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Date: 19980814

Dossier: 97-1298-UI

ENTRE :

CÉLINE LÉPINE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Prévost, C.C.I.

[1] Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 15 juillet 1998.

[2] Il s’agit d’un appel d’une décision du ministre du Revenu National (le « Ministre » ) en date du 8 juillet 1997, déterminant que l’emploi de l’appelante chez Service Sanitaire St-Marc Inc. (la « payeuse » ), du 13 mai au 28 septembre 1996, n’était pas assurable parce qu’il s’agissait d’un emploi où l’employée et l’employeure avaient entre elles un lien de dépendance.

[3] La paragraphe 5 de la Réponse à l’avis d’appel se lit ainsi :

« 5. En rendant sa décision, l’intimé, le ministre du Revenu national, s’est basé, inter alia, sur les faits suivants :

a) Le payeur, constitué le 22 novembre 1986, exploite une entreprise d’enlèvement d’ordures ménagères. (A)

b) M. Gérard Gosselin, est l’unique actionnaire du payeur; il était l’unique propriétaire de l’entreprise avant sa constitution. (A)

c) Le payeur exploite son entreprise à l’année longue. (A)

d) Le payeur possède 2 camions pour l’enlèvement des ordures. (A)

e) En 1996, le payeur embauchait 3 personnes : deux chauffeurs pour les camions (dont M. Gérard Gosselin) et l’appelante comme secrétaire. (A)

f) En 1996, le payeur avait 2 contrats avec des municipalités et quelques contrats avec des commerçants; les camions étaient sur la route pendant 4 ½ jours par semaine. (A)

g) L’appelante et M. Gosselin étaient mariés et ont divorcé en février 1992, mais ils ont repris leur vie commune en mai 1996; ils avaient eu 2 enfants de leur mariage. (A)

h) Avant le divorce, l’appelante rendait des services au payeur et en revenant habiter avec son ex-époux, le payeur l’aurait embauchée à titre de secrétaire. (A)

i) L’appelante travaillait dans la résidence de M. Gosselin, dans une pièce aménagée à cette fin. (A)

j) Les tâches de l’appelante se résumaient ainsi : elle devait, avant tout, être disponible pour répondre au téléphone, elle pouvait dactylographier quelques documents et faisait des commissions pour obtenir des pièces pour les camions. (A)

k) L’appelante prétend qu’elle faisait entre 3 et 4 heures par jour; elle déterminait elle-même ses prétendues heures de travail qui n’étaient pas comptabilisées par le payeur. (N)

l) L’appelante aurait reçu 150 $ par semaine durant la période en litige. (A)

m) L’appelante prétend avoir cessé son travail le 28 septembre 1996, soit après avoir accumulé 20 semaines de travail. (A)

n) L’appelante avait besoin de 20 semaines d’emploi assurable pour se qualifier aux prestations de chômage. (A)

o) Entre la date de son divorce et la date de son embauche par le payeur (entre février 1991 et mai 1996), le payeur n’a jamais embauché de secrétaire pour accomplir les tâches de l’appelante. (N)

p) En 1996, le payeur a connu une grosse baisse de ses revenus et a cessé ses activités en décembre 1996. (A)

q) En décembre 1996, M. Kenny Gosselin, fils de M. Gosselin et de l’appelante, achetait les 2 camions du payeur afin de poursuivre les activités. (A)

r) L’appelante a continué de rendre des services au payeur en novembre et décembre 1996 et a continué à rendre les mêmes services en 1997, suite à l’acquisition des camions par son fils, et ce, sans rémunération. (N)

s) L’appelante et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu. (A)

t) Le payeur n’aurait jamais engagé une personne sans lien de dépendance aux mêmes conditions que celles offertes à l’appelante. » (N)

[4] Dans le texte qui précède de la Réponse à l’avis d’appel, la Cour a indiqué ainsi, entre parenthèses, après chaque sous-paragraphe, les commentaires du procureur de l’appelante à l’ouverture de l’audience :

(A) = admis

(N) = nié

La preuve de l'appelante

Selon Gérard Gosselin

[5] À la date de l’audience, la payeuse n’existe plus.

[6] Pendant la période en litige l’appelante s’occupait des contrats et de la comptabilité au siège social de la payeuse dans leur maison où une pièce avait été spécialement aménagée en bureau.

[7] De 1992 à 1996 une autre femme qui demeurait avec lui faisait sensiblement les mêmes tâches.

[8] L’appelante oeuvrait pour la payeuse de 10 h à 15 h du lundi au vendredi et elle faisait bien ses heures.

[9] Au souper, il discutait avec elle pour voir si ce qui devait être fait l’avait bien été.

[10] Il y avait une seule ligne téléphonique pour le bureau et la résidence.

[11] Les employés de ses villes-clientes appelaient à diverses fins au bureau et lorsqu’il s’agissait d’un nouveau contrat il y avait évidemment plus d’appels.

[12] À un moment donné la payeuse a perdu deux contrats, celui de Portneuf et de St-Raymond et elle a cessé par après ses activités.

[13] Eu égard au sous-paragraphe r) précité, l’appelante a pu rendre quelques services de temps à autre en novembre et en décembre 1996 sans être rémunérée mais pas autant loin de là qu’au cours de la période en litige.

[14] En plus des municipalités, la payeuse servait aussi des commerces à des prix négociés et il fallait y voir.

[15] La payeuse ne faisait pas de publicité.

[16] La clientèle savait qu’il était préférable d’appeler au bureau en après-midi.

[17] De 1992 à 1996, son autre conjointe répondait au téléphone et s’occupait en partie des chiffres mais elle ne faisait cependant pas les commissions; le comptable devait alors en faire plus.

[18] Un contrat (pièce I-1) a été signé entre la payeuse et l’appelante comme secrétaire, aux termes duquel ses tâches sont ainsi décrites :

« Travail général de bureau

Réceptionniste

Courrier

Rapports divers à remplir

Comptabilité

Facturation

Faire des commissions pour l’entreprise

Faire les dépôts à la banque

Aller chercher les devis aux municipalités »

[19] Il y est aussi mentionné qu’elle doit travailler 15 heures et plus par semaine sur une base de cinq jours.

[20] Lorsque son fils a pris la relève, il a fait lui-même une très grande partie des tâches de l’appelante.

[21] Pour le compte de la payeuse d’ailleurs, après sa mise à pied, l’appelante avait beaucoup moins de travail à faire puisqu’il y avait de moins en moins de contrats et elle ne faisait plus ses 15 heures par semaine, loin de là : il pouvait lui-même y voir à peu près seul.

[22] Il croit se rappeler avoir perdu un contrat en juillet 1996 et l’autre à la fin d’août 1996 mais, se ravisant, il dit plutôt que c’est en décembre 1996 dans les deux cas.

[23] Les états financiers (pièce I-2) de la payeuse pour l’exercice terminé le 31 janvier 1996 font bien voir que les bénéfices non répartis étaient de moins 24 415 $ alors qu’à la même date l’année précédente, ils étaient de plus 66 491 $.

[24] L’entreprise allait mal lors de l’embauche de l’appelante mais il a cru devoir quand même l’engager pour renflouer le commerce.

[25] Il avait au préalable prélevé des fonds de la payeuse pour exploiter un restaurant mais celui-ci a dû fermer ses portes à la fin de juillet 1995.

Selon l'appelante

[26] Elle a bien signé une demande de prestations d’assurance-chômage (pièce A-1) le 7 novembre 1996 et elle y a indiqué qu’elle avait cessé de travailler par manque de travail.

[27] Elle avait de l’expérience pour remplir ses tâches pour avoir oeuvré ainsi à ce commerce pendant plusieurs années au préalable.

[28] Elle travaillait de 13 heures à 16 heures au cours de la période en litige et elle était toujours payée par chèque.

[29] Son relevé d’emploi (pièce A-2) indique bien que c’est par manque de travail qu’il a été émis.

[30] Gérard Gosselin contrôlait bien son travail.

[31] Le sous-paragraphe k) précité est faux en ce sens qu’elle faisait bien les heures pour lesquelles elle était rémunérée.

[32] Eu égard au sous-paragraphe o) c’est la femme qui demeurait avec Gérard Gosselin qui a fait son travail de 1992 à 1996.

[33] Lorsque Kenny a acheté l’entreprise elle ne faisait plus que répondre au téléphone.

[34] Elle a bien signé une déclaration statutaire (pièce I-3) le 6 février 1997; il y est écrit (pages 1-2) :

« Ainsi, j’ai recommencé à exécuter les tâches pour la compagnie que j’avais toujours effectuées. Cependant au retour, un salaire a été établi soit 150 $ par semaine pour environ 30 heures par semaine. »

[35] Ce n’est pas elle qui en a écrit le texte et elle ne se souvient pas d’ailleurs si cette déclaration lui a été relue.

[36] Il y est aussi écrit (page 2):

« [...] je n’avais pas d’horaire de travail établi, c’était selon ma disponibilité et les besoins donc je pouvais déterminer moi-même mon temps de travail. »

[37] Le téléphone l’occupait pas mal mais ce n’était pas pareil à tous les jours.

[38] L’intimé ne fait entendre aucun témoin.

Les plaidoiries

Selon le procureur de l'appelante

[39] Sa cliente n’a certes pas compris le sens de sa déclaration statutaire lorsqu’il y est mentionné qu’elle faisait environ 30 heures par semaine : en effet à la page 2, il est aussi écrit :

« Mes fonctions étaient par semaine; préparer les chèques (équivalence 1 h ½ par jour); aller chez le comptable de 2 à 3 fois par semaine car tout document concernant le gouvernement je n’y me connais pas (retenue à la source, TPS, TVQ) (équivalence 1 hre par semaine) aller faire les dépôts à la Banque (équivalence 2 heures par semaine) recevoir les appels téléphoniques (équivalence 6 heures par semaine). Préparer des soumissions, sur un an, peut-être 15 soumissions, dactylographier seulement, donc c’était occasionnel et aller faire quelques commissions, ce qui pouvait représenter 7 heures sur un jeu de 2 à 3 semaines. »

[40] En faisant le compte, on arrive ainsi :

1,5 heure pour les chèques

1 heure pour les visites chez le comptable

2 heures pour aller à la banque

6 heures pour les appels téléphoniques

2,8 heures (7 heures ÷ 2½ semaines) pour les soumissions

13,3 heures

ce qui se rapproche bien plus de 15 heures que 30 heures.

[41] D’ailleurs le contrat (pièce I-1) fait état de 15 heures et plus par semaine.

[42] L’appelante affirme que Gérard Gosselin contrôlait son travail et ce n’est pas contredit.

[43] Après sa mise à pied, elle répondait seulement au téléphone et il s’agissait au surplus d’une ligne familiale autant que d’affaires.

[44] Il y a lieu pour la Cour d’intervenir car il s’agissait d’un véritable contrat de louage de services, sa cliente étant bien intégrée à l’entreprise de la payeuse et agissant comme lien indispensable avec la clientèle.

[45] Il est vrai que celle-ci faisait alors des déficits mais Gérard Gosselin espérait ainsi lui redonner un second souffle.

Selon la procureure de l'intimé

[46] Il faut tenir compte de l’ensemble de la preuve et des contradictions dans les deux témoignages.

[47] De 1986 à 1991, l’appelante a travaillé sans rémunération pour la payeuse.

[48] Il est très étrange qu’une entreprise ne réponde au téléphone qu’en après-midi.

[49] Depuis que le fils a pris la relève, il fait lui-même ses commissions.

[50] Gérard Gosselin a engagé l’appelante alors que les affaires de la payeuse périclitaient.

[51] Il se trompe au départ sur les dates auxquelles les deux contrats concernés ont été perdus pour se raviser ensuite.

[52] De 1992 à 1996, l’autre conjointe de Gérard Gosselin a rendu seulement quelques services à la payeuse.

[53] Le contrat (pièce I-1) indique que c’est à compter du 30 mai 1996 que l’appelante est engagée et dans sa demande de prestations d’assurance-chômage elle déclare avoir débuté le travail le 13 mai 1996.

[54] Sa crédibilité en est pour autant affectée.

[55] Le Ministre a étudié tous les faits pour rendre sa décision.

[56] Rien ne justifiait l’embauche de l’appelante sauf le lien de dépendance.

[57] La rémunération n’était pas justifiée car avant et après la période en litige, l’appelante travaillait à titre gratuit; il y avait peu ou pas de contrôle.

Le Délibéré

[58] L’appelante, il est vrai, n’était pas rémunérée avant son divorce, mais cela est de l’histoire ancienne à ne pas considérer la situation ayant bien changé après la reprise de la vie commune.

[59] Il était normal que l’appelante travaille dans un bureau aménagé à cette fin dans la résidence familiale.

[60] Le contrat décrit bien les tâches de l’appelante et elles étaient nécessaires, Gérard Gosselin ne pouvant tout faire seul et voulant au surplus relancer son entreprise.

[61] La Cour est satisfaite qu’il y avait un contrôle normal dans les circonstances; l’appelante travaillait à la maison et elle pouvait ainsi au besoin changer de pièce sans pour autant perturber son travail.

[62] L’appelante affirme avoir été payée et il n’y a pas de preuve à l’encontre.

[63] C’est certes une coïncidence si elle a travaillé seulement le nombre de semaines dont elle avait besoin pour se qualifier aux prestations.

[64] Il est en preuve non contredite que la nouvelle conjointe de Gérard Gosselin a rendu elle aussi des services à la payeuse de 1992 à 1996.

[65] La relève assurée par Kenny Gosselin est sans importance pour conclure ci-après et les quelques services que l’appelante a pu lui rendre sans rémunération ne sont pas à considérer ici.

[66] Il y a, il est vrai quelques contradictions dans la preuve mais elles sont mineures : les deux témoins ont paru à la Cour de braves gens toujours soucieux de dire la vérité et elle les croit parfaitement : au surplus la mémoire est une faculté qui oublie, est-il nécessaire de le rappeler.

[67] En novembre et décembre 1996, l’appelante a pu rendre de petits services à la payeuse mais ils étaient minimes et il s’agissait là d’aide que des conjoints peuvent se rendre à l’occasion sans qu’il faille nécessairement en tirer des conséquences juridiques.

[68] Il n’est pas contredit que la clientèle savait qu’il était préférable d’appeler au bureau l’après-midi.

[69] Le contrat a pu être signé quelques jours après l’embauche mais il confirmait une situation de faits.

[70] L’exploitation du restaurant est sans importance pour la conclusion ci-après.

[71] C’est certainement à cause de manque de travail que l’appelante a été mise à pied.

[72] L’appelante était compétente pour réaliser le travail qui lui a été confié.

[73] Il n’est pas contredit que l’appelante était rémunérée pour ses heures travaillées.

[74] L’agente qui a reçu la déclaration statutaire de l’appelante aurait dû la questionner plus pour lui faire expliquer la différence entre les 30 heures de travail mentionnées globalement au début et le détail des heures travaillées qui y sont indiquées par après : la Cour préfère le calcul détaillé au montant global parce qu’il concorde mieux avec l’ensemble de la preuve.

[75] Il n’y a pas de doute que l’appelante était bien intégrée aux activités de la payeuse.

[76] Le Ministre a tenu compte de faits non pertinents et il n’a pas par ailleurs tenu compte de toutes les circonstances.

[77] Il s’agissait bien d’un véritable contrat de louage de services et l’emploi aurait dû être ré-inclus.

[78] L’appel est donc accueilli et la décision entreprise annulée.

Signé à Laval (Québec) ce 14e jour d'août 1998.

« A. Prévost »

J.S.C.C.I.

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