Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19981223

Dossier: 95-3459-GST-G; 95-3460-GST-G

ENTRE :

9005-0428 QUÉBEC INC. (AUTREFOIS ALEX RECHERCHE II INC.), 9004-9255 QUÉBEC INC. (AUTREFOIS ALEX RECHERCHE INC.),

appelantes,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs d'ordonnance

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] L'intimée présente, en rapport avec l'appel de chacune des appelantes une requête dont l'objet principal est d'obtenir une ordonnance permettant la rétractation d'aveux que son représentant aurait faits lors d'un interrogatoire préalable tenu le 27 mars 1998.

[2] En 1991 et 1992, les appelantes ont signé des contrats avec des universités québécoises. Ces contrats comportaient deux fournitures, à savoir : une fourniture d'équipements par les appelantes et une fourniture soit de biens soit de travaux de recherche et développement (“ R & D ”) par les universités. Ce dernier point constitue l'une des questions en litige aux fins d'établir ultimement si les appelantes ont droit aux crédits de taxe sur les intrants réclamés en rapport avec ces contrats.

[3] Le 27 mars 1998, Me Guy Du Pont, l'un des avocats des appelantes a interrogé au préalable monsieur Luc Guénette, vérificateur à la Direction générale de la vérification et des enquêtes au ministère du Revenu du Québec. Lors de cet interrogatoire, Me Nathalie Labbé représentait l'intimée.

[4] Au cours de cet interrogatoire, Me Du Pont faisant référence à l'un des contrats signé entre l'une des appelantes et une université a interrogé monsieur Guénette sur la question de savoir si le contrat était “ toutes taxes comprises ” (“ TTC ”) et si la contrepartie versée comprenait la taxe sur les produits et services (“ TPS ”).

[5] Un extrait des questions et réponses suffira à illustrer la problématique. Il s'agit des paragraphes 132 à 138 que l'on retrouve aux pages 56 à 58 de la transcription de l'interrogatoire préalable :

Me GUY DU PONT :

132

Q-

Bien. Est-ce qu'on s'entend pour dire, Monsieur Guénette, que dans la considération du montant forfaitaire de quinze millions zéro trente-trois et six cent cinquante-trois (15 033 653 $) toutes les taxes étaient comprises. Et par taxes, là, évidemment j'inclus la TPS et, je ne pense pas qu'elle était applicable, mais la TVQ, non c'est sans importance pour nous.

R-

Moi, ce que j'ai compris de ce... de cet article-là, c'était effectivement que les taxes étaient comprises.

133

Q-

Alors, donc le contrat est un contrat – qu'on appellerait en vocable contemporain – en T.T.C., toutes taxes comprises ?

R-

Exact.

134

Q-

Très bien. Donc, la considération totale était équivalente à cent sept pour cent (107 %) selon la formule prévue à la Loi sur la TPS ?

R-

Bien dans la Loi, ça prévoit pas...

135

Q-

Non, mais ce que je veux dire...

R-

Oui, oui.

136

Q-

Monsieur Guénette, dans le langage courant.

R-

Oui, oui. La taxe est incluse puis il faut récupérer la taxe qu'il y a à ce moment-là puis s'il y a seulement de la TPS, bien c'est sept cents septième du montant (700/7e).

137

Q-

C'est ça, très bien. Mais, on s'entend pour dire que ce contrat et les autres contrats d'ailleurs, étaient toutes taxes comprises ?

R-

Pas tous.

138

Q-

Mais au moins celui-ci ?

R-

Celui-ci, oui.

[6] Concernant les autres contrats signés par les appelantes, on peut se référer aux paragraphes suivants de la transcription où monsieur Guénette donne substantiellement les mêmes réponses :

paragraphes 159 à 165, pages 63 à 65;

paragraphes 239 à 241, pages 82 et 83;

paragraphes 491 à 502, pages 148 à 152.

[7] Les paragraphes 491 à 502 ci-haut mentionnés contiennent également certaines interventions de Me Nathalie Labbé. Par ailleurs, je note, en passant, que Me Labbé s'était engagée à amender la Réponse à l'avis d'appel dans le sens des réponses données par monsieur Guénette. En effet, le paragraphe 385 et la première phrase du paragraphe 386, aux pages 119 et 120 de la transcription, se lisent ainsi :

Me GUY DU PONT :

385

Q-

Paragraphe g), page 4, Monsieur Guénette, 26g). Vous mentionnez dans la dernière phrase:

“qu'aucune disposition de la convention n'est à l'effet que ces contreparties uniques comprenaient TPS.”

Je prends pour acquis, Maître Labbé, que ça va être corrigé ça ?

Me NATHALIE LABBÉ :

Oui, mais comme il y a eu le... ça n'a plus d'impact, là.

Me GUY DU PONT :

Non, mais comme c'est une erreur...

Me NATHALIE LABBÉ :

Oui.

Me GUY DU PONT :

Vous comprenez ce que je veux dire, Monsieur Guénette ?

R-

Oui, oui, j'ai bien compris.

386

Q-

C'est le contraire de ce que vous dites, alors je m'assurais que ça soit clair. [...]

[8] Dans un document intitulé “ Profil d'argumentation des Appelantes ”, les avocats de celles-ci décrivent les circonstances ayant mené à la présentation des présentes requêtes dans les termes suivants aux paragraphes 18 à 32 de ce document :

E. PREMIÈRE AUDITION ET NÉGOCIATIONS – PREMIÈRE CONFÉRENCE

18. Sur la foi de ces interrogatoires et des questions en litige ainsi définies, les parties se préparèrent pour l'audition du 1er juin, retenant les services d'experts, etc.

19. Les parties invitèrent la Cour à ajourner l'audition prévue au 1er juin dans une ultime tentative de régler ces appels. Le 9 juillet 1998, la première conférence eût lieu sous la présidence du juge Bowman. Suite à cette conférence, les négociations s'intensifiaient. Le 31 juin 1998, alors que les négociations étaient toujours en cours, Sa Majesté la Reine écrivait les lettres aux Universités auxquelles lettres référence sera faite infra, et le 4 août par téléphone et le 5 août par lettre, Sa Majesté la Reine avisait les Appelantes que les pourparlers étaient rompus. Ces négociations s'étant avérées infructueuses, le 10 juin 1998, les parties invitèrent la Cour à fixer l'audition au mérite de ces appels au 19 octobre 1998, ce qui fut fait le · .

F. LES RÉPUDIATIONS

1. La première répudiation – Le Répudiateur inexact et imprécis

20. Le 5 août 1998, Sa Majesté la Reine avisait les Appelantes qu'Elle “estime que les conventions sous étude n'étaient pas des conventions de recherches universitaires toutes taxes incluses”.5

21. Le 7 août 1998, Sa Majesté la Reine avisait les Appelantes que “suite à l'interrogatoire au préalable de M. Luc Guénette [...] Sa Majesté a constaté récemment que certaines réponses aux questions posées étaient incomplètes ou inexactes [...]”.6

22. Étonnamment, aucune mention ne fut faite des aveux formels faits par l'un des procureurs de Sa Majesté la Reine, Me Nathalie Labbé, lors de cet interrogatoire.

2. La seconde répudiation – Le Répudiateur Confus

23. Le 1er septembre 1998, deux (2) jours avant la date prévue pour la seconde conférence préparatoire, Sa Majesté la Reine signifiait aux procureurs des Appelantes, une troisième série de requête7, cette fois-ci pour rétractation d'aveux que Sa Majesté la Reine avait l'intention de présenter lors de cette conférence préparatoire le 3 septembre 1998.

24. Ces requêtes en rétractation visaient seulement les aveux faits lors de l'interrogatoire au préalable de Sa Majesté la Reine et ne visaient pas les aveux faits par la procureur de Sa Majesté la Reine. Ces requêtes étaient appuyées d'une “déclaration détaillée” sous serment de Guénette, le représentant autorisé de Sa Majesté la Reine.

25. Essentiellement, par ses requêtes, Sa Majesté la Reine prétendait que:

(a) son représentant autorisé n'aurait pas eu à l'esprit les bonnes questions lorsqu'il a répondu; et

(b) les questions posées n'étaient pas claires.

3. La troisième répudiation – Le Répudiateur répudie ses calculs TTC

26. Le 2 septembre 1998, la veille de la date prévue pour la deuxième conférence préparatoire, Sa Majesté la Reine signifiait aux procureurs des Appelantes, deux (2) déclarations “supplémentaires” par lesquelles certaines allégations dont avait fait état la “déclaration” assermentée précédente étaient modifiées et partiellement répudiées puisque les calculs de Guénette avaient reflété les transactions entreprises comme étant TTC.

4. Les Répudiations font avorter le procès du 19 octobre 1998

27. Le 3 septembre 1998, suite à ces requêtes, les Appelantes n'eurent d'autres alternatives que d'inviter le juge Bowman à mettre fin à la deuxième conférence préparatoire et à remettre l'audition des appels prévue pour le 19 octobre 1998, sine die, pour que la Cour dispose de toutes ces requêtes, et que les Appelantes sachent enfin quel était devenu le véritable litige devant la Cour. Les Appelantes demandèrent alors à la C.C.I. que permission leur soit accordée d'interroger Guénette viva voce devant la Cour.

5. La quatrième répudiation – le Répudiateur répudié

28. Le 9 octobre 1998, Sa Majesté la Reine présentait une quatrième série de requêtes pour faire témoigner des tiers lors de l'audition de ses requêtes en rétractation.

29. Le 13 octobre 1998, Sa Majesté avisait les Appelantes que le fondement de sa répudiation initiale était, à son tour, répudié:

Le 1er septembre 1998, le vérificateur Luc Guénette a signé un affidavit au soutien des requêtes en rétractation d'aveux. Dans son affidavit, M. Guénette fait mention de ce qu'il avait à l'esprit, lorsqu'il a dit à l'interrogatoire préalable que quatre des cinq contrats sous étude étaient des contrats "toutes taxes comprises" et que les contreparties données à cet égard comprenaient la TPS. Dans son affidavit, M. Guénette mentionne qu'il avait alors à l'esprit, la fourniture d'équipements aux universités, et non la fourniture de travaux de R & D aux sociétés appelantes : voir plus particulièrement les paragraphes 20, 25 et 37 de l'affidavit.

Après revue détaillée de la preuve au dossier, Sa Majesté n'avancera aucun argument fondé sur une méprise de la part du témoin concernant l'objet des questions qui lui avaient alors été posées. Il se trouve en effet que dans son rapport sur opposition, le service des oppositions du ministère du Revenu a lui-même indiqué que la fourniture d'équipements et la fourniture de travaux de R & D étaient effectuées "toutes taxes comprises". Dans ce contexte, indépendamment de ce que M. Guénette précise avoir eu à l'esprit lors de l'interrogatoire préalable, les autorités chargées de l'administration de la Loi sur la taxe d'accise ne peuvent pas faire abstraction de ce qu'elles avaient indiqué antérieurement dans le rapport sur opposition.

J'ai donc mandat de vous informer que Sa Majesté poursuivra ses requêtes en rétractation en faisant valoir qu'un aveu a été fait pour quatre des cinq contrats sous étude, à l'effet qu'il s'agissait de contrats "toutes taxes comprises" et que les contreparties données à cet égard comprenaient la TPS. (nos soulignés)

6. Bilan des répudiations multiples et successives

30. Le 5 août 1998, Sa Majesté la Reine cherchait à contredire la position qu'Elle avait adoptée à l'appui de ses cotisations et opposition.

31. Le 1er septembre 1998, Sa Majesté la Reine prétendait que son représentant avait l'esprit ailleurs lors de son interrogatoire au préalable, une position tout simplement insoutenable eu égard à la preuve où les questions étaient claires et précises et ne pouvaient porter à pareille confusion. De toute façon, il n'y avait aucune preuve suggérant que Me Labbé eût été pareillement confuse.

32. Le 13 octobre 1998, Sa Majesté la Reine reniait le fondement de ses requêtes en rétractation et, à toutes fins pratiques, reniait Guénette puisque les aveux faits à l'interrogatoire étaient conformes à la position prise dans les oppositions.

________________

5 Lettre de Me Guy Laperrière à Me Claude E. Jodoin du 5 août 1998.

6 Lettre du 7 août 1998 de Me Guy Laperrière à Me Claude E. Jodoin, pièce I-6 à la déclaration de Luc Guénette.

7 Une première série de requêtes pour production d'engagements fut signifiée alors que les engagements étaient produits le lendemain rendant les requêtes sans objet. Une seconde série de requêtes fut ensuite signifiée exigeant de tiers la production de divers documents.

[9] Il importe d'ajouter, point qui n'est pas mentionné par les avocats des appelantes, qu'ils ont eux-mêmes répondu à la lettre du 7 août 1998 de Me Laperrière par une lettre en date du 27 août 1998 signée par Me Guy Du Pont.[1] Comme l'indique Me Laperrière au paragraphe 4 du document intitulé “ Observations de l'intimée ” “ [les avocats des appelantes] ont fait valoir que, sous prétexte d'apporter des précisions, Sa Majesté cherchait à nuancer sinon retirer des aveux faits par M. Guénette lors de l'interrogatoire préalable. Les procureurs des appelantes ont donc invité l'intimée à procéder par voie de rétractation d'aveux ”.

[10] L'audition des requêtes a eu lieu les 19 et 20 octobre 1998.

[11] Les positions exprimées par l'avocat de l'intimée, Me Laperrière, lors de ces deux journées d'audition furent multiples et contradictoires. D'abord, l'avocat de l'intimée a invité la Cour à rejeter ses propres requêtes au motif qu'il n'y avait pas d'aveux véritables faits par monsieur Guénette lors de l'interrogatoire préalable puisque celui-ci s'était prononcé sur une question qui en est strictement une de droit. Invité à plusieurs reprises par la Cour à simplement retirer ses requêtes si telle était son opinion, l'avocat de l'intimée a néanmoins refusé de le faire. L'avocat de l'intimée soutient ensuite que si effectivement monsieur Guénette s'est prononcé sur une question mixte de fait et de droit, la Cour devrait alors admettre les requêtes et permettre la rétractation des aveux. De plus, si je comprends bien son raisonnement, la rétractation des aveux faits par monsieur Guénette emporterait également la rétractation des aveux faits par Me Labbé.

[12] L'avocat de l'intimée admet qu'il y a eu un certain “ flottement ” de la part de l'intimée entre l'interrogatoire de monsieur Guénette et l'audition des requêtes mais soutient que la présentation des requêtes par l'intimée constituait une démarche prudente dans les circonstances.

[13] La position des avocats des appelantes s'inspire de l'indignation devant les volte-face répétées des avocats de l'intimée. Dans leur volumineux document intitulé “ Profil d'argumentation des Appelantes ” au paragraphe 33 (pages 16 et 17), les appelantes demandent le rejet des requêtes avec dépens comme entre client et avocat pour les raisons suivantes :

(a) la “déclaration” signifiée à l'appui des deux requêtes est non conforme aux règles de cette Cour, celle-ci étant plutôt assimilable à une plaidoirie qu'à une “déclaration assermentée” en bonne et due forme;

(b) il est inacceptable après des vérifications, cotisations, oppositions et appels devant la Cour canadienne de l'impôt, interrogatoires au préalable, conférence préparatoire et négociations que les Appelantes soient soudainement confrontées à des demandes de retrait d'aveux sur des questions de faits fondamentales sur la foi desquelles l'instruction des présents appels a été portée devant cette Cour et devait être entendue d'abord le 1er juin 1998 et ensuite le 19 octobre 1998; et

(c) il serait contraire aux intérêts de la Justice d'accorder à Sa Majesté la Reine le droit de retirer ses aveux et de rouvrir, à ce stade-ci du déroulement de l'instruction de ces appels, tout le débat sur une question pure de faits et où les Appelantes souffriront préjudice qui ne saurait être compromis par des dépens.

[14] J'ajouterai que les avocats des appelantes soutiennent également que les requêtes en rétractation d'aveux présentées en rapport avec l'interrogatoire préalable de monsieur Guénette ne sauraient valoir concernant les aveux de Me Nathalie Labbé lors de ce même interrogatoire. Compte tenu de la position prise par l'intimée lors de l'audition, ils estiment que ces aveux demeurent et soutiennent que l'intimée n'aurait eu d'autre choix que de désavouer Me Labbé.

[15] Évidemment, les avocats de chacune des parties se sont référées à de multiples autorités au soutien de leurs arguments respectifs.

[16] Au terme de l'audition, j'ai demandé à Mes Du Pont et Laperrière de me faire parvenir par écrit un résumé, en quelques pages, des propositions principales énoncées lors de leur présentation à l'audition. J'ai reçu beaucoup plus, particulièrement de la part de Me Laperrière qui soutient maintenant dans un texte qui compte 78 paragraphes, que les requêtes qu'il a présentées devraient être rejetées purement et simplement au motif que les prétendus aveux de monsieur Guénette n'en sont point et que, lors de l'interrogatoire préalable, celui-ci s'est essentiellement prononcé sur une question de droit, à savoir l'interprétation à donner aux contrats signés par les appelantes avec des universités québécoises.

[17] Me Laperrière modifie également sa position quant aux aveux qu'aurait fait Me Labbé puisqu'il soutient maintenant qu'elle n'aurait fait “ qu'un constat qu'une admission a été faite antérieurement par Guénette, et non un aveu distinct émanant de la procureure même ”. Cette nouvelle position est évidemment contestée par Me Du Pont à la page 4 (paragraphe 10) d'un nouveau document, également assez élaboré, intitulé “ Observations des Appelantes ” soumis suite à ma demande au terme de l'audition.

[18] Quelle confusion ! Comment peut-on prétendre qu'il y a eu simple constat d'aveux lorsqu'on vient d'affirmer qu'il n'y a pas d'aveux. Cette position est aussi intenable que celle des avocats des appelantes qui soutiennent que tout le débat n'est que “ sur une question pure de faits ”.

[19] D'abord, je dirai que je ne suis saisi que de deux requêtes de l'intimée, chacune en rapport avec l'appel de l'une des appelantes, pour obtenir essentiellement une ordonnance permettant la rétractation des prétendus aveux de monsieur Guénette lors de l'interrogatoire préalable du 27 mars 1998; rien de plus.

[20] Malgré le désir ardent et les invitations pressantes des avocats des parties à me voir aller plus loin et peut-être élucider certains autres points avant l'audition au mérite, je me refuse de façon catégorique à discuter de questions dont je ne suis pas actuellement saisi.

[21] Ainsi, je n'ai pas à me prononcer sur l'attitude de Me Labbé lors de l'interrogatoire de monsieur Guénette. Je n'ai pas à établir les conséquences de ce qu'elle a dit, ni celles pouvant résulter de son omission d'amender la Réponse à l'avis d'appel alors qu'elle s'était engagée à le faire. Ce sont là des questions dont je ne suis pas saisi aux termes mêmes des requêtes présentées par l'intimée.

[22] La question fondamentale à trancher en rapport avec les présentes requêtes en rétractation d'aveux est d'abord celle de savoir s'il y a eu ou non aveux de la part de monsieur Guénette.

[23] On sait ou devrait savoir que l'aveu ne peut porter que sur les faits et non sur le droit. Dans leur Traité de Droit Civil du Québec, Montréal, Wilson et Lafleur (limitée), 1965, tome 9, à la page 508 (paragraphe 600) les auteurs André Nadeau et Léo Ducharme enseignent ce qui suit :

L'aveu ne peut porter sur le droit. — L'aveu étant la reconnaissance de l'existence de faits, il n'y a que ces derniers qui puissent en faire l'objet. Ce sont les seuls que l'aveu puisse faire considérer comme acquis. L'aveu est sans valeur quand il sort de la compétence de celui qui le fait. Il n'y a donc pas d'aveu sur le droit, car la volonté des parties doit rester étrangère à la décision des points de droit.

Si l'aveu ne peut validement porter que sur les faits, c'est encore à la condition qu'il ne soit pas une simple opinion prononcée sur eux.

(références omises)

[24] Que l'aveu soit essentiellement la reconnaissance d'un fait résulte de la définition même du nouvel article 2850 du Code civil du Québec qui codifie simplement la doctrine et la jurisprudence antérieure.[2] Cette question ne prête guère à contestation et emporte le corollaire qu'un prétendu aveu sur une question de droit est sans valeur et ne peut lier la personne qui s'est exprimée sur une telle question (voir Léo Ducharme, Précis de la preuve, Montréal, Wilson et Lafleur ltée, 5ème édition, 1996, pages 192 et 193, paragraphes 633 à 635).

[25] S'interroger sur la nature d'un contrat, sur ses effets, sur les droits et obligations qui en découlent pour les parties ou les tiers, c'est essentiellement et nécessairement faire appel à des principes et à des règles juridiques susceptibles de fournir une réponse qui s'exprimera sous la forme d'une opinion ou d'un avis. Il s'agit là d'un exercice d'interprétation du contrat qui n'a rien à voir avec la reconnaissance d'un fait et cet exercice est strictement du domaine du droit.

[26] Dans Regina v. International Vacations Ltd., (1980) 124 D.L.R. (3d) 319, une décision de la Cour d'appel de l'Ontario à laquelle s'est référé l'avocat de l'intimée, le juge Blair rendant le jugement pour la Cour fait le point sur la question dans les termes suivants à la page 323 :

It is well established that the construction of a written document is a matter of law and not a question of mixed law and fact as was contended by counsel for the respondent; Wigmore on Evidence, 3rd ed., vol. IX (1940), § 2556, p. 522, and 17 Hals., 4th ed., p. 20, para. 25. Lord Denning M.R. restated this principle in Woodhouse AC Israel Cocoa Ltd. SA et al. v. Nigerian Produce Marketing Co. Ltd., [1971] 1 All E.R. 665, where he said at p. 671:

It has long been settled that the interpretation of a document is a matter of law for the court, save in those cases where there is some ground for thinking that the words were used by the writer—and understood by the reader—in a special sense different from their ordinary meaning. Unless there is evidence of some such special sense, the document must be given its ordinary meaning as found by the judges, no matter whether it be a contract contained in correspondence or a representation on which another acts. The reason is so that the parties can know where they stand. When a question arises on a written contract or a written representation—it often arises long after it was made—the parties themselves will look it through to see what it means. They will study it closely. They will take the advice of their lawyers on it. They will go by the written word. It is the thing that determines their course of action. It is no good one party saying he meant this, and the other saying he meant that. He must accept it as its true meaning—and that is its meaning as ultimately found by the courts.

This decision was affirmed by the House of Lords: [1972] A.C. 741, [1972] 2 All E.R. 271.

This principle was applied by the Supreme Court of Canada to the specific issue of construing a written advertisement in a charge of misleading advertising under the Combines Investigation Act. In Alberta Giftwares Ltd. v. The Queen, [1974] S.C.R. 584, at p. 588, 11 C.C.C. (2d) 513 at p. 516, 36 D.L.R. (3d) 321 at p. 324, Ritchie J. held that the construction of the advertisement was a matter of law and stated:

... in my opinion in construing a will, deed, contract, prospectus or other commercial document, the legal effect to be given to the language employed, is a question of law ...

[27] Dans le cadre du processus de cotisation, le cotiseur tient pour acquis certains faits portés à sa connaissance qu'il estime pertinents. Il doit aussi, le cas échéant, interpréter un contrat ou une disposition de celui-ci ou d'un quelconque autre écrit aux fins d'en établir les effets juridiques quant à un contribuable donné, et ce, dans le but ultime d'en déterminer les conséquences fiscales compte tenu de la législation applicable. Son opinion au terme de l'exercice d'interprétation du contrat ou de l'écrit peut être fondée ou ne pas l'être. Si l'existence même d'une telle opinion est une question de fait, la conclusion qu'elle exprime est, elle, une question de droit. Ainsi, pour autant que l'interprétation d'un contrat ou d'un écrit constitue une question en litige correctement énoncée dans les actes de procédure produits par les parties, elle sera, comme toute autre question de droit soumise, tranchée par la Cour suite à l'audition des appels au mérite.

[28] J'estime que les questions posées par Me Du Pont à monsieur Guénette lors de l'interrogatoire préalable du 27 mars 1998 et les réponses données par ce dernier auxquelles il est fait référence aux paragraphes [5] et [6] des présents motifs constituaient un exercice d'interprétation par un tiers des contrats signés par les appelantes elles-mêmes. Par cet exercice on cherchait à obtenir l'opinion de monsieur Guénette sur la portée et les effets d'un tel contrat compte tenu de la législation applicable. Les réponses données ne sauraient constituer des aveux puisque les questions posées ne sollicitaient pas la reconnaissance d'un fait mais une opinion sur la portée des contrats au regard de la législation concernant la TPS.

[29] Que Me Laperrière demande lui-même le rejet des requêtes qu'il a présentées au nom de l'intimée démontre en quelque sorte la futilité de l'exercice. Tout en reconnaissant qu'il ait été dicté par la prudence plutôt que par la malice, l'exercice n'en a pas moins retardé de plusieurs mois l'audition au mérite. S'il y a eu maladresse, il n'y a pas eu mauvaise conduite. Je ne peux manquer de penser que la réaction de Me Laperrière a, en quelque sorte, été provoquée par la position prise par Me Du Pont dans sa lettre du 27 août 1998. Ceci étant, j'estime que cette mini-saga judiciaire a déjà trop duré et que les avocats de l'intimée n'en sont pas les seuls responsables. Je signale toutefois qu'en conclusion de son document intitulé “ Observations de l'intimée ” au paragraphe 74, Me Laperrière reconnaît que “ [t]outes ces requêtes nous reportent donc exactement dans la situation où les parties se trouvaient le 7 août 1998, lorsque Sa Majesté a transmis sa lettre selon la règle 98 ”. De plus, au paragraphe 75, il affirme notamment pouvoir “ comprendre la déception des appelantes de voir surgir à nouveau une question qu'elles croyaient réglée ”. Enfin, il ajoute ce qui suit au paragraphe 77 :

Cela dit, on pourrait comprendre que les appelantes trouvent insuffisantes dans le contexte les compensations prévues au tarif. Nous demeurons donc ouverts à l'octroi d'un montant global au titre des frais de la requête, solution qui pourrait mieux convenir au cas des appelantes.

[30] Je prends bonne note de cette ouverture. À l'examen de l'ensemble des circonstances ayant donné lieu à la présentation de ces requêtes, je n'estime pas que des frais comme entre avocat et client soient justifiés au regard de la jurisprudence sur la question et plus particulièrement des décisions de cette Cour dans les affaires Bruhm v. The Queen, 94 DTC 1400 et Canderel Limited v. The Queen, 94 DTC 1426. Pour le reste, il m'apparaît approprié de réserver ma décision finale concernant l'octroi de dépens en relation avec les présentes requêtes lors de ma décision au mérite concernant les appels.

[31] En conséquence de ce qui précède, les requêtes sont rejetées et la décision concernant les dépens est réservée jusqu'à jugement sur les appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de décembre 1998.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.



[1]               Documents accompagnant l'Avis de requête de l'intimée et la déclaration sous serment de monsieur Luc Guénette, onglet 7.

[2]               Voir le Code civil du Québec, Commentaires du ministre de la Justice, Québec, Les Publications du Québec, 1993, tome II, article 2850, page 1784.

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