Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19971021

Dossiers: 92-999-IT-G; 96-2411-IT-G

ENTRE :

LUCINDA VANDERVORT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs

Le juge Rip, C.C.I.

[1] L’intimée, Sa Majesté la Reine, a présenté, par l’intermédiaire de son avocate, une requête afin d’obtenir une ordonnance de la Cour adjugeant à l’intimée les dépens engagés depuis le 1er juin 1997 sur une base procureur-client conformément à l’alinéa 147(5)c) des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale).

[2] Lucinda Vandervort a déposé deux avis d’appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, dont un concernait ses appels des cotisations pour les années d’imposition 1987, 1988 et 1989 et l’autre concernait les appels pour les années d’imposition 1990, 1991, 1992, 1993 et 1994. Moins d’une semaine après l’inscription des appels au rôle des audiences, Mme Vandervort s’est désistée de ses appels. L’intimée s’est plaint du fait que, depuis au moins le 1er mai 1997, Mme Vandervort, professeur de droit, savait qu’elle ne pouvait avoir gain de cause puisque ses appels n’avaient aucun fondement juridique, et du fait que l’intimée avait engagé inutilement des frais pour la préparation des appels.

[3] Me Karen Janke, procureur au ministère de la Justice, a comparu au nom de l’intimée. Me Janke, à titre de fonctionnaire judiciaire, m’a tenu au courant de ce qui est arrivé dans ces appels depuis le 1er mai 1997. L’intimée n’a pas produit de déclaration sous serment sur la requête et n’a appelé aucun témoin à témoigner de vive voix.

[4] La question soulevée par la requête consistait à déterminer si la conduite de l’appelante au cours de la poursuite justifiait d’adjuger les dépens du procureur et du client à l’intimée. L’intimée a prétendu que l’instance engagée par l’appelante depuis mai 1997 était inappropriée, vexatoire ou inutile.

[5] Me Janke, avocate de l’intimée, comme nous l’avons mentionné ci-dessus, a informé la Cour de certains faits et a présenté la requête au nom de l’intimée. Cette façon de procéder est tout à fait incorrecte. L’avocat qui participe à une poursuite judiciaire ne doit pas témoigner.

[6] La preuve fournie par un témoin doit avoir été examinée minutieusement et être crédible; de plus, elle est sujette à une preuve juridique, à une contestation et à un contre-interrogatoire. À l’opposé, les déclarations d’un fonctionnaire judiciaire[1] sont acceptées sans condition[2]. En exerçant les fonctions d’avocat et de témoin, Me Janke, avocate de l’intimée, a créé un conflit entre ces deux principes de droit. Il s’agit de la violation d’une règle ancienne[3] selon laquelle un avocat ne peut agir à titre d’avocat et de témoin dans la même instance. Le principe gouvernant cette règle a été soulevé dans Muszka v. The Queen, une décision de la Cour d’appel fédérale. Au sujet du témoignage d’un fonctionnaire judiciaire dans une instance, le juge Mahoney a déclaré :

La crédibilité de tout témoin est mise en jeu. La bonne administration de la justice requiert qu’un membre du barreau qui a été constitué avocat dans des procédures ne puisse pas témoigner, car cet avocat est alors un officier de la cour et il jouit d’une crédibilité inconditionnelle. Cette crédibilité ne doit pas être mise en jeu par le témoignage qu’il pourrait donner. Les fonctions d’avocat et de témoin sont, en effet, dans une même instance, tout simplement incompatibles et on ne doit pas accepter qu’elles puissent être cumulées par un officier de la cour.

[7] Cette analyse est semblable à celle qu’on retrouve dans les commentaires du juge Mahoney dans une cause précédente. Dans New West Construction Co. Ltd. c. La Reine[4], une décision de la Cour fédérale, Section de première instance, le juge Mahoney (comme il était alors) a énoncé :

La question soulevée en est avant tout une de déontologie et porte sur le principe voulant que l’avocat qui représente un client devant le tribunal ne doit pas permettre que soit mis en cause son crédit personnel, ce qui devient inévitable du moment qu’il se présente à la barre des témoins. Le Code de déontologie professionnelle de l’Association du Barreau canadien dit tout simplement ceci [à la page 29]:

D’un autre côté, si le témoignage de l’avocat est absolument nécessaire, la conduite du procès doit être confiée à un confrère.[5]

[8] Comme il est mentionné dans New West Construction, une fois qu’il est devenu évident pour Me Jankequ’il lui faudrait témoigner dans l’instance, elle aurait dû renoncer à son rôle d’avocate dans cette instance, permettant à un autre avocat de plaider la cause de l’intimée. En transmettant ses fonctions d’avocate à une autre personne, Me Janke aurait pu témoigner dans l’instance et signer une déclaration sous serment évitant ainsi la position intolérable de mettre en jeu la crédibilité d’un fonctionnaire judiciaire.

[9] Conformément à la pratique courante[6], la preuve se rapportant à la version des faits de Me Janke doit être rejetée. Puisqu’il n’existe aucune autre preuve me permettant de régler la question soulevée, la requête doit être rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés à l’égard de cette requête. L’intimée aura droit aux frais des appels sur une base entre parties.

“ Gerald J. Rip ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de décembre 1997.



[1]               Le paragraphe 17.1(2) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt fournit la définition d’un fonctionnaire judiciaire aux fins des instances à la Cour canadienne de l’impôt : “ Quiconque peut exercer à titre d’avocat ou de procureur dans une province peut exercer à ce titre à la Cour et en est fonctionnaire judiciaire ”.

[2]               94 DTC 6076 à la p. 6077 (C.A.F.).

[3]               Toutefois, Cameron v. Forsyth, (1847) 4 U.C.R. 189 (U.C.Q.B.), un jugement du Upper Canada Queen’s Bench de juillet 1847, signale que la règle selon laquelle un avocat ne doit pas agir à la fois à titre d’avocat et à titre de témoin existe depuis au moins 150 ans. Cette règle a été confirmée avec constance par les tribunaux canadiens : voir Stanley v. Douglas, [1952] 1 S.C.R. 260.

[4]               [1981] 1 C.F. 583 (CFSPI).

[5]               Ibid., à la p. 584.

[6]               Cette pratique est illustrée dans A & E Land Indust. Ltd. v. Sask. Crop Ins. Corp., [1988] 3 W.W.R. 590 (Sask. Q.B.), dans laquelle la déclaration sous serment de l’avocat a été rejetée et, comme aucune autre preuve n’avait été présentée devant la Cour, la requête a été rejetée.

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