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Date: 20000331

Dossier: 97-3044-IT-G

ENTRE :

MIN SHAN SHIH,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan, C.C.I.

[1] Sont en cause en l'espèce les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994. Pendant ces années, l'appelant était employé à Taïwan et tenait un appartement là-bas, tandis que sa conjointe et ses trois fils résidaient à Regina, en Saskatchewan. Au cours de chacune des années, l'appelant a produit une déclaration de revenus au Canada en ne déclarant que de petits montants de revenus de placements et en indiquant comme son adresse celle de la maison où sa conjointe et ses trois fils résidaient à Regina. En août 1996, Revenu Canada a établi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour les quatre années d'imposition en se fondant sur les hypothèses selon lesquelles l'appelant était un résident du Canada et que son revenu de toutes provenances était soumis à l'impôt au Canada. L'appelant a interjeté appel à l'encontre de ces cotisations. L'unique question dans les présents appels est celle de savoir si l'appelant était un résident du Canada au cours de toutes les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 ou de l'une d'entre elles.

[2] Au début de l'audience, l'avocat de l'intimée a reconnu que la nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1992 a été établie en dehors du délai de prescription prévu au paragraphe 152(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu et, comme l'appelant n'avait pas produit de renonciation relativement à cette année, la nouvelle cotisation était prescrite. En conséquence, l'intimée a reconnu que l'appel relatif à l'année d'imposition 1992 devait être admis sans égard au résultat portant sur les trois autres années.

[3] Immédiatement avant l'audience, les avocats se sont rencontrés et ont convenu de certains faits. Lorsque l'audience a commencé, l'avocat de l'appelant a lu une liste de faits qui sont résumés ci-dessous :

[TRADUCTION]

1. En avril 1989, l'appelant a fait une demande de résidence permanente au Canada en son nom et en celui de sa conjointe et de leurs trois enfants.

2. L'appelant et sa conjointe ont vendu leur maison située dans le sud de Taïwan avant d'immigrer au Canada et ont loué un appartement de 1989 à 1991 dans le nord de Taïwan. L'appelant a ensuite loué un plus petit appartement de 1991 à 1996, année où il a acheté une maison à Taïwan.

3. La demande de résidence permanente au Canada a été acceptée, et l'appelant, sa conjointe et leurs trois enfants ont été admis au Canada à titre de résidents permanents le 11 août 1991.

4. Le 26 août 1991, l'appelant et sa conjointe ont acheté conjointement pour 117 000 $ un immeuble d'habitation situé au 2711, Livingstone Bay, Regina, Saskatchewan (ci-après la “ résidence familiale ”).

5. À partir du mois d'août 1991 et pendant les années 1992, 1993 et 1994, l'appelant a été un propriétaire conjoint inscrit de la résidence familiale.

6. À partir du mois d'août 1991 et pendant les années 1992, 1993 et 1994, la conjointe et les trois enfants de l'appelant ont occupé la résidence familiale.

7. Au cours des années en cause dans les appels, l'appelant a maintenu un compte bancaire conjoint avec sa conjointe à Regina, en Saskatchewan, à la Banque Toronto-Dominion, mais tous les investissements dans les CPG étaient au nom de sa conjointe Linda.

8. Au cours des années en cause dans les appels, l'appelant était propriétaire d'une automobile au Canada qui était immatriculée en son nom.

9. L'appelant est devenu résident permanent (avec restrictions) le 11 août 1991. Les restrictions étaient les suivantes :

(a) que l'appelant établisse ou achète au Canada une entreprise ou un commerce, ou y investisse une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'appelant et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

(b) que l'appelant participe activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce.

10. La conjointe et les trois enfants de l'appelant ont acquis la citoyenneté canadienne le 1er juillet 1995.

11. Au cours des années en cause dans les appels, l'appelant a indiqué comme adresse sur les déclarations de revenus T1 générales celle de la résidence familiale.

12. Evelina Enterprise Co. Inc. (ci-après la “ société ”) a été constituée en vertu des lois de la province de la Saskatchewan le 1er février 1993. La principale activité commerciale de la société était l'exportation de produits nutritionnels agricoles de la Saskatchewan. L'appelant est inscrit comme l'unique actionnaire de la société et sa conjointe est inscrite à titre d'unique administratrice. Le siège social de la société se trouvait à la résidence familiale et était exploité dans d'autres locaux loués situés au 2505, 11e avenue, bureau 211, Regina, Saskatchewan.

13. Le 5 novembre 1993, les conditions placées à l'origine sur l'admission de l'appelant au Canada (voir le paragraphe 9 ci-dessus) ont été annulées.

14. Au cours des années en cause dans les appels, l'appelant a visité le Canada à 12 occasions.

[4] L'appelant ne parle pas couramment l'anglais, alors son témoignage oral a été donné partiellement dans un anglais hésitant et partiellement grâce à l'aide d'un interprète agréé. Je vais tenter de résumer sa preuve. En 1970, l'appelant a obtenu un diplôme en pharmacie d'une école de médecine de Taïwan. Après l'obtention de son diplôme, l'appelant a été employé par les établissements pharmaceutiques Wyeth-Ayerst International. Il a commencé en tant que représentant de commerce de 1971 à 1977; il a été superviseur de 1977 à 1983; et directeur commercial de 1983 à 1989. En 1989, la société Nestlé aurait acquis la Wyeth-Ayerst, et l'appelant est devenu directeur commercial de la filiale de vente de la société Nestlé à Taïwan.

[5] L'appelant est un citoyen de Taïwan et non un citoyen du Canada. Il détient un permis de conduire et une licence de pharmacien de Taïwan. Depuis 1971, il est membre de l'ordre des pharmaciens de Taïwan. Il paie chaque mois l'équivalent de 18 $CAN afin de demeurer membre de l'ordre. Depuis 1985, il est membre de l'Église chrétienne de Taïwan. Il aime jouer au tennis et par conséquent est membre d'un club de tennis connu sous le nom de “ Community Society ” à Taïwan.

[6] Les parents de l'appelant vivent dans la partie sud de Taïwan. Il est leur fils aîné. En 1999, ses parents avaient 79 ans. Il a déclaré qu'en tant que retraités, ils n'avaient pas d'assurance médicale ni ne bénéficiaient de l'assistance publique. Comme il est le fils aîné, selon leur culture il est responsable de prendre soin de ses parents. Chaque mois, il doit payer leurs frais de subsistance réguliers. Il les visite souvent, au moins une fois par mois, et parfois toutes les semaines.

[7] De 1991 à 1996, il a vécu dans un appartement à Taipei (la capitale de Taïwan), mais en 1996 il a acheté une maison à Taipei. Il utilise une voiture de fonction et possède un compte bancaire à Taipei dans lequel son employeur dépose son salaire. Pour des besoins de communication à Taïwan, il a une boîte aux lettres et une adresse domiciliaire et il possède également une adresse électronique.

[8] Lorsque l'appelant, sa conjointe et leurs enfants sont venus au Canada pour la première fois en août 1991, il avait fait une demande de résidence permanente comme “ entrepreneur ”. En conséquence, il était tenu de signer un document de reconnaissance qui a été déposé sous la cote R-15 et qui déclare :

[TRADUCTION]

Je, Shih Min Shah, reconnais et suis pleinement conscient que mon admission au Canada à titre de résident permanent en ma qualité d'entrepreneur repose sur les conditions suivantes, énoncées aux divisions 23d) (iv)(A) et (B) du Règlement sur l'immigration : que, dans un délai d'au plus vingt-quatre mois à compter de la date à laquelle le droit d'établissement lui est accordé,

A) il établisse ou achète au Canada une entreprise ou un commerce, ou y investisse une somme importante, de façon à contribuer d'une manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou un résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

B) il participe activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce.

Signé à Richmond (Colombie-Britannique), le 11 août 1991.

[9] À leur arrivée au Canada, l'appelant, sa conjointe et leurs trois enfants se sont installés à Regina parce qu'ils avaient un ami qui y vivait déjà. Dans le résumé des faits avérés ci-dessus, les éléments 4, 5 et 6 décrivent l'achat et l'enregistrement de la résidence familiale, située au 2711, Livingstone Bay, Regina. L'appelant a affirmé qu'il était l'un des propriétaires inscrits de la résidence parce que c'est ce qu'un ami lui avait conseillé de faire à l'époque. Les pièces R-1, R-2, R-3 et R-4 sont des photocopies des déclarations de revenus de l'appelant pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1994 respectivement. Dans chacune de ces déclarations, l'appelant n'a déclaré qu'un revenu de placements (intérêts) variant entre environ 1 300 $ et 3 100 $. Ces déclarations de revenus ne faisaient pas état de son revenu d'emploi gagné à Taïwan. Dans chacune d'elles, l'appelant a indiqué que la Saskatchewan était sa province de résidence à la fin de l'année précédente. Il a déclaré avoir produit des déclarations de revenus au Canada seulement parce qu'un ami lui avait dit qu'il était tenu de le faire puisqu'il recevait un certain revenu (les intérêts payés par sa banque au Canada) au pays. En tenant compte de ce fait, il n'a déclaré qu'un revenu en intérêts. Personne ne lui a dit que, s'il produisait des déclarations de revenus au Canada, il pouvait ou devrait inclure tout revenu d'emploi gagné à Taïwan.

[10] La pièce R-14 est une photocopie d'un document émis par Emploi et Immigration Canada intitulé “ Visa d'immigrant et fiche relative au droit d'établissement ”. Le document est signé par l'appelant et l'identifie lui-même ainsi que sa conjointe et leurs trois fils comme les personnes entrant au Canada. Les trois fils sont nés en 1976, en 1978 et en 1982. Bien que le document ne soit qu'une photocopie, il comporte de nombreuses pages comme celles d'un passeport portant un tampon afin de démontrer les dates d'arrivée dans différents pays et les dates de départ de ces pays. La dernière page de la pièce R-14 est un calendrier manuscrit préparé par l'appelant et qui comprend trois colonnes illustrant dans celle de gauche, la date à laquelle il a quitté Taïwan; dans celle du centre, la date à laquelle il est arrivé à Taïwan; et dans celle de droite, le nombre de jours passés au Canada. Le calendrier indique que l'appelant a quitté Taïwan et y est revenu à douze occasions différentes dans la période comprise entre le mois d'août 1991 et le mois de janvier 1995. Le nombre de jours passés au Canada dans la colonne de droite totalise 166. Ce calendrier manuscrit a été dactylographié et déposé sous la cote R-10, mais le total de la colonne de droite de la pièce R-10 est 185 jours. L'appelant a confirmé au cours de son témoignage oral que le total de la pièce R-10 (185 jours) constitue le total correct et non celui de la pièce R-14. Les dates de la pièce R-10 confirment l'élément 14 des faits avérés : l'appelant n'a visité le Canada que douze fois au cours des années en cause dans les appels.

[11] Bien qu'il ne soit pas un citoyen du Canada, l'appelant a obtenu un permis de conduire de la Saskatchewan, car un ami lui a conseillé d'en obtenir un. La pièce A-1 est une photocopie du permis de conduire de l'appelant délivré à Taïwan. La pièce A-2 est une photocopie (en langue chinoise) de ce que l'appelant a décrit comme un contrat de location de l'appartement qu'il a habité à Taipei de 1991 à 1996. Le contrat de location devait être renouvelé tous les deux ans, et la signature de l'appelant apparaît à la page 6. L'appelant a expliqué qu'il ne vit pas au Canada parce qu'il doit travailler et qu'en tant que fils aîné il doit prendre soin de ses parents. Son père a eu un cancer du côlon en 1987 et a de nombreuses factures médicales à payer. L'appelant possède une carte santé de la Saskatchewan, mais n'a jamais eu recours au système de santé du Canada. Cela n'est pas surprenant puisque l'appelant a passé peu de temps au Canada.

[12] Les pièces R-12 et R-13 sont des documents liés à un prêt que l'appelant a accordé à son jeune frère en 1991. En entrant au Canada en août 1991, l'appelant a accepté les deux restrictions présentées à l'élément 9 des faits avérés en ce qui concerne son investissement dans une entreprise ou un commerce au Canada. Evelina Enterprise Co. Inc. (voir l'élément 12 des faits avérés) constituait le véhicule grâce auquel l'appelant entendait respecter les conditions de son entrée au Canada. Il a déclaré au cours de son témoignage oral que sa conjointe Linda s'occupait de l'acquisition des approvisionnements des fournisseurs au Canada, tandis qu'il cherchait des acheteurs à Taïwan. L'entreprise a débuté en 1993, mais a cessé ses activités au cours de 1994. Elle a été exploitée pendant moins de deux ans. La pièce R-18 est une lettre du Centre d'Immigration Canada de Regina envoyée à l'appelant en date du 5 novembre 1993 et qui avait pour effet d'annuler les conditions qui lui étaient imposées lorsqu'il est entré au Canada, tel que l'atteste la pièce R-15. La pièce R-21 est une lettre de Wyeth-Ayerst (Asie) Ltd. confirmant le revenu d'emploi de l'appelant à Taïwan pour 1991.

[13] À la fin du témoignage oral de l'appelant, je lui ai demandé pourquoi, s'il savait qu'il allait continuer à travailler pour son employeur à Taïwan, sa conjointe, leurs trois fils et lui-même sont venus au Canada en août 1991 et ont demandé le statut d'immigrant admis. Sa réponse a été donnée dans un anglais hésitant sans l'aide d'un interprète de la manière suivante :

[TRADUCTION]

Q. (Monsieur le juge) Ma question est la suivante : si vous saviez que vous alliez continuer à travailler pour cette compagnie à Taïwan, pourquoi êtes-vous venu au Canada et avez-vous demandé le statut d'immigrant admis?

R. (En anglais) Oui. Le principal – j'aime envoyer mes enfants au Canada pour étudier dans un système d'éducation plus occidental.

Q. (Monsieur le juge) Vous souhaitiez que vos enfants reçoivent une éducation plus occidentale. Y a-t-il une autre raison?

R. (En anglais) Non, c'est l'unique raison.

Q. (Monsieur le juge) Alors, votre conjointe, vos trois fils et vous-même êtes venus à Regina, avez acheté une maison et ils ont commencé à aller à l'école à Regina?

R. (En anglais) Oui. (Transcription, page 47)

En général, la conjointe de l'appelant demeurait à Regina avec leurs trois fils, mais elle retournait à Taïwan avec l'appelant à deux ou trois occasions chaque année pour une brève visite. À ces occasions, les trois fils demeuraient seuls à Regina. À l'été 1994, toutefois, la conjointe et les trois fils se sont rendus à Taïwan pour une visite d'environ six semaines.

[14] Étant donné que l'appelant a produit une déclaration de revenus au Canada pour chacune des années en cause dans les appels indiquant que son adresse se trouvait à Regina et que sa province de résidence était la Saskatchewan, il n'est pas étonnant que Revenu Canada ait établi des avis de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant pour chacune des années en cause dans les appels en se fondant sur les hypothèses selon lesquelles il était résident du Canada au cours de ces années. L'appelant, toutefois, n'est pas lié ou empêché de contester par les énoncés contenus dans ses déclarations de revenus en ce qui concerne sa résidence. En appel, il a le droit de soutenir qu'il n'était pas résident du Canada à aucun moment au cours des années en cause et que les énoncés contenus dans ses déclarations de revenus ne constituent que des éléments de preuve. La question dans les présents appels pour les années 1991, 1993 et 1994 (l'intimée ayant donné gain de cause à l'appelant en ce qui concerne l'année 1992) est celle de savoir si l'appelant était en fait et en droit un résident du Canada pendant l'une de ces années.

[15] L'arrêt de principe qui s'applique lorsqu'il s'agit de déterminer la résidence d'une personne est la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Thomson v. M.N.R. [1946] R.C.S. 209. Dans cette affaire, le juge Rand a déclaré aux pages 224 et 225 :

[TRADUCTION]

Au sens de la loi portant sur l'impôt sur le revenu, on doit présumer que toute personne a en tout temps une résidence. Il n'est pas nécessaire pour cela qu'elle possède une maison, une résidence particulière ou même un abri. Elle peut dormir en plein air. Il est important de seulement établir les limites spatiales à l'intérieur desquelles elle va passer sa vie ou auxquelles son mode de vie régulier est lié. La résidence ordinaire peut être mieux appréciée par l'examen de la résidence opposée, celle qui est occasionnelle, fortuite ou qui s'écarte de la définition de résidence ordinaire. Cette dernière catégorie semble clairement ne pas être seulement temporaire ni exceptionnelle, mais également accompagnée d'un caractère passager et d'une volonté de départ.

Mais dans les différentes situations de prétendues “ résidences permanentes ”, “ résidences temporaires ”, “ résidences ordinaires ”, “ résidences principales ” et ainsi de suite, les adjectifs n'influent pas sur le fait qu'il y a dans tous les cas résidence; cette qualité dépend essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question. Cela peut être limité en temps depuis le début ou être indéfini ou, dans la mesure où cela est considéré, illimité. À un niveau inférieur, les expressions concernant la résidence devraient être distinguées, comme je crois qu'elles le sont dans le langage ordinaire, des situations de “ séjours ” ou de “ visites ”.

Dans le passage cité ci-dessus, il y a deux propositions que je considère particulièrement importantes : (i) “ les limites spatiales à l'intérieur desquelles elle va passer sa vie ou auxquelles son mode de vie régulier est lié ”; et (ii) “ point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances ”. Lorsqu'on applique ces deux propositions à un cas particulier, les faits sont importants, car une personne peut être résidente de deux pays ou plus. Dans l'affaire Schujahn v. M.N.R., 62 DTC 1225, le juge Noel a déclaré à la page 1227 :

[TRADUCTION]

Il est très bien établi lorsqu'on aborde le sujet de la résidence qu'il s'agit là d'une question de fait, par conséquent les faits de chaque cas doivent être examinés de très près afin de voir s'ils sont couverts par les éléments très différents et variés des termes et des mots “ résident habituel ” et “ résident ”. Ce n'est pas comme pour la loi du domicile, l'endroit d'origine d'une personne ou celui où elle entend retourner. Le changement de domicile dépend de la volonté de la personne. Un changement de résidence dépend de faits extérieurs à la volonté ou aux souhaits. La durée du séjour ou le temps passé dans un pays, bien que cela constitue un élément, n'est pas toujours concluant. La présence personnelle à un moment pendant l'année, celle du conjoint ou de la conjointe et des enfants, peut être essentielle à l'établissement de la résidence au pays. Une résidence située ailleurs peut être sans importance puisqu'une personne peut avoir plusieurs résidences d'un point de vue fiscal, et le mode de vie, la durée du séjour et la raison pour laquelle une personne se trouve dans un pays peuvent faire contrepoids au fait que la résidence se situe dans un autre pays. [...]

[16] Bien qu'une personne puisse à un certain moment avoir deux résidences ou plus d'un point de vue fiscal, la plupart des personnes n'auront qu'une seule résidence et, si elle est dans le pays A, il devra exister des circonstances particulières pour qu'une personne ait en même temps une résidence dans un pays B. Les cotisations qui font l'objet des présents appels ont été établies selon l'hypothèse que l'appelant était résident du Canada sans égard à la question de savoir s'il pouvait au cours des mêmes années être résident d'un autre pays. L'appelant a fait valoir ses moyens en se fondant sur le fait qu'il n'était résident que de Taïwan. Il ressort du témoignage de l'appelant et de la pièce R-10 qu'il a passé beaucoup plus de temps à Taïwan qu'au Canada. Par conséquent, je propose d'examiner d'abord les arguments de l'appelant afin de voir s'il est possible d'établir le bien-fondé du fait de la résidence de l'appelant à Taïwan.

[17] En utilisant les pièces R-14 et R-15 comme preuve du fait que l'appelant, sa conjointe et leurs trois enfants sont arrivés au Canada le 11 août 1991 et en utilisant la pièce R-10 comme preuve du nombre de jours que l'appelant a passés au Canada au cours des quatre années en cause dans les appels, j'ai préparé le tableau ci-dessous afin de comparer les jours que l'appelant a passés au Canada et ceux qu'il a passés à Taïwan :

Année

Total des jours

Jours au Canada

Jours à Taïwan

Temps au Canada

1991

142*

32

110

22,5 %

1992

366

59

307

16,1 %

1993

365

51

314

14,0 %

1994

365

43

322

12,0 %

* du 11 août au 31 décembre = 142 jours

[18] Le tableau ci-dessus parle de lui-même, mais certains faits méritent d'être soulignés. Au cours de chacune des années 1992, 1993 et 1994, l'appelant a passé plus de 300 jours à Taïwan. En comparaison, le temps qu'il a passé au Canada varie de 12 p. 100 à 16,1 p. 100. En 1991, le temps qu'il a passé au Canada était de 22,5 p. 100, mais cette partie de l'année était particulière, car l'appelant devait amener sa famille au Canada, acheter une maison à Regina et inscrire ses enfants dans des écoles de Regina. Malgré ces obligations, l'appelant a passé 77,5 p. 100 de son temps ou 110 jours à Taïwan entre le 11 août 1991 et la fin du mois de décembre 1991.

[19] En tenant compte des “ limites spatiales ” à l'intérieur desquelles l'appelant passe sa vie, il a détenu un emploi ininterrompu à Taïwan de 1971 à 1996 en tout temps avec la même compagnie. Il a reçu des promotions de temps à autre et, entre 1991 et 1996, a occupé le poste de directeur commercial. Les parents de l'appelant vivent à Taïwan; son jeune frère vit également à Taïwan; et lui (en tant que fils aîné) subvient aux besoins de ses parents. L'appelant a toujours résidé à Taïwan. Au cours des années en cause dans les appels, il a loué un appartement à Taipei de 1991 à 1996, comme l'atteste le contrat de location qui a été déposé sous la cote A-2. Il semble avoir conclu ce contrat de location au moment où sa conjointe et ses trois enfants sont venus au Canada. L'appelant est membre d'une association professionnelle (l'ordre des pharmaciens) à Taïwan. Il paie des impôts à Taïwan et reçoit son courrier là-bas. Il possède un permis de conduire de Taïwan, il y conduit une voiture de fonction et son employeur dépose son salaire dans son compte bancaire à Taïwan. Il est membre d'un club de tennis et d'une église à Taïwan.

[20] L'avocat de l'intimée n'a pas soutenu avec sérieux que l'appelant n'était pas résident de Taïwan au cours des années en cause dans les appels. Je conclus que l'appelant était résident de Taïwan tout au long des années 1991 à 1994. Une telle conclusion ne signifie pas que l'appelant n'était pas résident du Canada au cours de ces années. Cela respecte simplement l'exigence selon laquelle chaque personne a en tout temps une résidence.

[21] Ayant conclu que l'appelant était résident de Taïwan au cours des années en cause dans les appels, je dois maintenant examiner la question de savoir s'il était également résident du Canada au cours de ces années. Je serais prêt à conclure, le cas échéant, que sa conjointe et ses trois fils résidaient à Regina à partir du 11 août 1991. En effet, pour les besoins de la présente décision, je suppose qu'ils résidaient bien à Regina. Si la famille de l'appelant est limitée à lui-même, sa conjointe et leurs trois fils, alors je conclurais que la maison familiale se trouvait à Regina à partir du mois d'août 1991. Si j'examine l'emploi à plein temps de l'appelant et le salaire en découlant qui était nécessaire pour subvenir aux besoins de l'appelant à Taïwan, à ceux de sa conjointe et de ses enfants au Canada et à ceux de ses parents âgés à Taïwan, alors je conclurais que l'appelant possédait une maison personnelle à Taipei (là où il mangeait, dormait, conservait ses vêtements et trouvait refuge contre la température) et une maison familiale à Regina. En dehors de la présence de sa conjointe et de ses enfants à Regina, l'appelant avait-il d'autres liens avec Regina qui feraient en sorte qu'il serait résident du Canada?

[22] Au paragraphe 13 ci-dessus, il y a un extrait de la transcription dans laquelle l'appelant a expliqué que sa conjointe et lui ont amené leurs fils au Canada de sorte qu'ils puissent être éduqués à la manière occidentale (c.-à-d. nord-américaine). Il s'agit là d'une déclaration très crédible. L'appelant et sa conjointe agissaient dans ce qu'ils croyaient être l'intérêt fondamental de leurs fils. Ils réagissaient aux préoccupations universelles de tout parent responsable. J'ai trouvé que l'appelant était un témoin très crédible et je le crois quand il affirme que l'éducation de ses trois fils constituait la seule raison pour venir au Canada. Rien n'indique la présence d'une motivation ultérieure. L'appelant n'a jamais tenté de trouver un emploi au Canada. L'entreprise que l'appelant et sa conjointe ont tenté de démarrer au moyen de Evelina Enterprise Co. Inc. (élément 12 des faits avérés) visait à respecter les conditions de son entrée au Canada (pièce R-15). Dès que ces conditions ont été annulées (pièce R-18), l'entreprise Evelina a été abandonnée.

[23] L'éducation des trois fils était la raison d'être de l'arrivée de l'appelant et de sa conjointe à Regina en 1991. À mon avis, leur conduite ressemblait à celle de parents qui décident d'envoyer leurs fils en pension au Canada. La différence était qu'au lieu d'envoyer leurs fils sur les lieux mêmes de la pension, l'appelant et sa conjointe ont acheté une maison à Regina où les fils pourraient prendre pension avec leur mère qui agirait en tant que “ professeur responsable d'une maison ”, au même titre qu'un tel professeur dans une pension pour garçons traditionnelle. L'appelant lui-même n'a pas modifié son mode de vie en ce qui concerne son emploi continu à Taïwan, conservant les liens professionnels avec l'ordre de pharmaciens, conservant ses liens sociaux avec son église et son club de tennis et trouvant un nouveau logement en 1991 (pièce A-2) où il pourrait manger, dormir, ranger ses vêtements et trouver refuge. Ces circonstances pourraient avoir changé après 1994 si les fils avaient décidé de demeurer au Canada après avoir terminé leurs études, mais pendant les années en cause dans les appels, rien n'indique que l'appelant avait d'autre lien avec Regina outre le fait que la maison de sa conjointe et de leurs trois fils se situait dans cette ville. Il n'avait pas d'emploi à Regina. Il n'était pas membre de clubs sociaux à Regina et rien n'indique qu'il y est venu dans un but autre que celui de visiter sa conjointe et ses enfants.

[24] Les plus proches parents et les liens familiaux d'une personne constituent des facteurs pertinents et importants dans la détermination de la résidence de cette personne. J'ai déjà supposé que la conjointe et les trois fils de l'appelant résidaient au Canada à partir du 11 août 1991. Lorsque cette présomption de fait est associée aux énoncés contenus dans les déclarations de revenus de l'appelant (pièces R-1, R-2, R-3 et R-4), il serait facile de conclure que l'appelant se considérait lui-même comme résident du Canada au cours des années en cause dans les appels. Toutefois, une fois que l'appelant s'est aperçu des conséquences découlant du fait d'être résident du Canada (c.-à-d. être soumis à l'impôt au Canada selon son revenu de toutes provenances tout en bénéficiant de certains crédits d'impôt pour revenu de source étrangère) et a décidé de contester la question de savoir s'il était en fait et en droit résident du Canada au cours des années en cause dans les appels, la résidence de fait de sa conjointe et de ses enfants à Regina et les énoncés contenus dans ses déclarations de revenus ne constituent que des éléments de preuve dans la résolution de la question de sa résidence.

[25] L'avocat de l'intimée a mentionné la décision de mon collègue le juge Bowman dans l'affaire Fisher c. La Reine, C.C.I., no 92-1160(IT)G, 29 septembre 1994 (95 DTC 840). Dans l'affaire Fisher, le juge Bowman a cité le poète Robert Frost à la page 17 (DTC : à la page 845) :

[TRADUCTION]

“ Votre patrie, c'est là où toujours asile vous sera donné. ”

L'intimée a soutenu qu'après le mois d'août 1991, Regina était l'endroit où un étranger pouvait dire de l'appelant “ c'est là où toujours asile vous sera donné ”. Cette citation était particulièrement appropriée pour l'affaire Fisher parce que, dans ce cas, le contribuable est né au Canada, il a grandi au Canada et des années plus tard, il a tenté de prétendre qu'il n'était pas résident du Canada alors qu'il y faisait de fréquentes visites, mais n'avait pas d'autre résidence reconnue à l'étranger. Je ne contesterais pas la vérité concise de Robert Frost, mais la situation est différente dans les présents appels puisque l'appelant n'a jamais eu de lien permanent avec le Canada, mais a vécu toute sa vie dans un seul autre pays, Taïwan.

[26] L'avocat de l'intimée a également soutenu que le tableau du paragraphe 17 ci-dessus ne soutient pas seulement la thèse de l'appelant parce qu'il démontre que l'appelant venait au Canada régulièrement; douze fois en quatre ans. Le visa d'immigrant (pièce R-14) a également donné à l'appelant le droit absolu d'entrer au Canada et d'en sortir. En d'autres termes, le Canada ne pouvait pas l'empêcher d'entrer. Ces faits sont avérés, mais je cherche le point jusqu'auquel l'appelant établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances. Dans l'affaire Thomson, le juge Rand a distingué la résidence du “ séjour ” et de la “ visite ”.

[27] Selon la preuve devant moi, je ne peux trouver suffisamment de liens entre l'appelant et Regina (ou le Canada) pour conclure que celui-ci résidait au Canada au cours de l'une des années en cause dans les appels. Lorsqu'il venait au Canada trois ou quatre fois par année, il venait pour “ effectuer un séjour auprès ” de sa conjointe et de ses fils ou pour les “ visiter ”. Regina peut avoir été le foyer de leur maison familiale, mais l'appelant ne s'y est pas trouvé suffisamment souvent ou suffisamment longtemps pour établir des liens personnels avec les différentes collectivités de Regina, qu'ils soient commerciaux, pédagogiques, culturels, récréatifs ou sociaux. La preuve du mode de vie réel de l'appelant l'emporte sur les énoncés contenus dans ses déclarations de revenus. Selon la preuve, l'appelant était un étranger à Regina (et au Canada) tout au long des années en cause dans les appels même s'il a probablement été un époux et un père très aimant pour sa conjointe et ses enfants lorsqu'il est venu les visiter. Il ne faisait pas que résider à Taïwan, il y a également habité sa demeure personnelle. Il n'était pas résident du Canada au cours des années en cause dans les appels. Les appels sont admis avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mars 2000.

“ M. A. Mogan ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour d'octobre 2000.

Mario Lagacé, réviseur

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