Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000605

Dossiers: 98-402-IT-G; 98-629-IT-G

ENTRE :

PATRICIA BLANCHARD, PETER FRANCIS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1] Il a été convenu au départ que ces causes seraient entendues sur preuve commune.

[2] Le ministre a établi des cotisations à l'égard des appelants en tant qu'administrateurs de Chateau Conservatories Ltd. (la “ société ”) parce que la société n'a pas remis au receveur général du Canada de l'impôt fédéral sur le revenu qu'elle avait retenu sur les salaires versés à ses employés au cours des années d'imposition 1994 et 1995. Le ministre a en outre imposé des pénalités et des intérêts aux appelants.

[3] Le ministre a fait valoir que les appelants ont été l'objet de cotisations conformes aux articles 227 et 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”), car, en tant qu'administrateurs, ils n'ont pas, pour prévenir le manquement de la société à l'obligation de remettre la somme, agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

[4] Les appelants ont porté ces cotisations en appel, soutenant qu'ils avaient exercé le degré de soin, de diligence et d'habileté requis dans les circonstances.

La preuve

[5] Peter Francis, qui était un homme d'affaires, a dit que la société était viable; son plan était que la société mette au point des produits et prenne de l'expansion, bien qu'il se soit agi d'une opération menée en se servant uniquement de ses propres moyens. En 1990, de retour d'Australie, il avait commencé à travailler pour la société. À cette époque, son frère détenait le contrôle de la société. L'appelant a travaillé pour la société et, le premier travail qu'il a accompli ayant été un succès financier, il a pu réaliser un profit de 30 000 $, qu'il a utilisé pour acquérir le contrôle de la société. La société était incapable d'obtenir du financement bancaire et devait par conséquent utiliser ses rentrées d'argent pour financer ses activités. Elle a monté une affaire de fabrication avec une autre société, qui lui appartenait, a agrandi les locaux et s'est installée à Burnaby, où elle occupait une superficie de 5 000 pieds carrés. Un dénommé Gerry Burgess s'est joint à la société comme travailleur associé dans les années 1990.

[6] La société réalisait des projets sur commande pour l'industrie locale. Elle avait déterminé qu'il lui fallait fabriquer des produits en série et les vendre. À cet égard, ils ont mis au point un produit appelé “ Wondergarden ”, soit une couche froide. Ils en ont vendu 200 à leur premier salon professionnel. Ils ont également mis au point un produit appelé “ Garden Window ” et ont intégré des procédures commerciales, d'après ce témoin.

[7] Ils ont été invités à prendre part à des salons professionnels en Colombie-Britannique et ont décidé de faire de l'exportation vers le Japon, où la société avait commencé à commercialiser ses produits. À l'automne 1992, la société a mis au point un autre produit, qui leur permettait de feuilleter du verre et de vitrer des fenêtres.

[8] En septembre 1992, ils ont rencontré un homme d'affaires du nom de Mohammad Rana, soit un investisseur immigrant. Ce dernier est devenu associé dans la société. La société a reçu de 100 000 $ à 125 000 $ d'investissement de M. Rana, qui est devenu travailleur associé.

[9] Vers le mois de décembre, l'appelant, soit Peter Francis, et M. Rana se sont brouillés et étaient incapables de travailler ensemble. Précédemment, ils avaient acheté un nouvel immeuble et essayaient de réduire le coût du loyer. La société a versé un acompte à un agent immobilier. Les relations avec M. Rana ont empiré, M. Rana voulait ravoir son argent, mais la société ne pouvait le lui rendre à cette époque. L'opération d'achat s'est conclue, et la société s'est installée dans les nouveaux locaux au printemps 1993. M. Rana a alors intenté une action contre la société. Deux autres actions judiciaires ont suivi. L'une était une action pour renvoi injustifié, tandis que l'autre concernait les droits d'un actionnaire minoritaire et visait le recouvrement des 20 000 $ que M. Rana a accordés pour aider à l'achat de l'immeuble. La société ne pouvait retenir les services d'un avocat plaidant, de sorte qu'elle a fait appel à son propre avocat. Elle a réussi à obtenir du Conseil national de recherches un certain financement pour le “ Wondergarden ” et a eu de bonnes critiques à l'égard de ce produit.

[10] L'appelant (Peter Francis) a fait un premier voyage au Japon pour la société afin d'explorer les possibilités sur le marché japonais de la construction. La société ne voulait pas “ mettre tous ses oeufs dans le même panier ”.

[11] La société a produit des ouvrages élisabéthains et édouardiens. Elle a exécuté certains travaux sur la scène locale et certains travaux aux États-Unis. La moitié du travail se rapportait au secteur commercial; l'autre moitié se rapportait au secteur résidentiel. La société a continué d'envoyer des représentants à des salons professionnels. Le produit “ Wondergarden ” nécessitait un investissement important pour que l'on puisse le produire en série et le commercialiser. La société a reçu certains investissements au cours des deux années suivantes, mais ne parvenait pas à s'entendre avec M. Rana. Comme ce témoin l'a dit, M. Rana faisait échouer la conclusion de marchés.

[12] Entre 1993 et 1995, la société a été en procès, ce qui exerçait une ponction sur les ressources de la société. La société a connu un certain succès au Japon, mais l'appelant devait à la fois promouvoir les ventes et s'occuper des litiges.

[13] La société a été choisie par Mitsubishi pour l'élaboration d'un prototype de solarium linéaire. Elle en a produit un certain nombre et a vendu des plans à Mitsubishi, mais n'arrivait pas à gérer les flux de trésorerie. Les appelants utilisaient toutes leurs cartes de crédit et marges de crédit personnelles, et la société utilisait les profits provenant de travaux effectués, tout en continuant à s'occuper des litiges. La date du procès relatif aux droits des actionnaires minoritaires a été fixée, mais la cause a ensuite été annulée. Après cela, la société a commencé à avoir d'autres difficultés, dont des problèmes de zonage, des réclamations d'employés à l'égard d'heures supplémentaires et des mesures prises par les “ normes du travail ” pour saisir-arrêter les comptes bancaires de la société. La société avait du mal à refinancer la dette relative à l'hypothèque de deuxième rang.

[14] Un autre investisseur, un dénommé Prueter, est devenu intéressé. Un règlement a été conclu avec M. Rana. La société a élaboré une entente avec M. Prueter pour qu'il investisse dans la société, et une autre personne était intéressée, mais la société a refusé l'offre de cette personne en raison du marché devant être conclu avec M. Prueter. M. Prueter a écrit à Revenu Canada au sujet de ses intentions relatives à l'investissement dans la société et au sujet de la question du règlement des problèmes de la société avec Revenu Canada. La pièce A-1 a été admise en preuve par consentement, sous réserve que le contenu en soit prouvé. Il s'agissait d'une lettre du 14 mars 1995 adressée par M. G. Prueter Management Ltd. à Revenu Canada. M. Prueter s'est toutefois ravisé par la suite, même si la société s'était entendue avec des créanciers pour les payer partiellement.

[15] Lorsqu'il s'est révélé que M. Prueter n'investirait pas, tous ces plans se sont effondrés. Puis d'autres problèmes se sont posés, et tout s'est peu à peu enrayé. Les “ normes du travail ” ont saisi du matériel pour recouvrer leurs créances, mais Revenu Canada n'a agi que des mois plus tard, lorsqu'il n'y avait plus d'actifs disponibles. La société a continué à payer des employés. Ils n'ont jamais fait faillite. La thèse des appelants est que, si la société avait pu finir les travaux indiqués dans les livres, elle aurait pu régler tous ses problèmes, y compris ceux qu'elle avait avec Revenu Canada. Elle a établi des plans pour payer Revenu Canada et tous les autres créanciers. Après la vente de la société, l'appelant s'est joint à une autre société et a géré la division de Château Conservatories Ltd. qui produisait des solariums en bois.

[16] Au cours de l'année 1998, les appelants ont divorcé, et le nouvel employeur de Peter Francis a fait faillite. L'appelant a été contacté par deux autres fabricants, y compris Lyndal Cedar Homes, puis il a créé Château Building Products avec son associé spécialisé en ingénierie. Cette société expédie des produits au Japon. L'appelant a en outre signé un accord avec la Chine.

[17] L'appelant a soutenu que les plans et objectifs de la société étaient viables. C'est ce qu'indique le fait qu'il a continué à exploiter ces idées et qu'ils dirigent maintenant une petite entreprise prospère. Ils ont emprunté de l'argent à une banque ainsi qu'à la BDC. Leurs idées étaient viables et leur produit était vendable. Le problème s'est posé parce qu'il leur arrivait trop de choses en même temps. Ils ne pouvaient être toujours en train d'essayer de tout régler.

[18] L'appelant a dit à la Cour qu'il savait que les administrateurs avaient une responsabilité à l'égard des sommes à remettre à Revenu Canada et il a indiqué que Revenu Canada était en haut de leur liste. Mme Blanchard était chargée de la tenue de la comptabilité et était en contact avec Revenu Canada. “ Nous ne faisions pas que réagir aux événements. ”

[19] À ce stade du procès, les parties ont reconnu que les appelants ont toujours cherché des investisseurs pour la société à partir de 1990.

[20] L'appelant a déclaré : “ Lorsque les finances étaient serrées, il s'agissait de déterminer qui payer. Nous accordions la priorité aux employés. Nous les payions pour faire en sorte que toutes les dettes puissent être remboursées. Si nous n'avons pas d'employés, nous n'avons pas d'avances de fonds ni de revenus pour payer qui que ce soit. Nous ne payions pas les dirigeants et administrateurs, et ce, pour essayer de payer Revenu Canada. En 1993, la société avait eu un problème semblable et l'avait réglé en prenant les mêmes décisions qu'elle a prises en 1995. Il était raisonnable de notre part de croire que, en faisant la même chose, nous pourrions obtenir les mêmes résultats. ”

[21] Les appelants ont énuméré diverses mesures que la société avait décidé de prendre pour régler ses problèmes financiers. On avait notamment décidé d'interrompre les paiements faits aux dirigeants et administrateurs, d'utiliser le crédit personnel des appelants pour financer l'exploitation de la société, d'accroître l'hypothèque accordée sur la maison des appelants et de vendre des actifs personnels comme des maisons de vacances, des véhicules, etc. Par contre, cela faisait augmenter le niveau des prêts des actionnaires.

[22] En octobre 1994, la société était à jour dans ses versements à Revenu Canada. Ils avaient plus d'un quart de million de dollars de travail d'inscrit dans les livres, puis un problème de flux de trésorerie s'est posé au cours des mois d'octobre et de novembre. Ils ont licencié certains des employés pour réduire les dépenses et, en décembre, il leur restait trois employés. En novembre 1994, ils ont en outre cessé de faire des paiements locatifs pour pouvoir payer Revenu Canada. Ils ont également cessé de payer les fournisseurs, sauf pour du matériel nécessaire à l'achèvement de travaux; ils voulaient être payés pour ces travaux et avoir des fonds disponibles pour payer Revenu Canada.

[23] Ils ont mis leur propre maison en vente en août 1993. En février 1994, la maison a été vendue. Une partie des fonds a servi à payer Revenu Canada, quoique les appelants aient perdu le contrôle des fonds par suite d'un jugement prononcé contre eux. En février 1995, une entente a été conclue avec Revenu Canada pour que des paiements lui soient faits, et ces paiements ont été effectués. L'appelant a dit que, en 1994, il avait payé personnellement 10 000 $ à Revenu Canada, soit de l'argent qu'il avait emprunté.

[24] En 1994, la société a cherché à ouvrir un compte en fiducie à la Banque de la Colombie-Britannique, soit un compte qu'elle entendait utiliser pour veiller à ce que des paiements soient faits à Revenu Canada, mais elle n'a pas été autorisée à ouvrir ce compte. À l'automne 1994, ils ont cessé de payer l'intégralité de la masse salariale afin d'avoir des fonds disponibles pour payer Revenu Canada. En février 1995, Patricia Blanchard a demandé un prêt personnel, qui lui a été refusé. Ce prêt aurait servi à payer Revenu Canada. Au cours de la période en question, les prêts des actionnaires ont augmenté de 85 000 $ dans le cas de Peter Francis et de 90 000 $ dans le cas de Patricia Blanchard.

[25] À ce stade, les parties ont reconnu que, si M. Prueter avait effectivement fait l'investissement qu'il avait eu l'intention de faire, il y aurait eu assez d'argent disponible pour payer Revenu Canada.

[26] Ce témoin a dit que, en 1993, les services d'un comptable leur avaient été fournis par l'intermédiaire d'Ernst & Young. Dans l'établissement des documents de fin d'exercice, ce comptable avait indiqué par erreur que la société avait versé à Revenu Canada 7 000 $ de plus que ce qu'elle avait en fait payé. L'erreur a été découverte par Patricia Blanchard. Ce problème ne les a pas aidés dans leur situation, qui ne cessait de se détériorer.

[27] En 1994, plusieurs des employés de la société avaient exagéré leurs compétences dans leurs déclarations à la société, et leur travail s'est ainsi révélé inadéquat. Des clients étaient mécontents. Cela s'est répercuté sur les flux de trésorerie de la société, qui n'a pas reçu l'argent quand elle s'y attendait.

[28] Une partie du problème de novembre et de décembre est lié au fait que la société a réussi à obtenir le travail qu'elle a obtenu, en ce sens qu'elle a embauché de nouveaux employés qui ont fait des erreurs, ce qui a mécontenté des clients, qui n'ont pas payé leurs comptes, et Revenu Canada n'a pas été payé. La société a cessé de faire des paiements hypothécaires et a cessé de faire des paiements à Revenu Canada en novembre et en décembre 1994. Malgré cela, la société allait bien du point de vue des ventes et du point de vue de la quantité de travail qu'elle avait.

[29] À ce stade, ce témoin a traité du paragraphe 3 de la réponse à l'avis d'appel et a dit que la société avait fait tous les efforts pour prévenir le manquement en cause, et ce, en augmentant la quantité de travail le plus vite possible. De plus, la société n'a dégagé pour des fournisseurs et des employés que les fonds nécessaires à l'achèvement des projets, de manière à obtenir plus d'argent pouvant servir à payer Revenu Canada.

[30] L'appelant a contesté le fait que Revenu Canada n'ait pas pris de mesures pour saisir-arrêter les actifs de la société afin d'être remboursé. La société avait offert de charger son avocat de faire verser des fonds à Revenu Canada, mais cela n'a pas eu lieu. Toutefois, dès qu'il est devenu évident qu'elle était en difficulté, la société a communiqué avec Revenu Canada et, ensemble, ils ont travaillé à élaborer des plans pour assurer le remboursement de la dette et empêcher que le montant de celle-ci n'augmente.

[31] Vers le printemps 1994, les appelants ont vendu leur maison et ont utilisé une partie de l'argent pour payer des dettes et acquitter l'obligation relative à l'hypothèque de deuxième rang, de manière à pouvoir continuer d'exploiter l'entreprise.

[32] Les actions intentées par M. Rana ont été abandonnées, et la société a pu se concentrer sur l'entreprise. Ils ont investi de l'argent en augmentant les prêts des actionnaires de juin 1994 à mai 1995. Ces prêts ont augmenté de 18 000 $. Ils ont demandé à la Banque Toronto-Dominion des prêts destinés à l'amélioration de petites entreprises, ont cherché à obtenir des comptes bancaires distincts, se sont concentrés sur l'entreprise et ont cherché à augmenter les ventes et à générer plus de fonds. Ils ont en outre licencié M. Burgess pour économiser. Après que la société fut devenue très occupée, ils ont eu des problèmes à cause du mauvais travail de certains des employés. Ils ont licencié neuf autres employés à la fin de 1994 et ont cessé de payer qui que ce soit dont les comptes n'étaient pas liés à l'achèvement de travaux en cours. Ils ont fait cela pour rester en affaires.

[33] Au printemps 1995, ils ont élaboré des plans de paiement avec Revenu Canada et lui ont demandé de recouvrer des fonds auprès de clients de la société. Ils sont restés en contact avec Revenu Canada pour lui faire savoir où étaient les fonds et quelles mesures ils prenaient pour essayer de le payer, jusqu'à ce que l'électricité leur soit coupée, que leurs téléphones soient débranchés et que le créancier hypothécaire vende l'immeuble. Ils ont également eu des difficultés avec les “ normes du travail ”, qui ont saisi-arrêté leurs actifs et leur ont retiré le contrôle de la société. Ce n'est qu'en 1996 que Revenu Canada les a informés au sujet du recouvrement des comptes en cause dans le présent appel.

[34] L'appelant a dit que les choix et les actes des administrateurs doivent être évalués par rapport à ce que d'autres personnes raisonnables feraient dans des circonstances semblables. Ils avaient continuellement des problèmes à cette époque. Leurs décisions ont été prises dans des circonstances très erratiques. Revenu Canada était le plus important dans leur esprit. Les paiements faits à d'autres devaient permettre à la société de continuer à accomplir des travaux et de recueillir de l'argent pour Revenu Canada, et certains de leurs fonds ont été pris par d'autres créanciers.

[35] Au bout du compte, les administrateurs se sont retrouvés sans maison, sans aucun actif, et les dettes avaient augmenté, y compris les dettes relatives aux cartes de crédit. Ils n'ont pas fait faillite, et les plans qu'avait l'appelant (Peter Francis) lorsque la société était exploitée ont continué à rapporter. L'argent n'est pas allé aux administrateurs. Personne d'autre n'aurait pu faire quoi que ce soit d'autre que ce qu'ils ont fait.

[36] Au cours du contre-interrogatoire, l'appelant a admis qu'il avait été administrateur de 1990 jusqu'à la fin de 1995. Il avait suivi des cours de commerce par l'entremise de la Banque fédérale de développement. Il avait participé à un forum sur la nouvelle entreprise organisé par la Simon Fraser University, et un exposé qu'il avait fait lui avait valu une mention spéciale. Il avait également suivi des cours par l'intermédiaire de Dale Carnegie et essayait de se tenir au courant. Il était spécialisé dans le domaine de la fabrication et de la construction, y compris la construction d'habitations.

[37] Concernant la société, c'est lui qui avait le contrôle général des opérations. Mme Blanchard dirigeait le bureau et était chargée de l'administration. Elle faisait également de la vente et de la commercialisation. Elle entrait des données, tenait les comptes clients et les comptes fournisseurs et s'occupait des sommes à remettre. Elle tenait les livres assez régulièrement.

[38] L'appelant a admis que la société était sous-capitalisée depuis le début. Des problèmes de flux de trésorerie ne cessaient de se poser, même s'ils demandaient très souvent des acomptes sur le travail à faire pour des clients. L'appelant était au courant de ce qui se passait dans la société. Il ne se souvenait pas des problèmes financiers de 1993. Il ne se rappelait pas s'il en avait parlé à Mme Blanchard, mais il lui parlait des problèmes de temps à autre. Elle ne lui avait pas dit où en était la société financièrement. Il a toutefois admis qu'ils vivaient ensemble et qu'ils discutaient des problèmes. De temps à autre, hebdomadairement, il était mis au courant de la situation financière de la société.

[39] Les sommes à remettre pour le mois de décembre 1991 et pour le début de l'année 1992 étaient une des choses dont Mme Blanchard s'était occupée. L'appelant savait que Mme Blanchard s'était occupée de ces problèmes. En 1993, il n'était pas au courant des problèmes courants relatifs aux sommes à remettre.

[40] La pièce R-1 a été consignée en preuve, et l'appelant a dit qu'il ne se souvenait pas d'avoir reçu cette lettre. La lettre était datée du 12 février 1993. L'appelant a admis que l'adresse qui y était indiquée était la sienne; cette lettre traitait de la même question qui est en cause dans la présente espèce. Il s'agissait de la même société, et cette lettre aurait été envoyée à l'appelant. L'appelant savait qu'ils avaient des responsabilités comme administrateurs à l'égard des sommes à remettre.

[41] Il n'était pas particulièrement au courant du problème des sommes qui n'avaient pas été remises au début de 1994. Il a bel et bien admis que lui et Mme Blanchard avaient des réunions hebdomadaires concernant la question de savoir quand la société recevait de l'argent. Ils avaient discuté des problèmes à l'automne 1994 et au printemps 1995. L'appelant ne s'est pas souvenu avoir eu des conversations particulières avec Mme Blanchard au sujet de ce problème avant 1994. Il n'avait aucun souvenir de sommes dues à Revenu Canada pour la période antérieure à 1994 et ne s'est pas souvenu avoir remis des chèques postdatés pour ces périodes.

[42] L'appelant a fait valoir qu'il était impossible à la société de conclure que le fait de quitter les affaires lui permettrait de payer Revenu Canada. Les appelants accordaient la priorité aux paiements que la société devait faire et ne se payaient pas eux-mêmes.

[43] À ce stade, la pièce R-2 a été admise en preuve. Elle contenait des copies de certains relevés bancaires et de chèques relatifs à la société. Ayant examiné ces documents, l'appelant a admis que lui et Mme Blanchard avaient bel et bien retiré certains fonds de la société. En outre, il a reconnu des chèques faits par la société à certains fournisseurs. Un chèque représentait une avance de salaire qui lui avait été consentie pour 1995. De plus, certains des chèques avaient été faits pour payer des employés. L'appelant a dit qu'il ne savait pas si le prêt de 10 000 $ de la Banque de Montréal avait été obtenu à une époque où la société était en retard dans les sommes à remettre à Revenu Canada.

[44] On a renvoyé l'appelant au paragraphe 10 de la réponse à l'avis d'appel, et l'appelant a indiqué qu'un ordre de payer avait effectivement été envoyé à son avocat. Il était au courant que Mme Blanchard et Revenu Canada s'étaient entendus pour le paiement de l'arriéré.

[45] À divers moments, la société a conclu des arrangements avec des clients de manière que des paiements soient faits directement aux “ normes du travail ” et elle a offert la même chose à Revenu Canada. Cela se passait en 1995. L'appelant a reconnu que la question de l'arriéré avait été soulevée dans la lettre de Mme Blanchard à Mme Ducklow, de Revenu Canada, en date du 16 mars 1995, laquelle lettre a été admise sous la cote R-3. Cependant, il a dit que les “ normes du travail ” étaient plus agressives que Revenu Canada. Elles avaient obtenu quelques saisies-arrêts à l'égard de leurs comptes bancaires, et il y avait de moins en moins d'argent à distribuer.

[46] Au cours du réinterrogatoire principal, l'appelant a dit que lui et son épouse effectuaient bel et bien des prélèvements pour vivre, que le paiement de 10 000 $ avait été fait pour un gros projet et qu'il avait bel et bien obtenu des fonds pour payer plusieurs personnes.

[47] Patricia Blanchard était professeur de conditionnement physique et, en mai 1992, elle s'est jointe à la société, où elle est restée pendant trois ans. Elle avait prêté 30 000 $ à la société et, ne pouvant recouvrer son argent, elle s'est occupée de tenir la comptabilité pour la société. Elle est devenue administratrice parce qu'elle avait de l'argent dans la société. Elle s'est occupée d'entrer des données et de tenir la comptabilité, sauf pendant une partie de l'année 1993.

[48] La société croyait qu'une façon de régler son problème était de changer de comptable et avait donc embauché un comptable pour remplacer Mme Blanchard. Puis ce comptable a quitté la société, parce que son salaire ne lui était pas versé, et Mme Blanchard est revenue travailler pour la société. Elle comprenait qu'il fallait payer Revenu Canada. Lorsque la société ne pouvait faire un paiement en utilisant les rentrées d'argent, Mme Blanchard empruntait de l'argent pour le verser à la société. On s'attendait à ce que des investisseurs se joignent à la société. À la fin de 1992, M. Rana a investi de l'argent dans la société. Puis il a tenté une prise de contrôle hostile et a essayé de confier à sa fille le poste occupé par l'appelante. Il a été licencié et, par la suite, il a bloqué le financement de la société. Il savait que d'autres investisseurs se présenteraient après lui et que la société en avait besoin, mais il essayait de se venger et faisait en sorte d'empêcher d'autres investisseurs de se joindre à la société.

[49] La société s'est adressée à Ernst & Young et a essayé d'obtenir un compte bancaire destiné à payer ce qu'elle devait à Revenu Canada. On ne le lui a pas accordé. Mme Blanchard a dit qu'elle avait reçu un salaire de 16 000 $ en 1992 et de 14 000 $ en 1993 et qu'elle n'avait pas reçu de salaire en 1994 et en 1995.

[50] Elle a renvoyé aux chèques figurant dans la pièce R-2 et a dit que les chèques encaissés étaient destinés à faire en sorte que des fournisseurs puissent être payés, car les créanciers avaient saisi-arrêté les comptes bancaires. Peter Francis avait reçu 2 000 $ de salaire. Les chèques faits à Mme Blanchard étaient destinés à la rembourser à l'égard de prêts qu'elle avait accordés à la société, mais ils ne représentaient qu'une partie de l'argent qu'elle avait prêté à la société et, en fait, la somme qui lui était due ne lui a jamais été remboursée complètement et augmentait au lieu de diminuer.

[51] La tâche de Mme Blanchard était de parler à tous les fournisseurs, d'essayer d'empêcher une mise sous séquestre et de faire en sorte que la société continue. Elle savait qu'elle devait payer Revenu Canada et se mêlait davantage des affaires de la société lorsque celle-ci n'avait pas d'argent. Peter Francis ne voulait pas fermer la société. Généralement, il y avait toujours un investisseur qui s'intéressait à la société.

[52] Les 10 000 $ de prêt-automobile de la Banque de Montréal sont allés à Revenu Canada. Mme Blanchard a toujours adopté une démarche proactive à l'égard du compte de Revenu Canada. Elle croit qu'elle a communiqué tous les problèmes de flux de trésorerie à Peter Francis, mais ce dernier peut ne pas avoir tout saisi ce qu'elle lui disait. Ils travaillaient douze heures par jour, sept jours sur sept, pour aider la société à réussir et pour payer ses dettes. Ils avaient des réunions hebdomadaires à propos des flux de trésorerie, de l'argent que la société recevait et des comptes fournisseurs. Les seuls comptes qui étaient payés étaient ceux qu'il était absolument nécessaire de payer. Les vieux fournisseurs devaient attendre après leur argent.

[53] Les comptes bancaires ont été saisis au nom des “ normes du travail ”. Par la suite, Mme Blanchard a dû obtenir des chèques certifiés ou de l'argent comptant pour payer des fournisseurs. Certains des fonds qu'elle a retirés de la société étaient destinés à payer des employés; elle procédait de la sorte au lieu d'obtenir un chèque certifié parce que cette dernière solution leur aurait coûté plus cher.

[54] À l'approche de l'année 1995, les chèques allaient directement aux fournisseurs au lieu d'aller dans les comptes bancaires. Ils avaient essayé de faire la même chose pour Revenu Canada. Du point de vue de Mme Blanchard, c'est ce qu'indique la pièce R-3. Il était devenu plus difficile de payer Revenu Canada. Mme Blanchard avait tout vendu ce qu'elle avait pour payer les factures de la société et s'est endettée de dizaines de milliers de dollars sur ses cartes de crédit. Elle croyait que les idées de la société étaient bonnes. Elle aurait souhaité que Revenu Canada prenne de l'argent lorsque d'autres l'ont fait. Elle estimait qu'ils avaient fait plus que leur devoir pour essayer de rembourser ce qu'ils devaient à Revenu Canada.

[55] Au cours du contre-interrogatoire, elle a dit que, lorsqu'elle avait investi les 30 000 $ dans la société, le comptable savait qu'elle ne serait pas remboursée, et son époux le savait également, mais il peut ne pas avoir été au courant des finances autant que le comptable l'était. Son époux lui avait demandé d'investir les 30 000 $ dans la société. Elle a été nommée administratrice en 1992 et l'est demeurée jusqu'à ce que la société ferme.

[56] La fonction de Peter Francis consistait à surveiller le travail de la société. Peter Francis voulait rendre la société prospère. Mme Blanchard s'occupait de l'administration ainsi que de la tenue de la comptabilité. Elle tenait les comptes fournisseurs et les comptes clients, s'occupait des sommes à remettre à Revenu Canada, s'occupait de la paye, entrait des données, faisait des chèques, effectuait même les rapprochements entre les factures et les chèques, surveillait les rentrées et les sorties de fonds, discutait de la question de savoir quels comptes devaient être payés et assistait aux réunions hebdomadaires à propos des travaux en cours.

[57] Elle a été en contact avec Revenu Canada, au fil des ans, à propos des paiements et a fait des chèques à l'égard de sommes à remettre. Si elle n'obtenait pas de fonds de la société, elle s'en procurait personnellement pour acquitter l'arriéré. Il y avait des problèmes lorsqu'elle s'était jointe à la société, et M. Rana empêchait l'arrivée de nouveaux investisseurs. Sinon, la société aurait atteint ses objectifs.

[58] Un plan avait été mis en oeuvre pour régler les problèmes, mais il était entravé par M. Rana, et les problèmes de flux de trésorerie avaient réapparu. On avait prévu quelque chose pour le début de 1993, mais M. Rana avait empêché cette nouvelle initiative visant à attirer des investisseurs. Lorsque M. Prueter s'est présenté, M. Rana était d'accord pour que M. Prueter se joigne à la société comme investisseur.

[59] L'appelante était au courant des problèmes financiers de la société et en parlait à Peter Francis. Elle était au courant de l'histoire des versements qui n'étaient pas faits. Ce problème existait parce que la société utilisait l'argent pour payer des fournisseurs et d'autres personnes de sorte que le travail se poursuive; au bout du compte, ils s'attendaient à tirer de l'argent des travaux accomplis, et ce, en vue de payer Revenu Canada.

[60] Lorsque l'appelante a commencé à travailler pour la société, il y avait un arriéré de versements, et elle a remis des chèques postdatés pour acquitter cet arriéré. Les rapprochements bancaires n'avaient pas été effectués depuis un certain temps lorsqu'elle est arrivée, et les livres n'avaient pas été bien tenus. Elle ne se souvenait pas qu'elle avait discuté avec Peter Francis des problèmes de 1992 relatifs aux versements non effectués, mais elle a dit qu'elle avait assurément parlé avec lui des difficultés, y compris des problèmes de versements non faits à Revenu Canada.

[61] Elle a reconnu la lettre qu'elle avait écrite à Revenu Canada le 19 février 1994, soit une lettre qui a été admise en preuve sous la cote R-5. Cette lettre traitait des problèmes concernant les versements à faire à Revenu Canada. Il manquait 5 387 $ à cause du travail de M. Sato. L'appelante a reconnu la pièce R-6, qui a été admise sur consentement, soit un relevé de vérificateur de Revenu Canada pour la période allant jusqu'au 30 avril 1994. Ce relevé indiquait que des versements avaient été faits à Revenu Canada par chèques postdatés. L'appelante avait de nouveau contacté Revenu Canada en décembre 1994. Elle a en outre reconnu la pièce R-7, soit un document en date du 16 décembre 1994 qu'elle avait envoyé à Revenu Canada. Il avait été convenu que la société resterait à jour et paierait l'arriéré par chèques postdatés.

[62] La pièce R-8 était un relevé de vérificateur daté du 17 mars 1995 concernant la société, soit un document qui indiquait qu'une somme d'environ 8 000 $ avait été versée entre les dates de la pièce R-7 et de la pièce R-8. L'appelante a également reconnu la pièce R-9, soit une lettre datée du 12 février 1993 que Revenu Canada lui avait écrite au sujet de la responsabilité des administrateurs à l'égard de retenues à la source non remises par la société. La pièce R-2 contenait des chèques que l'appelante avait signés.

Arguments de l'intimée

[63] L'avocat de l'intimée a présenté les arguments écrits suivants :

[TRADUCTION]

Arguments

En vertu du paragraphe 227.1(3) de la Loi, un administrateur peut ne pas être tenu pour responsable du manquement visé au paragraphe 227.1(1) lorsqu'il a “ agi avec le degré de soin, de diligence et d'habileté pour prévenir le manquement qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables ”.

Il est à noter que des mesures raisonnables doivent être prises pour prévenir le manquement à l'obligation de remettre une somme. En d'autres termes, les mesures doivent être prises avant qu'il y ait manquement à cette obligation et non pas après coup pour remédier à la situation.

Le critère à appliquer pour déterminer si un administrateur a satisfait à la norme de soin prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi est un critère “ objectif-subjectif ”. La norme de soin est en partie objective, en ce que le paragraphe 227.1(3) parle d'une “ personne raisonnablement prudente ”, et en partie subjective, en ce que la personne raisonnablement prudente est jugée selon son expérience et ses connaissances personnelles.

Il y a une différence entre une personne raisonnablement prudente et une personne qualifiée raisonnablement prudente. Ainsi, si une personne raisonnablement prudente connaît bien les affaires d'une société et a de l'expérience en affaires, comme c'était le cas de Mme Blanchard et de M. Francis, cette personne doit, en vertu de la Loi, agir avec un degré de soin proportionnel à ces connaissances et à cette expérience. Le fait que Mme Blanchard ou M. Francis disent simplement qu'ils ont fait de leur mieux n'est pas suffisant.

Bien que les nombreux jugements publiés concernant le paragraphe 227.1(3) de la Loi soient inévitablement axés sur les faits et ne présentent guère de valeur comme précédents, certains, comme le jugement Short c. La Reine, de la section de première instance de la Cour fédérale, ont trait à des circonstances semblables et sont utiles pour mettre en lumière les faits auxquels il faut particulièrement prêter attention en appliquant le critère et en déterminant si une défense de diligence raisonnable a été établie.

En ce qui concerne l'application du critère aux faits de la présente espèce, Mme Blanchard et M. Francis ont un gros obstacle à surmonter pour établir qu'ils ont agi avec une diligence raisonnable. L'intimée soutient qu'ils n'ont pas agi raisonnablement vu les connaissances et l'expérience qu'ils avaient effectivement et vu les circonstances dans lesquelles ils se trouvaient.

Mme Blanchard et M. Francis ont fait tous les efforts pour prouver qu'ils étaient dans une situation critique et pour expliquer pourquoi les versements n'ont pas été effectués. Toutefois, les deux connaissaient bien les affaires de la société et étaient actifs à cet égard. Ils connaissaient les modalités relatives à la paye et connaissaient notamment leurs obligations comme administrateurs envers Revenu Canada. Ils savaient que ces obligations étaient sans cesse négligées.

Mme Blanchard et M. Francis ont continuellement eu d'énormes problèmes financiers à maintenir la société à flot. Toutefois, en tant qu'administrateurs actifs et bien informés, ils pouvaient et devaient prendre des mesures concrètes pour prévenir les problèmes relatifs aux versements.

Ils ont plutôt décidé de maintenir l'entreprise de la société, quoi que cela exige. À cette fin, ils ont délibérément choisi de faire en sorte que la société n'effectue pas les versements et continue à utiliser sans permission des fonds de la Couronne pour financer ses opérations. Ce faisant, ils acceptaient le risque d'être personnellement tenus responsables à cet égard.

Une personne prudente et parfaitement au courant des problèmes passés de la société concernant les retenues à la source et parfaitement au courant des sérieuses et constantes difficultés financières de la société aurait au moins accordé la priorité au versement des retenues à la source et institué une sorte de système à cet égard. Mme Blanchard et M. Francis ne l'ont pas fait.

L'intimée soutient également que, dans des cas extrêmes comme celui-ci, le soin, la diligence et l'habileté requis d'un administrateur comportent le fait d'être assez prudent pour savoir quand fermer une entreprise au lieu d'en prolonger l'agonie en utilisant illicitement des retenues à la source. Mme Blanchard et M. Francis refusaient d'envisager une fermeture.

Mme Blanchard et M. Francis ont dit qu'ils avaient fait tout ce qu'ils pouvaient pour sortir la société de sa piètre situation financière et que, à l'époque, ils faisaient tous les efforts pour réduire l'arriéré relatif au versement des retenues à la source. Malheureusement, comme je l'ai mentionné précédemment, il n'est pas suffisant de s'accrocher à l'espoir que l'omission de remettre l'argent sera corrigée à un moment donné.

Bref, bien que Mme Blanchard et M. Francis disent que la société a collaboré avec Revenu Canada, qu'ils ont essayé de faire de leur mieux pour payer l'arriéré et qu'ils ont exercé toute la diligence raisonnable qu'ils pouvaient, cela n'est pas suffisant, dans les circonstances, pour qu'ils puissent ne pas être tenus pour responsables. Certes, il est regrettable qu'ils aient perdu pas mal d'argent dans cette entreprise et que cela leur ait causé des difficultés personnelles, mais ces facteurs ne contribuent en rien à une défense de diligence raisonnable.

[64] L'avocat de l'intimée a également présenté des arguments de vive voix; il a répété que, conformément au jugement Soper c. La Reine, [1998] 1 C.F. 124 (97 DTC 5407), les administrateurs ont une obligation expresse d'agir, et il a soutenu que cela représentait pour les appelants en l'espèce un gros obstacle à franchir, car ils étaient des administrateurs internes. L'avocat a comparé en outre les faits de l'espèce à ceux de l'affaire Short c. La Reine, 1re inst., no T-291-91, 19 mai 1999, aux pages 5352 et 5353 (99 DTC 5348), affaire dans laquelle la société comptait sur les rentrées d'argent de mois suivants pour effectuer les versements dus pour des mois précédents. L'entreprise n'était pas suffisamment capitalisée, tout comme dans la présente espèce. Dans cette cause-là, tout comme en l'espèce, l'administrateur avait une connaissance approfondie des mesures prises par la société.

[65] Dans la présente espèce, l'avocat a posé la question de savoir ce que les appelants avaient à faire et ce qu'ils étaient capables de faire. Comme l'indique le jugement Soper, précité, à la page 159 (DTC : à la page 5418), même un administrateur externe a l'obligation expresse d'agir lorsqu'il devient au courant des problèmes existants. En l'espèce, les appelants étaient des administrateurs internes et avaient l'obligation expresse d'agir en tout temps. Ils n'ont pourtant guère pris de mesures pour corriger la situation. Bien qu'ils aient prêté de l'argent à la société, ils n'ont pris aucune mesure expressément pour prévenir le problème de non-versement.

[66] L'avocat a fait référence au jugement La Reine c. Leung, [1994] 1 C.F. 482 (93 DTC 5467), qu'il a invoqué à l'appui de la proposition voulant que les sommes dues à Revenu Canada aient été des fonds en fiducie et qu'une obligation sérieuse ait été imposée aux administrateurs de la société. Ces fonds ne peuvent servir à d'autres fins et n'auraient assurément pas dû être utilisés pour atténuer des problèmes de flux de trésorerie.

[67] Quant au fait que les appelants avaient offert à Revenu Canada de donner pour instructions que les sommes correspondant aux comptes clients de la société soient versées à Revenu Canada, cette mesure a été proposée trop tard et n'aurait pas, de toute façon, prévenu le manquement. On ne savait pas quand, le cas échéant, les comptes clients seraient payés. Aucun compte client n'était à jour, sauf un en 1995. Les livres n'indiquaient pas que de nouveaux marchés avaient été conclus à cette époque.

[68] Les arguments des appelants ne sont pas suffisants pour que les appelants ne soient pas tenus responsables dans cette affaire. On peut compatir à leurs difficultés, mais cela ne leur donne aucune mesure de redressement.

[69] Les appels devraient être rejetés, avec dépens.

Arguments des appelants présentés par Peter Francis

[70] Peter Francis a présenté les brefs arguments écrits suivants :

[TRADUCTION]

ARGUMENTS

l'article 227 de la loi a ÉtÉ adoptÉ pour éviter que des administrateurs agissent de manière à EMPÊCHER que des paiements soient faits à la couronne.

la loi n'exige pas la perfection ni n'impose une responsabilitÉ absolue.

nous n'avons jamais essayÉ de nous soustraire à nos obligations ou d'Éviter d'assumer nos RESPONSABILITÉS. bien au contraire, nous nous sommes donnÉ beaucoup de mal pour rÉgler les difficultÉs avec lesquelles nous étions aux prises et pour nous acquitter de nos obligations.

j'espère que la justice a un critère semblable à l'article 227 en ce qu'on peut seulement s'attendre à CE que nous agissions avec le degrÉ d'EXPÉRIENCE ET DE COMPÉTENCE DONT FERAIT PREUVE une personne ayant une expÉrience et des connaissances semblables.

Études et antÉcÉdents

un ADMINISTRATEUR a de nombreuses fonctions à remplir, outre le fait qu'il doit veiller à ce que les paiements dus à la couronne soient effectués. il doit agir avec honnêteté et dans le plus GRAND intérêt de la société.

un administrateur ne peut être tenu responsable d'erreurs de jugement.

on ne s'attend pas à ce que des administrateurs soient des fiduciaires; leurs fonctions peuvent être plus variÉes et plus complexes. ils sont appelÉs à faire preuve de jugement en affaires et DOIVENT PARFOIS AGIR AVEC prudence, PARFOIS PRENDRE DES RISQUES POUVANT ALLER JUSQU'À la spÉculation pure. nous ne sommes pas allés jusqu'à faire de la spÉculation pure; nous avons pris des risques calculÉs en nous fondant sur de bonnes connaissances et en nous attendant à ce que d'autres agissent rationnellement. qui s'attendrait à ce qu'un investisseur désireux de recouvrer son argent bloque toute mesure qui lui aurait permis d'y parvenir? EN DéFINITIVE, NOUS AVONS BIEN AGI, et M. rana A FINI PAR ÊTRE DISPOSÉ À NÉGOCIER, mais il était trop tard.

je n'ai pas fait d'Études poussÉes, je n'ai pas de diplômeS, mais j'ai suivi des cours du soir pour amÉliorer ma connaissance des affaires, et l'on devrait s'attendre à ce que je fasse preuve DE moins D'expÉrience qu'un TITULAIRE de maîtrise en administration des affaires ou qu'un gestionnaire CHEVRONNÉ; dans DE TELLES circonstances, IL FAUT FAIRE appel À LA compÉtence d'un spÉcialiste, et c'est ce que nous avons fait. nous avons toujours eu pour nous aider des consultants et des mentors ayant des annÉes d'expÉrience professionnelle, SOIT :

bill humphries, chef de la division de LA petite entreprise d'ernst & young;

art brueton, ancien gestionnaire d'ibm, chargÉ de cours à ubc;

peter mogan, avocat;

howard jones, ancien vice-prÉsident, banque de la nouvelle-Écosse;

paul sabina, directeur, vantage house.

L'article 227 devrait être examinÉ en partie avec la loi sur les SOCIÉTÉS par actions, étant donné que les formulations sont très semblables, et l'on devrait considérer que le législateur entendait que les deux lois s'appliquent de concert. ainsi, un administrateur a d'autres fonctions que celle de veiller à ce que la couronne reçoive l'argent qui lui est dû. il doit agir avec honnêteté et dans le plus grand intÉrêt de la sociÉté. pour rembourser nos dettes, nous ne pouvons donc utiliser les acomptes reçus de clients, car cet argent est destinÉ à payer du matÉriel et de la main-d'oeuvre pour remplir nos obligations contractuelles. pour rembourser nos dettes, nous devons compter sur les bÉnÉfices.

la norme de soin est fondamentalement souple; elle doit correspondre à la situation et aux circonstances de l'époque, et il faut tenir compte de l'expÉrience et des connaissances des administrateurs.

la loi exige que les administrateurs agissent d'une manière proactive pour prÉvenir les bévues et y remÉdier le cas ÉchÉant. nous avons fait les deux, dans la mesure de nos ressources et de nos capacitÉs.

nous nous sommes toujours raisonnablement attendus à ce que la sociÉtÉ puisse être sauvÉe et à ce que revenu canada et nos autres crÉanciers soient PAYÉS. nous avons fait plus que ce que l'article 227 exige d'un administrateur. nous n'estimions pas à l'époque que nous gaspillions notre Énergie et nous n'avons jamais planifiÉ ou agi pour Éviter ou empêcher que des paiements soient faits à revenu canada. bien au contraire, lorsque nous nous sommes rendu compte que nous ne pourrions remÉdier à la situation par notre travail et qu'il nous faudrait compter sur M. pruEter comme chevalier blanc, nous avons offert à revenu canada nos comptes clients, en indiquant les noms et les sommes en cause, de manière qu'il puisse recouvrer CES COMPTES.

nous avons satisfait à la norme de soin requise. la thèse de l'intimÉe devrait être rejetÉe. sinon, on devrait nous soustraire à l'obligation de payer des intÉrêts.

[71] M. Francis a également présenté des arguments de vive voix, soutenant que l'on a ajouté l'article 227 de la Loi afin d'éliminer des échappatoires utilisées par des administrateurs pour se soustraire à la responsabilité concernant le versement à Revenu Canada de retenues effectuées pour une société. On a introduit le critère de diligence raisonnable pour rendre le système plus humain.

[72] La loi actuelle n'exige pas la perfection et n'impose pas une responsabilité absolue.

[73] Les appelants n'ont pas délibérément cherché à éviter de payer Revenu Canada. Ils connaissaient leurs obligations et ont essayé de s'en acquitter de leur mieux. Ils se sont donné beaucoup de mal pour se conformer aux exigences, dans la mesure de leur compétence et de leur capacité.

[74] L'appelant a dit qu'il avait suivi des cours et que, par ailleurs, il n'avait pas terminé ses études secondaires et n'était pas allé à l'université. Un administrateur a de nombreuses obligations. Il doit agir comme mandataire de Sa Majesté, mais a également des obligations envers la société, les employés et les clients et doit maintenir l'équilibre. L'appelant a admis qu'ils étaient des administrateurs internes, mais, a-t-il dit, ils devaient agir dans le plus grand intérêt de la société. Il a fait référence au jugement Ho c. M.R.N., C.C.I., no 89-2029(IT)G, 8 novembre 1990 (91 DTC 76), à l'appui de sa proposition voulant que l'obligation imposée aux administrateurs en vertu de la Loi ne soit pas absolue et n'exige pas la perfection.

[75] L'appelant a également traité assez longuement de l’arrêt Soper, précité, affirmant qu'ils n'étaient pas des fiduciaires, qu'ils n'étaient pas responsables d'erreurs de jugement et qu'ils ne sont pas tenus de prêter une attention continuelle aux affaires de la société.

[76] Sa thèse était que les appelants avaient planifié une ligne de conduite médiane. Ils n'étaient pas prudents à l'excès, mais n'ont pas non plus fait de la pure spéculation. Ils avaient des raisons de croire que leurs objectifs se réaliseraient, ce qui a bel et bien été le cas après que la société eut fermé boutique. Ils ne prenaient donc pas simplement leurs désirs pour la réalité. Ils avaient des consultants et autres conseillers et comptaient sur eux pour assurer la réussite de la société.

[77] Encore là, comme administrateurs, ils devaient réaliser un équilibre entre des intérêts divergents. Ils ont dû prendre des décisions à court terme sans recevoir de conseils. Ils devaient agir dans le plus grand intérêt de leurs clients. Ils ont agi de manière à augmenter les ventes. Il fallait utiliser les acomptes pour accomplir les travaux des clients. Ils ont eu des difficultés avec certains travailleurs, qui ont causé des problèmes à la société.

[78] Il n'y avait pas de moment propice pour fermer la société, contrairement à ce qu'a dit l'avocat de l'intimée. Jusqu'au printemps 1995, il y a eu énormément de travaux à faire. Leurs attentes de réussite dans le cadre de leur grand plan stratégique étaient raisonnables. Ils s'entretenaient continuellement avec des investisseurs potentiels. Ils avaient réglé la poursuite intentée par M. Rana contre la société, ce qui avait un peu éclairci l'horizon.

[79] Conformément à l’arrêt Soper, précité, la norme de soin à laquelle les administrateurs doivent satisfaire est une norme souple tenant compte de la capacité globale des contribuables. Les administrateurs en l'espèce ont utilisé toutes les compétences qu'ils avaient et ont agi dans le plus grand intérêt de la société.

[80] Des administrateurs sont tenus d'agir de manière à prévenir le problème et, à cet égard, les appelants ont soutenu que c'était ce qu'ils avaient fait. La société était sous-capitalisée; il s'agissait au départ d'une opération menée en se servant uniquement de ses propres moyens. L'appelant a dit qu'il avait des compétences d'entrepreneur et qu'il était très persévérant. Toutes les petites sociétés ont toutefois des problèmes, et ils savaient qu'ils auraient un problème de flux de trésorerie.

[81] La société a effectivement toujours été sous-capitalisée. Ils avaient toutefois bel et bien attiré certains investisseurs. La société ne payait pas toujours l'ensemble de la masse salariale. Le problème tenait au fait qu'il n'y avait pas assez d'argent dans la caisse. Les administrateurs ont bel et bien fait quelque chose pour prévenir le manquement.

[82] Eu égard à toutes les circonstances, les plans de la société se sont bel et bien réalisés dans la plupart des cas. Ils avaient un plan pour obtenir plus d'investissements et s'assurer de rentrées d'argent suffisantes. Ils ont réglé le problème d'abord en faisant en sorte que Mme Blanchard investisse de l'argent dans la société et ils ont tiré parti des compétences de Mme Blanchard comme teneuse de livres. C'était là une mesure pour empêcher que le problème se pose ultérieurement. Il s'agissait d'un projet à long terme. Après que Mme Blanchard se fut jointe à la société, ils ont réussi à avoir deux autres investisseurs et, pendant une brève période, n'ont eu aucun problème de capitaux ou de flux de trésorerie.

[83] M. Rana a agi d'une manière inattendue. Les administrateurs ont cependant essayé de régler le problème en cherchant un autre investisseur, mais M. Rana a fait obstacle à cette tentative. M. Rana a agi déraisonnablement.

[84] La société a également réglé ce problème. Ils ont adopté la démarche la plus proactive possible pour faire en sorte que la société ait des bases stables. Le problème relatif à M. Rana a été réglé, et ils ont continué leurs activités commerciales et ont obtenu un grand nombre de ventes. Puis leurs ventes ont été la source d'autres problèmes pour la société à cause du piètre rendement de certains des employés. Les appelants ont remédié à cette situation en effectuant le travail eux-mêmes. Cela diminuait leur capacité de s'acquitter de leurs autres fonctions.

[85] Au printemps 1995, ils ont eu de nouveaux problèmes, mais aussi de nouvelles possibilités. Ils ont offert les comptes clients à Revenu Canada. Ces comptes auraient permis dans une large mesure de payer Revenu Canada. Revenu Canada aurait pu les saisir-arrêter. Ils avaient de bonnes raisons de croire que la société serait prospère, même sans “ chevalier blanc ”.

[86] Finalement, M. Prueter n'a pas investi d'argent. Ils n'avaient aucune raison de croire que tel serait le cas. Ils ont fait ce qu'ils ont pu avec les revenus restants pour que Revenu Canada ait son argent.

[87] La communication avec Revenu Canada a été constante jusque vers la fin, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'électricité soit coupée et que les téléphones soient débranchés. Les “ normes du travail ” ont reçu de l'argent; pourquoi Revenu Canada n'en a-t-il pas reçu? Lorsque Revenu Canada a agi, il ne restait plus rien.

[88] Les administrateurs n'ont pas essayé de se soustraire à leurs responsabilités. Ils ont fait plus que de leur mieux. Ils s'étaient conformés à un système. L'appel devrait être accueilli compte tenu du fait que les appelants ont satisfait au critère de diligence raisonnable. La société a apporté une contribution financière au pays. Le gouvernement ne veut pas adopter une attitude punitive. La société a reçu de l'argent d'organismes gouvernementaux, qui devaient estimer que la société allait bien.

[89] L'appel devrait être accueilli.

Arguments des appelants présentés par Patricia Blanchard

[90] Patricia Blanchard a dit qu'elle s'était jointe à la société involontairement, pour garantir le remboursement de son prêt et que, lorsqu'elle était administratrice, elle avait fait tout ce qu'elle pouvait pour assurer le maintien de la société. Elle n'a pris un salaire que pour un an.

[91] Le comptable précédent lui avait menti. Il a fallu à Mme Blanchard un an pour réparer le désordre créé par le teneur de livres précédent. Puis Ernst & Young a trouvé M. Sato. Ce dernier n'a rien fait de plus que l'appelante. Les services d'un comptable ont été fournis par Ernst & Young, mais, à un moment donné, on n'a plus été capable de payer M. Sato, de sorte que l'appelante est revenue comme teneuse de livres.

[92] Si la société avait réussi à obtenir un nouveau compte bancaire, des fonds n'auraient pas été saisis-arrêtés, et il y aurait eu de l'argent pour Revenu Canada. De plus, si les travailleurs avaient fait leur travail, il y aurait eu de l'argent disponible pour Revenu Canada. M. Rana a adopté une attitude très malveillante à l'endroit de la société. Revenu Canada avait été entièrement payé à un moment donné.

[93] Les pièces R-3 et R-7 indiquent que Revenu Canada s'était vu offrir les comptes clients, ce qui aurait permis de payer complètement Revenu Canada, comme on peut le voir après coup.

[94] L'appelante s'est prononcée sur la question de savoir pourquoi la société n'avait pas été fermée plus tôt. Elle a dit que cela tenait à la viabilité correspondant à l'intérêt d'investisseurs à l'égard de la société. Il ne s'agissait pas simplement d'un vague espoir. Les appels devraient être accueillis, et les cotisations du ministre devraient être annulées.

Analyse et décision

[95] Les faits de l'espèce rendent cette cause assez dissemblable à la majorité des causes entendues relativement à cet article de la Loi. Dans bien des cas, les contribuables font valoir qu'ils ne savaient même pas qu'ils étaient administrateurs et que, s'ils l'étaient, ils n'étaient toutefois pas au courant des responsabilités que la Loi impose aux administrateurs. En outre, ils prétendent habituellement que, s'ils étaient administrateurs, ils étaient ce qu'on appelle communément des “ administrateurs externes ”, qu'ils n'étaient pas au courant de ce qui se passait dans la société et qu'ils n'avaient pu prendre de mesures pour prévenir le manquement à l'obligation de remettre des sommes à Revenu Canada. Au bout du compte, ils soutiennent que, même s'ils étaient des administrateurs internes ou externes, ils ont agi raisonnablement, compte tenu de l'ensemble des circonstances, pour prévenir le manquement et qu'ils ne devraient donc pas être tenus responsables de l'omission de la société de remettre les sommes requises à Revenu Canada.

[96] Ce n'est pas le cas dans la présente affaire. Les deux appelants ont eux-mêmes témoigné qu'ils savaient qu'ils étaient administrateurs de la société, qu'ils participaient activement à ses opérations quotidiennes, que la société n'avait pas été suffisamment capitalisée presque depuis le début et avait de constants problèmes de flux de trésorerie, qu'ils étaient au courant des problèmes financiers de la société, que celle-ci avait déjà eu des problèmes de non-versement de retenues à la source, qu'ils étaient au courant que des discussions avaient eu lieu avec Revenu Canada au sujet de ces retenues et qu'il y avait eu pendant longtemps un arriéré de versements.

[97] Les deux administrateurs ont témoigné que Revenu Canada avait conclu des arrangements avec la société pour qu'elle paie l'arriéré et qu'elle reste à jour relativement aux retenues à la source et que, toutefois, cela n'est arrivé que très rarement. Il n'est que raisonnable de conclure sur la foi de l'ensemble de la preuve que les deux administrateurs doivent être assimilés aux “ administrateurs internes ” dont traite l'arrêt Soper, précité. Cela dit, ces deux administrateurs doivent se voir imposer l'obligation de satisfaire à une norme élevée de soin quand on considère le critère de soin raisonnable énoncé dans l'arrêt Soper, précité, ainsi que dans les autres jugements.

[98] D'après leurs propres témoignages, les appelants considéraient comme très importante l'obligation qu'ils avaient en tant qu'administrateurs d'effectuer les retenues à la source et de les remettre à Revenu Canada et les deux appelants étaient au courant que, si la société n'effectuait pas les retenues et versements requis, ils pouvaient être tenus responsables en tant qu'administrateurs. Donc, les deux administrateurs avaient, selon le critère objectif-subjectif énoncé dans l'arrêt Soper, précité, l'obligation expresse d'agir lorsqu'ils ont obtenu des renseignements ou pris conscience de faits pouvant les amener à conclure que les versements posaient, ou pourraient vraisemblablement poser, un problème potentiel.

[99] La Cour estime devoir conclure que les deux administrateurs en l'espèce étaient au courant, presque depuis le début de leur engagement à l'égard de la société, que les versements posaient un problème potentiel et que, en fait, le problème était la plupart du temps non pas potentiel, mais bien réel.

[100] Comme le disait le juge Robertson dans l'arrêt Soper, précité, “ il incombe vraiment à l'administrateur externe [c'est moi qui souligne] de prendre des mesures s'il sait, ou aurait dû savoir, que la société pourrait avoir un problème avec les versements. La situation typique dans laquelle un administrateur est, ou aurait dû être, au courant de cette éventualité est celle de la société qui a des difficultés financières ”.

[101] A fortiori, lorsque les contribuables sont des administrateurs internes, comme c'était indubitablement le cas en l'espèce, on s'attend à ce qu'ils prennent des mesures concrètes pour empêcher qu'un versement ne soit pas effectué et pour régler tout problème s'étant posé jusque-là en matière de versements. Comme les deux administrateurs en l'espèce avaient nettement le devoir de prendre des mesures concrètes pour prévenir la réapparition du problème en matière de versements et pour régler le problème s'étant posé jusque-là en la matière, il faut se demander quelles mesures raisonnables les appelants ont prises sous ces deux rapports.

[102] Il ressort clairement de la preuve que les appelants n'ont pas agi d'une manière différente de celle dont ils avaient agi avant de se rendre compte du problème en matière de versements. Ils ont continué à payer d'autres fournisseurs, même si, comme l'indiquent leurs témoignages, ils ne payaient que les fournisseurs qu'il fallait payer pour que le travail en cours soit achevé. Ils ont continué à essayer de conclure des arrangements avec Revenu Canada pour payer l'arriéré et pour rester à jour dans les autres versements, mais il est évident que cela n'a pas réussi et que les sommes dues ont augmenté. Ils ont continué à payer des employés, même s'ils ont témoigné qu'ils payaient seulement les employés qu'il fallait payer de manière que la société continue le travail et que, une fois ce travail achevé, elle ait de l'argent pouvant être envoyé à Revenu Canada. Tel n'a évidemment pas été le cas dans une large mesure.

[103] Ils ont continué à chercher des investisseurs pour la société, dans l'espoir que tous leurs problèmes financiers se régleraient. Cela ne s'est évidemment pas réalisé.

[104] Ils ont continué à retirer de l'argent de la société pour assurer leur subsistance, mais il est vrai qu'ils n'ont pas retiré tout ce qui leur était dû et qu'ils ont même en fait emprunté personnellement beaucoup d'argent pour l'investir dans la société, de manière à aider celle-ci. Toutefois, malgré ces efforts, le problème n'a pas été réglé et semble en fait avoir empiré.

[105] Les appelants n'ont jamais été disposés à conclure que la société avait de telles difficultés financières, à cause du problème de flux de trésorerie et du problème de sous-capitalisation, qu'elle ne pourrait continuer à fonctionner et qu'elle serait incapable de s'acquitter de ses obligations envers Revenu Canada si elle n'arrivait pas à trouver un bon investisseur. Les deux appelants savaient qu'il était difficile de trouver l'investisseur qu'il fallait, quoique, à plusieurs occasions, ils semblent avoir été à deux doigts de le trouver. Finalement, l'investissement qui aurait permis de sauver la situation n'a jamais été fait, et la société n'a pu obtenir les fonds pour faire les versements dus à Revenu Canada.

[106] D'un point de vue commercial, il semble que cette décision ait été la mauvaise et que, même si elle ne l'a pas été, cela n'aide guère les appelants en l'espèce, car, au bout du compte, même s'ils ont continué à exploiter l'entreprise, ils n'ont pu faire les versements requis à Revenu Canada.

[107] Lorsque l'arrêt Soper, précité, et d'autres jugements traitent de mesures concrètes devant être prises par les administrateurs, il s'agit de mesures garantissant non seulement que des fonds seront disponibles pour faire les versements à Revenu Canada, mais aussi que ces fonds seront mis de côté et versés à Revenu Canada en temps opportun. Les administrateurs ne peuvent faire valoir qu'ils se sont acquittés de cette obligation en disant qu'ils ont essayé d'établir un compte distinct aux fins des versements, alors que cela n'a pas été fait. Bien qu'il ne soit pas exigé qu'un fonds distinct soit établi, il s'agirait nettement d'une façon de faire en sorte d'avoir de l'argent disponible pour effectuer les versements requis à Revenu Canada. En l'espèce, on a affirmé que cela avait été tenté, mais cette tentative n'a pas été couronnée de succès, et aucune explication raisonnable n'a été présentée concernant la question de savoir pourquoi les appelants n'avaient pu établir ce compte distinct.

[108] Les appelants ne peuvent se justifier en disant qu'ils ont offert à Revenu Canada la possibilité de prendre des mesures semblables à celles que des autorités provinciales avaient prises en vertu de la législation relative aux normes du travail et qui avaient donné lieu à la saisie de certains des biens de la société. Les appelants ne peuvent se justifier non plus en disant que ces comptes-là ont été acquittés et que, si Revenu Canada avait agi de même, l'argent qui lui était dû lui aurait été versé.

[109] Revenu Canada était en droit de s'attendre à ce que les versements soient faits régulièrement au nom de la société, qui continuait d'être exploitée, et, comme les fonctionnaires de Revenu Canada n'ont pas agi de mauvaise foi en s'abstenant de saisir-arrêter des actifs de la société pour que Revenu Canada soit payé, il n'est pas utile aux appelants de faire valoir que Revenu Canada aurait dû agir plus rapidement et à la façon dont d'autres ont agi pour se faire payer.

[110] Les appelants contestent le fait que Revenu Canada n'ait pas accepté les comptes clients de la société pour se faire payer et qu'il puisse ne pas avoir été prêt à accepter des paiements par l'entremise de leur avocat, mais la preuve est insuffisante pour convaincre la Cour que l'une ou l'autre de ces mesures aurait permis de payer la somme due. Il n'est guère utile aux appelants de prétendre que Revenu Canada n'a pas pris toutes les mesures concrètes possibles pour recouvrer l'argent qui lui était dû, alors que, en fait, c'était la société qui avait l'obligation expresse d'agir, et les deux appelants le savaient depuis le début.

[111] Les appelants ont soutenu que, comme administrateurs de la société, ils avaient diverses responsabilités envers les créanciers, les fournisseurs et les employés et non pas seulement envers Revenu Canada. Cela, toutefois, soustrait difficilement les appelants à l'obligation que leur impose le paragraphe 227.1(1) de la Loi, et aucune disposition de la Loi ou d'une autre mesure législative comme la Loi sur les sociétés par actions ne change quoi que ce soit à l'obligation ainsi imposée.

[112] Les appelants affirment qu'ils croyaient que tout serait satisfaisant en continuant d'exploiter l'entreprise comme avant, en permettant que l'arriéré continue, en omettant de rester à jour dans les versements, en espérant un nouvel investissement, en espérant répondre aux exigences en utilisant les acomptes dont ils disposaient et en attendant d'obtenir les paiements que les clients feraient une fois le travail terminé, mais cela n'est pas suffisant, car, comme les faits l'indiquent, ces mesures n'ont pas eu l'effet escompté et, au bout du compte, les versements à Revenu Canada n'ont pas été faits.

[113] Une analyse raisonnable du droit et une application raisonnable du droit aux faits de l'espèce obligent la Cour à conclure que les deux contribuables avaient l'obligation expresse d'agir tout au long de la période concernée par l'arriéré de versements, qu'ils auraient dû conclure que la société avait des difficultés financières extrêmement sérieuses, que les mesures qu'ils ont prises ne correspondent pas aux mesures concrètes énoncées dans l’arrêt Soper, précité, et que les mesures qu'ils ont prises n'ont pas eu et n'auraient pu avoir pour effet de prévenir les problèmes ou de les régler.

[114] La Cour est convaincue que les problèmes en l'espèce sont attribuables aux faits suivants : il s'agissait d'une opération menée en se servant uniquement de ses propres moyens, la société n'était, depuis le début, pas suffisamment capitalisée, elle avait besoin d'une injection importante de capitaux pour rester viable, et les appelants n'ont pris aucune mesure correspondant aux mesures concrètes envisagées par le juge Robertson dans l'arrêt Soper, précité, ou correspondant aux mesures énoncées dans les autres jugements sur cette question.

[115] La Cour compatit beaucoup aux difficultés des deux appelants, car, comme dans bien des cas, il est évident qu'ils ont personnellement dépensé des sommes considérables pour que l'entreprise reste à flot : ils sont même allés jusqu'à vendre leur propre résidence, leur maison d'été, et ont utilisé leurs cartes de crédit aux fins de l'entreprise ainsi que d'autres ressources pécuniaires, alors qu'aucune de ces mesures n'a donné le résultat escompté. Cependant, dans les circonstances, il apparaît clairement à notre cour que les appelants n'ont pas agi comme des administrateurs raisonnables auraient agi et que les appelants ne peuvent invoquer une défense de diligence raisonnable.

[116] Les appels sont rejetés avec dépens et les cotisations établies par le ministre sont confirmées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de juin 2000.

“ T. E. Margeson ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 16e jour d'octobre 2000.

Isabelle Chénard, réviseure

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.