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Date: 19990806

Dossier: 98-75-IT-I

ENTRE :

GASTON LAURION,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge P.R. Dussault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la "Loi") pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994.

Questions en litige

[2] Lors du calcul de son revenu l'appelant a déduit des pertes de 7 377 $, 10 298 $ et 13 890 $ pour chacune de ces années respectivement. En 1992, les pertes subies sont en rapport avec l'activité professionnelle d'écrivain de l'appelant. En 1993 et 1994, elles le sont en rapport avec une autre activité de l'appelant à titre de représentant de différentes sociétés québécoises au Viêt-nam.

[3] En cotisant l'appelant, le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) a refusé la déduction des pertes pour les trois années au motif que l'appelant n'avait pas d'expectative raisonnable de profit en rapport avec ses activités et que les dépenses ayant donné lieu aux pertes constituaient des frais personnels ou des frais de subsistance au sens de l'alinéa 18(1)h) de la Loi. Les cotisations établies par le Ministre l'ont été suite à des cotisations semblables établies par Revenu Québec.

Résumé de la preuve

[4] L'appelant et son comptable, monsieur Joseph Altenhaus, ont témoigné. Pour l'intimée, madame Marthe Guindon, agent d'opposition à Revenu Québec, a aussi témoigné.

[5] Je signale d'abord qu'il a été admis que l'appelant n'avait aucune expectative raisonnable de profit en ce qui concerne son activité professionnelle d'écrivain en 1992 et qu'ainsi la décision du Ministre de refuser les pertes pour cette année n'est plus contestée. Cependant, comme plusieurs dépenses réclamées en 1993 et 1994 sont de même nature que celles réclamées en 1992, je reviendrai sur ce point un peu plus loin.

[6] L'appelant est professeur à l'Université Concordia à Montréal (Québec). Il est également écrivain et traducteur. Aux fins de ces activités, il possède un bureau à sa résidence.

[7] Du 15 décembre 1993 au 15 avril 1994, l'appelant a séjourné au Viêt-nam afin d'explorer le terrain et tenter de vendre certains produits commercialisés par des sociétés québécoises dans le but de pouvoir éventuellement soit changer de profession soit ajouter à ses revenus de retraite.

[8] C'est lors d'une conférence d'une journée sur le Viêt-nam à laquelle il a assisté au cours de l'année 1993 que le projet de l'appelant de tenter le développement de certains marchés au Viêt-nam a débuté. L'appelant qui n'avait aucune expérience en affaires affirme avoir aussi rencontré avant son départ plusieurs vietnamiens, notamment des médecins et des professeurs ainsi que d'autres personnes ayant une bonne connaissance du Viêt-nam. Il dit s'être intéressé à ce pays en raison notamment de la culture française et du fait que la fin prochaine de l'embargo et l'ouverture à l'Occident laissait entrevoir des possibilités commerciales intéressantes avec ce pays.

[9] Malgré son manque d'expérience commerciale préalable, le fait qu'il ne parlait pas le vietnamien et qu'il n'avait aucune relation d'affaires avec quelqu'un au Viêt-nam, l'appelant affirme s'être vu confier avant son départ cinq mandats différents pour la vente de produits dans ce pays. Il s'agit des mandats suivants :

1) mandat de représentant de la société Humanitas, une maison d'édition pour “ négocier des ententes de collaboration avec les institutions scolaires et culturelles du Vietnam ”. Aucune commission n'est prévue à l'entente (pièce A-9);

2) mandat des Éditions Hurtubise HMH Ltée (“ Hurtubise ”) “ de représenter les Éditions Hurtubise HMH pendant [son] séjour au Viêt-nam ”, “ définir les besoins en édition dans ce pays et présenter l'expertise de notre maison afin de voir si des accords de partenariat étaient possibles ”. Le document indique que monsieur Laurion touchera une commission, dont le montant ou le pourcentage n'est pas indiqué, “ sur toute affaire (édition de matériel spécifique pour le marché, exportation...) [qu'il aidera] à réaliser au Viêt-nam ” (pièce A-7);

3) mandat de la société Summum Signalisation Inc. (“ Summum ”) exploitant une entreprise de fabrication de produits de signalisation routière pour vendre ces produits et faire une étude du marché et de son fonctionnement dans le but d'une éventuelle implantation locale de la société. Le document prévoit une commission dont le montant ou le pourcentage n'est pas indiqué “ sur toutes ventes encaissées ” (pièce A-5);

4) mandat de la société Athlos Communications Inc. (“ Athlos ”) spécialisée dans la fabrication d'appareils de détection de véhicules en marche pour la représenter “ lors d'une première mission commerciale exploratoire en Asie du Sud-Est ”. Le document prévoit une commission “ représentée par la différence entre le prix total facturé au client et le prix de gros de Montréal moins 5% (cinq pourcent), payable ... au prorata des encaissements ” (pièce A-6);

5) une licence non exclusive de la société de Luc Michaud, Économiste-conseil/Logiciels experts ltée (“ LMSOFT ”) pour la distribution de logiciels didactiques au sud-est asiatique. Le document fait état que la licence accordée est pour une période de deux ans renouvelable si les revenus bruts de LMSOFT sont supérieurs à 250 000 $ pour cette période ou par accord des deux parties. Une commission de 25% du montant des ventes est prévue. L'appelant a déboursé une somme forfaitaire non remboursable de 5 000 $ pour l'obtention de cette licence (pièce A-4).

[10] Ces mandats et cette licence pour représenter les sociétés mentionnées ont été obtenus par l'appelant en novembre 1993, peu de temps avant son départ prévu pour le Viêt-nam, le 15 décembre 1993. Aucun des documents ne fait état que l'appelant serait remboursé pour ses dépenses en relation avec l'exécution de ces mandats.

[11] Dans son témoignage, monsieur Laurion confirme qu'il n'avait établi aucun contact d'affaires au Viêt-nam avant son départ. Bien qu'on lui ait donné quelques noms, ce n'est qu'une fois sur place, dit-il, que les contacts pouvaient être établis et ce, principalement à cause des difficultés de communications.

[12] Le voyage de l'appelant au Viêt-nam était prévu pour une durée de quatre mois soit du 15 décembre 1993 au 15 avril 1994. Une fois sur place, l'appelant a établi un certain nombre de contacts. D'ailleurs, il aurait trouvé son premier contact d'affaires dans le guide de voyage “ Le petit futé ”. Il s'agissait d'un individu qui avait déjà vécu en France et qui était à ce moment importateur au Viêt-nam.

[13] Comme il ne parlait pas vietnamien, l'appelant a d'abord engagé une secrétaire-interprète pour les rendez-vous et la correspondance. Comme il l'a lui-même expliqué le processus est long puisqu'il faut d'abord trouver les adresses et ensuite, souvent attendre avant que le contact puisse être établi. Dans les faits, un certain nombre de contacts ont été établis avec des gens d'affaires, des représentants du gouvernement et des universitaires. Plusieurs villes ont été visitées dont Dà Nang, Huê, Dalat, Hà Nôi et Saïgon (Hô Chi Minh Ville). Lors de ses rencontres avec des universitaires, l'appelant aurait aussi distribué des exemplaires de livres et de logiciels des sociétés qu'il représentait.

[14] Bien que l'appelant affirme que son activité principale lors de son séjour au Viêt-nam a surtout été axée sur la recherche de contacts d'affaires, il a également donné quelques conférences soit une conférence sur la littérature médiévale et une autre sur le Québec à Saïgon et une autre sur le Québec à Hà Nôi. Il a également donné quelques leçons de conversation en français et a lui-même suivi des cours de vietnamien.

[15] Les retombées commerciales du voyage furent assez faibles sinon nulles. Monsieur Hervé Foulon, président-directeur général des Éditions Hurtubise a pour sa part participé à une mission au Viêt-nam organisée par le Forum francophone des affaires en avril 1996 sans toutefois obtenir de résultats concrets (pièce A-7, lettre du 22 mai 1996 de monsieur Foulon à monsieur Laurion).

[16] L'appelant quant à lui aurait obtenu une somme de 2 000 $ de LMSOFT en 1996 pour l'étude de marché qu'il avait entreprise en 1994. D'ailleurs, la liste des contacts établis au Viêt-nam par l'appelant n'a, étrangement, été transmise à LMSOFT que le 4 juin 1996.

[17] L'appelant n'a fait état d'aucun autre résultat de ses démarches au Viêt-nam sinon que le contrat avec LMSOFT avait été renouvelé le 29 novembre 1996 malgré l'absence totale de ventes. L'appelant affirme qu'il entretient encore des relations par correspondance avec quelques personnes au Viêt-nam. En ce qui concerne les dépenses engagées pour représenter les sociétés mentionnées au cours de son voyage de décembre 1993 à avril 1994, l'appelant affirme en avoir fait parvenir un état à chacune des sociétés. Toutefois, aucune ne l'a remboursé.

[18] Le témoignage de madame Marthe Guindon, agent d'opposition à Revenu Québec apporte, si l'on peut dire, un éclairage un peu différent sur les motifs véritables du voyage de l'appelant au Viêt-nam. D'abord, l'appelant lui a déclaré qu'il avait obtenu une demi-année sabbatique de l'université et qu'il avait utilisé cette période pour tenter l'aventure par une mission d'exploration au Viêt-nam dans le but de trouver une activité rémunératrice pour sa retraite. L'appelant a aussi dit qu'il espérait ainsi pouvoir passer les six mois d'hiver au Viêt-nam et les six mois d'été au Canada. L'appelant lui a aussi mentionné qu'il avait enseigné un peu mais en réalité que 95% de son temps avait été utilisé pour établir des contacts. Ces détails fournis par madame Guindon n'ont pas été niés par l'appelant qui lors de son témoignage additionnel a effectivement affirmé qu'il a fait “ une exploration du terrain pour pouvoir créer éventuellement une entreprise au Viêt-nam ”.

[19] Madame Guindon a aussi témoigné concernant son étude du dossier et notamment sur le fait qu'elle a remarqué que dans les états financiers soumis par l'appelant avec ses déclarations, les revenus et les dépenses reliés à des activités distinctes soit son activité d'écrivain et l'activité d'affaires au Viêt-nam étaient confondus. Elle mentionne qu'elle n'a pas exigé un état distinct car cela n'était pas nécessaire pour établir que l'appelant n'avait pas d'activité structurée de façon à pouvoir en tirer un profit.

[20] Madame Guindon dit avoir analysé tous les faits du dossier à la lumière des critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan c. Sa Majesté la Reine, [1978] 1 R.C.S. 480. Ainsi, selon elle, l'appelant est parti à l'aventure sur la seule base d'une conférence à laquelle il a assisté et des entretiens qu'il a eus avec quelques personnes, sans expérience préalable en affaires et sans planification financière ou autre avant son départ. De plus, il a accepté d'engager des dépenses élevées sans savoir s'il pouvait être remboursé ou recevoir à tout le moins suffisamment d'argent pour couvrir ses dépenses. Selon madame Guindon, l'un des motifs du voyage de l'appelant était en rapport avec son projet de retraite et consistait essentiellement, selon l'expression utilisée, en la recherche d'une entreprise à exploiter et non en l'exploitation d'une entreprise. Madame Guindon dit également avoir tenu compte du fait que l'appelant qui avait eu des activités comme écrivain jusqu'alors était effectivement à la recherche d'une activité différente en 1993 et 1994. Somme toute, madame Guindon a conclu que les activités de l'appelant au cours de son voyage de quatre mois au Viêt-nam en 1993 et 1994 n'avaient pas été exercées avec une expectative raisonnable de profit. Il s'agissait essentiellement, comme elle le note d'ailleurs en conclusion de son rapport “ [d]'une mission d'exploration ” par laquelle “ le contribuable se cherchait une activité potentiellement rémunératrice pour sa retraite ” (voir pièce I-7). Je signale également que le rapport fait état qu'elle aurait, à tout hasard lors d'une rencontre, demandé à l'appelant s'il était actionnaire de la société LMSOFT et qu'il aurait répondu par l'affirmative sans toutefois pouvoir préciser le montant de sa mise de fonds.

[21] Dans ce même rapport, madame Guindon fait état que pour l'année 1992, l'appelant avait réclamé une perte de 5 877 $ en rapport avec son activité d'écrivain. Elle mentionne “ des dépenses élevées notamment des frais de représentation, de déplacement (voyage en France et en Italie pour des recherches sur le Moyen-Âge selon le contribuable), des livres, des frais de téléphone ainsi qu'un montant de 1 500 $ pour "loyer" ”. De plus, elle signale que le contribuable est professeur d'université, qu'il est appelé à écrire dans le cadre de son travail, qu'il avait écrit un recueil de poème, un ouvrage sur la littérature médiévale et une étude de philosophie politique, qu'il reconnaissait que le marché pour ce genre d'ouvrages était très restreint et qu'il n'anticipait pas d'augmentation notable de ses revenus à cet égard. Elle a donc conclu qu'il n'y avait pas d'expectative raisonnable de profit quant à cette activité en 1992.

Position de l'intimée

[22] L'avocate de l'intimée se fonde sur les principes et les critères énoncés dans les affaires Moldowan (précitée); Tonn et al. c. Sa Majesté la Reine, 96 DTC 6001; Mastri c. Canada, [1998]1 C.F. 66 et Mohammad c. Canada, [1998] 1 C.F. 165 pour affirmer que l'appelant n'avait aucune expectative raisonnable de profit quant à ses activités au Viêt-nam en 1993 et 1994.

[23] L'avocate de l'intimée note d'abord le manque d'expérience de l'appelant et l'absence de planification des activités d'un voyage d'une durée prédéterminée de quatre mois puisqu'il avait acheté son billet à l'avance pour cette durée. Elle signale aussi l'absence d'un plan d'affaires malgré l'obtention des mandats des différentes sociétés. De plus, dit-elle, celles-ci n'avaient rien à perdre et ne s'engageaient à rien. L'appelant quant à lui pouvait obtenir un pourcentage des ventes, le cas échéant, mais sans aucune garantie. Dans certains cas, aucune commission n'est même précisée au contrat. L'appelant avait aussi payé une somme de 5 000 $ à LMSOFT. De plus, il devait personnellement engager et assumer les dépenses puisque rien ne prévoyait qu'il pouvait être remboursé.

[24] Elle souligne ensuite que le seul revenu que l'appelant a obtenu est un montant de 2 000 $ pour une liste de personnes contactées lors de son voyage et que même aujourd'hui, il n'y a aucun contrat, aucune vente et aucun débouché.

[25] Par ailleurs, quant aux dépenses réclamées, l'avocate de l'intimée en note la similitude au cours des trois années en litige soit 1992, 1993 et 1994 malgré les nouvelles activités au cours des deux dernières années. Ainsi, elle signale que les postes de dépenses sont les mêmes et que les montants réclamés sont comparables pour les trois années (pièces I-3A (1992), I-1A (1993) et I-2A (1994.) Toujours en rapport avec les dépenses, elle note également que l'appelant avait aussi voyagé en 1992 et avait réclamé la déduction de ses dépenses. Quant au voyage au Viêt-nam en 1993 et 1994, elle rappelle qu'il a aussi donné des cours et des conférences et que l'on doit considérer cet aspect personnel du voyage. Comme l'objectif de l'appelant était aussi de planifier sa retraite, elle estime que l'on doit également tenir compte de cet élément tout comme on doit le faire de l'avantage fiscal à pouvoir déduire les dépenses.

[26] Enfin, compte tenu de la nature des dépenses réclamées, l'avocate de l'intimée s'interroge sur le fait que la décision du Ministre de refuser la déduction des dépenses (ou de la perte) ne soit plus contestée par l'appelant pour 1992 mais le soit toujours pour 1993 et 1994.

Position de l'appelant

[27] L'appelant, quant à lui, estime qu'on ne saurait lui reprocher son manque d'expérience puisqu'il reconnaît qu'il débutait en affaires et qu'il était donc normal qu'il n'en ait pas. De plus, selon lui, la planification avant le départ était impossible notamment à cause des difficultés de correspondance avec le Viêt-nam. Il estime qu'en Asie les contacts ne peuvent être établis que sur place et qu'il est ainsi difficile de dresser à l'avance un plan d'affaires et de faire des projections.

[28] Quant à monsieur Altenhaus, le comptable de l'appelant, il fait valoir qu'on ne peut atteindre la rentabilité en deux ou trois ans et qu'une personne se doit de prendre des risques si elle veut réussir. Il estime qu'on ne commence pas une activité si on n'a pas une expectative de profit et qu'un contribuable ne devrait pas être pénalisé s'il subit des pertes au cours des premières années.

Analyse

[29] En 1992, un document que je peux décrire comme un état des revenus et dépenses (pièce I-3A) indique que le revenu de l'appelant au titre de redevances reçues comme écrivain s'est élevé à 275,88 $. L'appelant a déduit des dépenses de l'ordre de 7 653 00 $ réalisant ainsi une perte de 7 377,12 $. Les dépenses réclamées sont les suivantes :

Dépenses :

Loyer 1500.00

Frais de bureau 110.00

Téléphone 270.00

Livres, matériel de recherche 645.00

Relations publiques 80% x 960 768.00

Transport 1020.00

Frais de déplacements – avion, hôtel 3340.00 (7653.00)

[30] En 1993, un document semblable (pièce I-1A) indique que les redevances se sont élevées à 932,10 $. Les dépenses réclamées à l'encontre de ce revenu à titre de frais de bureau, livres, etc. sont de 932,10 $ de sorte qu'il n'y a aucun revenu mais aucune perte non plus.

[31] Par ailleurs, sous la rubrique Business – Agence des Ventes, le revenu indiqué est néant. Les dépenses réclamées sont les suivantes :

Dépenses :

Loyer 1800.00

Téléphone 295.00

Frais de bureau – disquettes 451.79

Livres, matériel de recherche 1469.23

Frais de voyage, avion, hôtels, repas 4977.88

Transport 1260.00

Conférence 45.00 (10298.90)

[32] Une perte de 10 298,90 $ est donc réclamée pour l'année.

[33] En 1994, l'état des revenus et dépenses (pièce I-2A) indique des redevances de 744,13 $. Les dépenses réclamées à titre de téléphone, bureau, loyer, livres, etc. sont également de 744,13 $ de sorte qu'ici encore il n'y a ni revenu ni perte.

[34] Sous la rubrique Business – Agence Des Ventes (Territoire Asie) le revenu indiqué est à nouveau néant. Les dépenses réclamées sont les suivantes :

Dépenses :

Loyer 1800.00

Téléphone 330.00

Frais de bureau – disquettes 465.00

Livres, matériel de promotion 715.00

Frais de déplacements – Vol, hôtel, repas 4140.00

Transport 1440.00

Licence et permis 5000.00 (13890.00)

[35] Une perte de 13 890,00 $ est donc réclamée pour l'année.

[36] L'appelant admet qu'il n'avait aucune expectative raisonnable de profit quant à ses activités d'écrivain pour 1992. L'appel de la cotisation établie pour cette année doit donc être rejeté.

[37] Évidemment, il n'y a pas lieu de déterminer si l'appelant avait ou non une expectative raisonnable de profit quant à ses activités d'écrivain en 1993 et 1994 puisque aucune perte n'a été réclamée et refusée concernant cette activité au cours de ces deux années. Toutefois, là ne s'arrête pas la question puisqu'un certain nombre de dépenses réclamées en 1992 à l'encontre du revenu de redevances sont, en 1993 et 1994, maintenant réclamées à l'égard d'une autre activité décrite comme Agence des Ventes et qui n'a, comme on le sait, généré aucun revenu au cours de ces années. Il s'agit bien sûr des dépenses réclamées sous les postes loyer, téléphone, frais de bureau – disquettes, livres, matériel de recherche et transport en 1993. Il s'agit des même postes en 1994 sauf peut-être pour le poste intitulé cette fois livres – matériel de promotion. Certes, les dépenses réclamées au montant de 4 977,88 $ au titre de frais de voyage en 1993 et au montant de 4 140 $ au titre de frais de déplacement en 1994 de même que celle de 45 $ sous le poste conférence en 1993 et celle de 5 000 $ sous le poste licence et permis en 1994 ont à voir avec le projet et le voyage de l'appelant au Viêt-nam. Toutefois, jamais il n'a été démontré que les dépenses réclamées pour les deux années sous les postes loyer, frais de bureau et transport étaient reliés d'une façon quelconque aux activités dans le cadre de ce projet. Cette preuve n'ayant pas été faite, je considère ces dépenses non déductibles puisqu'elles ne se rapportent à aucune source de revenu. Tout comme le Ministre l'a fait, je dois donc conclure qu'il s'agit de dépenses personnelles. En tout état de cause, elles ne sauraient être utilisées pour créer une perte en rapport avec les activités “ commerciales ” de l'appelant dans le cadre de son voyage au Viêt-nam puisque j'estime que l'appelant n'avait aucune expectative raisonnable de profit quant à ces activités.

[38] Le voyage au Viêt-nam avait, pour partie du moins, un caractère académique, puisqu'il s'inscrivait dans le cadre d'une demi-année sabbatique dont a bénéficié l'appelant en rapport avec son emploi de professeur à l'Université Concordia. La durée prévue de quatre mois pour le voyage avec achat du billet d'avion à l'avance s'explique d'ailleurs plus en fonction de la libération consentie dans ce cadre qu'en fonction de considérations d'affaires puisque l'appelant n'avait au départ ni connaissance ni expérience de ce que seraient précisément les affaires qu'il aurait à traiter et les relations qu'il lui faudrait établir. Il a d'ailleurs fait état de certaines activités académiques lors de son séjour tels des cours et des conférences.

[39] Quant à l'aspect du voyage que l'on pourrait qualifier de “ commercial ”, il se limite aux mandats obtenus par l'appelant avant son départ pour représenter certaines sociétés, établir des contacts ou vendre leurs produits de même qu'à la licence obtenue de LMSOFT pour la distribution de deux logiciels didactiques. À cet égard, il convient de noter que les mandats de Humanitas, de Hurtubise et de Summum ne prévoyaient aucune commission d'un montant ou d'un pourcentage défini. Dans son témoignage, l'appelant n'a pas non plus fait état d'une rémunération quelconque en rapport avec ces mandats. Même si une commission d'un pourcentage précis était prévue dans les deux autres cas, aucune des sociétés ne s'était engagée d'une façon quelconque à rembourser les frais qui seraient forcément engagés par l'appelant. D'ailleurs, à son retour, toutes se sont refusées à le faire. Le risque pour ces sociétés de confier un mandat à l'appelant était donc minimal sinon inexistant. Quant à la société LMSOFT, elle était même payée 5 000 $ pour ne prendre aucun risque.

[40] Selon l'expression que l'appelant a lui-même utilisée, son voyage était essentiellement “ exploratoire pour pouvoir créer éventuellement une entreprise ”. On ne peut donc s'étonner de l'absence totale de résultats en relation avec les mandats confiés. J'emploie le terme absence totale parce qu'aucune société n'a réalisé une vente quelconque jusqu'à ce jour, cinq ans après le voyage de l'appelant.

[41] On a fait état, il est vrai, d'une somme de 2 000 $ reçue par l'appelant de LMSOFT après les années en litige pour une liste de contacts établis au cours de son voyage au Viêt-nam pour le compte de cette société. D'abord, je signale qu'aucune rémunération de cette nature n'était prévue au contrat initial signé le 22 novembre 1993. De plus, les documents soumis en preuve démontrent effectivement que l'appelant a transmis à cette société, mais le 4 juin 1996 seulement, soit plus de deux ans après son retour de voyage, une liste des contacts établis lors de son voyage et pour laquelle il a facturé et aurait été payé une somme de 2 000 $.

[42] Je signale également que la licence de distribution de deux ans accordée à l'appelant par la société LMSOFT le 22 novembre 1993 n'a été renouvelée que le 29 novembre 1996, soit plus d'un an après son expiration.

[43] Ces faits suscitent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses. En effet, pourquoi la liste n'a-t-elle été transmise et la facturation faite à LMSOFT qu'en juin 1996 et non dès le retour de l'appelant du Viêt-nam en avril 1994 ?

[44] On sait que les cotisations qui sont l'objet des présents appels ont été établies après les cotisations de Revenu Québec pour les mêmes années. De fait, les avis se rapportant aux cotisations en litige sont en date du 9 mai 1996, du 27 juin 1996 et du 19 août 1996 pour les années 1992, 1993 et 1994 respectivement. On sait également que le rapport sur opposition de madame Guindon de Revenu Québec est en date du 22 novembre 1996 (pièce I-7, page 3).

[45] On ne peut s'empêcher de remarquer la coïncidence et se demander si l'appelant ne cherchait pas à justifier a posteriori le sérieux de ses démarches en tentant d'en démontrer la continuité. En effet, on s'explique mal autrement pourquoi il aurait attendu plus de deux ans pour transmettre la liste des contacts établis pour le compte de LMSOFT et être payé une certaine somme d'argent pour le faire. De la même façon, on s'explique difficilement le renouvellement soudain d'une licence de distribution plus d'un an après son expiration alors que pas une seule vente n'a été complétée et que l'appelant n'a pu faire état d'aucune nouvelle démarche auprès de qui que ce soit au Viêt-nam après son retour de voyage en avril 1994. Selon son propre témoignage, il ne serait plus en contact que par correspondance et avec tout au plus une ou deux personnes. De plus, il n'a jamais été démontré que cette correspondance était en rapport avec la licence de distribution de logiciels par LMSOFT.

[46] En fait, l'appelant n'a pu faire état d'aucune suite sérieuse aux démarches entreprises lors de son voyage pas plus qu'il a pu démontrer que des démarches avaient été poursuivies de façon continue et systématique par la suite.

[47] Dans l'affaire Moldowan (précitée), le juge Dickson de la Cour suprême du Canada disait à la page 485 du jugement :

Il y a d'abord eu controverse, mais il est maintenant admis que pour avoir une “ source ” de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit. L'expression source de revenu équivaut donc au terme entreprise: Dorfman c. M.R.N.2

_______________________________

2 [1972] C.T.C. 151.

et plus loin il ajoutait aux pages 485 et 486 :

Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants: l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise: La Reine c. Matthews3.

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3 (1974), 74 D.T.C. 6193.

[48] Dans l'affaire Landry c. Sa Majesté la Reine, 94 DTC 6624, le juge Décary de la Cour d'appel fédérale insiste sur le fait que les facteurs identifiés par le juge Dickson ne sont pas exhaustifs et qu'ils vont varier effectivement selon la nature et l'importance de l'entreprise.

[49] Se référant ensuite à de multiples décisions, le juge Décary énumère à la page 6500 les critères retenus par les tribunaux au fil des ans dans les termes suivants :

Outre les critères énumérés par le juge Dickson, ceux dont la jurisprudence a tenu compte, à ce jour, pour déterminer s'il y avait espoir raisonnable de profit, comprennent les suivants: le temps requis pour rentabiliser une activité de ce genre, la présence des ingrédients nécessaires à la réalisation éventuelle de profits, l'état des profits et pertes pour les années postérieures aux années en litige, le nombre d'années consécutives pendant lesquelles des pertes ont été enregistrées, l'accroissement des dépenses et la diminution des revenus au cours des périodes pertinentes, la persistance des facteurs qui causent les pertes, l'absence de planification, et le défaut d'ajustement. Par ailleurs, il ressort de ces mêmes arrêts que la bonne foi et la réputation du contribuable, la qualité du résultat obtenu, le temps et l'énergie consacrés, ne suffisent pas, en eux-mêmes, à transformer en entreprise l'exercice d'une activité.[5]

[Les références ont été omises.]

[50] Par ailleurs, dans l'affaire Tonn (précitée), la Cour d'appel fédérale a rappelé ce qui suit aux pages 75 et 76 :

L'application du critère de l'arrêt Moldowan comme critère objectif vise donc principalement à empêcher les réductions d'impôt illégitimes; le critère ne doit pas servir d'instrument permettant de faire des conjectures sur l'appréciation commerciale des contribuables. Sauf s'il en est prévu autrement dans la Loi, les erreurs de jugement n'empêchent pas un contribuable de réclamer les déductions des pertes qui en découlent. Le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'“ appréciation commerciale ” du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise.

[Les soulignés sont de moi.]

[51] Dans le cas présent, la nature personnelle de la plupart des dépenses réclamées par l'appelant comme dépenses d'entreprise est évidente. Le caractère tout à fait aléatoire de ses activités “ commerciales ” en 1993 et 1994 est également évident.

[52] Compte tenu de l'analyse qui précède, j'estime que l'appelant n'a pas prouvé objectivement que les activités en rapport avec les mandats obtenus des sociétés mentionnées lors de son voyage au Viêt-nam étaient poursuivies avec en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit au cours des années 1993 et 1994.

[53] Comme l'appelant ne conteste plus la cotisation établie pour l'année d'imposition 1992, les appels des cotisations établies pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour d'août 1999.

“ P.R. Dussault ”

J.C.C.I.

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