaient des entrepreneurs indépendants.

[3] Ian MacLennan a témoigné qu'il travaille pour l'appelante depuis 11 ans et qu'il occupe actuellement le poste de vice-président et contrôleur, de sorte qu'il connaît bien les activités quotidiennes de la société. Il a dit de l'appelante qu'elle était un transporteur exploitant une entreprise d'expédition de marchandises d'un endroit à un autre. Il a expliqué qu'il existe une réserve de conducteurs pour conduire les camions de l'appelante d'une destination à une autre. Un conducteur est contacté par l'appelante, ou communique avec elle, pour voir s'il est disposé à effectuer un “ voyage ”, lequel consiste à conduire une semi-remorque remplie de marchandises à un endroit particulier. M. MacLennan a déclaré que les conducteurs, quels qu'ils soient, ont le droit de refuser un voyage particulier qui leur est offert, mais que, dans le cas où ils donnent leur accord, leur salaire est fondé sur un taux de kilométrage auquel s'ajoutent certains paiements, précisés par l'appelante, pour les tâches supplémentaires liées à l'“ attelage ” et(ou) pour le nombre de “ livraisons ” effectuées. Aucune instruction n'est donnée au conducteur concernant la conduite du camion ou l'itinéraire particulier à suivre pour se rendre à la destination fixée. Sur la route, le conducteur devait payer ses frais de repas et d'hébergement ainsi que les amendes ou les billets de stationnement qu'il récoltait au volant du camion. M. MacLennan a indiqué que les conducteurs étaient libres de conduire des camions pour d'autres sociétés de transport et qu'ils n'avaient pas besoin d'une formation spéciale pour travailler pour l'appelante. Cependant, ils devaient détenir un permis valide — de la catégorie appropriée — pour conduire les véhicules et l'équipement utilisés par l'appelante pour transporter les marchandises. Il a indiqué qu'un conducteur pouvait se faire remplacer par un autre conducteur détenant le permis approprié et ayant les qualifications voulues, mais qu'il devait au préalable obtenir l'autorisation de l'appelante. Même si la situation ne s'est jamais présentée, il croyait qu'un conducteur, qui avait accepté d'effectuer un voyage, aurait pu toucher le taux de kilométrage convenu et réaliser un bénéfice en embauchant un autre conducteur — à un moindre taux — pour effectuer le voyage. Il a précisé que le taux versé par kilomètre était de 18 cents, bien qu'on eût indiqué dans un questionnaire qu'il était de 29 cents. À son avis, l'appelante et les conducteurs avaient toujours traité entre eux en tenant pour acquis que les conducteurs étaient des entrepreneurs indépendants.

[4] Lors du contre-interrogatoire, Ian MacLennan a reconnu le questionnaire — pièce R-1 — qu'il avait rempli en sa qualité de contrôleur de l'appelante. Il a convenu que le conducteur devait surveiller le chargement et le déchargement de son camion et qu'il n'était pas rémunéré en supplément pour ce travail. Le conducteur recevait 8,50 $ par déchargement, quelle que soit la quantité de marchandise déchargée à un arrêt particulier et il recevait également un montant de 7,50 $ pour l'attelage d'une remorque. Étant donné que tous ces taux ainsi que le montant versé par kilomètre étaient établis par l'appelante, il a admis que la seule façon pour un conducteur de gagner plus d'argent était de rouler plus rapidement entre deux destinations. M. MacLennan a déclaré qu'il ne se rappelait pas si un conducteur avait déjà embauché un remplaçant. Les conducteurs devaient remplir une facture ou feuille de route, qui avait été préparée par l'appelante. Tous les camions appartenant à l'appelante affichaient la raison sociale : F.G. Lister Transportation Inc. Tous les frais d'essence et d'huile, ainsi que toutes les réparations des véhicules ou de l'équipement étaient pris en charge par l'appelante et les conducteurs utilisaient une carte de crédit au nom de Lister pour payer ces frais. C'est l'appelante qui souscrivait l'assurance responsabilité sur les véhicules, l'équipement et les marchandises. À la question 13 a), page 9 du questionnaire — pièce R-1 —, qui vise à déterminer si le conducteur avait travaillé pour quelqu'un d'autre au cours de la période où il avait fourni les services pour la payeuse, M. MacLennan a écrit : [TRADUCTION] D'ordinaire, les conducteurs travaillent uniquement pour la payeuse au cours de la période où ils dispensent les services pour elle en raison de la nature du travail. Il a expliqué que l'appelante avait été très occupée et que les conducteurs faisant partie de la réserve avaient eu amplement de chargements à livrer. Les conducteurs de camion qui effectuaient les livraisons locales étaient des employés de la société mère de l'appelante; ils étaient rémunérés selon un taux horaire, mais ils étaient par ailleurs traités comme des employés assujettis aux retenues habituelles. L'entreprise fonctionnait de cette façon : le matin, Lister préparait les chargements puis, aux environs de midi, on communiquait avec un conducteur pour livrer un chargement à un endroit donné à l'intérieur d'une période donnée. Lister effectuait la livraison de marchandises à différents endroits en Ontario, au Québec, dans l'État de New York, dans l'Illinois et en Pennsylvanie et possédait les immatriculations, permis et assurances voulus pour conduire des camions dans chacun de ces territoires. L'appelante fonctionnait de cette manière depuis 1987 et employait toujours le même système, qui consistait à trouver des conducteurs pour livrer les marchandises. M. MacLennan a expliqué que la société mère exploitait une entreprise de produits agricoles et que Lister est une filiale à cent pour cent de cette société. Toutes les remorques de Lister étaient munies d'un dispositif de réfrigération pour le transport des produits agricoles.

[5] L'avocat de l'appelante a fait valoir que, selon la preuve, les conducteurs avaient convenu entre eux que chacun était libre d'accepter ou de refuser un voyage en particulier et pouvait établir son horaire de façon à utiliser de façon optimale le temps alloué pour effectuer une livraison de façon à disposer ainsi de plus de temps au cours d'une période donnée pour faire une autre livraison et gagner plus d'argent. Il a fait observer que, relativement aux chances de bénéfice et aux risques de perte, la question n'est pas de savoir si les conducteurs ont en fait réalisé un bénéfice en embauchant des remplaçants, rémunérés à un moindre taux au kilomètre, pour faire un voyage à leur place, mais plutôt de savoir si la chose aurait été possible, et c'est ce que le contrôleur de l'appelante a confirmé dans son témoignage.

[6] L'avocat de l'intimée a prétendu que les différents critères permettant de conclure à l'existence d'une relation d'employeur-employé énoncés dans la jurisprudence indiquaient, de façon générale, que la décision du ministre était fondée et que les conducteurs exerçaient un emploi assurable chez l'appelante au cours de la période pertinente.

[7] Dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (C.A.F.) (87 DTC 5025), la Cour d'appel fédérale a accepté d'appliquer à la preuve les critères précisés ci-après, en précisant qu'ils doivent être considérés comme un seul critère composé de quatre parties intégrantes qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entrent dans le cadre des opérations. Ces critères sont les suivants :

1. Le critère du contrôle

2. La propriété des instruments de travail

3. Les chances de bénéfice et les risques de perte

4. Le critère de l'intégration

[8] Même si la preuve a établi que les conducteurs étaient libres d'accepter ou de refuser un voyage en particulier et qu'ils n'étaient pas supervisés lorsqu'ils accomplissaient leurs tâches, ils devaient également se conformer à la politique de la société et respecter les délais fixés par l'appelante. Le fait qu'une personne jouisse — avec le consentement de l'employeur — d'une certaine latitude et puisse ainsi décider de se présenter ou non au travail — ce qui est courant dans l'industrie de l'accueil ainsi que dans le secteur de la restauration — n'en fait pas pour autant un entrepreneur indépendant.

[9] La totalité des instruments de travail et de l'équipement, à savoir les camions, les remorques, les accessoires, les permis de transport, les immatriculations et l'assurance appartenaient à l'appelante. Les conducteurs détenaient les permis exigés pour conduire les véhicules et l'équipement.

[10] Les conducteurs n'avaient en réalité aucune chance de bénéfice ni aucun risque de perte. Ils étaient rémunérés à des taux précis établis par l'appelante, sans aucune forme de négociation, et tous les conducteurs de grands routiers étaient rémunérés de la même manière. La totalité des frais engagés pour conduire les semi-remorques jusqu'à l'endroit désigné étaient pris en charge par l'appelante, et le conducteur ne pouvait subir aucune perte sauf s'il lui arrivait de payer une amende ou une pénalité pour avoir conduit la remorque d'une certaine manière, mais cela aurait constitué une obligation personnelle imposée par la loi ou le règlement. La possibilité d'accepter un plus grand nombre de voyages au cours d'une période donnée — dans les faits, de travailler plus fort — n'est pas une preuve de l'existence d'une chance de bénéfice au sens où l'entend la jurisprudence.

[11] Pour ce qui est du critère de l'intégration, dans l'affaire David T. McDonald Co. Ltd. c. M.R.N., C.C.I., no 89-2960 (IT), 30 juillet 1992 (92 DTC 1917), le juge Mogan, de la C.C.I., devait déterminer si un particulier était un employé d'une société ou un entrepreneur indépendant. À la page 11 (DTC : à la page 1922), le juge Mogan a déclaré ce qui suit :

Dans l'affaire Wiebe Door, le juge MacGuigan a cité à la page 5030, en y souscrivant, le jugement Market Investigations, dans laquelle la question suivante est posée : [VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE] “ La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte?” Pour répondre à cette question, il faut voir si la personne en question est ou non capable de se lancer à son propre compte dans les affaires considérées. Si elle a l'expérience, les connaissances et la clientèle nécessaire dans le domaine, il est plus facile de conclure qu'elle est capable de s'y lancer à son propre compte et n'est pas simplement un employé incorporé. Cette conclusion s'impose tout particulièrement lorsque la personne n'avait pas antérieurement de lien d'emploi avec la partie qui bénéficie de ses services. Toutefois, si elle ne possède pas l'expérience, les connaissances ou la clientèle nécessaire dans le domaine et offre uniquement des compétences personnelles non liées aux affaires considérées, il est plus difficile de conclure que cette personne est capable de se lancer à son propre compte dans les affaires considérées; il serait alors probablement plus raisonnable de la considérer comme un employé de la partie qui bénéficie de ses services.

[12] Il est clair que l'entreprise était celle de l'appelante, une société de transport qui était une filiale à cent pour cent d'une société mère qui exploitait une entreprise de vente et de distribution de produits. Même si l'appelante avait des conducteurs locaux, qui étaient des employés, les conducteurs de grands routiers étaient traités différemment, sans motif apparent, en ce sens que leurs services étaient retenus d'une autre manière — ponctuellement — et qu'ils étaient rémunérés au kilomètre plutôt qu'à l'heure. Les conducteurs locaux auraient probablement pu conduire les grands routiers, mais ils n'avaient peut-être pas les permis ou les qualifications voulus pour se rendre dans les différents territoires. En ce sens, l'appelante avait fait une distinction entre les deux types de conducteurs et, en conséquence, les conducteurs de grands routiers mentionnés dans la décision du ministre assuraient un service qui faisait partie intégrante de l'entreprise de l'appelante. Il n'existe absolument aucune preuve qu'un conducteur — ou l'appelante — a agi d'une manière qui permettrait de conclure que le conducteur était en affaires à titre d'entrepreneur indépendant.

[13] Je me vois maintenant contraint de faire ressortir les différences qui existent entre les faits de l'appel en l'instance et ceux de deux autres affaires dans lesquelles j'ai conclu que les conducteurs étaient des entrepreneurs indépendants. Dans l'affaire Lee c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1995] A.C.I. no 426, j'ai conclu que le conducteur d'un grand routier était un entrepreneur indépendant. Dans cette affaire, le conducteur avait inscrit son entreprise aux fins de la taxe sur les produits et services, avait tenu un compte de banque commercial et avait produit des déclarations de revenu en tenant pour acquis qu'il travaillait à son compte. Dans l'affaire Lee, l'appelant avait déjà été un employé du payeur et avait accepté de modifier la relation de travail; en outre, la preuve permettait clairement d'établir que l'appelant aurait pu embaucher un remplaçant pour conduire les grands routiers à sa place et réaliser ainsi un bénéfice. Aussi, dans l'affaire Lee, la question se résumait à choisir entre deux versions du cadre dans lequel s'inscrivait une relation de travail, et le choix ne favorisait pas le travailleur. J'ai également conclu que les instruments de travail étaient les compétences personnelles du conducteur à titre de personne qualifiée capable de conduire une remorque remplie de marchandises sur de longues distances. Pour tirer cette conclusion, je me suis appuyé sur le fait que le conducteur exploitait une entreprise sous la raison sociale Rick's Driving Services, qu'il avait un compte de banque à ce nom et qu'il faisait par ailleurs affaire avec des tierces parties sous ce nom. Sur ses déclarations de revenu, le travailleur avait indiqué qu'il travaillait pour son compte.

[14] Dans une autre décision que j'ai rendue dans l'affaire Metro Towing Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [1991] A.C.I. no 717, j'ai conclu qu'un conducteur de dépanneuse était un entrepreneur indépendant. Dans cette affaire, même si le travailleur était assujetti à un contrôle étroit, il avait loué le véhicule et tout l'équipement nécessaire pour effectuer son travail et il prenait à sa charge la totalité des frais connexes, dont les primes d'assurance. Ce conducteur courait également un risque élevé de perte relativement à l'utilisation du véhicule s'il ne générait pas suffisamment de recettes brutes, lesquelles fluctuaient d'un mois à l'autre, tout comme, dans une moindre mesure, ses frais d'utilisation. Dans cette affaire, comme dans l'affaire Lee, précitée, le travailleur avait déjà été un employé de l'entreprise et il avait décidé de conclure un nouveau contrat de travail aux termes duquel il louait un camion et une partie de l'équipement et avait le droit de conserver 30 % des recettes brutes découlant des appels de dépannage que lui adressait Metro Towing Ltd. Dans l'affaire Metro Towing Ltd., la preuve a révélé que les autres conducteurs de dépanneuse fournissaient leurs services par le truchement d'une société à responsabilité limitée ou en vertu de contrats de société.

[15] Dans l'affaire Summit Gourmet Foods Inc. c. M.R.N. 97-470(UI), une décision de l'honorable juge Mogan, de la C.C.I., datée du 24 novembre 1997, le juge Mogan s'est penché sur la situation d'une personne — Freeman Walters, l'intervenant — qui conduisait un camion pour l'appelante, une société exploitant une entreprise comme fournisseur de pizzerias. Le juge Mogan a conclu que le conducteur exerçait un emploi assurable et il a déclaré ce qui suit, à la page 5 et aux pages suivantes :

En ce qui a trait au contrôle, je considère que ce critère favorise légèrement la thèse selon laquelle Freeman était un employé et non un entrepreneur indépendant, quoique l'avocat de l'appelante ait souligné que l'on ne disait pas à Freeman comment accomplir son travail. J'accepte cela. Par contre, on attribuait à Freeman des voyages à faire; il pouvait déterminer l'ordre et la date des livraisons, mais les produits devaient être livrés en une semaine, et il devait téléphoner au bureau de l'appelante chaque matin. C'est ce qu'a révélé le témoignage de Freeman, qui a dit : [TRADUCTION] “ Toute personne conduisant un camion doit communiquer avec le bureau, et c'est ce que je faisais. Je devais appeler chaque matin pour dire où j'allais, pour qu'on sache où je serais ce jour-là et pour qu'on sache si des clients avaient passé des commandes supplémentaires que je pourrais avoir à exécuter en utilisant les produits supplémentaires que je transportais ”. L'appelante a eu la possibilité de produire une contre-preuve pour contredire cette simple assertion de Freeman, mais elle ne l'a pas fait. Me fondant sur le bon sens, je crois cette assertion.

Eric a décrit un camion congélateur que Freeman utilisait et qui coûtait entre 70 000 $ et 80 000 $. Lorsqu'une entreprise envoie une personne quelque part dans un camion de cette valeur appartenant à l'entreprise, elle veut savoir où le camion se trouve chaque jour et, lorsqu'il s'agit de servir une clientèle bien établie, elle veut savoir en temps opportun si ces clients se font effectivement servir, car cette clientèle est vitale pour une entreprise. Je ne peux croire qu'une personne dans la situation de Freeman ne serait pas tenue de signaler chaque jour où elle était allée, quels clients elle avait servis et s'il y avait eu des commandes nouvelles.

Le fait que Freeman pouvait déterminer l'ordre dans lequel il servirait ces clients ou le moment où il entreprendrait un voyage indique qu'il avait une certaine autonomie, mais, tout compte fait, je dirais que, bien qu'il n'ait pas été directement contrôlé par l'appelante, cette dernière savait quotidiennement où il était, ce qu'il faisait et quels clients il avait servis. Donc, pour ce qui est du critère du contrôle, je conclus que la preuve indique davantage l'existence du type de contrôle exercé sur un employé que l'existence de la simple orientation donnée à un entrepreneur indépendant.

En ce qui a trait au critère de la propriété des instruments de travail, il favorise très nettement la thèse selon laquelle Freeman était un employé et non un entrepreneur indépendant. Les seuls instruments pertinents pour ce genre de travail sont le camion et le chariot, qui appartenaient tous les deux à l'appelante. L'avocat de l'appelante a porté à mon attention une cause semblable en Saskatchewan, dans laquelle le juge Kyle de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan avait dit :

[TRADUCTION]

[...] Faire un parallèle entre la propriété des instruments de travail dans le cas d'un homme de métier et la propriété de l'hôtel et du matériel qu'il contient dans un cas comme celui-ci semble forcer à outrance le raisonnement de l'arrêt Montreal Locomotive.

Je suis d'accord là-dessus. Je pense que, il y a un demi-siècle, les savants juges qui ont établi ces premiers critères et qui parlaient de la propriété des instruments de travail n'ont jamais eu à l'esprit un camion de 80 000 $. À mon avis, ils parlaient des outils d'un homme de métier, par exemple le marteau et la scie d'un menuisier. Toutefois, le fait est que, dans une société plus complexe, le camion en question représentait le seul instrument au moyen duquel le service était fourni. Le permis de conduire détenu par Freeman était une condition préalable de son embauchage par l'appelante; Freeman n'aurait pu être embauché s'il n'avait pas eu un permis de conduire. Je ne considère pas le permis de conduire de Freeman comme un instrument de travail. Je prends en considération la seule chose que Freeman utilisait pour fournir les services, soit un véhicule hautement perfectionné et très coûteux. Donc, le critère de la propriété des instruments de travail favorise l'existence d'un emploi.

En ce qui concerne les chances de bénéfice et les risques de perte, je conclus que ce critère aussi favorise l'existence d'un emploi, car il n'y avait pratiquement aucun risque de perte. Il y avait une chance de rémunération, car tout ce que Freeman avait à faire était d'effectuer le voyage aller-retour pour recevoir la somme dont il avait convenu avec l'appelante dans la pièce A-1. Dans ce contexte, la rémunération n'est pas un bénéfice. L'avocat de l'appelante a soutenu que Freeman pouvait subir une perte, puisque, pour ce qui était des produits excédentaires qu'il transportait, il pouvait dire : [TRADUCTION] “ Je vais en acheter et les revendre à profit moi-même ”. S'il avait conclu ce type d'arrangement, il aurait pu acheter le produit au moment d'entreprendre un voyage; il aurait pu acheter 10 caisses de pizzas préparées, disons, et courir la chance de les vendre au cours de ce voyage et de gagner de l'argent en faisant le commerce de produits de pizza. Il peut avoir eu cette possibilité, mais je conclus que les produits supplémentaires n'étaient pas destinés simplement aux activités commerciales du conducteur. Ils étaient également destinés à répondre aux besoins de clients établis qui, durant le voyage, pouvaient décider qu'il leur fallait plus que les produits qui leur étaient destinés au moment du départ du camion.

[16] Très peu d'éléments de preuve ont été soumis dans l'appel en l'instance sur la question de la relation de travail qui existait entre les travailleurs et l'appelante si l'on établit un parallèle avec les décisions citées dans les paragraphes qui précèdent. Chaque affaire doit être tranchée en fonction des faits qui lui sont propres et, en l'espèce, étant donné que l'appelant ne s'est pas acquitté de la charge d'établir le contraire, je suis convaincu que la décision du ministre est fondée et je la confirme par les présentes. En conséquence, l'appel est rejeté, de même que l'appel 96-119(CPP).

Signé à Toronto (Ontario) ce 23e jour de juin 1998.

“ D. W. Rowe ”

J.S.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de janvier 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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