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Date: 19990129

Dossier: 97-3019-IT-I

ENTRE :

LYSE NADEAU,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1] Il s'agit d'appels pour les années d'imposition 1990 et 1991. Lors de l'audition, l'appelante était représentée par son fils Claude Nadeau; ce dernier, a témoigné, il était d'ailleurs beaucoup mieux informé que l'appelante elle-même sur tous les faits entourant les cotisations faisant l'objet des présents appels.

[2] Au début de l'audition, l'appelante a admis tous les faits pris pour acquis par l'intimée pour justifier les cotisations, à l'exception des allégués suivants :

...

r) suite à la série d'opération ci-haut mentionnée, un avantage fiscal a été conféré à l'appelante et le ministre a considéré comme abusif que le capital versé fiscal des actions de catégorie C ait été porté de 1 $ à 76,40 $ par action.

...

t) les nouvelles cotisations établies par le ministre le 9 juin 1994, pour les années d'imposition 1990 et 1991, ne contreviennent pas à une disposition de la Charte canadienne des droits et libertés.

[3] Le représentant de l'appelante a admis le contenu de tous les autres faits pris pour acquis au soutien des nouvelles cotisations faisant l'objet du présent appel.

[4] Les faits pour les nouvelles cotisations ne faisant l'objet d'aucun litige, l'appelante ayant admis et reconnu qu'ils étaient véridiques, il y a lieu de les reproduire :

4a) le 13 juillet 1982 l'appelante et son fils, Claude Nadeau ont constitué selon la partie 1A de la loi sur les compagnies du Québec la compagnie de portefeuille L. & C. Nadeau Ltée (la « compagnie » );

b) la compagnie détient un seul placement, soit des actions de sa filiale à part entière, Maurice Delgrave Inc. (la « filiale » );

c) la filiale exploite une entreprise de vente de meubles au détail depuis plusieurs années;

d) l'appelante et son fils, Claude, possédaient respectivement 51 % et 49 % des actions ordinaires en circulation de la compagnie;

e) en avril 1990, la valeur marchande et les attributs fiscaux des actions de la compagnie étaient les suivants :

NB Capital

Actions JVM PBR Versé

Appelante 61 467 687 $ 6 100 $ 6 100 $

Claude Nadeau 59 452 353 5 900 5 900

120 920 040 $ 12 000 $ 12 000 $

PAR ACTION 7 667 $ 100 $ 100 $

f) au début de l'année 1990, l'appelante a décidé qu'il était opportun pour elle, de se retirer du commerce de la vente de meubles au détail;

g) 2757-6958 a été constituée selon la Loi des compagnies du Québec, le 8 juin 1990 et le fils de l'appelante, Claude Nadeau en est l'unique propriétaire;

h) le 20 juillet 1990, l'appelante et son fils, Claude, ont transféré à la compagnie, leurs actions catégorie A, en considération de nouvelles actions de catégorie A de la compagnie aux valeurs suivantes;

NB Capital légal

Actions JVM PBR Versé

Appelante 61 A 467 687 $ 467 687 $ 6 100 $

Claude Nadeau 59 A 452 353 400 000 5 900

120 A 920 040 $ 867 687 $ 12 000 $

PAR ACTION 7 667 $ 7 667 $ 100 $

i) le 20 juillet 1990 le fils de l'appelante, Claude Nadeau souscrit et paye 100 $ pour 100 actions de catégorie B;

j) le 24 juillet 1990, la compagnie a modifié ses statuts de la façon suivante :

i. la totalité des actions autorisées et non émises est annulée;

ii. un nombre illimité d'actions catégorie A, B, C et D a été créé sans valeur nominale;

iii. les 120 actions, décrites au paragraphe 4.e), sont converties en 120 actions de catégorie A, décrites au paragraphe 4.g);

iv. chacune de ces nouvelles actions est participante, donne droit à un vote et est échangeable en une action de catégorie C ou D au gré du détenteur et au gré de la compagnie;

v. chaque action de catégorie A émise et en circulation est fractionnée en 100 actions;

vi. les actions de catégorie B ont les droits habituels des actions ordinaires;

vii. les actions de catégorie C :

I) n'ont pas droit de vote

II) peuvent être rachetées au gré du détendeur à la valeur marchande reçue par la compagnie en considération de leur émission;

III) donnent droit à un dividende cumulatif de 10 % calculé sur le prix de rachat et en priorité sur les actions de catégorie A, B et D;

viii. les actions de catégorie D ont les mêmes droits, privilèges et restrictions que les actions de catégorie C, toutefois le dividende est de 9 % et il doit être payé en priorité aux actions de catégorie A et B;

k) le 31 juillet 1990, l'appelante et son fils Claude Nadeau échangent leurs actions de catégorie A pour de nouvelles actions de catégorie C et D aux valeurs suivantes :

NB Capital légal

Actions JVM PBR Versé

Appelante 6100C 467 687 $ 467 687 $ 6 100 $

Claude Nadeau 5900D 452 353 400 000 5 900

PAR ACTION 76,67 $ 76,67 $ 1,00 $

l) le 8 août 1990, 2757-6958 Québec Inc. « 2757-6958 » souscrit et paye 460 000 $ pour une action de catégorie C de la compagnie et ainsi le capital versé de la catégorie C de la compagnie passe de 6 100 $ à 466 100 $ et le capital versé de chaque action qui était de 1,00 $ est devenu 76,40 $ ((460 000 $ + 6 100 $)/6 101);

m) 2757-6958 a emprunté la somme de 460 000 $ de la Banque Nationale du Canada (la « Banque » ) payable sur billet à demande lequel est garanti par l'appelante et son fils, Claude Nadeau;

n) le 9 août 1990, la compagnie rachète l'action de catégorie C détenue par 2757-6958 pour 460 000 $ et cette dernière rembourse la Banque et paye 198,49 en frais d'intérêts;

o) 2757-6958 a déclaré avoir reçu un dividende réputé de 459 924 $ en 1990 et cette dernière n'avait effectué, à date de la cotisation, aucune autres opérations que celles mentionnées ci-dessus;

p) le 17 août 1990, l'appelante et son fils Claude Nadeau ont convenu à titre d'actionnaires de la compagnie de faire en sorte que cette dernière rachète de l'appelante à tous les ans 407 actions de catégorie C, à compter de 1990 et au cours des treize années suivantes et 402 actions la quinzième année, au prix de 76,67 $ par action;

q) l'appelante a demandé à la compagnie de racheter les actions de catégorie C aux dates suivantes :

Date Nombre d'actions

- 20 août 1990 237 actions

- 28 décembre 1990 170 "

- 24 avril 1991 136 "

- 29 août 1991 136 "

- 26 décembre 1991 135 "

r) suite à la série d'opération ci-haut mentionnée, un avantage fiscal a été conféré à l'appelante et le ministre a considéré comme abusif que le capital versé fiscal des actions de catégorie C ait été porté de 1 $ à 76,40 $ par action.

s) l'appelante n'ayant pas déclaré les dispositions desdites actions de catégorie C dans ses déclarations de revenus des années d'imposition 1990 et 1991, le ministre a donc considéré un dividende présumé de 38 498 $ dans chacune de ces années-là;

t) les nouvelles cotisations établies par le ministre le 9 juin 1994, pour les années d'imposition 1990 et 1991, ne contreviennent pas à une disposition de la Charte canadienne des droits et libertés.

[5] Après avoir admis et, par la suite, répété que les faits allégués étaient exacts, l'appelante a soutenu que la planification fiscale au centre du litige avait été conçue et concrétisée par des experts en la matière et que toutes les dispositions de la Loi avaient été rigoureusement respectées.

[6] De ce fait, elle concluait que l'intimée s'était arbitrairement prévalue des dispositions relatives à l'évitement fiscal, invoquant du même souffle, la Charte canadienne des droits et libertés pour soutenir que la relation mère-fils était à l'origine d'un traitement injuste et tout à fait discriminatoire.

[7] Claude Nadeau a répété constamment que le tout avait été exécuté de façon régulière, légitime et légale; selon ce dernier, le ministère ne pouvait pas émettre de nouvelles cotisations et de ce fait, lesdites cotisations devaient être annulées parce qu'elles étaient abusives, injustes et discriminatoires.

[8] L'appelante n'a jamais vraiment soumis de preuve pour soutenir ses prétentions; ses interventions se sont limitées à répéter que si sa mère avait vendu à un tiers, elle aurait vu son fardeau fiscal considérablement diminuer. Bien que le Tribunal ait insisté pour qu'elle précise les motifs lui permettant de tirer de telles conclusions, l'appelante n'a jamais pu articuler et démontrer de façon claire, nette, précise et cohérente l'objet de ses prétentions.

[9] D'ailleurs, le contenu de l'avis d'appel signé le 15 septembre 1997 est beaucoup plus étoffé et élaboré que la preuve soumise au Tribunal, laquelle fut principalement constituée du témoignage de son fils Claude.

[10] Je crois donc utile de reproduire le contenu de l'avis d'appel en date du 15 septembre 1997 :

Ste-Julie, le 15 septembre 1997

Revenu Canada

500 Place D'Armes

Bureau 1800

MONTRÉAL, QC

H2Y 2W2

AVIS D'APPEL

Lyse Nadeau

NAS: 212-910-418

Madame/Monsieur,

En référence à l'avis de ratification par le ministre, formule T-2008A datée du 25 août 1997 par Claude Grégoire, chef des appels, B.S.F. Montérégie-Rive-Sud, nous interjetons appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt par la « procédure informelle » .

Le ministre prétend :

Que la série d'opérations par laquelle les actions ordinaire de L. & C. Nadeau Ltée ont été converties en actions de la catégorie [[C]] avec l'émission immédiate et rachat d'une telle action détenue par 2757-6958 Québec Inc., a eu lieu dans les circonstances où l'opération est une opération d'évitement au sens du paragraphe 245(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu; par conséquent vous êtes réputée avoir reçu un dividende s'élevant à 30 798 $ pour chacune des années 1990 et 1991, lors de l'acquisition par L. & C. Nadeau Ltée d'actions de la catégorie [[C]] vous appartenant, en conformité des dispositions du paragraphe 84(3) de la Loi.

Nous interjetons appel parce que la résultante de la série d'opérations était d'arriver au même résultat que si Mme Nadeau avait disposé de ses actions à un tiers.

Cette transaction n'est pas contraire à la Loi. Elle n'est pas un abus de la Loi lu dans son ensemble. La Loi contient un certain nombre de règles spécifiques qui ne trouve pas application dans notre cas. La non-application de ces multiples règles ne peut constituer un abus de la Loi lu dans son ensemble.

La Loi est incorrecte : ces opérations ne peuvent entraîner un abus de la Loi quand la Loi abuse d'une personne. Selon la Charte de droits et libertés, le gouvernement fédéral ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent respecter cette Charte qui protège entre autres choses; les droits à l'égalité pour tous.

Le ministre du revenu par l'application de la règle générale anti-évitement réduit le capital versé des actions qui suite au rachat engendre un dividende au lieu d'un gain en capital. L'application de cette règle anti-évitement va à l'encontre de la Charte des droits et libertés de la personne qui dit à l'article 15-1 :

Droits à l'égalité : la Loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la Loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race ...

Donc, il y a ici discrimination, et, lésé par la loi anti-évitement, nous recourons à votre tribunal tel que le prévoit l'article 24-1 de la Charte :

Recours : toute personne victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

C'est pourquoi : cette transaction, ayant été faite à la juste valeur marchande, ce que le ministre a accepté, n'accorde pas plus d'avantage fiscal à Mme Nadeau que si elle avait disposé de ses actions en faveur d'un tiers.

Résumons-nous : Pourquoi Mme Nadeau serait-elle imposée sur le fruit, le bénéfice de ses 30 années de travail chez Delgrave Meubles et devrait-elle payer de l'impôt sur un (dividende) rachat d'actions par quelqu'un qui a un lien de parenté avec elle, alors que si elle vendait à un étranger ce serait considéré comme une disposition d'actions (gain en capital) à un tiers et libre d'impôt.

C'est une atteinte aux droits et libertés de la personne et nous vous demandons de corriger cette injustice.

LYSE NADEAU

LN/sp

[11] Devant le Tribunal, le représentant de l'appelante a essentiellement fait état d'affirmations gratuites; il s'est constamment référé à un document manuscrit qu'il a indiqué être l'essentiel des prétentions de l'appelante.

[12] Compte tenu de l'importance donnée par l'appelante à ce document, qui a d'ailleurs constitué l'essentiel de la preuve (pièce A-1), je crois également important d'en reproduire le contenu qui se lit comme suit :

M. le Juge, nous ne nions pas les argumentations du Ministre car, la résultante de la série d'opération était d'arriver au même résultat que si Mme Nadeau avait disposé de ses actions à un tiers; mais, nous contestons sa conclusion.

Nous N'avons pas abusé de la Loi en appliquant certaines de ses dispositions, nous avons seulement structuré la vérité tel que permis par la Loi, de façon à en maximiser le rendement fiscal tant pour le vendeur que pour l'acheteur.

En équité, la transaction est irréprochable. Mais parce que le vendeur est Mme Nadeau et l'acheteur, moi son fils, il y a présomption de la part du Ministre de je ne sais quoi, fraude ou culpabilité??? Mais la intelligible??.en ce que Mme Nadeau est très lourdement pénalisé.

Que l'acheteur soit n'importe qui d'autre, à part quelqu'un avec un lien de parenté, et, Mme Nadeau réaliserait un gain en capital; exactement, comme quand, en 1982, nous avons acheté le commerce, Maurice Delgrave Inc.. L'ancien propriétaire fondateur,. M. Maurice Delgrave, a réalisé un gain en capital.

Dans ce cas ci, le raisonnement du Ministre, rendu possible, seulement, grâce à la disposition générale anti-évitement, qui permet aux autorités fiscales d'ignorer l'application de toute autre disposition de la Loi, va à l'encontre de l'article 15-1 de la Charte des droits et libertés de la personne qui dit que :

« tous ont droit au même bénéfice de la Loi » .

Dans ce cas-ci, la conclusion, du raisonnement du Ministre, est une application, abusive, injuste, discriminatoire et fautive du système fiscal.

Tout ce que nous demandons, c'est d'être traité d'une façon juste et équitable, c'est à dire : comme Mme Nadeau serait traitée si elle avait disposé de ses actions à un tiers.

Tout ce que nous demandons, c'est le même bénéfice de la Loi, le bénéfice d'une disposition d'actions à un tiers.

Merci

[13] En cours d'instance, le Tribunal a indiqué et répété à l'appelante et son représentant que le fardeau de la preuve leur incombait; en d'autres termes, je leur ai clairement mentionné qu'il devait démontrer, par une prépondérance de la preuve, le bien-fondé de leurs prétentions.

[14] La preuve a établi que l'appelante avait voulu vendre à son fils Claude plutôt qu'à un tiers ses actions, soit 51 %; son fils Claude Nadeau était lui-même détenteur de 49 % des actions de la même compagnie « L. & C. Nadeau Ltée » .

[15] L'appelante et son fils avaient cependant des préoccupations très spécifiques quant à la façon de réaliser la transaction, mais surtout sur les conséquences et implications fiscales de cette même transaction.

[16] En effet, ils voulaient que la plus-value acquise par les actions profite et bénéficie au fils de l'appelante. D'autre part, comme le fils n'avait pas la capacité financière de payer la valeur des actions, il devenait nécessaire, mais aussi plus sécuritaire pour l'appelante, que ses actions soient d'abord achetées par la compagnie.

[17] L'appelante et son fils ont donc confié le mandat à la firme Maheu et Noiseux, aux fins qu'elle structure et planifie le transfert des actions dont le résultat permettrait d'atteindre spécifiquement les objectifs suivants :

L'appelante devrait recevoir la juste valeur marchande pour ses actions.

Son fils Claude devrait obtenir la plus-value de la compagnie L. & C. Nadeau Ltée.

L'appelante devrait assumer un minimum d'impôt des suites du transfert de ses actions.

L'appelante et son fils Claude devraient bénéficier de l'exonération du gain en capital.

[18] Pareil mandat nécessitait un travail laborieux et complexe. Les experts retenus ont élaboré différents scénarios, qu'ils ont soumis à l'appelante et son fils.

[19] L'appelante a retenu la planification dont les conséquences étaient les moins coûteuses en terme de fardeau fiscal et ce, bien que le projet proposé, fasse état de la possibilité d'un questionnement en vertu de la règle générale anti-évitement prévue par l'article 245(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ), qui se lit comme suit :

En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

[20] La mécanique du scénario retenu a été décrite à la Réponse à l'avis d'appel, dont les paragraphes pertinents ont été reproduits aux pages précédentes du présent jugement.

[21] Pour soutenir le bien fondé de la cotisation, l'intimée a plaidé les trois motifs suivants :

Une transaction incomplète;

l'utilisation de catégorie d'actions distinctes; et

le recours à la règle générale anti-évitement.

[22] L'intimée a d'abord soutenu que la compagnie L. & C. Nadeau Ltée ne pouvait, le 8 août 1990, augmenter le capital versé de la catégorie des actions « C » , car lorsque la compagnie 2757-6958 Québec Inc. lui a remis un chèque au montant de 460 000 $, il n'y avait pas eu paiement pour lesdites actions.

[23] Soutenant qu'il n'y avait pas eu d'augmentation du capital versé des actions « C » , l'intimée a plaidé que le capital était demeuré à 6 100 $, correspondant à 1 $ par action. Elle conclut ainsi que le rachat des actions en 1990 et 1991 devait se traduire par un dividende réputé de 75,67 $ pour chaque action, le tout conformément aux dispositions du paragraphe 84(3) de la Loi.

[24] Pour conclure aux dividendes réputés de 75,67 $ pour chaque action, l'intimée s'appuie sur l'article 123.61 de la Loi sur les compagnies, à l'effet qu'une compagnie ne peut augmenter le montant de son capital-actions émis et payé que si un règlement à cette fin a été adopté, à moins que l'augmentation ne résulte du paiement des actions. D'autre part, elle fonde ses prétentions sur le principe consacré par la jurisprudence que la substance d'une opération doit primer sur sa forme.

[25] En l'espèce, il a été très clairement établi que l'opération du 8 août était certes réelle, mais totalement vide de sens en ce que l'émission de la seule action en contrepartie d'un chèque de 460 000 $ n'avait et ne visait qu'un seul but : assurer la logique et la continuité pour atteindre le but recherché.

[26] Ce constat est particulièrement renforcé par des faits significatifs ne prêtant à aucun équivoque possible. Le fameux montant de 460 000 $ s'est essentiellement avéré être une simple opération comptable sans aucun effet réel sur les parties associées aux opérations. En effet, il fut prévu que dans les heures qui suivraient l'émission de l'action, celle-ci ferait l'objet d'un rachat et la considération retournée aussitôt à la banque, qui avait prêté le montant.

[27] Non seulement la compagnie L. & C. Nadeau Ltée a cautionné l'emprunt au montant de 460 000 $, elle a laissé le montant du prêt en garantie de l'emprunt. En d'autres termes, l'argent n'a jamais quitté la banque et ce, bien que la compagnie ait déboursé un montant de 198,49 $ à titre d'intérêts.

[28] La remise du chèque de 460 000 $ par la compagnie 2757-6958 Québec Inc. à L. & C. Nadeau Ltée s'avérait être le paiement pour la seule action émise par la compagnie L. & C. Nadeau, laissant ainsi croire que le capital versé à la catégorie classe C avait été augmenté de 460 000 $.

[29] S'agissait-il d'une augmentation réelle? La réponse est importante puisqu'il y a là l'élément déterminant permettant d'évaluer si la forme a surclassé sur la substance.

[30] Le montant de 460 000 $ est certes un paiement formel mais l'est-il en substance? Il est intéressant de prendre en considération certains articles du Code Civil du Bas Canada ayant trait à la notion de paiement.

1139. Par paiement on entend non seulement la livraison d'une somme d'argent pour acquitter une obligation, mais l'exécution de toute chose à laquelle les parties sont respectivement obligées.

1140. Tout paiement suppose une dette; ce qui a été payé sans qu'il existe une dette est sujet à répétition.

La répétition n'est pas admise à l'égard des obligations naturelles qui ont été volontairement acquittées.

[31] En l'espèce, la compagnie L. & C. Nadeau Ltée a reçu le chèque mais la preuve a démontré qu'elle n'avait jamais eu la liberté d'en disposer à son gré; il était préalablement convenu que l'emprunt serait simplement remboursé.

[32] L'ensemble des faits entourant les diverses transactions soutiennent totalement le bien-fondé des prétentions de l'intimée à l'effet que la continuité des opérations ne visait qu'un but: réduire le fardeau fiscal. En d'autres termes, la forme a été la caractéristique des opérations exécutées; il n'y a jamais eu d'effets ou conséquences réels sur le patrimoine des entités concernées.

[33] Ces mêmes faits supportent également le deuxième argument de l'intimée à l'effet qu'il s'agissait d'une transaction incomplète.

[34] Bien que l'intimée allègue également le manquement au principe d'égalité des actions de la même catégorie, j'enchaînerai immédiatement avec le dernier argument de l'intimée voulant que la règle générale anti-évitement doit s'appliquer.

[35] Il s'agit là d'une question fort intéressante qui n'a pas fait l'objet d'une jurisprudence très abondante. L'intimée a cité deux décisions fort importantes sur l'article 245 de la Loi. Il s'agit de :

William J. McNichol et al et Sa Majesté la Reine, 94-1577(IT)G, 94-1578(IT)G, 94-1579(IT)G, 94-1667(IT)G

RMM Canadian Enterprises Inc. ET Equilease Corporation et Sa Majesté La Reine, 94-1732(IT)G et 94-1753(IT)G

[36] Dans un premier temps, je crois opportun de reproduire le contenu des dispositions relatives à l'évitement fiscal :

245(2) En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

245(3) L'opération d'évitement s'entend:

a) soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b) soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables – l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

245(4) Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble – abstraction faite du présent article – n'est pas visée par le paragraphe (2).

[37] Pour conclure à l'application des dispositions relatives à l'évitement fiscal, il est nécessaire de retrouver les trois éléments suivants:

un avantage fiscal

une opération d'évitement

abus de la Loi

[38] L'avantage fiscal se définit comme suit :

Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

[39] Sur cette question, la preuve est déterminante; en effet, l'appelante a admis avoir retenu la planification proposée par ses experts, à cause de l'avantage fiscal.

[40] Avec cette formule, l'appelante retirait les surplus accumulés dans la compagnie sans s'imposer sur un dividende.

[41] Dans un second temps, il faut se demander si l'opération qui a donné lieu à l'avantage fiscal devait être exclue de l'application du paragraphe 245(3) de la Loi, sur la base qu'il était raisonnable de considérer que l'opération était principalement effectuée pour des objets véritables. Il est important de rappeler que l'obtention d'un avantage fiscal n'est pas considérée comme un objet véritable.

[42] Bien qu'il soit légitime et normal qu'un contribuable organise et planifie ses affaires pour payer le moins d'impôt possible, il ne doit toutefois pas initier des actions dont le but exclusif est de réduire le montant d'impôt qu'il devrait assumer autrement.

[43] En d'autres termes, un contribuable ne peut pas participer à un acte ou une transaction dont le seul objet véritable est l'obtention d'un avantage fiscal sans s'exposer à voir son dossier traité comme si ledit acte ou ladite transaction n'avait jamais eu lieu.

[44] Le jugement de l'honorable juge Bonner dans l'affaire William J. McNichol et al (supra) enrichit la compréhension de ces dispositions lorsqu'il s'exprime comme suit :

...Il n'est pas nécessaire ou utile de tenter de formuler de nouveau le critère énoncé au paragraphe 245(4) d'une façon compatible avec chaque mot des versions anglaise et française. Il suffit de noter que, quelle que soit l'interprétation donnée au paragraphe 245(4), l'opération ici en cause, qui était un exemple classique de dépouillement de surplus, ou faisait partie de pareil exemple, ne peut pas être exclue de l'application du paragraphe (2). Somme toute, le surplus de Bec était pour le moins indirectement utilisé en vue du financement du prix versé aux appelants à l'égard de leurs actions. Les appelants ont cherché à réaliser la valeur économique du surplus non réparti de Bec au moyen d'une opération qualifiée de vente d'actions donnant lieu à un gain en capital plutôt que de la distribution d'un dividende de liquidation imposable en vertu de l'article 84. Le texte de la Loi exige que la distribution des biens d'une compagnie aux actionnaires soit considérée comme imputable au revenu. En général, la forme que prennent pareilles distributions importe peu. D'une part, des fonds ou des biens qu'une corporation distribue régulièrement à ses actionnaires à titre de dividende auquel ces derniers ont droit en vertu des droits contractuels inhérents à leurs actions constitue un revenu en vertu de l'alinéa 12(1)j) de la Loi. D'autre part, l'article 15 de la Loi, dont la portée est plus étendue que celle de l'ancien article 8, démontre que le législateur voulait imposer au titre du revenu tous les fonds ou biens distribués à un actionnaire par une corporation, même ceux d'une nature moins orthodoxe qu'un dividende ordinaire.

[...]

Avant d'adopter l'article 245, le législateur a remédié à la pratique relative au dépouillement du surplus au moyen de l'ancien paragraphe 247(1) de la Loi. Cette disposition a été abrogée au moment où l'article 245 est entré en vigueur et, par conséquent, je ne dirai pas qu'elle s'applique en l'espèce. Toutefois, à mon avis, l'abrogation de la disposition en question ne peut pas être considérée comme permettant de conclure que le législateur voulait relâcher les restrictions imposées à l'égard du dépouillement du surplus. Compte tenu de ce qui précède, les appelants ne peuvent pas invoquer le paragraphe 245(4). L'opération en question qui était destinée à assurer la distribution du surplus de Bec, à tous les égards sauf en ce qui concerne la forme, donne lieu à un abus des articles 38 et 110.6 ainsi que des dispositions de la Loi lue dans son ensemble, celle-ci prévoyant que la distribution de biens de la compagnie aux actionnaires doit être considérée comme un revenu entre les mains de ces derniers. Il ressort de l'article 245 dans son ensemble, et en particulier de l'alinéa 245(5)c), que la disposition vise entre autres à contrecarrer les opérations qui violent la Loi en tirant parti de la différence qui existe entre l'effet de l'opération, considéré d'une façon réaliste, et son effet apparent, compte tenu uniquement de sa forme juridique. Pour l'application de l'article 245, on ne saurait qualifier une opération en se fondant uniquement sur sa forme. Je dois donc conclure que l'article 245 de la Loi s'applique à la présente opération.

[45] L'honorable juge Bowman ajoutait dans l'affaire RMM Canadian Enterprises ET Equilease Corporation (supra) à la page 30 et 31 :

...la Loi, considérée dans son ensemble, prévoit que la répartition du surplus d'entreprise entre les actionnaires doit être imposée à titre de paiement de dividendes. Une opération qui est par ailleurs dépourvue de tout objectif commercial, et dont le but réel est de dépouiller le surplus de l'entreprise et d'éviter les conséquences ordinaires de pareille répartition, constitue un abus de la Loi dans son ensemble.

[46] Dans le présent dossier, est-ce que l'opération au terme de laquelle la compagnie 2757-6958 Québec Inc. a souscrit une seule action de catégorie C du capital-actions de l'autre compagnie L. & C. Nadeau Ltée avait un objet véritable? Quel était le but de cette opération?

[47] Je dois répondre à cette question par la négative puisque la preuve a clairement démontré que le seul objet sous-jacent n'avait qu'un seul but véritable : l'avantage fiscal. L'opération visait essentiellement le rachat des actions par l'appelante pour éviter d'être qualifié comme dividende et ainsi se soustraire aux conséquences inhérentes.

[48] En l'espèce, la preuve n'a fourni aucune explication ou justification permettant de conclure que l'opération était utile ou avait généré des effets autres que l'avantage fiscal. Tout avait été orchestré pour dépouiller la compagnie de ses surplus, ce qui en soit est suffisant pour conclure à un abus des dispostions de la Loi.

[49] La Loi par le biais de plusieurs dispositions prévoit qu'un actionnaire ne peut retirer les surplus accumulés dans la compagnie en sus du capital versé autrement que par la formule dividende. Conséquemment, toute opération ou série d'opération visant à réaliser indirectement ce que la Loi ne permet pas de faire directement est abusif.

[50] Tout paiement sous forme de dividende est assujetti à une imposition. La règle est donc qu'une corporation ne peut pas se départir des surplus accumulés en faveur de ses actionnaires autrement que par le biais d'un dividende. Le capital versé ou investi ne fait évidemment pas partie des surplus.

[51] En l'espèce, le capital investi par l'appelante pour les actions de la catégorie C avait été de 6 100 $. Au moment de l'opération en 1990, ses actions avaient une juste valeur marchande de 467 687 $. Tout retrait portant sur la différence devait être considéré comme dividende.

[52] Dans les faits, la preuve a démontré que l'opération consistait essentiellement à permettre à l'appelante de dépouiller la compagnie des surplus accumulés autrement que par la mécanique dividende.

[53] Si cela ne constituait pas une utilisation abusive des dispositions de la Loi, l'appelante n'en a pas fait la preuve. Elle a essentiellement soutenu que le tout était légal d'une part, et d'autre part, que si l'intimée s'appuyait sur la règle générale anti-évitement cela était discriminatoire et contraire aux dispositions du paragraphe 15.1 de la Charte des droits et libertés de la personne.

[54] Encore là, la preuve n'a pas été très convaincante puisque l'appelante a soutenu essentiellement qu'elle était pénalisée du fait d'avoir vendu à son fils. En quoi et pourquoi? L'appelante ne l'a pas démontré et n'a pas cru bon élaborer ou fournir des motifs pour soutenir le bien-fondé de ses prétentions.

[55] L'intimée a d'abord soulevé que cette question de la Charte ne pouvait être invoqué du fait qu'aucun avis à cet effet n'avait pas été donné au Procureur général du Canada. Or il semble que les avis aient bel et bien été donnés mais possiblement mal dirigés.

[56] Je ne crois pas que l'appelante puisse invoquer le paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés de la personne relatif aux droits à l'égalité pour attaquer la mesure anti-évitement prévu par l'article 245 de la Loi.

[57] Au moment où l'appelante a décidé de céder le contrôle de la compagnie à son fils, plusieurs scénarios étaient possibles pour la réalisation de son projet.

[58] Comme toute personne sage et bien avisée, elle a consulté des spécialistes pour se faire conseiller et guider de manière à ce que tous ses objectifs soient atteints. Le fait que son fils soit au centre de l'éventuelle acquisition a, sans doute, contribué à une plus grande flexibilité de sa part; en d'autres termes, l'appelante était sans doute plus collaboratrice et plus conciliante eu égard à l'intérêt certain et normal que le commerce demeure dans la famille.

[59] Cela étant, les experts retenus ont étudié et analysé toutes les données et tenu compte des préoccupations particulières de l'appelante et de son fils; ils ont suggéré différentes formules en y décrivant les conséquences sur le plan fiscal. La planification retenue était manifestement la moins coûteuse au niveau des impôts à payer; elle était, par contre, risquée quant à son appréciation éventuelle par le fisc.

[60] N'ayant pas passé le test, l'appelante soulève la discrimination en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés de la personne.

[61] Je ne crois pas au bien-fondé d'une telle prétention étant donné que la cotisation découle essentiellement du choix qu'elle a elle-même fait et accepté en toute connaissance.

[62] Je crois opportun et pertinent de reprendre un extrait du jugement de l'honorable juge Bowman de cette Cour dans l'affaire Dr John V. Hover c. M.R.N. 90-2976(IT) aux pages 3, 4 et 5 de la version française :

...De façon générale, on pourrait affirmer que toute loi fiscale qui prescrit des traitements différents selon les catégories de personnes est discriminatoire envers ces catégories. Or, de telles distinctions foisonnent dans la Loi. Le traitement réservé aux agriculteurs diffère de celui appliqué aux personnes qui exercent des activités de fabrication, lesquelles sont traitées différemment de celles qui oeuvrent dans le domaine de l'extraction des ressources. Les employés sont traités différemment des gens d'affaires. Les personnes mariées ne sont pas traitées de la même façon que les célibataires[1].

Il faut se rendre compte que les lois fiscales ont des objectifs économiques et sociaux qui dépassent, et de loin, la simple collecte de deniers. De plus, il est difficile de concevoir comment un État industrialisé moderne comme le Canada pourrait éviter d'établir de telles distinctions dans ses lois fiscales. De prime abord, ces distinctions peuvent sembler arbitraires et même injustes. L'appelant a posé carrément la question de savoir si la catégorie dans laquelle le relégue, sur le plan fiscal, la cotisation établie par le ministre en application de l'article 31 n'enfreint pas son droit à l'égalité selon la Charte.

Lorsque l'on se penche sur cette question, il est impossible d'examiner l'article 31 isolément ou de tenter de l'extraire du régime complexe qui s'applique à l'ensemble des agriculteurs sur le plan fiscal. Les agriculteurs de la catégorie II ne sont pas les seuls à recevoir un traitement spécial. L'ensemble des agriculteurs jouit de toute une gamme d'avantages qui ne sont pas consentis aux autres contribuables dont, pour ne citer que quelques exemples, le droit d'utiliser la méthode de la comptabilité de caisse, les transferts libres d'impôt des entreprises agricoles familiales, la déduction pour amortissement accéléré de certains biens, la possibilité de passer en dépenses courantes certains postes qui seraient autrement considérés comme des immobilisations, l'établissement de moyennes ainsi que la dispense de verser des acomptes provisionnels trimestriels. De nombreux autres exemples pourraient être donnés; tous démontrent qu'il est presque impossible de qualifier de discriminatoire un élément d'un code fiscal complexe ayant trait à une partie donnée de la collectivité sans porter atteinte au système global prévu par le Parlement. Comme l'indiquait le juge McIntyre dans l'arrêt Andrews à la page 303 :

[VERSION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Ce ne sont pas toutes les distinctions ou différences de traitement devant la loi qui portent atteinte aux garanties d'égalité de l'art. 15 de la Charte. Il est certes évident que les législatures peuvent et, pour gouverner efficacement, doivent traiter des individus ou des groupes différents de façons différentes. En effet, de telles distinctions représentent l'une des principales préoccupations des législatures. La classification des individus et des groupes, la rédaction de différentes dispositions concernant de tels groupes, l'application de règles, de règlements, d'exigences et de qualifications différents à des personnes différentes sont nécessaires pour gouverner la société moderne.

Pour avoir gain de cause sur ce point, l'appelant doit établir que la discrimination dont il prétend être victime est fondée sur les motifs énumérés à l'article 15 de la Charte ou sur des motifs analogues. L'appelant soutient que la [TRADUCTION] « minorité discrète et isolée » [2] dont il fait partie est celle des agriculteurs qui ont d'autres sources de revenu et que le seul fait qu'un traitement spécial leur soit réservé en vertu de l'article 31 rend ce traitement discriminatoire pour des motifs analogues à ceux qui sont énumérés à l'article 15.

Je suis, en dépit de l'argumentation exhaustive et soignée de Me Shea, dans l'impossibilité d'accepter cet argument. Un monde sépare les personnes qui reçoivent un traitement inéquitable en application de la loi du fait de caractéristiques personnelles qui échappent à leur volonté, comme la race, la couleur, le sexe, l'âge, la nationalité ou les déficiences mentales ou physiques, et celles qui choisissent volontairement une forme d'activité économique assortie d'un ensemble d'avantages et de désavantages sur le plan fiscal. Ce dernier groupe de personnes ne forme pas, à mon avis, une minorité discrète et isolée au sens qui est donné à cette expression dans l'arrêt Andrews. Ces personnes ne peuvent invoquer la Charte pour se soustraire aux fardeaux fiscaux des activités économiques qu'elles ont choisies, tout en en conservant les avantages. Admettre cette prétention serait fausser l'objet de la Charte[3].

[63] Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de janvier 1999.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.



[1]           Je ne veux pas que l'on pense que je souscris à l'observation formulée par le juge Galligan, de la Cour de l'Ontario, dans l'affaire Ontario Public Service Employees Union et al. v. The National Citizens Coalition Inc. et al., 87 DTC 5270, à la page 5272, lorsqu'il affirme, au sujet de la Charte : [TRADUCTION] « [I]l nous semble qu'invoquer cette très importante loi constitutionnelle pour tenter de soupeser et d'évaluer les rouages internes des lois fiscales, c'est bien peu la respecter » .

            La Charte constitue la loi suprême au Canada. Il est juste d'affirmer que la Loi de l'impôt sur le revenu s'applique à plus de Canadiens que toute autre loi fédérale. J'ai du mal à voir comment on peut manquer de respect à la Charte en soumettant au besoin une loi fiscale si importante à l'examen minutieux des tribunaux à la lumière de la Charte.

[2]            Décision U.S. v. Carolene Products Co., 304 U.S. 144, aux pages 152 et 153, cité dans l'arrêt Law Society of British Columbia v. Andrews.

[3]           Après la présentation des arguments en l'espèce, on a porté à mon attention une décision (Re Finkle, prononcée le 19 janvier 1992) rendue par Mme le juge Reed de la Cour fédérale, à titre d'arbitre à l'audition d'un appel en matière d'assurance-chômage. Celle-ci a rejeté l'appel parce que la qualité de membre des forces armées de l'appelant ne constituait pas une « caractéristique personnelle » analogue aux motifs énumérés à l'article 15 de la Charte. L'appelant ne pouvait donc pas invoquer l'article 15 de la Charte pour se soustraire au traitement spécial que lui réservait l'alinéa 14c) du Règlement sur l'assurance-chômage. Cette décision renferme une analyse utile en l'espèce. J'ai pensé à convoquer à nouveau les avocats pour débattre de l'effet de cette affaire mais, comme de toute façon elle venait à l'appui de la conclusion à laquelle je suis arrivé, je n'ai pas cru bon de le faire. Voir : In re Lawrence's Will Trusts, [1972] Ch. 418, aux pages 436 et 437.

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