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Date : 19971205

Dossier : 96-3863-IT-I

ENTRE :

SHEILA FANTINI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowman, C.C.I.

[1] Les appels en l’instance sont interjetés à l'encontre de cotisations pour les années d'imposition 1993 et 1994. Ils soulèvent une étroite question de droit concernant l'effet d'une disposition déterminative d'une loi provinciale sur une disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2] Le 28 juillet 1993, l'appelante et Stephen Woodburn avaient conclu une entente alimentaire en vertu du Parentage and Maintenance Act de l'Alberta. M. Woodburn reconnaissait qu'il était ou pouvait être le père de l'enfant de Sheila Fantini, soit Tiara Fantini, née le 7 janvier 1993. Il consentait à payer à l'appelante 300 $ par mois pour l'entretien de l'enfant, jusqu'au 18e anniversaire de naissance de l'enfant. L'appelante et Stephen Woodburn n'ont jamais été mariés et n'ont jamais vécu ensemble.

[3] L'entente avait été attestée par témoin, et des affidavits attestant la passation de l'entente avaient été reçus par un commissaire à l’assermentation. Il s'agissait d'une entente conclue en vertu de l'article 6 du Parentage and Maintenance Act de l'Alberta (Statutes of Alberta 1990, ch. P-07). L'article 6 de cette loi se lit comme suit :

[TRADUCTION]

6(1) Un parent peut consentir à payer une partie ou l'ensemble des frais visés au paragraphe (2) en concluant une entente, en la forme prévue par règlement, avec

a) le directeur,

b) l'autre parent ou

c) toute autre personne ayant la garde et le contrôle de l'enfant du parent.

(2) Une entente peut porter sur une partie ou l'ensemble des éléments suivants :

a) des frais raisonnables d'entretien de la mère

(i) pour une période d'au plus trois mois avant la naissance de l'enfant,

(ii) à la naissance de l'enfant et

(iii) pour une période postérieure à la naissance de l'enfant;

b) des frais raisonnables d'entretien de l'enfant avant la date de l'entente;

c) des paiements mensuels ou autres paiements périodiques pour l'entretien de l'enfant jusqu'à ce que celui-ci atteigne l'âge de 18 ans;

d) des frais d'enterrement de l'enfant si celui-ci meurt avant la date de l'entente;

e) des frais engagés pour déterminer la filiation.

(3) Une entente peut prévoir que c’est par le versement d'une somme qui y est spécifiée qu'il est satisfait à l'obligation qu'a un parent à l’égard des frais visés au paragraphe (2) autres que les frais d'entretien d'un enfant prévus à l'alinéa 2c).

(4) Un père qui est partie à une entente doit reconnaître dans celle-ci qu'il est ou peut être le père.

(5) Les parties à une entente qui a été déposée peuvent modifier celle-ci n'importe quand en concluant une nouvelle entente et en la déposant auprès du directeur chargé de l'exécution d'obligations alimentaires.

(6) Une entente non conclue conformément au présent article n'empêche pas une personne de faire une demande en vertu de l'article 7.

[4] L'entente avait été déposée auprès du directeur chargé de l'exécution d'obligations alimentaires et auprès de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta.

[5] Le paragraphe 1(2) du Maintenance Enforcement Act de l'Alberta (Statutes of Alberta 1985, ch. M-05) se lit comme suit :

[TRADUCTION]

(2) Une entente conclue en vertu de l'article 6 du Parentage and Maintenance Act ou de l'article 51 du Income Support Recovery Act est réputée être une ordonnance alimentaire en vertu de la présente loi.

[6] L'alinéa 1(1)e) de cette loi se lit comme suit :

[TRADUCTION]

e) « ordonnance alimentaire » s’entend d’une ordonnance ou d’une ordonnance provisoire d'un tribunal de l'Alberta ou d’une ordonnance, autre qu'une ordonnance conditionnelle non confirmée, enregistrée en vertu du Reciprocal Enforcement of Maintenance Orders Act, qui renferme une disposition exigeant le versement d'aliments.

[7] Le paragraphe 12(1) de cette loi se lit comme suit :

[TRADUCTION]

12(1) Le Directeur ou un créancier peut déposer auprès de la Cour du Banc de la Reine une ordonnance alimentaire qui n'a pas par ailleurs été déposée auprès de la Cour et, une fois déposée l'ordonnance alimentaire, les passages de celle-ci se rapportant aux questions d'entretien sont réputés représenter un jugement de la Cour du Banc de la Reine.

[8] Les paiements avaient été faits dûment à l'appelante par M. Woodburn en 1993 et en 1994. En fait, il n'y avait eu aucune ordonnance d’un tribunal.

[9] Le ministre du Revenu national avait imposé les paiements — soit des paiements de 1 200 $ pour 1993 et de 3 600 $ pour 1994 — entre les mains de l'appelante en vertu de l'alinéa 56(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui se lisait comme suit dans les années en question :

56(1) Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

[...]

c) un montant reçu par le contribuable au cours de l'année à titre d'allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du contribuable ou d'enfants de celui-ci ou aux besoins à la fois du contribuable et de ces enfants, si les conditions suivantes sont réunies :

(i) au moment de la réception du montant et durant le reste de l'année, le contribuable vivait séparé de la personne tenue d'effectuer le paiement,

(ii) la personne tenue d'effectuer le paiement est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du contribuable,

(iii) le montant a été reçu en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province;

[10] L'avocat de l'appelante a déposé en preuve une interprétation technique, un bulletin d'interprétation et une opinion du ministère de la Justice qui indiquent tous que les paiements faits en vertu de telles ententes, même si ces dernières sont exécutables comme une ordonnance du tribunal, ne satisfont pas à l'exigence voulant que le montant ait été « reçu en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province » .

[11] Au sujet de l'affaire Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec), [1978] 1 R.C.S. 851, l'arrêt Nowegijick v. The Queen et al., 83 DTC 5041 (C.S.C.), dit à la page 5044 : « Les politiques et l'interprétation administratives ne sont pas déterminantes, mais elles ont une certaine valeur et, en cas de doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un « facteur important » [...] » .

[12] Il est rare que l'on doive se reporter à une politique et à une interprétation d'ordre administratif. D'une manière générale, je suis réticent à mettre en doute une pratique administrative qui est raisonnable et qui profite au contribuable, mais, au bout du compte, c'est le tribunal qui doit trancher. En l'espèce, je suis parfaitement d'accord sur la politique. On ne sait pas clairement si ce cas représente un changement de politique ou s'il s'agit simplement d'une aberration. Quoi qu'il en soit, l'appelante n'aurait pas dû être imposée comme elle l'a été.

[13] Aucune ordonnance de tribunal obligeant le père à effectuer les paiements en question n'avait en fait été rendue. Le fait que, en vertu d'une loi provinciale, une entente alimentaire soit réputée être une ordonnance de tribunal (manifestement aux fins du Maintenance Enforcement Act) ne fait pas de cette entente une ordonnance aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu fédérale. Il ne s'agit pas d'une question constitutionnelle de compétence législative. C'est une simple question d'interprétation législative. Comme le lord juge James disait dans l'affaire Ex parte Walton; In re Levy, 17 ch. D. 746, à la page 756 :

[TRADUCTION]

Lorsqu'une loi dispose que quelque chose qui n'a pas réellement été fait est réputé avoir été fait, la Cour peut et doit déterminer à quelles fins et entre quelles personnes la fiction législative doit s'appliquer.

[14] Cette observation avait été formulée dans le contexte de l'interprétation d'une loi. Elle s'applique a fortiori dans l'affaire en l’instance. En l'espèce, le ministre du Revenu national cherche à transposer dans une loi fédérale une fiction législative provinciale, ce qui ne peut se faire. Évidemment, le Parlement pourrait, par une formulation appropriée dans une loi fédérale, adopter aux fins de cette loi une fiction législative provinciale. Ce n'est toutefois pas ce qui s'est produit ici. Cela semble aller de soi.

[15] Je ne suis pas inattentif à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Hillis v. The Queen, 83 DTC 5365, dans lequel l'effet d'une disposition déterminative d'une loi de la Saskatchewan avait été considéré par rapport à la question de savoir quand un domaine devenait indéfectiblement dévolu. C'est, je pense, une illustration du principe énoncé dans le jugement Dale v. The Queen, 97 DTC 5252, à savoir que le ministre doit considérer les rapports juridiques entre des personnes tels qu'ils sont et que ces rapports sont dans la plupart des cas régis par le droit provincial. Il ne découle pas de ce jugement que, lorsqu'une chose est, aux fins d'une loi provinciale, réputée être quelque chose qu'elle n'est pas, cette signification factice peut s'appliquer aux fins de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[16] Les appels sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, de manière à supprimer du revenu de l'appelante pour 1993 et 1994 les sommes de 1 200 $ et de 3 600 $ respectivement.

[17] L'avocat de l'appelante avait demandé à pouvoir traiter des frais avant que je rende mon jugement. Je demanderais aux parties de communiquer avec la Cour le plus tôt possible au sujet de la question des frais. Cette question pourra faire l'objet d'une conférence téléphonique.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de décembre 1997.

« D. G. H. Bowman »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour d’avril 1998.

Benoît Charron, réviseur

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