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Date: 19980609

Dossier: 97-228-IT-G

ENTRE :

SYLVIE LAVOIE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Guy Tremblay, C.C.I.

Point en litige

[1] Selon l’avis d’appel et la réponse à l’avis d’appel, il s’agit de savoir si l’appelante est bien fondée de soutenir qu’elle n’est pas taxable en vertu de l’article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) d’un montant de 20 451,78 $.

[2] Selon l’intimée, la cotisation de cette somme est due au transfert de la moitié indivise, le 2 septembre 1992, d’un immeuble situé à Ville de la Baie. Cet immeuble appartenait à M. Jocelyn Coulombe et à l’appelante. Selon l’intimée, ces deux personnes étaient conjointes de fait, donc avaient un lien de dépendance. La partie indivise de l’immeuble valait 45 000 $.

[3] L’appelante soutient, d’une part, qu’elle n’était plus conjointe de fait depuis la fin août 1991, donc n’avait plus de lien de dépendance au moment du transfert et, d’autre part, qu’elle a payé la somme de 49 086,43 $ tel qu’il appert du contrat notarié. Il s’agit de savoir si l’appelante est conjointement et solidairement responsable de la somme de 20 451,78 $ due par M. Coulombe à Revenu Canada.

FARDEAU DE LA PREUVE

[4] L'appelante a le fardeau de démontrer que la cotisation de l'intimée est mal fondée. Ce fardeau de la preuve découle de plusieurs décisions judiciaires dont un jugement de la Cour suprême du Canada rendu dans l'affaire Johnston c. Le ministre du Revenu national[1].

[5] Dans le même jugement, la Cour a décidé que les faits assumés par l'intimé pour appuyer les cotisations ou nouvelles cotisations sont également présumés vrais jusqu'à preuve du contraire. Dans la présente cause, les faits présumés par l'intimée sont décrits aux alinéas a) à h) du paragraphe 11 de la réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit comme suit :

11. En établissant la nouvelle cotisation, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants :

a) le ou vers le 31 octobre 1984, l’appelante a acquis en copropriété indivise avec M. Jocelyn Coulombe un immeuble situé dans la Municipalité de Ville de la Baie, au numéro 1462 de la 4ième avenue; [admis]

b) le ou vers le 2 septembre 1992, M. Jocelyn Coulombe a transféré sa partie indivise de l’immeuble (ci-après, la « propriété » à l’appelante; [admis]

c) au moment du transfert, la juste valeur marchande de la partie indivise transférée s’élevait à 45 000,00 $; [nié]

d) au moment du transfert, la juste valeur marchande de la contrepartie que l’appelante a donnée à l’égard de la partie indivise transférée s’élevait à 24 548,22 $; [admis, quitte à compléter]

e) au cours de l’année d’imposition 1992, l’appelante et M. Jocelyn Coulombe vivaient en union de fait et ce dernier avait par conséquent un lien de dépendance avec l’appelante en vertu de l’alinéa 251(1)a) et du paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu; [nié]

f) de plus, l’appelante et M. Jocelyn Coulombe ont, au moment du transfert de la propriété, agi de concert dans un but commun et sans intérêts distincts créant ainsi un lien de dépendance de fait eu égard à cette transaction conformément à l’alinéa 251(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu; [nié]

g) le total de tous les montants que l’auteur du transfert, M. Jocelyn Coulombe était tenu de payer en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, au cours ou à l’égard de l’année d’imposition pendant laquelle la propriété a été transférée ou lors de toute année d’imposition antérieure, s’élevait à 60 660,10 $; [ignoré]

h) l’appelante et M. Jocelyn Coulombe sont conjointement et solidairement responsables du paiement du montant de 20 451,78 $ qui est le moindre de la juste valeur marchande de la propriété transférée en sus de la juste valeur marchande de la contrepartie donnée pour ce bien et du total des montants que M. Coulombe était tenu de payer en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, au cours ou à l’égard de l’année d’imposition pendant laquelle la propriété a été transférée ou lors de toute année d’imposition antérieure; [nié]

[6] En plus des admissions ci-dessus, la preuve a été complétée par les témoignages de l’appelante, de M. Jocelyn Coulombe et de M. Carl Cloutier, agent de recouvrement de l’intimée.

[7] Il appert de l’ensemble de la preuve que le réel point en litige est de savoir si l’appelante et son ex-conjoint de fait, M. Jocelyn Coulombe, étaient liés au sens de l’alinéa 251(1)b) de la Loi.

251(1) Lien de dépendance.

Aux fins de la présente loi,

a) des personnes liées sont réputées avoir entre elles un lien de dépendance; et

b) la question de savoir si des personnes non liées entre elles n'avaient aucun lien de dépendance à une date donnée est une question de fait.

Il fut admis en fait que l’alinéa 251(1)a) ne s’appliquait pas au présent cas.

[8] L’appelante a mis fin à la vie commune avec M. Coulombe le 1er septembre 1991. Ils habitaient ensemble depuis 1981.

[9] En 1984, ils avaient acquis en copropriété indivise l’immeuble en litige situé dans la municipalité de Ville de la Baie, au numéro 1462 de la 4ième avenue, au coût de 62 000 $.

[10] Au printemps 1991, un nouvel emprunt a été effectué auprès de la Banque Royale du Canada pour annuler le solde de l’ancienne dette (12 000 $) et pour obtenir une marge de crédit de l’ordre de 38 000 $ pour « Place Lorenzo » , un investissement de M. Coulombe.

[11] Le 1er septembre 1991 (pièce A-7), après plusieurs mois de vie commune orageuse, M. Coulombe a quitté la résidence située au 1462 de la 4ième avenue, mettant fin à leur vie commune, pour aller demeurer avec une autre personne quelques rues plus loin.

[12] L’appelante a demeuré dans la maison en litige avec son fils David, âgé de 9 ans, né de leur union.

[13] Le 31 août 1992, alors qu’ils étaient séparés depuis un an, l’appelante a acquis la moitié indivise de l’immeuble détenue par M. Jocelyn Coulombe en considération de l’assumation du solde du prêt hypothécaire consenti par la Banque Royale du Canada, lequel s’établissait à la somme de 49 086,43 $ à la date de la transaction.

[14] L’appelante n’a jamais bénéficié des fins du deuxième emprunt. En effet, lors de la transaction, il restait encore 49 086,43 $ qu’elle devait payer à la banque.

[15] Jusqu’en 1993, elle n’a jamais reçu de pension alimentaire de M. Coulombe. Ce n’est qu’à partir de 1993, suite à des procédures judiciaires, qu’elle a reçu 600 $ par mois pendant 16 mois, soit un total de 9 600 $. Elle n’a jamais rien reçu d’autre. Le témoignage de M. Coulombe n’a pas contredit celui de l’appelante à ce sujet (pièce A-8).

[16] M. Coulombe a fait faillite le 22 mars 1993. L’appelante travaille comme cuisinière à la cantine de la compagnie Alcan à La Baie. En 1992, elle a gagné 4 145 $. Elle a également un revenu de 400 $ par mois provenant de la location d’un logement de la maison en litige située au 1462 de la 4ième avenue à Ville de la Baie. Cette maison, dit l’appelante, c’est son « fond de pension » .

[17] Selon M. Coulombe, en transférant à l’appelante sa contrepartie de la valeur de la maison en litige, il prenait en considération que leur fils demeurait avec l’appelante.

[18] Il reste à savoir si lors de la transaction en litige, il existait ou non entre les parties un lien de dépendance de fait au sens de l’alinéa 251(1)b) pour que l’article 160(1) s’applique ou non.

[19] Relativement au lien de dépendance de faits, dans l’affaire François Fournier c. Le ministre du Revenu national (91 DTC 743, à la page 745 le juge Dussault de cette Cour résume le problème comme suit :

C’est donc l’alinéa 251(1)b) de la Loi qui peut s’appliquer dans la mesure où les éléments de preuve établissent un lien de dépendance dans les faits.

Le concept de lien de dépendance entre personnes non liées entre elles a fait l’objet de plusieurs décisions de nos tribunaux.1Lorsque les parties à une transaction agissent de concert, qu’ils ont des intérêts économiques similaires ou encore qu’ils agissent selon une volonté commune, il est généralement admis qu’ils ont alors un lien de dépendance.

Je me permettrai de citer, à cet égard, le juge Cattanach de la Cour de l’Échiquier (tel qu’il était alors) qui affirmait dans l’affaire Minister of National Revenue v. Estate of Thomas Rodman Merritt, 69 DTC 5159 à la page 5165 :

In my view, the basic premise on which this analysis is based is that, where the "mind" by which the bargaining is directed on behalf of one party to a contract is the same "mind" that directs the bargaining on behalf of the other party, it cannot be said that the parties are dealing at arm’s length. In other words where the evidence reveals that the same person was "dictating" the "terms of the bargain" on behalf of both parties, it cannot be said that the parties were dealing at arm’s length.

Pour sa part, le juge Thurlow de la Cour de l’Échiquier (tel qu’il était alors) s’exprimait ainsi dans l’affaire Swiss Bank Corporation et al. v. M.N.R., 71 DTC 5235, à la page 5241 :

To this I would add that where several parties — whether natural persons or corporations or a combination of the two — act in concert, and in the same interest, to direct or dictate the conduct of another, in my opinion the "mind" that directs may be that of the combination as a whole acting in concert or that of any one of them in carrying out particular parts or functions of what the common object involves.

[20] Dans la présente affaire, nous sommes en présence de deux personnes dont l’une, l’appelante, a à rembourser une dette dont elle n’a pas été bénéficiaire, soit le 38 000 $ objet d’un investissement de M. Coulombe et d’autre part, ce dernier a un intérêt général à l’égard de son fils qui demeure avec sa mère et à qui il ne verse plus de pension alimentaire et n’en a pas versé de 1991 à 1993.

[21] Dans l’affaire Ann Craig Dupuis c. Sa Majesté La Reine (93 DTC 723), l’appelante a démontré que les paiements faits par son mari étaient une combinaison d’une part de ses contributions en regard de ses charges de la maison et de la famille et d’autre part, le remboursement de la dette due par lui. Il ne s’agissait pas, selon la juge Lamarre Proulx, d’un transfert de propriété au sens de la disposition 160(1) de la Loi.

[22] Dans la présente affaire, la Cour arrive à la même conclusion.

Conclusion

[23] L’appel est admis, avec frais, et la cotisation déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation.

Signé à Québec (Québec) ce 9e jour de juin 1998.

« Guy Tremblay »

J.C.C.I.



[1] [1948] R.C.S. 486, 3 DTC 1182, [1948] C.T.C. 195.

1 Voir inter alia :

   Minister of National Revenue v. Sheldons Engineering Ltd., (C.S.C.) 55 DTC 1110

   Gatineau Wesgate Inc. v. Minister of National Revenue, 66 DTC 560

   Minister of National Revenue v. Estate of Thomas Rodman Merritt, 69 DTC 5159

   Swiss Bank Corporation and Swiss Credit Bank v. Minister of National Revenue,

   (C.S.C.) 72 DTC 6470

   G. Sayers v. The Minister of National Revenue, 81 DTC 790

   Special Risks Holdings Inc. v. Her Majesty The Queen, 86 DTC 6035

   Noranda Mines Limited v. The Minister of National Revenue, 87 DTC 379

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