Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000323

Dossier: 1999-4353-IT-I

ENTRE :

RAYMOND LEBEL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman, C.C.I.

[1] Les présents appels portent sur des cotisations établies pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 de l'appelant. Ils concernent le rejet de déductions de pertes d'entreprise provenant de certaines activités exercées par l'appelant au cours des années en question.

[2] Tout au long des années en question, l'appelant était employé par la CAE Machinery Ltd., comme machiniste. L'appelant m'a semblé quelqu'un d'intelligent qui avait des intérêts plutôt variés et qui était disposé à se lancer dans diverses entreprises en vue de gagner de l'argent.

[3] Il y a quatre activités en cause pour les années en question.

a) L'activité de Jewelway. Cette activité, qui consistait en apparence à acheter des bijoux à une compagnie et à les revendre, était en réalité une opération pyramidale, dont le succès dépendait du recrutement d'un plus grand nombre de participants.

b) L'activité de Vision Int'l Productions (“ VIP ”) était une ramification de l'opération pyramidale mentionnée au point a). L'opération de Jewelway était si compliquée qu'elle était difficile à expliquer à des participants potentiels. M. Lebel a donc conçu des transparents laminés qui étaient censés simplifier la présentation.

c) L'activité relative à un propulseur à vitesse variable. Jusqu'à maintenant, ce projet n'a pas dépassé le stade des travaux de recherche et développement.

d) L'activité de Dig-i-all. Il s'agissait d'une entreprise d'hébergement de données de sites Web dans le cadre de laquelle l'appelant louait en fait des sites Web de serveurs, puis en “ sous-louait ” des parties à des personnes voulant un site Web.

[4] De 1987 à 1996, l'appelant a déclaré les pertes suivantes provenant de ses diverses activités commerciales :

Année

d'imposition

Revenu brut

d'entreprise

Dépenses

Revenu / (perte)

net d'entreprise

1987

1 768 $

4 138 $

(2 370 $)

1988

2 932 $

7 757 $

(4 825 $)

1989

1 013 $

2 679 $

(1 666 $)

1990

90 $

2 296 $

(2 206 $)

1991

175 $

7 198 $

(7 023 $)

1992

0 $

12 945 $

(12 945 $)

1993

521 $

20 270 $

(19 749 $)

1994

6 387 $

25 794 $

(19 407 $)

1995

3 865 $

10 788 $

(6 923 $)

1996

6 272 $

8 491 $

(2 219 $)

Total

23 023 $

102 356 $

(79 333 $)

[5] L'appelant a en fait été autorisé à déduire les pertes qu'il avait indiquées pour toutes les années antérieures à 1994.

[6] Les déductions des pertes pour 1994, 1995 et 1996 lui ont été refusées pour le motif de l'absence d'attente raisonnable de profit.

[7] L'appelant a consigné en preuve un grand nombre de reçus, et je suis convaincu qu'il a établi que les dépenses déclarées avaient en fait été engagées. Tel n'est pas le problème. La difficulté tient au fait que ses états d'activités commerciales qui ont été déposés avec ses déclarations de revenus n'établissent aucune distinction entre les diverses activités et qu'il est difficile pour moi de dire quelles dépenses ou quels revenus sont attribuables à chaque activité. Les fonctionnaires du ministère du Revenu national n'ont pas cherché non plus à établir une telle distinction pour être justes envers l'appelant. Après avoir fait valoir le motif rituel de l'absence d'attente raisonnable de profit, ils n'ont pas cherché davantage à effectuer une analyse systématique.

[8] Je traiterai de chacune des quatre activités.

a) L'activité de Jewelway. Il s'agissait d'une sorte d'opération pyramidale dans le cadre de laquelle l'appelant achetait des “ positions ”. De prime abord, il semblait que l'appelant achetait des bijoux qu'il était censé revendre, mais tel n'était pas l'essentiel de l'opération. L'appelant a encore les bijoux. L'essentiel de l'opération consistait à persuader d'autres personnes de participer à l'opération sur la même base que dans le cas de l'appelant, ces personnes devant ensuite en inciter d'autres à participer. L'appelant avait initialement acheté sept positions à 350 $ chacune.

Au fil des ans, l'appelant était parvenu à convaincre 12 personnes de participer, mais il en avait contacté des centaines. Il a dit que certaines personnes gagnaient jusqu'à 70 000 $ par mois. Il se peut que certains des promoteurs initiaux aient eu du succès, mais l'appelant, à temps partiel, n'avait aucun espoir réel de succès quand on analyse la situation rationnellement. L'opération m'a paru quelque peu insensée et, bien que je reconnaisse que des opérations pouvant paraître insensées peuvent parfois être susceptibles d'être couronnées d'un certain succès commercial, ce sont habituellement les promoteurs initiaux de l'opération (comme Charles Ponzi) qui réussissent à gagner de l'argent, pas les victimes. Je ne pense pas que cette activité puisse être considérée comme une entreprise.

b) L'activité de VIP. Cette idée était plus riche de possibilités. L'appelant avait conclu qu'il pourrait mettre au point des transparents pouvant être utilisés pour décrire l'opération de Jewelway à des participants potentiels. Cela m'a semblé une entreprise raisonnablement viable, vu que j'avais moi-même eu de la difficulté à comprendre l'opération de Jewelway. Après avoir d'abord encouragé l'appelant à mettre au point les transparents, la compagnie Jewelway a fait volte-face et a dit à l'appelant de mettre un terme à cette activité, de sorte que le projet a pris fin. L'appelant avait alors dépensé pas mal d'argent en frais d'impression (11 826,99 $) et en frais de matériel (4 711,09 $).

Je considère que ces dépenses sont légitimes, mais elles représentent le coût de stocks et peuvent être déduites dans le calcul du revenu seulement lorsque les stocks sont vendus ou entièrement consommés ou que l'entreprise cesse d'exister, comme pertes au titre de stocks.

c) L'activité relative à un propulseur à vitesse variable. La mise au point de ce propulseur représente sans aucun doute un objectif commercial légitime, mais le propulseur est resté au stade du développement. Les coûts en cause sont évidemment des coûts en capital. Si le projet se réalise et donne lieu à un brevet, par exemple, ces coûts feront alors partie du coût du propulseur ou du brevet.

d) L'activité de Dig-i-all, soit l'hébergement de données de sites Web. Il s'agit nettement d'une entreprise. En fait, l'appelant tire maintenant un profit de cette entreprise. Son frère et sa belle-soeur y travaillent tous les deux à temps complet et gagnent apparemment bien leur vie de cette manière.

[9] Comme je l'ai mentionné précédemment, les fonctionnaires du ministère du Revenu national n'ont pas cherché à analyser les diverses activités. Manifestement, ils estimaient que leurs obligations se limitaient à faire valoir le motif rituel de l'absence d'attente raisonnable de profit.

[10] Les appels sont admis et les questions sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations de manière à permettre que l'appelant déduise la partie de ses dépenses raisonnablement attribuable à l'entreprise VIP et à l'entreprise Dig-i-all.

[11] Puisqu'il a eu gain de cause à plus de 50 p. 100, l'appelant a droit à ses frais.

Signé à Toronto, Canada, ce 23e jour de mars 2000.

“ D. G. H. Bowman ”

J.C.A.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 17e jour d'octobre 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.