Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000601

Dossier: 2000-364-IT-I

ENTRE :

DENNIS R. DOUZIECH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Edmonton (Alberta) le 11 mai 2000.)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1] Monsieur Douziech, je ne suis pas indifférent à votre position dans cette affaire, car j'estime qu'il est assez clair ou du moins qu'il semble qu'on ne vous a pas fait bénéficier d'une pratique administrative qui a été adoptée et qui est plus ou moins généralement suivie par le ministre du Revenu national (le “ ministre ”) dans l'établissement de cotisations en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”).

[2] De la manière dont je comprends les faits, dans votre déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1998, vous avez demandé un crédit pour dons de bienfaisance de 10 414,20 $. Cette demande se fondait non pas sur les dons que vous aviez vous-même faits au cours de l'année d'imposition 1998, mais sur des dons faits par votre conjointe. En ce qui a trait aux dons que vous aviez vous-même faits au cours de l'année d'imposition 1998, vous les avez indiqués non pas pour cette année-là, mais plutôt, comme vous en aviez le droit, pour l'année d'imposition 1999.

[3] Dans la cotisation qu'il a établie à votre égard, le ministre a refusé votre demande de crédit pour dons de bienfaisance, et ce, pour deux raisons. Le ministre a dit qu'il avait refusé cette demande parce qu'il s'agissait de dons faits non pas par vous, mais par votre conjointe; le ministre a poursuivi en disant — je paraphrase, mais telle est la thèse du ministre — que si vous et votre conjointe aviez alors été mariés, il vous aurait accordé le crédit et que, comme ce n'était pas le cas et que vous ne vous êtes, en fait, mariés qu'en juin 1998 (soit au milieu de l'année considérée en l'espèce), vous n'alliez pas bénéficier de cette pratique administrative.

[4] Comme je vous l'ai dit au début ce matin, je ne puis rendre de décisions que sur la base des faits établis devant le tribunal et sur la base du libellé des dispositions législatives rédigées par le législateur. Si la loi n'est pas claire, je dois l'interpréter; toutefois, lorsqu'elle est claire, je n'ai aucune latitude. La disposition législative concernant les déductions pour dons de bienfaisance figure à l'article 118.1 de la Loi. En vertu du paragraphe 118.1(3), un particulier peut déduire dans le calcul de son impôt payable un montant calculé selon la formule prévue au paragraphe 118.1(3), et cette formule se fonde sur “ [...] le total des dons du particulier pour l'année ”. Une définition de l'expression “ total des dons ” figure au paragraphe 118.1(1), et il est bien clair à la lecture de cette définition que le total des dons d'un particulier est le total des dons faits par ce particulier.

[5] Les extraits de deux publications de Revenu Canada que vous avez présentés font état de la pratique suivie depuis un certain temps par le ministre. Une de ces publications est le guide relatif à la déclaration de revenus et de prestations pour 1998, et l'autre s'intitule Les dons et l'impôt. Dans le cadre d'une pratique administrative, le ministre a accepté comme faisant partie des dons d'un particulier les dons faits par le conjoint de ce particulier, mais il n'y a aucun fondement juridique à cette pratique. Vous m'avez renvoyé à deux publications de l'éditeur juridique bien connu qu'est CCH, soit des publications d'ouvrages qui ont été rédigés par des personnes ayant beaucoup d'expérience dans ce domaine et qui traitent de cette pratique. L'ouvrage intitulé Income Tax Returns, de R. D. Hogg, comptable agréé, et de M. G. Mallin, comptable de gestion, dit au sujet des dons que les reçus faits au conjoint d'un particulier seront, en raison d'une pratique administrative, normalement acceptés quand les dons ont été indiqués dans la déclaration d'impôt de ce particulier. Si je ne m'abuse, il est exact de dire que cela sera normalement accepté en raison d'une pratique administrative. Toutefois, cette pratique est dépourvue de fondement juridique, et je n'ai pas le pouvoir de modifier la loi. Cela a été bien établi par les tribunaux depuis un demi-siècle ou plus. L'arrêt-clé à cet égard est celui que la Cour suprême du Canada a rendu sous la plume de M. le juge Pigeon dans l'affaire M.N.R. v. Inland Industries Limited[1], soit un arrêt auquel M. le juge Cattanach a fait référence dans l'affaire Stickel v. M.N.R.[2].L'arrêt Inland Industries remonte à 1972, et la Cour suprême du Canada y indique bien clairement que la façon dont le ministre ou ses agents ou employés peuvent interpréter la loi ne change pas ce que la loi est. Cela peut bien avoir une certaine influence dans l'interprétation de la loi si celle-ci est ambiguë. C'est ce que la Cour suprême du Canada a conclu dans l'affaire Harel c. Sous-ministre du Revenu (Québec)[3] et c'est ce qu'elle a réaffirmé dans l'affaire Nowegijick v. The Queen et al.[4]. Toutefois, quand il n'y a aucune ambiguïté dans la loi, et je n'en vois malheureusement aucune dans l'article 118.1, je suis tenu d'appliquer la loi telle qu'elle a été rédigée par le législateur; je n'ai d'autre choix que de rejeter votre appel.

[6] Comme il semble qu'une pratique administrative généralement suivie n'a pas été appliquée dans votre cas, il est possible que le ministre puisse vous faire bénéficier d'un recours. Les faits exposés à la Cour aujourd'hui ne m'indiquent pas si vous et la personne qui est devenue votre épouse au milieu de l'année 1998 étiez conjoints de fait lorsque cette personne a effectué les dons dont vous réclamez la déduction; dans l'affirmative, il me semble très injuste que l'on vous ait refusé ces déductions, et il se peut très bien que le ministre soit disposé à prendre des mesures pour essayer d'obtenir un redressement pour vous sous la forme d'une remise du montant de l'impôt en cause. Je n'ai pas un tel pouvoir. Comme je l'ai dit, je suis tenu d'appliquer la loi et non pas des pratiques administratives et ne peux imposer ma vision de ce qui est juste ou injuste. Toutefois, le ministre a bel et bien le pouvoir, en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, de recommander une remise au gouverneur en conseil, et vous pourriez soumettre à votre député ou directement au ministre la question de savoir si vous avez été traité équitablement et, dans la mesure où vous ne l'auriez pas été en fait, si un décret de remise devrait être demandé pour vous. En ce qui me concerne, je suis lié par la loi telle qu'elle a été rédigée par le législateur, s'il n'y a aucune ambiguïté; en conséquence, je n'ai d'autre choix que de rejeter l'appel.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de juin 2000.

“ E. A. Bowie ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 18e jour d’octobre 2000

Isabelle Chénard, réviseure



[1]     72 DTC 6013.

[2]     72 DTC 6178.

[3]             [1978] 1 R.C.S. 851.

[4]             83 DTC 5041.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.