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Date: 19971223

Dossier: 97-1498-IT-I

ENTRE :

THÉRÈSE CÔTÉ-SICÉ,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

TREMBLAY, J.C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu le 12 novembre 1997 à Montréal (Québec).

Point en litige

[2] Selon l'avis d'appel et la réponse à l'avis d'appel, il s'agit de savoir si l'appelante est bien fondée de soutenir qu'elle n'est pas solidairement responsable de la dette de son époux pour un montant de 2 669,11 $ en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3] Selon l'intimée, l'époux de l'appelante aurait vendu à cette dernière sa résidence principale du 665, rue de Provence, Longueuil, le 23 août 1993 pour 84 376, 29 $, alors qu'elle valait 128 000 $, (88 350 $ selon l'évaluateur, Pierre Fortin), et le 8 septembre suivant, il lui a aussi transféré une bâtisse commerciale sise au 899, rue Verchères, Longueuil, pour 45 000 $, alors qu'elle en valait 73 000 $, selon l'intimée (mais 32 000 $, selon l'évaluateur Pierre Fortin).

[4] Selon les rapports d'évaluation de l'évaluateur Pierre Fortin, la résidence payée 84 376 $ aurait une juste valeur marchande (ci-après appelée « J.V.M. » ) de 88 350 $ et non 128 000 $ comme le prétend l'intimée et la bâtisse commerciale payée 45 000 $ aurait une J.V.M. de 32 000 $ et non 73 000 $, comme le prétend l'intimée. Lors de ces ventes, l'époux était débiteur fiscal de 5 668,60 $.

[5] Selon l'intimée, étant donné le lien de mariage entre le vendeur et l'acquéreur, étant donné que les prix de vente sont inférieurs à la valeur réelle, la contrepartie payée par l'appelante serait au moins égale à la dette fiscale du conjoint.

[6] L'appelante soutient que la J.V.M. invoquée par l'intimée de 128 000 $ et de 73 000 $ est grossièrement exagérée et sans fondement. L'appelante aurait mandaté un évaluateur pour établir la J.V.M. des immeubles et le prix payé serait égal à la J.V.M.

Fardeau de la preuve

[7] L'appelante a le fardeau de démontrer que les cotisations de l'intimée sont mal fondées. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. le ministre du Revenu national[1].

[8] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimée pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) à h) du paragraphe 17 de la Réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

17. En établissant la cotisation du 28 août 1996, dont l'avis porte le numéro 01568, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants :

a) le 25 août 1993, M. Michel Sicé a vendu à l'appelante la résidence principale sis au 665, rue de Provence, Longueuil, pour la somme de 84 376, 29 $;

b) le 8 septembre 1993, M. Michel Sicé a vendu à l'appelante une bâtisse commerciale, sis au 899, rue Verchères, Longueuil pour la somme de 45 000 $;

c) lors de ces ventes, l'appelante était mariée avec le vendeur, M. Michel Sicé, sous le régime de la séparation de biens, par contrat de mariage intervenu le 31 juillet 1951;

d) au moment des ventes, la juste valeur marchande de l'immeuble sis au 665, rue de Provence, Longueuil, était de 128 000 $ et celle de l'immeuble sis au 899, rue Verchères, Longueuil était de 73 000 $;

e) par ailleurs, toujours en date de ces ventes, M. Michel Sicé était débiteur fiscal pour un montant de 5 668,60 $;

f) au moment desdites ventes, l'appelante était une personne liée à M. Michel Sicé puisqu'elle était son épouse;

g) la juste valeur marchande des immeubles ayant fait l'objet de la vente était supérieure à la contrepartie payée par l'appelante et la différence entre cette juste valeur marchande et la contrepartie payée par l'appelante est au moins égale à la dette fiscale de M. Michel Sicé;

h) l'appelante est solidairement responsable de l'impôt de l'auteur du transfert ci-dessus (la vente des immeubles) pour un montant de 2 669,11 $

[9] L'appelante a admis les alinéas a) à f) du paragraphe 17 de la Réponse à l’avis d’appel et nié les alinéas g) et h).

Faits mis en preuve

[10] Suite aux admissions ci-dessus, la preuve a été complétée par les témoignages de M. Pierre Fortin, évaluateur agréé, de la firme Fortin, Duchesneau & Associés Inc., de M. Michel Sicé, arpenteur, et de l'appelante ainsi que par la déposition des pièces A-1 à A-11 et I-1.

[11] Les deux propriétés en litige situées à Longueuil ont fait l'objet de l'étude de M. Fortin. Ce dernier est bien familier avec cette ville puiqu'il y possède quatre propriétés à logements. Il a travaillé deux ans pour la Ville dans le domaine de l'évaluation des propriétés. Il a alors évalué 3 000 logements. Il a donc une connaissance particulière du marché résidentiel de Longueuil.

[12] Sous la pièce A-1, a été déposé le rapport d'évaluation relatif à la résidence située au 665, rue de Provence, Longueuil. Après visite des lieux avec prises de nombreuses photos, tant de l’extérieur que de l’intérieur (pièce A-3), l’évaluateur a constaté un certain nombre d'éléments qui laissent à désirer : « solage » fissuré, il en est de même du plancher du sous-sol, fournaise à remplacer, fenêtres à remplacer, terrain en mauvaise condition. L'intérieur de la maison ne rencontre même pas le standard de l'époque de la construction. Cette maison construite en 1962, en brique de chaux, donc de moindre qualité, n'a pas eu de rénovation majeure, comparée à trois autres maisons semblables, dont deux étaient situées sur la rue de Provence. M. Fortin l'évalue à 95 000 $. Il soutient que l'évaluation municipale de 127 000 $ (terrain 55 600 $ et bâtiment 71 500 $) ne reflète nullement la valeur de la propriété. Il soutient que l'évaluation municipale n'est pas en soi représentative de la J.V.M. Il cite, entre autres, le cas d'un immeuble situé à St-Antoine de Longueuil dont l'évaluation municipale était de 1 684 800 $ et les taxes foncières de 49 772 $. L'immeuble a été vendu 400 000 $ (pièce A-5). Aussi, il cite le cas d’une maison à logements située sur le boulevard Lafayette à Longueuil, dont l'évaluation municipale était de 733 000 $ et vendue à 250 000 $. C'est l'étude du marché au moment de la vente qui établit la juste valeur marchande (pièce A-4).

[13] Selon M. Fortin, cette valeur de 95 000 $ représente le prix de vente qu'un vendeur libre de toute contrainte pourrait obtenir pour l’élément à évaluer, au 25 août 1993, moyennant le versement d'une commission de 7 % au courtier, le tout pour un prix de vente nette de 88 350 $.

[14] Sous la pièce A-2, a été produit le rapport d'évaluation de la deuxième propriété vendue et située au 899, rue Verchères, Longueuil. Selon la municipalité, la valeur du terrain est de 38 900 $ et la valeur du bâtiment 34 100 $.

[15] Les usages permis sont :

C-2 commerce de détail

C-3 commerce de détail lourd

C-4 commerce de service lourd

C-5 commerce de récréation

[16] Le zonage en vigueur ne permet pas la construction de nouvelles résidences ou le réaménagement de locaux déjà existants, à des fins résidentielles.

[17] La propriété sous étude comprend un terrain (6 174 pieds carrés) sur lequel est érigée une ancienne résidence actuellement utilisée comme atelier de travail, un garage et une remise.

[18] Le bâtiment principal est une construction d'un étage, en bois lambrissé de déclin aluminium, avec fenestration de vinyle, de type coulissante. Il fut érigé en 1949 sur fondations de blocs de béton avec toiture en gravier et goudron.

[19] Les dimensions du bâtiment sont de 21 pieds par 29 pieds, pour une superficie habitable de 609 pieds carrés.

Utilisation potentielle

[20] La propriété sous étude est une ancienne résidence dont l'utilisation a été modifiée comme atelier de travail par une firme d'arpentage.

[21] La propriété doit être évaluée en tenant compte de son utilisation la meilleure et la plus avantageuse.

[22] La détermination de son utilisation potentielle pose un problème pour les motifs suivants :

- le bâtiment principal est actuellement utilisé comme atelier de travail;

l'aménagement du bâtiment n'est pas fonctionnel et ne répond nullement aux critères modernes, en fonction d'un usage comme atelier ou bureau;

le voisinage hétéroclite où prédomine une activité commerciale axée sur la réparation d'autos et de motos n'est pas favorable à une utilisation de type atelier ou bureau;

- le bâtiment actuel est aménagé à des fins résidentielles de basse gamme mais utilisé à des fins commerciales;

le zonage en vigueur n'autoriserait pas une reconversion en fonction d'une utilisation résidentielle, en dépit de l'aménagement résidentiel existant du bâtiment.

[23] Selon l’évaluateur, l'utilisation la meilleure et la plus avantageuse serait incontestablement la démolition des améliorations au terrain et des bâtiments existants, pour permettre la construction d'un nouveau bâtiment axé sur une activité commerciale compatible avec le voisinage, vraisemblablement dans le domaine de la réparation d'autos ou de motos.

[24] Relativement aux techniques d'évaluation, M. Fortin, ayant rejeté avec justification celles du coût et du revenu, a choisi la technique de parité. Pour ce faire, il a utilisé 13 ventes de propriétés comparables, dont quatre ont été rejetées et neuf retenues, allouant au terrain 6 $ le pied carré, soit une valeur de 37 000 $ dont il soustrait 5 000 $ pour la démolition de trois bâtisses existantes : « La présence de ces bâtiments constitue une limitation à l'utilisation la meilleure et la plus avantageuse du terrain sujet. » La J.V.M. serait donc de 32 000 $.

[25] Un deuxième scénario est étudié soit par l'utilisation commerciale des bâtiments existants, en tenant compte du relevé de cinq ventes de propriétés impliquant des résidences de basses gammes situées sur le territoire de Longueuil. Il arrive à une évaluation de 34 400 $. Dans ce cas aussi, l'évaluateur tient compte des frais de 7 % de courtage immobilier, le tout laissant au vendeur un prix de vente net de 32 000 $.

[26] L'intimée n'a pas présenté de rapport d'évaluation. L'évaluation sur laquelle il appuie la cotisation est l'évaluation municipale de 128 000 $ pour la maison située au 665, rue de Provence, Longueuil et de 73 000 $ pour l'immeuble du 899, rue Verchères, Longueuil.

Témoignage de M. Michel Sicé

[27] M. Michel Sicé, arpenteur géomètre et époux de l'appelante, a acheté, le 29 janvier 1982, la résidence située au 665, rue de Provence, Longueuil, au coût de 74 800 $. L’achat de la maison a été financée, d'une part, par un emprunt de la Caisse populaire de Montréal sud, au montant de 47 000 $ et, d'autre part, par un prêt de l'appelante, son épouse, de 27 800 $, au taux de 13 % (pièce A-6). Lors de la vente de la résidence à son épouse en 1993, l'hypothèque de la Caisse populaire s'élevait à 56 573, 29 $. De plus, il n'avait jamais donné un sou à son épouse en paiement du 27 800 $, ni en intérêts, ni en capital. Ceci est confirmé par le témoignage de l'appelante. Suite à une attaque cardio-vasculaire en 1993, le témoin n'était plus en mesure de rencontrer ses obligations financières. Il aurait été obligé de céder cet immeuble à la Caisse pour dation en paiement. Il en aurait été de même pour l'immeuble de la rue Verchères envers la Banque nationale, n'eût été son épouse qui a tout pris en mains.

[28] Concernant la vente, le 8 septembre 1993, du terrain et des bâtisses situés au 899, rue de Verchères, Longueuil (Québec), l'hypothèque était de 45 000 $ (pièce A-10) en faveur de la Banque canadienne nationale. Ce 8 septembre 1993, une garantie hypothécaire en faveur de la Banque canadienne nationale est enregistrée au nom de Thérèse Côté (pièce A-9) et mainlevée est accordée à Michel Sicé le 1er octobre 1993 (pièce A-8).

[29] Sous la pièce A-11, est déposée la renonciation au patrimoine familial par Michel Sicé et Thérèse Côté signée le 2 août 1990, le tout conformément aux articles 462.1 à 462.13 du Code civil du Québec.

[30] Pour se conformer à l’artice 9 de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières, les parties des ventes en litige ont déclaré la valeur de la contrepartie pour l'immeuble de la rue de Provence de 120 160 $ (pièce A-7) et pour l'immeuble du 899, rue Verchères à 73 000 $.

[31] En contre-interrogatoire de M. Sicé, l’intimée a déposé le bilan de ce dernier au 30 novembre 1992. Selon ce bilan, la maison familiale était évaluée à 125 000 $ mais avec une hypothèque au 1er rang de 75 000 $ et 2e rang de 28 000 $ et le terrain du bureau 899, rue Verchères, 40 000 $.

[32] Dans son témoignage, l'appelante a affirmé n'avoir jamais retiré un sou d'intérêts de la somme prêtée (2e rang) de 27 800 $. De plus, cet argent prêtée était son argent personnel.

Analyse

[33] Suite à l'audition de la preuve, la Cour est d'avis que les études de l'évaluateur, M. Pierre Fortin, concernant les deux immeubles et les opinions sur leur valeur qui en découlent sont bien fondées.

[34] La seule invocation par l'intimée de la valeur municipale, sans rapport d'évaluation, ne peut valablement contredire les études détaillées de l'évaluateur de l'appelante.

[35] Le contre-interrogatoire serré de l’intimée n’a pas démoli l’étude de l’évaluateur. La Cour, toutefois, ne partage pas l'avis de l'évaluateur qu'on doit considérer le 7 % payé au courtier pour établir la J.V.M. pour le vendeur. La J.V.M. doit être la même et pour l'acheteur et pour le vendeur. Si des additions ou des soustractions doivent être faites, pour des fins quelconques par la suite, cela ne peut affecter selon moi la juste valeur marchande.

[36] La Cour ne peut objectivement tenir compte des valeurs de la contrepartie de 120 160 $ pour la résidence et de 73 000 $ pour la bâtisse commerciale fixées aux contrats par les parties pour se conformer à l'article 9 de la Loi 47 concernant les droits sur les mutations immobilières. Il s'agit là en effet de chiffres n'ayant pas de valeur scientifique.

[37] La Cour est d'avis que l'appelante a payé la résidence principale plus que 56 576,29 $, soit l'hypothèque du premier rang alors en vigueur en faveur de la Caisse populaire Desjardins Montréal-Sud, mais aussi la somme de 27 800 $ en capital, soit l'hypothèque au deuxième rang en faveur de l'appelante elle-même au taux d'intérêts composés de 13 %, pendant 11 ans, soit 39 754 $, si c’était des intérêts simples seulement.

[38] L'intimée, ignorant les intérêts ci-dessus, soutient que s'appuyant sur cette première transaction, l'appelante doit payer la dette du conjoint pour 4 073,81 $: d'une part 56 576 $ + 27 800 $ = 84 376 $, d’autre part, cette dernière somme devant être soustraite de 88 350 $, soit la valeur à laquelle arrive l'évaluateur Fortin, sous la pièce A-1 : 88 350 $ - 84 376 $ = 4 073,81 $.

[39] En fait, pour établir la somme réelle payée par l'appelante, la Cour ne devrait-elle pas tenir compte du montant des intérêts qu'elle n'a jamais reçu? La Cour est de cet avis.

[40] De plus, l'intimée soutient qu'il n'a pas à tenir compte de la deuxième transaction, soit celle relative à la bâtisse commerciale passée le 8 septembre 1993, vu qu'elle est postérieure à la transaction de la résidence principale passée le 25 août 1993. Considérant que la vente des deux immeubles origine du fait que M. Sicé ne pouvait plus travailler et donc engendrer des revenus, suite à une attaque cardio-vasculaire, considérant que les deux immeubles auraient de toute façon été cédés pour dation en paiement aux créanciers hypothécaires, et considérant enfin la brève période entre le 25 août et le 8 septembre 1993, il y a lieu de conclure que ces deux transactions doivent être considérées comme un tout.

[41] L'immeuble industriel, selon le rapport d'évaluation (pièce A-2), avait au moment de la vente une J.V.M. de 32 000 $ (mais de 34 400 $ en ne tenant pas compte des frais de 7 %) au lieu de 73 000 $ selon l'intimée. L'appelante en a payé 45 000 $. (hypothèque à la Banque canadienne nationale), donc 10 400 $ en trop. Même si on ne considérait pas les intérêts simples de 39 754 $ que l'appelante n'a jamais reçues dans la transaction de la résidence, la somme payée par l'appelante serait encore supérieure à la valeur des immeubles en litige pris dans leur ensemble. En effet il faut ajouter la somme de 34 400 $ à 95 000 $ (voir [38] in fine) donnant 129 400 $ de J.V.M. et 45 000 $ à 84 376 $ (prix réellement payé)= 129 376 $ (prix payé). Donc, l’appelante aurait payé 24 $ en moins (129 400 $ - 129 376 $), et ce, indépendamment des intérêts dus par le vendeur. S’il ne fallait pas considérer les intérêts, la Cour dirait, dans une cause de cette nature pour le 24 $, « De minimis non curat praetor » . L'appelante ne peut-être responsable de la dette fiscale de M. Michel Sicé.

Conclusion

[42] L'appel est accordé, avec frais entre les parties, incluant les honoraires de l'évaluateur de l'appelante, et la cotisation est annulée.

Signé à Québec (Québec), le 23 décembre 1997.

« Guy Tremblay »

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

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