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Date: 20000107

Dossier: 96-3207-IT-G

ENTRE :

LONDON LIFE, COMPAGNIE D'ASSURANCE-VIE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] L'appelante est une société d'assurance-vie qui exploite une entreprise au Canada et est donc une “ institution financière ” au sens du paragraphe 190(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. La partie VI de la Loi (articles 190 à 190.24) prévoit un impôt sur le capital des institutions financières, soit :

190.1(1) Toute corporation qui est une institution financière à un moment d'une année d'imposition doit payer pour cette année en vertu de la présente partie un impôt égal à 1,25 % de l'excédent éventuel de son capital imposable utilisé au Canada pour l'année sur son abattement de capital pour l'année.

La seule année d'imposition à laquelle se rapporte l'appel est l'exercice de l'appelante se terminant le 31 décembre 1990, communément appelé l'année d'imposition 1990. Certaines dispositions de la partie VI ont été édictées en 1994, mais avec effet rétroactif à 1990. Il faut donc examiner le droit applicable postérieurement à 1990 pour connaître la teneur des règles de droit de la partie VI s'appliquant à l'année d'imposition 1990.

[2] Conformément au paragraphe 190.1(1), précité, l'impôt de 1,25 p. 100 est perçu sur l'excédent (éventuel) du “ capital imposable utilisé au Canada ” d'une institution financière sur son abattement de capital. L'expression “ capital imposable utilisé au Canada ” est définie à l'article 190.11, dont voici les extraits pertinents par rapport au cas de l'appelante :

190.11 Pour l'application de la présente partie, le capital imposable utilisé au Canada d'une institution financière pour une année d'imposition correspond au montant suivant :

a) [...]

b) dans le cas d'une corporation d'assurance-vie résidant au Canada à un moment de l'année, le total des montants suivants :

(i) [...]

(ii) l'excédent éventuel :

(A) de ses réserves pour l'année (sauf les réserves pour montants payables sur les fonds réservés) qu'il est raisonnable de considérer comme établies au titre de ses entreprises d'assurance exploitées au Canada,

sur le total

(B) [...]

[3] L'appelante est une société résidant au Canada. Elle a produit une déclaration d'impôt en vertu de la partie VI de la Loi pour son année d'imposition 1990 (pièce 17). Dans cette déclaration, elle a déterminé que son capital imposable utilisé au Canada était de 844 364 724 $. Dans la nouvelle cotisation visée par le présent appel (pièce 9), le ministre du Revenu national a ajouté au “ capital imposable utilisé au Canada ” tel qu'il était déterminé par l'appelante le montant de 99 211 822 $, que le ministre considérait comme étant des “ impôts sur le revenu reportés ”. Le point en litige dans le présent appel est la signification des termes suivants de la division 190.11b)(ii)(A) :

de ses réserves pour l'année [...] qu'il est raisonnable de considérer comme établies au titre de ses entreprises d'assurance exploitées au Canada [...]

[L'italique est de moi.]

L'appelante soutient que ces réserves n'incluent pas une somme désignée comme étant des impôts sur le revenu reportés. L'intimée soutient le contraire.

[4] Rodney J. Lawrence, soit un employé de grade supérieur de l'appelante, a décrit dans son témoignage comment l'appelante enregistre et déclare ses impôts sur le revenu reportés. La pièce 2 est le rapport annuel de l'appelante de 1990. La page 4 de la pièce 2 est un compte de résultats consolidé, que je résumerai comme suit :

[TRADUCTION]

Revenus 2 598 000 000 $

Frais relatifs aux propriétaires et bénéficiaires de polices 1 842 000 000 $

756 000 000 $

Frais d'exploitation 346 000 000 $

Bénéfice d'exploitation 410 000 000 $

Moins :

Impôts sur le revenu et autres 35 000 000 $

Participation des propriétaires de polices aux bénéfices 283 000 000 $

Bénéfices non distribués aux propriétaires de polices 13 000 000 $

331 000 000 $

Bénéfice net 79 000 000 $

Dans ce résumé du bénéfice consolidé, les 35 millions de dollars d'impôts sur le revenu et autres incluent des frais d'impôts futurs de 11 millions de dollars. Les pages 5 et 6 de la pièce 2, soit le bilan de l'appelante au 31 décembre 1990, indiquent comme passifs des impôts futurs de 100 millions de dollars, y compris les frais d'impôts futurs de 11 millions de dollars pour 1990. Le compte de résultats indique comme charges tous les impôts (sommes effectivement payables en 1990, plus les frais d'impôts futurs de 11 millions de dollars) dans la détermination du bénéfice net, mais le bilan fait seulement état des impôts futurs au titre du passif. C'est en 1978 que l'appelante a pour la première fois utilisé des impôts sur le revenu reportés dans le cadre de ses méthodes comptables.

[5] Le compte de résultats consolidé (pièce 2, page 4) indique des frais de 751 millions de dollars (faisant partie des 1 842 millions de dollars indiqués dans le résumé figurant au paragraphe 4 des présents motifs), ce qui représente un accroissement net des réserves établies pour acquittement futur d'obligations contractuelles (parfois appelées “ réserves pour polices ”). Le bilan (page 6) indique au passif des réserves pour polices de 6 755 millions de dollars. M. Lawrence a expliqué que les réserves pour polices indiquées dans le compte de résultats et le bilan n'incluent aucun montant relatif à des impôts sur le revenu reportés.

[6] La pièce 3 est le rapport de l'appelante au Bureau du surintendant des institutions financières pour 1990, communément appelé le rapport au BSIF. Aux pages 8 et 8A de la pièce 3 figure le bilan de l'appelante au 31 décembre 1990, qui a été établi conformément aux exigences relatives à la présentation d'un rapport au BSIF. Ainsi, le bilan qui figure à la pièce 3 est quelque peu différent de celui qui figure à la pièce 2. À la page 8A, des réserves pour polices sont incluses avec d'autres éléments de passif dans le bilan présenté au BSIF et, à la ligne 18, un montant de 99 211 000 $ d'impôts sur le revenu reportés est indiqué comme poste distinct. C'est ce montant de 99 211 000 $ que le ministre du Revenu national a ajouté au “ capital imposable utilisé au Canada ” de l'appelante dans la nouvelle cotisation maintenant en appel.

[7] La page 8A indique en outre à la ligne 18 que les impôts sur le revenu reportés à la fin de 1989 étaient de 87 660 000 $. À la page 9, le compte de résultats indique des impôts sur le revenu reportés de 11 552 000 $ pour l'année, ce qui, ajouté au solde à la fin de 1989 (87 660 000 $), donne le même total de 99 211 000 $. M. Lawrence a fait remarquer que, dans le bilan à l'intention du BSIF (page 8A), le montant des impôts sur le revenu reportés qui est indiqué à la ligne 18 figure comme poste distinct, entre le total des passifs (ligne 17) et le total du capital, du surplus et des réserves (ligne 27). Je doute que cela soit révélateur de quoi que ce soit, car le bilan figurant aux pages 8 et 8A est un formulaire réglementaire du BSIF; le mot “ réserve ” figure à la ligne 1 avec d'autres éléments de passif, et le mot “ réserves ” figure aux lignes 19, 20 et 21 avec le capital et le surplus.

[8] Un des experts (mentionnés plus loin) ayant témoigné dans le présent appel a donné les explications qui suivent sur les soldes de reports d'impôt sur le revenu :

[TRADUCTION]

Les soldes de reports d'impôt sont attribuables à des différences temporaires. Il y a des différences temporaires lorsque des charges ou des produits sont constatés aux fins fiscales pour un exercice différent de celui pour lequel ils sont constatés aux fins comptables. Ainsi, le revenu imposable réel peut différer énormément du bénéfice comptable constaté pour l'année. [...] L'exemple de différence temporaire le plus fréquent a trait au cas des biens amortissables, où il peut y avoir une différence entre l'amortissement comptable et son pendant fiscal, la déduction pour amortissement, ci-après appelée la DPA. Comme l'indique l'exemple ci-dessous, cette différence temporaire, lorsqu'une partie de la DPA est portée en diminution du revenu imposable avant d'être portée en diminution du bénéfice comptable (DPA supérieure à l'amortissement), donnera lieu à un solde de report créditeur d'impôt. [...]

[Pièce R-1, rapport Eckel, page 2]

[9] De la façon dont je comprends le concept, lorsque le taux de la DPA (pourcentage de la fraction non amortie du coût en capital) aux fins de l'impôt sur le revenu est supérieur au taux de l'amortissement linéaire (pourcentage du coût) aux fins comptables, dans les premières années suivant l'achat d'un bien, la DPA sera supérieure à l'amortissement comptable. Ainsi, le revenu imposable déclaré à Revenu Canada sera inférieur au bénéfice comptable déclaré aux actionnaires. Ultérieurement, lorsque la DPA aux fins fiscales sera inférieure à l'amortissement linéaire aux fins comptables, le revenu imposable déclaré à Revenu Canada sera supérieur au bénéfice comptable déclaré aux actionnaires. Pour constater ces différences temporaires dans les premières années, on utilise, conformément aux principes comptables généralement reconnus (“ PCGR ”) en matière d'impôt sur le revenu des sociétés au Canada et aux États-Unis, une méthode de l'impôt reporté qui exige deux inscriptions comptables distinctes :

Débit : charge fiscale (impôt sur le revenu) X $

Crédit : impôt sur le revenu effectivement payable X $

Débit : charge fiscale (impôt sur le revenu) Y $

Crédit : impôt sur le revenu reporté Y $

[10] C'est la deuxième inscription qui crée le solde de report créditeur d'impôt, qui figurera comme passif au bilan. Les années suivantes, lorsque la DPA sera inférieure à l'amortissement comptable et que l'impôt sur le revenu effectivement payable sera supérieur à l'impôt sur le revenu passé en charges aux fins comptables, la deuxième inscription comptable sera l'inverse, soit :

Débit : impôt sur le revenu reporté Z $

Crédit : charge fiscale (impôt sur le revenu) Z $

[11] Le point en litige a déjà été énoncé au paragraphe 3 des présents motifs. Il s'agit d'une question d'interprétation législative. Plus précisément, il s'agit de savoir si le mot “ réserves ” figurant à la division 190.11b)(ii)(A) inclut des impôts sur le revenu reportés. Dans l'arrêt Stubart Investments Limited v. The Queen, 84 DTC 6305, la Cour suprême du Canada a cité avec approbation, à la page 6323, l'affirmation suivante d'E. A. Driedger en matière d'interprétation législative :

[TRADUCTION]

Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Cette règle d'interprétation moderne a été exposée de nouveau par la Cour suprême dans l'arrêt Friesen v. The Queen, 95 DTC 5551, à la page 5553. Il est indubitable que je suis tenu de lire les termes de la division 190.11b)(ii)(A) dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical.

[12] Dans son argumentation, l'avocat de l'intimée a présenté les trois définitions de dictionnaire suivantes du mot anglais “ reserve ” :

[TRADUCTION]

chose conservée ou mise de côté (pour utilisation ultérieure, par exemple)

Webster's Third New International Dictionary

chose réservée à un usage ultérieur; stock ou quantité supplémentaire (grandes forces en réserve; vastes réserves énergétiques)

The Canadian Oxford Dictionary

Fonds qu'une compagnie d'assurance met de côté en vue de s'acquitter d'obligations à la date d'exigibilité. De telles obligations incluent des passifs au titre de primes non absorbées, ainsi que les coûts estimatifs de sinistres impayés.

Dictionary of Insurance

[13] J'accepte les définitions de dictionnaire précitées comme représentant le “ sens ordinaire ” du mot anglais “ reserve ”. Je conclus aussi que la Loi de l'impôt sur le revenu, dans son ensemble, utilise le mot anglais “ reserve ” dans ce sens ordinaire, comme l'illustrent les dispositions suivantes (dans lesquelles le mot anglais “ reserve ” est rendu tantôt par “ provision ”, tantôt par “ réserve ”) :

18(1)e) [...] d'une provision, d'une éventualité ou d'un fonds d'amortissement [...]

20(1)l) la provision [...] au titre des créances douteuses [...]

20(1)m) [...] provision dans le cas [...] de marchandises qui [...] devront être livrées après la fin de l'année [lorsqu'un paiement anticipé a été inclus dans le calcul du revenu]

20(1)o) [...] provision pour des dépenses que doit engager [...] en raison de visites [...] requises en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada [...]

20(7) [...] réserve relativement à des garanties [...]

138(3)a)(i) [...] réserve [...] pour les polices d'assurance-vie [...]

[14] L'appelante a appelé Philip Arthur comme témoin expert en comptabilité pour qu'il exprime son opinion sur la question de savoir si, aux fins comptables et dans la terminologie comptable, des impôts sur le revenu reportés représentent une “ réserve ”. M. Arthur a une longue expérience comme comptable et a été accepté comme expert par l'intimée. Le rapport de M. Arthur est la pièce A-1, et M. Arthur a affirmé catégoriquement qu'il estimait que les impôts sur le revenu reportés ne représentent pas une “ réserve ” aux fins comptables et dans la terminologie comptable. Il s'est fondé sur un passage du manuel de l'Institut canadien des comptables agréés (communément appelé le “ manuel de l'ICCA ”), où l'on pouvait notamment lire ce qui suit :

Le terme “ réserve ” doit servir exclusivement à désigner les montants affectés à même les bénéfices non répartis et les autres postes du surplus et qui n'ont pas pour objet de constater une obligation réelle ou reconnue ni la dépréciation d'une valeur active en date du bilan. Les réserves sont de deux sortes : [...]

Les réserves se créent et s'accroissent par le moyen d'affectations à même les bénéfices non répartis et les autres postes du surplus. Elles ne doivent pas être créées ni accrues à même les bénéfices de l'exercice.

[Pièce A-1, rapport Arthur, page 1]

M. Arthur était ferme dans son opinion, car les impôts sur le revenu reportés ne sont pas des montants affectés à même les bénéfices non répartis et les autres postes du surplus; ils sont plutôt considérés comme des frais engagés dans le processus consistant à gagner des revenus.

[15] L'intimée a appelé Leonard Eckel comme témoin expert en comptabilité pour qu'il exprime son opinion sur les questions suivantes : (i) un solde de report créditeur d'impôt est-il une “ réserve ”? (ii) les soldes de reports d'impôt sur le revenu font-ils essentiellement partie du capital d'une société utilisé dans l'entreprise de cette société? M. Eckel a une longue expérience dans l'enseignement de la comptabilité et a été accepté comme expert par l'appelante. Le rapport de M. Eckel est la pièce R-1. M. Eckel convenait avec M. Arthur que, dans la terminologie comptable, comme l'indique le manuel de l'ICCA, le terme “ réserve ” doit servir exclusivement à désigner des affectations à même les bénéfices non répartis; de plus, suivant cette terminologie, un solde de report créditeur d'impôt n'est pas une “ réserve ”. M. Eckel a toutefois bien dit que, d'un point de vue conceptuel, il est possible de considérer un solde de report créditeur d'impôt comme une “ réserve ” si l'on pense en fonction de définitions de dictionnaire. En conclusion, M. Eckel a déclaré qu'il estimait que les soldes d'impôts sur le revenu reportés peuvent être considérés comme faisant partie du capital de fait d'une société utilisé dans l'entreprise de cette société.

[16] Les deux témoins experts, M. Arthur et M. Eckel, n'étaient en désaccord sur aucune question fondamentale en l'espèce. Ils arrivaient à des conclusions différentes parce qu'on leur avait posé des questions différentes. On avait demandé à M. Arthur son opinion par rapport aux fins comptables et à la terminologie comptable. Il avait donc basé son opinion sur le sens technique du mot “ réserve ” selon les PCGR. Pour ce qui est de M. Eckel, on lui avait demandé son avis quant au fond de la question par rapport au capital d'une compagnie utilisé dans l'entreprise de cette compagnie. Ainsi, M. Eckel n'était pas limité à une terminologie comptable technique et a pu exprimer ses opinions “ d'un point de vue conceptuel ” (page 10) et du point de vue d'un résultat “ de fait ” (page 11). Il y a des affaires d'impôt sur le revenu dans lesquelles les opinions d'experts-comptables sont à la fois utiles et pertinentes. Je pense à des causes comme Canderel Limited v. The Queen, 98 DTC 6100, dans laquelle la question tenait à la détermination d'un revenu d'entreprise aux termes de l'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Une cause semblable est l'affaire Rainbow Pipeline Company, Ltd. v. The Queen, 99 DTC 1081, que j'ai tranchée dans les six derniers mois.

[17] D'autres causes comme le présent appel de la London Life concernent uniquement l'interprétation d'un mot ou d'une expression figurant dans la Loi. Dans ce genre d'affaire, une preuve d'expert en comptabilité aide à comprendre des concepts et termes comptables connexes, mais n'est guère à mon avis pertinente ou probante dans l'interprétation d'une expression ou d'un mot particulier. Si je dois lire les termes de la Loi dans leur contexte et en suivant le sens ordinaire, je ne saurais être influencé par la manière dont une profession particulière (comptable) impose un sens restreint à un mot particulier (réserve). Je me propose d'interpréter le mot “ réserves ” figurant à la division 190.11b)(ii)(A) premièrement en présumant qu'il a le sens ordinaire qu'en donnent les dictionnaires et que le mot anglais “ reserves ” a le sens ordinaire qu'il a dans les dictionnaires ainsi que dans l'usage qui en est fait ailleurs dans la Loi (comme l'indiquent les paragraphes 12 et 13 des présents motifs) et deuxièmement en examinant ce terme dans le contexte des dispositions voisines.

[18] Le fait que je présume que le mot “ réserves ” figurant à la division 190.11b)(ii)(A) a le sens ordinaire qui en est donné dans les dictionnaires (chose conservée ou mise de côté) ne signifie pas nécessairement que ce mot inclut un solde de report créditeur d'impôt sur le revenu. L'aire sémantique du mot “ réserves ” utilisé dans cette division sera déterminée par le contexte dans lequel ce mot s'inscrit. La partie VI de la Loi de l'impôt sur le revenu telle qu'elle s'applique à l'année d'imposition 1990 est une espèce de mini-loi fiscale en soi. Elle va des articles 190 à 190.24. Le paragraphe 190(1) contient certaines définitions, mais pas celle du mot “ réserves ”. Le paragraphe 190.1(1) est la disposition d'assujettissement à l'impôt, qui a été citée au premier paragraphe des présents motifs. Les articles 190.11, 190.12 et 190.13 définissent respectivement, par un calcul, les expressions “ capital imposable utilisé au Canada ”, “ capital imposable ” et “ capital d'une institution financière ”. C'est dans le contexte de ces dispositions que je chercherai le sens du mot “ réserves ” figurant à la division 190.11b)(ii)(A).

[19] À mon avis, les dispositions législatives connexes les plus pertinentes sont les alinéas a) et b) de l'article 190.13, que je reproduirai intégralement vu leur importance :

190.13 Pour l'application de la présente partie, le capital d'une institution financière pour une année d'imposition correspond au montant suivant :

a) dans le cas d'une institution financière autre qu'une corporation d'assurance-vie, l'excédent éventuel du total des montants suivants, calculé à la fin de l'année sur une base non consolidée :

(i) les dettes de son passif à long terme,

(ii) son capital-actions (ou, si elle est constituée sans capital-actions, l'apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d'apport et tout autre surplus,

(iii) ses réserves ou provisions (y compris toute réserve ou provision pour impôts reportés), sauf dans la mesure où elles sont déduites dans le calcul de son revenu pour l'année en vertu de la partie I,

sur le total, ainsi calculé, des montants suivants :

(iv) le solde de son report débiteur d'impôt,

(v) tout déficit déduit dans le calcul de l'avoir des actionnaires;

b) dans le cas d'une corporation d'assurance-vie résidant au Canada à un moment de l'année, l'excédent éventuel du total des montants suivants, calculé à la fin de l'année sur une base non consolidée :

(i) les dettes de son passif à long terme,

(ii) son capital-actions (ou, si elle est constituée sans capital-actions, l'apport de ses membres), ses bénéfices non répartis, son surplus d'apport et tout autre surplus,

sur le total, ainsi calculé, des montants suivants :

(iii) le solde de son report débiteur d'impôt,

(iv) tout déficit déduit dans le calcul de l'avoir des actionnaires;

c) [...]

[20] À l'alinéa 190.13a), il y a trois éléments positifs, (i), (ii) et (iii), et deux éléments négatifs, (iv) et (v). À l'alinéa 190.13b), il y a deux éléments positifs, (i) et (ii), et deux éléments négatifs, (iii) et (iv). Comme on pouvait s'y attendre, les alinéas a) et b) sont parallèles du point de vue de la structure, car chacun définit, par voie de calcul, le “ capital d'une institution financière ”. Par exemple, le premier élément positif de l'alinéa a) est identique au premier élément positif de l'alinéa b). Le deuxième élément positif de l'alinéa a) est essentiellement identique au deuxième élément positif de l'alinéa b). Enfin, les premier et deuxième éléments négatifs de l'alinéa a) sont identiques aux premier et deuxième éléments négatifs de l'alinéa b). La seule différence dans les structures parallèles des alinéas a) et b) tient à la présence d'un troisième élément positif à l'alinéa a). Cette différence est importante, toutefois, car le troisième élément positif de l'alinéa a) vise les “ réserves ou provisions ”, y compris les réserves ou provisions pour “ impôts reportés ”.

[21] L'idée d'impôts reportés ou de report d'impôt est mentionnée expressément dans le troisième élément positif et le premier élément négatif de l'alinéa a) et dans le premier élément négatif de l'alinéa b). Il m'apparaît évident que le rédacteur de l'article 190.13 avait cette idée à l'esprit. En outre, je conclus que c'est la même personne qui a rédigé les articles 190.11, 190.12 et 190.13, car la définition de “ capital imposable utilisé au Canada ” figurant à l'article 190.11 fait fond sur la définition de “ capital imposable ” figurant à l'article 190.12, laquelle fait fond sur la définition de “ capital d'une institution financière ” figurant à l'article 190.13. La base de l'impôt prévu à la disposition d'assujettissement (paragraphe 190.1(1)) est le “ capital imposable utilisé au Canada ”. Ainsi, non seulement la ou les personnes qui ont rédigé ces dispositions législatives étaient conscientes des impôts reportés, mais encore elles ont bien pris soin de préciser que les “ réserves ou provisions ” représentant le troisième élément positif de l'alinéa 190.13a) incluent toute réserve ou provision pour impôts reportés.

[22] La mention expresse d'une réserve pour “ impôts reportés ” comme élément à inclure dans les “ réserves ” au sous-alinéa 190.13a)(iii) m'amène à conclure que l'omission d'une telle mention à la division 190.11b)(ii)(A) était intentionnelle, que ce n'est pas un oubli de la part du rédacteur. La vieille maxime latine expressio unius est exclusio alterius (la mention de l'un implique l'exclusion de l'autre) peut s'appliquer ici. Comme je l'ai dit précédemment, le sous-alinéa 190.13a)(iii) vise les “ réserves ou provisions ”, et le rédacteur a jugé nécessaire de préciser que cela comprenait “ toute réserve ou provision pour impôts reportés ”. La division 190.11b)(ii)(A) vise également les “ réserves ”, mais le même rédacteur n'a pas cherché à englober dans les réserves visées par cette division les réserves pour impôts reportés.

[23] À l'égard du principe selon lequel il faut lire les termes dans leur contexte pour interpréter la division 190.11b)(ii)(A) en comparaison des alinéas a) et b) de l'article 190.13, l'avocat de l'intimée a présenté un argument très puissant, que je résumerai comme suit :

[TRADUCTION]

Dans le calcul du “ capital ” de sociétés d'assurance-vie résidant au Canada qui est prévu à l'alinéa 190.13b) de la Loi, un solde de report débiteur d'impôt est admis comme déduction au sous-alinéa 190.13b)(iii). Si les “ réserves ” prévues à la division 190.11b)(ii)(A) n'incluaient pas un solde de report créditeur d'impôt, cela amènerait à conclure que, dans le cas de compagnies d'assurance-vie, le législateur entendait exclure de leur capital imposable un solde de report créditeur d'impôt, mais admettre comme déduction un solde de report débiteur d'impôt. Une telle conclusion serait absurde, et il faut y préférer une interprétation plausible. L'interprétation que l'appelante donne de la division 190.11b)(ii)(A) conduirait à un traitement différent des institutions financières selon qu'il s'agit ou non de sociétés d'assurance-vie, et ce, sans raison apparente.

[24] Je trouve cet argument de l'intimée logique et raisonnable, mais je suis enclin à ne pas l'adopter, pour les motifs suivants. Premièrement, la levée d'un impôt spécial, en application de la partie VI, sur le “ capital imposable utilisé au Canada ” sous-entend l'existence d'une définition de “ capital ”. L'article 190.13 définit, par voie de calcul, le “ capital d'une institution financière ”. Définir le capital d'une société est une question technique. Par exemple, le “ capital versé ” est défini au paragraphe 89(1) de la Loi, et cette définition est longue. L'expression “ capital-actions ” est utilisée au sous-alinéa (ii) des alinéas 190.13a) et b), mais je ne vois pas de définition de cette expression dans la Loi. La Loi de l'impôt sur le revenu est modifiée au moins une fois par année. Il me faut présumer que les rédacteurs travaillant sur ce type de loi sont soucieux des détails techniques et savent ce qu'ils font.

[25] Deuxièmement, je pourrais penser qu'il n'est pas raisonnable qu'une définition par voie de calcul permette la déduction comme élément négatif d'un solde de report débiteur d'impôt, alors qu'un solde de report créditeur d'impôt n'est pas ajouté comme élément positif. Tel est le cas à l'alinéa 190.13b), tandis que, à l'alinéa 190.13a), un montant représentant des impôts reportés ou un report d'impôt est prévu à la fois comme élément positif et comme élément négatif. Il y a toutefois une différence entre un résultat qui n'est pas raisonnable et un résultat qui est absurde. Je ne suis pas convaincu que l'interprétation que l'appelante donne de la division 190.11b)(ii)(A) conduit à un résultat absurde. Ainsi, je ne ferai pas une interprétation ajoutant quoi que ce soit aux éléments positifs prévus à l'alinéa 190.13b) ni n'accepterai la conclusion de l'intimée selon laquelle le mot “ réserves ” figurant à la division 190.11b)(ii)(A) doit nécessairement inclure les soldes de reports créditeurs d'impôt.

[26] Il y a d'autres raisons pour statuer que les impôts reportés ne sont pas inclus dans les “ réserves ” visées à la division 190.11b)(ii)(A). En considérant cette division isolément, mais compte tenu du fait que l'alinéa 190.11b) vise une société d'assurance-vie résidant au Canada, je doute que des impôts reportés (même s'il s'agit de réserves au sens ordinaire du terme, c'est-à-dire des choses conservées pour usage ultérieur) soient des réserves “ qu'il est raisonnable de considérer comme établies au titre de ses entreprises d'assurance exploitées au Canada ”. Les entreprises d'assurance-vie sont fortement réglementées : elles doivent notamment maintenir des réserves réglementaires en vue de satisfaire aux demandes de règlement des titulaires de police. À mon avis, les réserves d'une société d'assurance-vie visée à l'alinéa 190.11b), “ qu'il est raisonnable de considérer comme établies au titre de ses entreprises d'assurance exploitées au Canada ”, sont les réserves pour polices ou réserves semblables de la société qui se rapportent à son entreprise d'assurance-vie.

[27] Les impôts reportés ne se rapportent pas à une entreprise d'assurance, mais sont le résultat d'une politique comptable pouvant avoir été adoptée par une société donnée, qu'elle oeuvre principalement dans l'assurance, la fabrication, le commerce de détail ou un autre domaine. D'après le témoignage de M. Lawrence, ce n'est qu'en 1978 que l'appelante a adopté la politique comptable des reports d'impôt. En considérant la division 190.11b)(ii)(A) isolément, je ne vois aucune raison de conclure qu'une réserve pour impôts reportés est incluse dans les “ réserves ” décrites dans cette division.

[28] Une autre raison pour appuyer l'interprétation que donne l'appelante de la division 190.11b)(ii)(A) découle du témoignage de M. Eckel. On a demandé à M. Eckel si un solde de report créditeur d'impôt sur le revenu était un passif. Il a donné une longue réponse, et je ne citerai que des passages choisis de son rapport (pièce R-1) :

[TRADUCTION]

Un solde de report créditeur d'impôt est-il un passif au sens ordinaire ou économique du terme? Logiquement et intuitivement, je dirais que ce n'est pas un passif au sens ordinaire ou économique, car aucune somme n'est due au moment où le solde créditeur est créé ou inscrit au bilan. Pour être bien clair : en date du bilan, il n'y a aucune somme due et exigible immédiatement ni aucune somme due et exigible ultérieurement. Le passif en date des états financiers est égal au montant effectivement payable en date des états financiers. Le passif réel est indiqué dans la première écriture de journal. La deuxième écriture, soit l'écriture relative à l'impôt reporté, peut donner un solde créditeur, mais ne peut indiquer un passif, car la première écriture indique déjà le montant payable à cette date-là. [...] [Page 7]

La méthode de l'impôt reporté fait depuis longtemps l'objet d'un débat entre les experts-comptables. Il est cependant à noter que ce débat porte sur la question de savoir si la méthode de l'impôt reporté est la bonne façon de comptabiliser les frais d'impôt sur le revenu des sociétés aux fins de mesure du revenu et aux fins d'établissement de rapports conformément aux PCGR. [Page 8]

Les partisans de la méthode de l'impôt reporté font valoir qu'il s'agit d'un passif parce que les différences temporaires se résorberont et deviendront un passif. Ce point de vue peut être contesté, car deux choses doivent arriver ultérieurement pour que des différences relatives à l'impôt “ deviennent un passif ” :

1. les différences temporaires doivent effectivement se résorber;

2. il doit y avoir un revenu imposable au cours de la période de résorption et après. [Page 9]

L'hypothèse selon laquelle les différences temporaires se résorberont nécessairement n'est pas étayée par l'expérience et, si les différences temporaires ne se résorbent pas, même l'assertion selon laquelle ces soldes deviendront des passifs n'est pas étayée.

Normalement, les différences temporaires en matière d'amortissement ne se résorbent pas nécessairement. Des études empiriques sur l'expérience réelle en matière de reprise indiquent que les soldes de reports d'impôt ne se sont pas résorbés dans une large mesure par le passé. Des recherches montrent, par exemple, que des réductions de soldes de reports créditeurs d'impôt attribuables à des différences temporaires en matière d'amortissement ont eu lieu dans moins de 3 p. 100 des exercices de compagnies.

[29] Dans sa déposition orale, M. Eckel a déclaré que certains soldes importants de reports créditeurs d'impôt sont un embarras pour la profession comptable. Il a déclaré ceci :

[TRADUCTION]

Si je peux me permettre, les soldes de reports créditeurs d'impôt sont un embarras pour la profession et pour les personnes touchées, car les données empiriques montrent que de tels soldes tendent à ne pas se résorber, et cela s'explique facilement. [Transcription, page 281]

Le témoignage de M. Eckel sur ce point est étayé par la propre histoire de l'appelante. De 1978 à 1990, le solde de report créditeur d'impôt de l'appelante a augmenté, passant de 0 à 99 millions de dollars; il a augmenté de 11 millions de dollars dans la seule année 1990. D'après M. Eckel, d'importants soldes de reports créditeurs d'impôt étaient fréquents en comptabilité des sociétés dans les années 80, et ces soldes ont obligé la profession comptable, au Canada et aux États-Unis, à réexaminer tout le domaine des impôts reportés. J'accepte le témoignage non contesté de M. Eckel sur ce point.

[30] C'est en 1990 que les sociétés d'assurance-vie sont devenues assujetties à la partie VI de la Loi. Autrement dit, l'année d'imposition 1990 est la première année pour laquelle l'appelante est tenue de payer l'impôt prévu à la partie VI. Acceptant le fait que d'importants soldes de reports créditeurs d'impôt étaient fréquents dans les années 80, je dirais que la personne qui a rédigé la partie VI (et notamment les articles 190.11, 190.12 et 190.13) devait être au courant de ces importants soldes ou aurait dû l'être. Si le législateur (ou le rédacteur) entendait inclure les soldes de reports créditeurs d'impôt comme éléments faisant partie de la base de l'impôt sur le capital de la partie VI, il aurait été facile de mentionner ces soldes dans la division 190.11b)(ii)(A) ou d'en faire un troisième élément positif à l'alinéa 190.13b), tout comme de tels soldes ont été précisés au sous-alinéa 190.13a)(iii). Le fait que tel n'est pas le cas est fatal à la thèse de l'intimée.

[31] Les avocats des deux parties ont porté à mon attention le fait que la Loi avait été modifiée en 1994 de manière à ce qu'une définition de “ réserves ” soit incluse au paragraphe 190(1), soit :

Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente partie.

“ réserves ” S'agissant des réserves d'une institution financière pour une année d'imposition, montant, à la fin de l'année, qui représente l'ensemble des réserves et provisions de l'institution (sauf les provisions pour dépréciation ou épuisement), y compris les réserves ou provisions pour impôts reportés.

Cette nouvelle définition s'applique aux années d'imposition 1992 et suivantes. Dans l'arrêt Ikea Limited v. The Queen, 98 DTC 6092, la Cour suprême du Canada traitait d'une modification qui avait été apportée à la Loi après l'interjection de l'appel d'Ikea. Le juge Iacobucci écrivait ce qui suit à la page 6096 :

Il est évident que le PIL fait à Ikea en l'espèce est carrément visé par cet article, qui ferait de ce paiement un revenu tiré par Ikea et imposable entièrement dans l'année de sa réception. Toutefois, parce que l'article n'était pas en vigueur en 1986, lorsque le paiement en question a été reçu, la présente affaire doit être tranchée en vertu du droit qui existait à l'époque. La nouvelle disposition n'a évidemment aucune incidence sur l'issue du présent cas.

J'adopte ce point de vue en l'espèce. Il doit être statué sur l'appel de la London Life conformément aux règles de droit telles qu'elles s'appliquent à l'année 1990.

[32] L'appel est admis avec frais compte tenu du fait que les 99 211 822 $ d'impôts sur le revenu reportés de l'appelante au 31 décembre 1990 ne font pas partie de son “ capital imposable utilisé au Canada ” pour l'application de la partie VI de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de janvier 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de septembre 2000.

Philippe Ducharme, réviseur

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