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Date: 20001016

Dossier: 1999-3847-IT-I

ENTRE :

CHEE ANG LOONG,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Montréal (Québec), le 1er septembre 2000 et modifiés par la suite)

Le juge P. R. Dussault, C.C.I.

[1]            L'appel en l'instance porte sur une cotisation d'impôt établie à l'égard de l'année d'imposition 1997.

[2]            En vertu de cette cotisation, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) rejetait la déduction d'une perte locative de 7 100 $ et d'une perte finale de 32 900 $ se rapportant à un logement en copropriété situé au 304-1200, Curé-Poirier, à Longueuil (Québec), dans l'immeuble « Les Tours du Parc » .

[3]            Les pertes ont été rejetées parce que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit à l'égard du logement en copropriété en 1997. Je pourrais ajouter à ce propos que l'appelant avait déjà déclaré des pertes locatives à l'égard du logement en copropriété de 1990 à 1996, et que les pertes déclarées pour 1995 et 1996 ont également été rejetées.

[4]            L'appelant, chercheur scientifique à l'emploi du Conseil national de recherches à Boucherville (Québec), a déclaré s'être toujours intéressé à différentes formes de placement, par exemple des actions, des obligations, des fonds communs de placement et des biens immeubles.

[5]            En 1990, il voulait faire un placement à long terme et, après avoir évalué les perspectives offertes par d'autres logements en copropriété, il a décidé d'investir dans Les Tours du Parc, car il estimait que les possibilités d'appréciation de ce projet étaient élevées. Le bien était situé en bordure d'un parc, près d'un hôpital et à proximité d'une usine de Pratt and Whitney, et il offrait de nombreux autres agréments.

[6]            Aux dires de l'appelant, le prix total payé pour le bien s’élevait à près de 113 000 $. Le financement a été obtenu par l'intermédiaire du promoteur, une hypothèque de premier rang de 88 000 $ environ servant de garantie (se reporter aux états financiers joints à la pièce R-1). L'appelant a en outre pris une hypothèque de deuxième rang de quelque 25 000 $ et a versé 500 $ d'acompte (je constate que ces montants diffèrent quelque peu de ceux mentionnés à l'alinéa 3b) de la réponse à l'avis d'appel, mais cela a peu d'importance dans l'affaire en l'instance).

[7]            Lors de son témoignage, l'appelant a indiqué à plus d'une reprise qu'il prévoyait un taux d'appréciation prudent de 5 p. 100 par année sur une période de dix à quinze ans, ainsi qu'une hausse du revenu de location.

[8]            Selon l'entente conclue avec le promoteur du projet, ce dernier ou une entité lui étant liée assurait la gestion du logement en copropriété pour la période allant de 1990 à 1993. D'après l'appelant, l'entente de gestion prévoyait un revenu de location garanti de 8 400 $ par année en 1991, 1992 et 1993. Le montant garanti en 1990 était de 2 100 $ pour une période de trois mois (la pièce A-10 est un compte rendu final présenté par Les Tours du Parc, où ces montants sont qualifiés de « revenu de location » ). L'appelant a déclaré n'avoir pas reçu directement de revenu durant ces années et s'être fié aux états financiers présentés par la société de gestion pour remplir sa déclaration de revenu.

[9]            L'appelant a déposé en preuve un bail signé entre Placements Tours du Parc et des locataires, M. et Mme Plourde, pour une période de 24 mois, soit du 1er juillet 1991 au 30 juin 1993 (pièce A-2). Il était stipulé dans le bail qu'aucun loyer n'était payable pour le mois de juillet 1991. D'août 1991 à juin 1992, le loyer mensuel était fixé à 735 $, et à 772 $ de juillet 1992 à juin 1993. Le montant total de loyer payable aux termes du bail pour la période de 24 mois était de 17 349 $.

[10]L'appelant a indiqué dans son témoignage qu'il avait pris en main la gestion de son logement en copropriété en 1994 et qu'il avait été en mesure de louer le logement pour une période de 24 mois — du 1er juillet 1994 au 1er juillet 1996 —, le loyer mensuel s'élevant à 772 $. Malgré nombre de tentatives et d'annonces publiées dans les journaux, il n'a pas été capable de le louer par la suite, et il en a disposé en fin de compte en 1997, soit l'année en cause dans le présent appel. En réalité, l'opération effectuée en 1997 était plutôt un échange contre un logement en copropriété d'un genre différent situé au lac Memphrémagog; d'après l'appelant, ce logement semblait plus rentable.

[11]L'appelant a dit avoir également remboursé la dette de quelque 24 000 $ garantie par l'hypothèque de deuxième rang en 1994.

[12]Lors du contre-interrogatoire, les déclarations de revenu de l'appelant pour les années 1992 à 1997 ont été déposées en preuve(pièces R-1 à R-6).

[13]En 1992, le revenu de location de 8 400 $ a été ramené à 3 885 $ une fois déduits les impôts, les charges de copropriété, les frais de gestion et d'autres frais divers, mais avant déduction des intérêts versés à l'égard de l'hypothèque de premier rang (8 686 $), des frais spéciaux au titre des services financiers et des sûretés (6 549 $), et des intérêts payables sur des emprunts personnels (2 098 $). La perte se chiffrait à 13 448 $[1]. Il ressort clairement que le loyer garanti de 8 400 $ par année ne suffisait même pas à payer les intérêts à l'égard de l'hypothèque de premier rang.

[14]De même, en 1993, le revenu de location de 8 400 $ a été ramené à 3 820 $, une fois déduits les impôts et les différents frais applicables. On peut voir à la page 2 des états financiers joints à la déclaration que les intérêts payés à l'égard de l'hypothèque de premier rang s'élevaient à 8 587 $ et que les frais au titre des services financiers et des sûretés se chiffraient à 6 281 $. Les intérêts payables sur des emprunts personnels s'élevaient à 4 382 $, ce qui donnait 19 250 $ en tout au titre des intérêts et des frais, ainsi qu'une perte de 15 430 $[2]. Cette fois encore, le revenu garanti de 8 400 $ ne suffisait pas à payer les intérêts sur l'hypothèque de premier rang.

[15]Je mentionne ces chiffres parce que, lors du contre-interrogatoire, l'appelant a admis avoir été au courant des projections du promoteur; il avait vu la version anglaise du document déposé en preuve par l'intimée à titre de pièce R-7, et il était au fait des pertes fiscales possibles. Le document en question présente le calcul détaillé des pertes avant la prise en compte de l'hypothèque de deuxième rang, des intérêts payables sur une ligne de crédit, des pertes fiscales totales subies et des économies d'impôt de 1990 (trois mois) à 1993. Ces économies, les intérêts payables sur une ligne de crédit et les 500 $ d'acompte versés au moment de l'offre sont ensuite pris en compte de façon à déterminer les mouvements de trésorerie positifs pour la période en question. En fait, les tableaux de projection des mouvements de trésorerie faisant partie des documents du promoteur sont fondés sur la maximisation des pertes aux fins d'impôt et sur un financement intégral. Je me contenterai d'observer à cet égard que le document est loin de constituer un plan soigneusement préparé en vue de réaliser un profit locatif.

[16]Ce qui a été soigneusement préparé, en revanche, c'est l'utilisation des pertes aux fins d'impôt. Dans ce contexte, il est assez difficile d'évoquer le critère de l' « attente raisonnable de profit » avec quelque vraisemblance. Les termes « attente » et « attente raisonnable » s'appliquent en l'instance uniquement aux pertes fiscales subies, à leur application en réduction du revenu provenant d'autres sources, aux économies d'impôt et aux mouvements de trésorerie projetés. Il n'y a absolument rien qui se rattache, même de loin, à une attente de profit — au sens commercial du terme — au titre des loyers. Malgré cela, l'appelant a été en mesure de déduire les pertes déclarées chaque année de 1990 à 1994.

[17]J'en arrive maintenant à l'année 1994, et je me reporte à la pièce R-3. Cette année-là, le revenu de location brut de l'appelant s'est élevé à 7 720 $. Par suite du remboursement de l'emprunt hypothécaire de deuxième rang, le montant déclaré au titre des intérêts a diminué, s'établissant à 6 192,89 $. Cependant, une fois tenu compte de l'impôt foncier (1 798,60 $) et de divers frais fixes totalisant 2 406,69 $ (1 677,69 $ + 494 $ + 235 $), la perte pour 1994 a été de 2 678,18 $.

[18]Pour 1995, la pièce R-4 indique un revenu de location brut de 7 720 $, des intérêts de 6 319,25 $ sur l'emprunt hypothécaire, 1 809,53 $ d'impôt foncier et des frais variés totalisant 2 054,62 $, ce qui donne une perte de 2 463,40 $.

[19]J'ajoute que le revenu de location brut en 1994 et en 1995 représentait environ 75 p. 100 des frais fixes.

[20]En 1996, le logement en copropriété de l'appelant a été loué durant les six premiers mois de l'année seulement. La pièce R-5 révèle que le revenu de location brut a été de 3 860 $. Les intérêts se sont chiffrés à 5 825,95 $, l'impôt foncier à 1 808,91 $ et les frais fixes à 1 813,24 $. D'autres dépenses totalisant 1 371,99 $, au titre notamment de l'entretien, des réparations et de la publicité, ont été déclarées. Si nous extrapolons à partir de ces données, que nous doublons le montant de loyer reçu afin d'établir les circonstances qui auraient prévalu si le logement avait été loué durant toute l'année, le fait demeure que le revenu de location n'aurait représenté que 82 p. 100 des frais fixes, sans compter les autres frais, par exemple les frais d'entretien et de réparation, qui doivent être considérés comme tout à fait normaux au bout de sept ans.

[21]L'année d'imposition 1997 est la seule qui soit en cause dans la présente affaire. Aucun montant de revenu n'est inscrit à la pièce R-6, étant donné que le logement en copropriété n'était pas loué. L'appelant a expliqué que le logement avait fait l'objet d'une disposition durant l'année en question. La moitié des dépenses approximativement sont déclarées à des fins de déduction. Les montants indiqués sont les suivants : 2 088 $ au titre des intérêts, 780,57 $ d'impôt foncier et 847,20 $ de frais de gestion et d'administration, à quoi s'ajoutent des frais d'entretien et de réparation ainsi que diverses autres dépenses courantes totalisant 549,59 $. Enfin, une somme de 2 835 $ est déclarée au titre de frais juridiques, de frais comptables et d'autres honoraires, ce qui porte la perte locative totale pour l'année à 7 100,36 $. L'appelant a expliqué que la somme de 2 835 $ correspond aux dépenses rattachées à la vente du logement en copropriété, ou plutôt à son échange contre un autre logement en copropriété, situé au lac Memphrémagog, ce qui nous amène à nous demander s'il convenait de les déclarer à titre de dépenses courantes. Toutefois, les dépenses en question n'ont pas été contestées sous ce rapport, et je ne commenterai pas ce point plus avant.

[22]Lors de son témoignage, l'appelant a souligné qu'il avait remboursé l'hypothèque de deuxième rang en 1994 et que, en 1997, la dette garantie par l'hypothèque de premier rang avait sensiblement diminué (de quelque 30 p. 100). Il a mentionné que la conjoncture du marché en 1996 et en 1997 était difficile et a parlé des efforts qu'il avait déployés pour trouver un locataire, surtout en passant beaucoup d'annonces dans les journaux.

[23]L'appelant a aussi déposé un document intitulé « Analyse de rentabilité du placement dans le logement en copropriété situé au 1200, Curé-Poirier (304B) en 1997 » (pièce A-5), dans lequel on indiquait un loyer de 772 $ par mois, soit 9 264 $ pour l'année. Les intérêts hypothécaires s'élevaient à 5 010 $, l'impôt foncier à 1 808 $, les charges de copropriété à 1 692 $ et les autres dépenses (publicité et entretien courant) à 500 $, ce qui, selon ces projections, donnait un profit de 254 $.

[24]Quelques commentaires sont de mise concernant ce document. D'abord, le loyer hypothétique de 772 $ par mois est de toute évidence fondé sur le bail conclu pour la période du 1er juillet 1994 au 1er juillet 1996 (la date correcte est le 30 juin). Toutefois, le loyer déclaré en 1996 s'est élevé à 3 860 $ pour six mois, soit 643 $ par mois en moyenne plutôt que 772 $. En 1995, le loyer déclaré a été de 7 720 $ pour douze mois, soit, ici encore, 643 $ par mois en moyenne, et non 772 $.

[25]Le montant de loyer brut déclaré pour 1994 a également été de 7 720 $. Il m'apparaît quelque peu curieux que le loyer déclaré ne corresponde pas à celui énoncé dans les baux. D'après les chiffres réels et compte tenu du fait que les différents frais fixes ont toujours été supérieurs à 1 700 $ par année, le profit pouvant être réalisé en bout de ligne, s'il en est, serait certes réduit à presque rien. De toute manière, le document en question a été préparé après coup et, à mon avis, ne constitue pas un plan de rentabilité réaliste.

[26]Un bail de trois mois portant sur le nouveau logement en copropriété, situé au lac Memphremagog, a aussi été déposé en preuve (pièce A-8), dans le but de prouver que la rentabilité était l'objectif de l'appelant. Le bail en question prévoit un loyer mensuel de 1 000 $. Toutefois, on n'a pas présenté d'autres faits afin de démontrer la rentabilité.

[27] Dans son argumentation, l'appelant a déclaré avoir fait un placement à long terme, en misant sur une appréciation au fil du temps ainsi que sur une augmentation éventuelle du loyer. À ses yeux, il s'agissait simplement d'une décision d'affaires ne comportant aucun élément personnel. Il a dit que, en 1997 (la huitième année où il était propriétaire du logement), il avait encore une attente raisonnable de profit, et que cette attente était contrecarrée uniquement par la conjoncture difficile du marché, à cause de laquelle il a été incapable de louer le logement en copropriété après juin 1996. L'appelant a dit également qu'il avait peut-être fait une erreur de jugement, mais que cette erreur était la sienne et que, d'après ce que j'ai compris, il ne devrait pas être pénalisé à cause de cela. L'appelant se fonde sur la décision Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001), pour étayer sa thèse voulant que les décisions d'affaires d'un contribuable ne doivent pas être remises en question après coup. Il se fonde également sur l'affaire Saunders c. R., 1998 CarswellNat 156 (C.C.I., 96-1999(IT)I, 5 février 1998 ([1998] 2 C.T.C. 3196)), qui porte sur des circonstances semblables.

[28]La thèse de l'intimée est que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit, qu'il souhaitait faire un placement à long terme pour profiter de déductions fiscales et réaliser ultérieurement un gain en capital. Selon la représentante de l'intimée, jusqu'en 1994, l'appelant se conformait tout simplement au plan du promoteur, et les pertes déclarées correspondaient aux projections et aux chiffres avancés par le promoteur.

[29]Même à compter de 1994, l'appelant n'aurait jamais pu réaliser un profit grâce à la location du logement en copropriété, étant donné l'importance des intérêts payables, et ce, malgré le fait qu'il ait entrepris de rembourser l'emprunt garanti par l'hypothèque de deuxième rang. Étant donné que l'appelant n'avait aucune expérience ni aucune formation particulière dans le domaine de l'immobilier, que, jusqu'en 1994, il avait confié la gestion du bien à des tiers et que des pertes avaient été déclarées chaque année depuis le tout début, la représentante de l'intimée conclut que l'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit en 1997 et que les pertes déclarées, c'est-à-dire la perte locative et la perte finale, devaient de ce fait être rejetées en totalité.

[30]La représentante de l'intimée s'est fondée plus particulièrement sur les affaires Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480; Landry c. La Reine, C.A.F., no A392-93, 5 juillet 1994 (94 DTC 6624); Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001); Mastri c. Canada, [1998] 1 C.F. 66; Mohammad c. Canada, [1998] 1 C.F. 165; Stewart c. Canada, [2000] A.C.F. no 238; et, enfin, Audet c. La Reine, C.C.I., no 97-2417(IT)G, 4 février 1999 (2000 DTC 1648). Je mentionne en passant que la décision rendue dans l'affaire Audet a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale.

[31]La représentante de l'intimée a également soutenu, si j'ai bien compris, qu'aucune perte finale ne pouvait être déclarée en 1997 puisque l'appelant était propriétaire d'un autre bâtiment de la même catégorie durant l'année, soit le logement en copropriété du lac Memphremagog, acquis aux termes de l'échange. Ce point de droit n'est pas évoqué dans le plaidoyer, et je ne pense pas qu'il puisse avoir quelque pertinence en l'instance, étant donné que les deux biens locatifs, dont le coût en capital est d'au moins 50 000 $, appartiennent à des catégories distinctes (se reporter au paragraphe 1101(1ac) du Règlement de l'impôt sur le revenu).

[32]Au sujet de l'attente raisonnable de profit, je mentionnerai d'abord la décision rendue tout récemment par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Stewart c. Canada, [2000] A.C.F. no 238. Dans sa décision, la Cour d'appel fédérale a montré très clairement que le critère de l'attente raisonnable de profit, extrait de la célèbre décision de la Cour suprême dans l'affaire Moldowan c. La Reine (l'expression utilisée à l'époque était « expectative raisonnable de profit » ), n'a pas été modifié par les décisions subséquentes de la Cour suprême, et que son application ne se limite pas aux situations où un élément d'usage personnel est en jeu.

[33]Je pense qu'un court extrait des propos du juge Dickson dans l'affaire Moldowan serait utile en l'instance. Il a déclaré aux pages 485 et 486 :

                Une jurisprudence volumineuse traite de la signification de l'expression expectative raisonnable de profit, mais il ne s'en dégage aucune constante. À mon avis, on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit. On doit alors tenir compte des critères suivants : l'état des profits et pertes pour les années antérieures, la formation du contribuable et la voie sur laquelle il entend s'engager, la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital. Cette liste n'est évidemment pas exhaustive. Les facteurs seront différents selon la nature et l'importance de l'entreprise : La Reine c. Matthews. Personne ne peut s'attendre à ce qu'un fermier qui achète une affaire déjà productive subisse au départ les mêmes pertes que celui qui met sur pied une exploitation forestière sur un terrain vierge.

[34]Dans la présente affaire, l'appelant a déclaré des pertes consécutives sur une période de huit ans. Les pertes subies lors des quatre premières années étaient fort importantes par rapport à son revenu de location, qui n'était pas nécessairement produit par le logement en copropriété, étant garanti aux termes de l'entente conclue avec le promoteur.

[35]À partir de 1994, les pertes ont diminué, le remboursement de la dette garantie par l'hypothèque de deuxième rang ayant permis de réduire les frais d'intérêt. Toutefois, le revenu de location annuel n'était jamais assez élevé pour couvrir les frais fixes. Cela s'est avéré être le cas en 1994 et en 1995, de même qu'en 1996 et en 1997. Même si un loyer, calculé d'après le revenu de location brut déclaré en 1995 et celui déclaré pour une période de six mois en 1996, avait été reçu pour la totalité de l'année en 1996 ainsi qu'en 1997, cela n'aurait rien changé. Je ne tiens certes pas compte de la conjoncture difficile du marché qui, selon l'appelant, a prévalu durant les deux années en question. Je conclus à cet égard que les pertes n'ont pas été subies en raison de conditions imprévues ou défavorables du marché. C'est la structure de l'entreprise elle-même qui en a été la cause.

[36]Ce qui m'amène inévitablement à un autre facteur mentionné par le juge Dickson, soit « la capacité de l'entreprise, en termes de capital, de réaliser un profit après déduction de l'allocation à l'égard du coût en capital » . J'ai déjà formulé des commentaires sur les projections du promoteur au chapitre des pertes et sur le fait que l'appelant s'en soit remis à un tiers pour financer l'acquisition de son logement en copropriété, versant seulement 500 $ d'acompte. Ainsi que je l'ai déjà indiqué, ce qui suit est clair à mes yeux: étant donné que le loyer garanti de 8 400 $ ne suffisait même pas à couvrir les intérêts payables au départ sur l'hypothèque de premier rang, sans même parler des autres frais fixes, on pouvait difficilement parler d'attente raisonnable de profit à ce moment. Il s'agissait cependant des toutes premières années, et je ne m'étendrai pas davantage sur ce point.

[37]Ce qui est plus troublant toutefois, c'est que, même après le remboursement de la dette garantie par l'hypothèque de deuxième rang, le revenu de location ne pouvait suffire à payer les frais fixes. Toute personne qui achète un logement en copropriété doit s'attendre à payer des impôts fonciers, des charges de copropriété et des frais fixes, et elle doit absolument en tenir compte dans le cadre de tout plan réfléchi destiné à garantir la rentabilité.

[38]Au bout de six ou sept ans, il convient de prendre également en compte les frais d'entretien et de réparation. Dans la présente affaire, en huit ans, les frais fixes ne pouvaient être couverts, et ce, même en supposant une conjoncture du marché normale, ce qui soulève de sérieux doutes quant à l'existence d'un plan bien préparé — de quelque plan que ce soit, d'ailleurs — pour garantir la rentabilité du logement en copropriété à titre de bien locatif.

[39]Il semble, au vu de la preuve, que l'objectif rattaché à la structure financière établie au départ ait été, non de tirer un profit de la location du bien, mais plutôt, à court terme, de maximiser les pertes afin de produire des mouvements de trésorerie positifs et, à long terme, de profiter d'une appréciation se traduisant en bout de ligne par un gain en capital.

[40]Je ne vais pas m'attarder sur la question de la déduction pour gains en capital parce que, comme tout le monde le sait, elle n'est pas applicable si elle a pour effet de faire augmenter une perte. Je ne puis toutefois m'empêcher de me demander en quelle année l'appelant aurait pu tirer un profit de l’entreprise s’il avait conservé le logement en copropriété et si la déduction pour amortissement avait fini par être prise en compte.

[41]Concernant l'expérience et la formation de l'appelant relativement aux entreprises immobilières, la conclusion à tirer est qu'il n'en avait tout simplement aucune. Ce point m'amène à « la voie sur laquelle il entend s'engager » . Je l'ai dit, au départ, l'appelant a suivi pour l'essentiel le plan mis de l'avant par le promoteur. De cette manière, il a déclaré des pertes importantes et a pu profiter d'économies d'impôt substantielles de 1990 à 1993.

[42]Il est indéniable qu'un pas a été fait dans la bonne direction en 1994. L'appelant, en remboursant la dette garantie par l'hypothèque de deuxième rang, a réduit ses frais d'intérêt, et par le fait même une composante importante des frais fixes. Toutefois, cela n'a même pas permis de couvrir ces frais la cinquième année après l'achat, loin de là; l'année suivante, soit en 1995, il n'a pas fait beaucoup mieux, bien que le logement ait été loué toute l'année. Ce fut pire encore les deux dernières années, comme nous l'avons vu. La situation s’est détériorée en raison de la conjoncture du marché.

[43]À cet égard, je dois indiquer que je ne souscris pas à l'affirmation de l'appelant selon laquelle il aurait pu gagner un revenu de location brut de plus de 9 000 $ en 1997 n’eût été de la conjoncture difficile du marché. Ce montant est lié au loyer prévu dans le bail de deux ans en vigueur de juillet 1994 à juillet 1996. Or, ainsi qu'on a pu le constater, aucun revenu de location de cet ordre n'a été déclaré pour l'ensemble de l'année 1995. Le revenu déclaré par l'appelant pour 1995 a été de 7 720 $, non de 9 264 $.

[44]L'examen et l'analyse de l'ensemble de la preuve, et plus particulièrement du témoignage de l'appelant, m'amènent à conclure que ce dernier n'a jamais eu une attente de profit réelle et objective relativement à la location de son logement en copropriété, et qu'il ne disposait pas d'un plan réaliste pour garantir la rentabilité. Cela était plus vrai encore en 1997, soit l'année en cause, compte tenu du fait que le logement a été acheté en 1990.

[45]La preuve révèle que l'appelant était davantage intéressé aux économies d'impôt à court terme et à un éventuel gain en capital à long terme.

[46]L'attente raisonnable de gain en capital n'équivaut pas à l'attente raisonnable de profit provenant d'un bien. À cet égard, le paragraphe 9(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit ce qui suit :

                Dans la présente loi, le revenu tiré d'un bien exclut le gain en capital réalisé à la disposition de ce bien, et la perte résultant d'un bien exclut la perte en capital résultant de la disposition de ce bien.

[47]Le paragraphe 9(1) énonce le principe de base selon lequel le revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour l'année. Dans l'affaire Moldowan, précitée, le juge Dickson déclare à la page 485 :

                [...] que pour avoir une « source » de revenu, le contribuable doit avoir en vue un profit ou une expectative raisonnable de profit.

[48]Ce principe, lorsqu'on l'applique à un bien locatif, signifie tout simplement que le contribuable doit tirer un profit de la location du bien ou avoir une attente raisonnable de profit au regard de la location du bien (voir Foldy et Jarian c. M.R.N., C.C.I., no 90-1323(IT), 10 décembre 1990, aux pages 4 et 5 (91 DTC 361, à la page 363)).

[49]C'est au contribuable qu'incombe le fardeau de la preuve relativement à l'existence d'une attente raisonnable de profit. Dans l'affaire en l'instance, l'appelant n'est pas parvenu à me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu'une telle attente existait.

[50]Pour terminer, je ferai quelques commentaires concernant la décision rendue dans l'affaire Saunders c. La Reine, mentionnée par l'appelant. D'abord, dans cette affaire, il était question des troisième, quatrième et cinquième années suivant la date de l'acquisition. Ensuite, les contribuables avaient bien démontré qu'ils avaient un plan réaliste pour parvenir à la rentabilité, bien que l'achat du logement en copropriété ait fait l'objet d'un financement intégral, en démontrant entre autres la possibilité de hausser le loyer, qui a d'ailleurs constamment augmenté au fil du temps. Enfin, les contribuables ont bel et bien réalisé un profit la huitième année, conformément à leur plan.

[51]J'estime que ces facteurs suffisent à distinguer l'affaire en question de la situation que l'on retrouve dans l'appel en l'instance.

[52]Pour les motifs précités, l'appel de la cotisation d'impôt établie à l'égard de l'année d'imposition 1997 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'octobre 2000.

« P. R. Dussault »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 26e jour d'avril 2001.

Mario Lagacé, réviseur



[1]           La perte déclarée à la page 1 de la déclaration est de 13 813 $; pourtant, la perte telle que calculée dans les documents annexes s'élève à 13 448 $.

[2]           Le montant total de la perte locative inscrite à la page 1 de la déclaration était de 15 792 $.

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