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Date: 20010417

Dossier : 1999-504-IT-G

ENTRE :

STEVEN LEWIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            L'objet de l'appel est de déterminer si les revenus de biens (intérêts sur placement) au montant de 4 097,60 $, devraient être inclus dans le calcul des revenus de l'appelant pour l'année d'imposition 1996. L'appelant était un « Indien » au sens de la Loi sur les Indiens [L.R.C. 1985 chap. 1-5] et il soutient que les revenus de biens en question n'étaient pas imposables.

[2]            L'Avis d'appel et la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) résument bien les faits, il y a lieu de reproduire l'essentiel des deux procédures.

[3]            Dans un premier temps, je reproduis l'Avis d'appel, au niveau des paragraphes 1 à 8 inclusivement :

1.              L'appelant était, au cours de l'année d'imposition 1996, un Indien, au sens de la Loi sur les Indiens [L.R.C. (1985) chap. 1-5] et à tel titre était membre de la Nation Huronne-Wendat;

2.              L'appelant était, au cours de cette année d'imposition, domicilié au 1615, Joseph-Blais, Mont-Laurier (Québec);

3.              Au cours de telle année d'imposition, l'appelant a encaissé des revenus d'intérêts, lesquels lui furent versés par la Caisse populaire Desjardins du Village Huron, une institution financière dont le siège et la principale place d'affaires se situent sur le territoire de la réserve des Hurons-Wendat;

4.              Aux termes d'un nouvel avis de cotisation en date du 10 novembre 1997, il était illégalement ajouté aux revenus de l'appelant pour l'année d'imposition 1996 des revenus de biens et ce, pour un montant global de 4 097,60 $;

5.              Le 1er décembre 1997, l'appelant a produit un avis d'opposition au nouvel avis de cotisation précédemment décrit;

6.              Le ministère du Revenu national confirmait cette nouvelle cotisation, aux termes d'un avis de ratification en date du 15 septembre 1998;

7.              Les revenus additionnels ayant été gagnés par un Indien sur une réserve indienne, ils ne sont pas conséquemment, imposables ainsi qu'il appert de l'article 87 de la Loi sur les Indiens (L.R.C. 1985) chap. 1-5 et de l'article 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (L.R.C. (1985) chap. 1);

8.              L'avis de nouvelle cotisation du 10 novembre 1997 et l'avis de ratification du 15 septembre 1998 sont donc mal fondés, nuls et de nul effet.

[4]            En réplique à l'Avis d'appel, l'intimée a répondu ce qui suit :

1.              Il ignore tel que rédigé le paragraphe 1 de l'Avis d'appel et donc le nie.

2.              Quant au paragraphe 2, il s'agit de l'adresse indiquée sur sa déclaration de revenus pour l'année 1996 et prend acte de l'admission de l'appelant qu'il n'était pas domicilié sur une réserve indienne.

3.              Il ignore et donc nie le paragraphe 3 de l'Avis d'appel.

4.              Il admet, au paragraphe 4 de l'Avis d'appel, que le ministre du Revenu national a ajouté aux revenus de l'appelant la somme de 4 097,60 $ au titre de revenus de biens mais nie autrement le paragraphe.

5.              Il admet au paragraphe 5 de l'Avis d'appel que l'appelant a produit un avis d'opposition mais précise qu'il s'agit du 2 décembre 1995; il admet par ailleurs le paragraphe 6.

6.              Il nie les paragraphes 7 et 8 de l'Avis d'appel de l'appelant.

7.              En établissant la nouvelle cotisation comme il l'a fait, le ministre du Revenu national a tenu pour acquis, notamment, les faits suivants.

8.              Au cours de l'année d'imposition 1996, l'appelant n'est pas résident d'une réserve indienne.

9.              La Caisse populaire Desjardins du Village Huron a émis, pour l'année d'imposition 1996, un feuillet T5 indiquant qu'une somme de 4 097,60 $ au titre d'intérêts de source canadienne, fut portée au nom et au numéro d'assurance sociale de l'appelant.

10.            L'appelant n'a pas inclus dans le calcul de son revenu pour l'année 1996 cette somme de 4 097,60 $ au titre de revenus d'intérêts.

11.            Le revenu de 4 097,60 $ ne constitue pas un bien meuble d'un Indien situé sur une réserve.

[5]            La question en litige est de déterminer si le montant de 4 097,60 $ doit être inclus dans le calcul des revenus de l'appelant à titre d'intérêts de source canadienne.

[6]            Au soutien de l'appel, l'appelant a témoigné; il a aussi fait entendre monsieur Max Gros-Louis, en sa qualité d'ex-grand-chef de la Nation Huronne-Wendat et monsieur Yvan Bastien, en sa qualité de directeur général de la Caisse populaire Desjardins faisant affaires sur le territoire de la réserve. De son côté, l'intimée a fait entendre madame Céline Laverdière.

[7]            Le statut d'Indien inscrit de l'appelant n'a fait l'objet d'aucune contestation. Dans un premier temps, l'ex-grand-chef Max Gros-Louis a fait l'historique de la venue et création de la Caisse populaire sur le territoire de la réserve Huronne dont il était alors grand-chef.

[8]            Il a expliqué avec beaucoup de détails qu'il était à sa connaissance personnelle que les Indiens vivant sur le territoire de la réserve étaient quotidiennement confrontés à de sérieux problèmes pour obtenir des prêts et ce, même si l'objet était un besoin essentiel. Il a aussi affirmé que, de façon générale, les institutions financières accordaient très peu de crédibilité financière aux Indiens.

[9]            À cet égard, il a fourni plusieurs exemples démontrant que les Indiens ne disposaient d'aucune facilité de crédit; ils devaient plus souvent qu'autrement payer comptant leurs achats ou devaient fournir des cautions de qualités exceptionnelles, puisque leurs biens sur la réserve étaient sans intérêt pour les banques, étant insaisissables.

[10]          Comme il s'agissait là d'un grave problème affectant la vie quotidienne des Indiens de la réserve, le conseil de bande, sous sa direction, a donc pris l'initiative de faire les démarches nécessaires pour fonder et établir une véritable Caisse populaire sur le territoire de la réserve, de manière à ce que cette éventuelle caisse soit en mesure de mieux comprendre, plus facilement apprécier et évaluer les besoins et préoccupations des Indiens.

[11]          Comme le projet répondait à une grande préoccupation, le grand-chef et ses collaborateurs ont réussi à instaurer une véritable caisse dont les activités visaient dans un premier temps à desservir le territoire de la réserve.

[12]          L'ex-grand-chef a expliqué que la venue de la caisse s'était avérée un atout considérable et très appréciable; une étroite collaboration s'est rapidement établie entre la caisse et le conseil de bande, et ce d'une façon toute particulière au niveau des prêts d'habitation.

[13]          Dirigée exclusivement par des Indiens, la caisse était très sensible aux attentes de ses membres indiens; préoccupée par leurs besoins financiers, elle collaborait pleinement à cet égard pour le mieux-être et le développement de la communauté Huronne. Comprenant beaucoup mieux les aspirations, les usages et coutumes des Indiens, la Caisse populaire de la réserve est rapidement devenue très appréciée et fréquentée.

[14]          Plus tard, les autorités de la caisse ont décidé d'élargir les limites du territoire couvrant jusque là, essentiellement la réserve; ainsi la caisse a fait les démarches nécessaires pour agrandir son territoire d'activités à l'ensemble de la grande région du Québec métropolitain.

[15]          Monsieur Gros-Louis a expliqué que le conseil de bande octroyait annuellement une dizaine de subventions d'un montant de plus ou moins 50 000 $ pour la construction de résidences; une telle subvention n'étant pas suffisante pour défrayer tous les coûts de construction, les intéressés devaient obtenir une autre source de financement.

[16]          Dans les faits, les bénéficiaires de la subvention du conseil de bande obtenaient de la caisse populaire, parallèlement, un prêt d'un montant équivalent. Le prêt ainsi obtenu était cautionné par le conseil de bande. Les relations entre la caisse et le conseil de bande ont toujours été harmonieuses et l'excellente collaboration a permis de faciliter le développement sur la réserve.

[17]          Monsieur Yvan Bastien a ensuite expliqué que la Caisse populaire collaborait effectivement avec le conseil de bande pour permettre la construction de nouvelles résidences. Il a aussi expliqué que la subvention du conseil de bande, complétée par un prêt d'un montant équivalent, pouvait à l'occasion être bonifiée par un prêt additionnel, compte tenu des coûts de construction dépassant quelquefois les montants de la subvention et du prêt habitation. Il a ainsi expliqué que la caisse avait alors imaginé une forme de prêt particulier, qualifié de prêt ballon. Ce genre de prêt était essentiellement un prêt personnel dont les échéances étaient calquées sur la cédule des paiements hypothécaires. Dans les faits, ce prêt personnel était renouvelable tous les cinq ans.

[18]          Monsieur Bastien a expliqué que la caisse était préoccupée et sensible aux besoins des Indiens, mais qu'elle n'avait pas pour autant de vocation ou d'activités différentes de celles caractérisant toutes les autres caisses à l'extérieur de la réserve.

[19]          Le directeur général a indiqué que le personnel de la caisse était majoritairement constitué d'Indiens; il s'agit d'une institution similaire et comparable à toutes les autres caisses populaires du réseau. De plus, il a indiqué que la caisse sur la réserve était assujettie aux mêmes obligations et contraintes et avait les mêmes droits et obligations. En d'autres termes, n'importe quelle autre caisse populaire à l'extérieur de la réserve aurait pu offrir exactement les mêmes services aux Indiens résidant sur la réserve.

[20]          La location n'avait pas pour effet d'élargir la gamme de services offerts aux Indiens puisque le site ne conférait aucune prérogative ou droit particulier qu'une caisse à l'extérieur n'aurait pu offrir.

[21]          Décrivant le mode de fonctionnement de la caisse, il a expliqué que les Indiens avaient sans doute mieux compris que les clients des autres caisses, l'importance de ne pas avoir à leurs actifs des dépôts qui ne rapportaient pas. En d'autres termes, il a expliqué que les Indiens étaient très vigilants pour s'assurer que les montants déposés à leurs comptes produisent des intérêts.

[22]          Il a ainsi expliqué que sa caisse populaire accumulait des surplus considérables qu'il devait acheminer vers l'extérieur de la réserve car les besoins financiers des résidents ne permettaient pas l'utilisation de toutes les disponibilités financières de la caisse. En termes clairs, la caisse avait beaucoup plus d'argent à prêter que les besoins d'emprunt des Indiens résidant sur la réserve, d'où elle devait diriger cet excédent monétaire vers les marchés de capitaux traditionnels à l'extérieur.

[23]          Finalement, l'appelant a témoigné à l'effet qu'il avait manifesté son intérêt de devenir éventuellement résident sur le territoire de la réserve, mais que ses chances étaient à toutes fins pratiques nulles puisqu'il y avait environ 400 noms avant le sien sur la liste d'attente.

[24]          À l'exception d'une courte période, il a expliqué que, de façon générale, il avait travaillé pour des entreprises n'ayant rien à voir avec sa communauté indienne ou toute autre communauté indienne. Les économies, à l'origine des certificats de dépôts ayant généré les revenus d'intérêts, objet du présent appel, résultaient essentiellement de travaux exécutés pour diverses entreprises oeuvrant à l'extérieur des réserves indiennes.

[25]          La preuve n'a pas été très explicite sur le pourquoi l'appelant avait confié ses épargnes à la Caisse située sur la réserve. Comme beaucoup d'autres Indiens, l'appelant croyait sans doute que cela avait pour effet de rendre non imposables ses revenus d'intérêts du fait que la Caisse était située sur le territoire de la réserve.

[26]          En effet, il a été démontré que la caisse, sur le territoire de la réserve Huronne, bénéficiait d'un pourcentage élevé de clients qui lui confiaient leurs économies sous forme de certificats de placements. Selon monsieur Bastien, il s'agissait là d'un pourcentage sans doute plus élevé que la moyenne des autres caisses.

[27]          Selon le témoignage du directeur général, les Indiens étaient très avisés, en ce qu'ils obtenaient le maximum de revenus de leurs épargnes en ne les laissant jamais dans un compte qui ne rapportait pas d'intérêts.

[28]          Sur le plan de l'organisation et sur le plan juridique, la Caisse populaire située sur la réserve Huronne avait et a toujours eu les mêmes droits et obligations que toutes les autres caisses faisant affaires sur l'ensemble du territoire québécois.

[29]          Comme les autres caisses populaires, les autorités, au fil des ans, ont suivi un plan d'affaires guidé et axé sur l'objectif ultime de rendre service à leurs membres tout en demeurant viable et rentable.

[30]          Comme toutes les autres caisses populaires, la recherche de profits était fondamentale, bien qu'il était tenu compte des attentes des membres; on y offrait, comme dans toutes les caisses, des services façonnés sur les besoins et préoccupations spéciales et particulières des membres.

[31]          La preuve n'a pas démontré que la Caisse sur la réserve avait un plan d'affaires, des habitudes, des politiques et/ou particularités qui lui étaient propres; la preuve a plutôt illustré qu'il s'agissait d'une caisse populaire comme toutes les autres caisses populaires qui oeuvrent dans les régions spécifiques avec des clientèles particulières, voire même hermétiques, telles communautés minières, communautés de pêcheurs, collectivités de travailleurs forestiers, etc. Dans ces communautés, les caisses populaires ont les mêmes préoccupations, les mêmes objectifs et font face à des problèmes et spécifiques pouvant découler de l'isolement, de particularités économiques, des besoins particuliers tel le financement de bateau de pêche ou de machinerie vouée à la coupe, transport du bois, etc.

[32]          La preuve n'a pas établi que la vocation sociale, culturelle de la Caisse populaire Huronne avait été assumée au détriment de sa vocation financière; il n'y a aucun doute que la caisse dont le lieu ( le « situs » ) était sur la réserve, a toujours poursuivi des objectifs de rentabilité optimale, de manière à obtenir des surplus lui permettant de payer de bons rendements sur les argents qui lui étaient confiés par les Indiens et parallèlement offrir des services répondant à leurs attentes; cela ne faisait pas pour autant de cette caisse une institution particulière ou distincte.

[33]          Pour atteindre ses objectifs, tant financiers que culturels et sociaux, la Caisse populaire de la réserve utilisait les mêmes pratiques et les mêmes véhicules de placements que toutes les autres caisses. La preuve a révélé que les argents déposés par les Indiens résidant sur la réserve ou ailleurs, étaient beaucoup supérieurs aux sommes dont ils avaient besoin pour satisfaire les besoins financiers locaux de la réserve, et cela tant au niveau des prêts personnels que des prêts décrits comme prêts reliés à l'habitation. En d'autres termes, la Caisse populaire sur la réserve encaissait et disposait de montants substantiellement supérieurs à ce dont elle avait besoin pour faire face aux diverses exigences et à tous les besoins financiers des Indiens de la réserve.

[34]          Les importants surplus étaient dirigés à l'extérieur sur le marché ordinaire des capitaux, le tout en conformité et en respect des obligations régissant toutes les caisses populaires.

[35]          Ainsi, les revenus de la Caisse populaire de la réserve étaient principalement constitués d'activités économiques extérieures à la réserve, tels que prêts hypothécaires hors réserve, prêts personnels hors réserve, placements auprès de la Fédération des caisses, achats d'obligations municipales, etc.

[36]          S'il s'était agi d'une institution financière constituée pour les seules fins, préoccupations et besoins des Indiens vivant sur le territoire de la réserve et dont l'essentiel des revenus avait été principalement réinvesti sur le territoire de la réserve pour consolider, développer et améliorer le mieux-être social, culturel et économique des Indiens résidant sur la réserve, il aurait pu en être autrement.

[37]          En l'espèce, bien que l'appelant ait indiqué son intérêt pour résider sur le territoire de la réserve en plaçant son nom sur la longue liste d'attente, dans les faits, il vivait à l'extérieur de la réserve. La preuve a aussi révélé que l'appelant avait, au fil des ans, vécu et travaillé comme tous les autres résidents du Canada.

[38]          Un Indien inscrit est résident ou non-résident d'une réserve simplement.

[39]          Croyant que son statut d'Indien lui conférait une exemption fiscale sur ses revenus d'intérêts à la condition que son argent soit confié ou prêté à une caisse populaire située sur le territoire de la réserve Huronne, il a ainsi acheté des certificats de placement qui ont produit les intérêts à l'origine du présent appel.

[40]          En substance, la preuve a révélé que l'appelant possédait des certificats de placements émis par la Caisse localisée sur le territoire de la réserve; une très petite partie des argents, à l'origine des certificats de placements, provenait d'un travail exécuté sur une réserve indienne, d'où il n'y a pas lieu d'analyser cet aspect.

[41]          En effet, la preuve a établi que le capital avait été constitué très principalement par du travail exécuté à l'extérieur des réserves dans le cadre d'activités courantes comme celles auxquelles sont associés la majorité des contribuables canadiens.

[42]          De plus, les intérêts payés à l'appelant l'ont été des suites d'un contrat de prêt dont le situs est indubitablement sur le territoire de la réserve, la Caisse populaire débitrice de l'appelant y étant située.

[43]          Pour ce qui est des revenus d'intérêts générés par les prêts ou placements à la Caisse populaire sur la réserve, encore là, ils ont été utilisés, dépensés, ou investis dans des activités courantes hors réserve ou pour faire l'acquisition de biens non situés sur le territoire de la réserve.

[44]          Finalement, les activités financières et opérations économiques ayant permis que la caisse populaire puisse payer de tels intérêts à l'appelant ont été majoritairement effectuées ou réalisées en dehors de la réserve.

[45]          Le seul fait pour un Indien non résident d'avoir fait transiter un capital par une institution financière ayant sa place d'affaires sur le territoire d'une réserve peut-il faire en sorte que les intérêts produits par ce capital soient exclus de ses revenus et donc non imposables ?

[46]          Pour déterminer si les intérêts payés à l'appelant étaient imposables ou non, je crois qu'il est important de faire un survol de la jurisprudence en cette matière.

[47]          Cette dernière a édicté un certain nombre de critères en précisant qu'ils n'avaient pas tous la même importance; en d'autres termes, certains critères sont plus pertinents que d'autres.

[48]          Comme l'exercice ou l'analyse constitue une appréciation subjective, il y a lieu de retourner aux fondements légaux à l'origine de l'exemption fiscale.

Dispositions législatives pertinentes

[49]          L'article 87 de la Loi sur les Indiens prévoit ce qui suit :

87(1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

                a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou de terres cédées;

                b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

(2)            Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

Cette disposition est reconnue par l'alinéa 81(1)a) de la Loi de l'impôt sur le Revenu (la « Loi » ) qui se lit de la manière suivante :

                81(1) Sommes à exclure du revenu - Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a)             Exemptions prévues par une autre loi - une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de la loi au Canada;

[50]          Pour mieux comprendre le pourquoi et surtout l'origine de l'exemption fiscale accordée aux Indiens, il est utile de prendre en considération certaines décisions importantes.

[51]          Les limites à l'exemption fiscale accordée aux Indiens ont été bien définies par l'honorable juge Dickson de la Cour Suprême du Canada, alors juge puîné, dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine [1983] 1 R.C.S. 29, à la page 36 :

                Les Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régies ni par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d'impôts, que les autres citoyens canadiens.

[52]          L'arrêt Mitchell c. La Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, fournit des précisions d'un grand intérêt quant à la dimension historique des dispositions légales pertinentes. À la page 131, l'honorable juge La Forest s'exprime comme suit :

                En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

                Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

Aux pages 132 et 133, de poursuivre le juge La Forest :

                Ma façon d'aborder le litige est tout à fait conforme à la jurisprudence. Dans l'arrêt Francis v. The Queen, [1956] R.C.S. 618, notre Cour a expliqué clairement que les Indiens étaient responsables du paiement des droits de douane pour les marchandises transportées directement sur une réserve après avoir franchi la frontière internationale. La Cour a conclu que l'exemption de taxe accordée par l'art. 86 (maintenant l'art. 87) ne s'appliquait pas parce que la taxe d'accise était imposée à la frontière internationale et donc avant que le bien en question puisse devenir situé sur une réserve.

                Il convient également de mentionner l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique Leonard v. R. in Right of British Columbia (1984), 52 B.C.L.R. 389, autorisation de pourvoi devant notre Cour refusée, [1984] 2 R.C.S. viii. Dans cet arrêt, la cour a conclu qu'on pouvait exiger des Indiens le paiement d'une taxe de vente provinciale à l'égard des acquisitions faites sur les parties de terres qu'ils avaient cédées conditionnellement à Sa Majesté du chef du Canada pour favoriser des baux commerciaux. En toute déférence, je suis d'accord avec l'observation suivante du juge Macfarlane de la Cour d'appel quant aux limites de l'al. 87b), à la p. 395:

                            [TRADUCTION] Il est raisonnable d'interpréter l'article en disant qu'une exemption de taxe sur un bien personnel d'un Indien sera restreinte à l'endroit où le possesseur de ce bien est censé l'avoir en sa possession, c'est-à-dire sur les terres qu'un Indien occupe en tant qu'Indien, la réserve. Les Indiens qui cèdent par bail leurs terres à des non-Indiens renoncent au droit d'occupation et j'estime que, lorsqu'ils sont propriétaires de biens meubles ou en ont la possession sur ces terres cédées, ils ne sont pas dans une situation différente de celle de tout autre citoyen. [En italique dans l'original.]

                Dans un autre arrêt récent, Leighton v. B.C. (Gov't), [1989] 3 C.N.L.R. 136, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a encore eu l'occasion d'examiner le sens de l'expression « situés sur une réserve » à l'al. 87b) de la Loi sur les Indiens. En utilisant une méthode que j'estime judicieuse, le juge Lambert de la Cour d'appel a conclu que, pour décider si des biens personnels tangibles appartenant à des Indiens peuvent être exemptés de taxation en vertu de l'art. 87, il est approprié d'examiner le genre d'usage et de garde du bien pour déterminer si l'emplacement prépondérant du bien est vraiment situé sur une réserve. Je ne doute pas qu'il sera normalement approprié d'aborder de façon juste et libérale la question de savoir si l'emplacement prépondérant du bien tangible ou du droit d'action est situé sur une réserve; voir l'arrêt Metlakatla Ferry Service Ltd. v. B.C. (Gov't) (1987), 12 B.C.L.R (2d) 308 (C.A.) Mais je répéterais qu'en l'absence d'un lien discernable entre le bien en question et l'occupation des terres réservées par le propriétaire de ce bien, les protections et privilèges des art. 87 et 89 ne s'appliquent pas.

                J'attire l'attention sur ces décisions pour souligner encore une fois qu'il faut éviter d'accorder une portée trop large aux art. 87 et 89. Ces dispositions n'ont pas pour but d'accorder des privilèges aux Indiens à l'égard de tous les biens qu'ils peuvent acquérir et posséder, peu importe l'endroit où ils sont situés. Leur but est plutôt simplement de protéger des ingérences et des entraves de la société en général les droits de propriété des Indiens sur leurs terres réservées pour veiller à ce que ceux-ci ne soient pas dépouillés de leurs droits. La Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Bank of Nova Scotia v. Blood, [1990] 1 C.N.L.R. 16, saisit l'essence du problème lorsqu'elle affirme, à la p. 18, au sujet de l'art. 87 que :

                            [TRADUCTION] « D'après ses termes, l'article a pour objet d'empêcher qu'on porte atteinte aux biens des Indiens sur une réserve » .

L'honorable juge La Forest poursuit aux pages 140 et 141 :

                La lecture de la Loi sur les Indiens indique que ce paragraphe n'est qu'une des nombreuses dispositions qui tentent de protéger les biens auxquels les Indiens peuvent prétendre avoir droit en vertu de leur droit d'occupation des terres réservées à leur usage. En plus des protections relatives aux terres indiennes auxquelles j'ai déjà fait allusion, l'éventail des biens protégés s'étend des cultures pratiquées sur les réserves aux dépôts de minéraux; voir les art. 32, 91, 92 et 93. En exigeant que le Ministre donne son consentement à toutes les opérations qui s'y rapportent, ces articles restreignent la capacité d'un non-Indien d'acquérir le bien particulier en question. Comme dans le cas des restrictions à l'aliénabilité auxquelles j'ai fait allusion plus tôt, le but de ces articles est d'éviter que les Indiens soient victimes d'opérations peu scrupuleuses de la part de non-Indiens et dépossédés de leurs droits.

Finalement, aux pages 144 et 145, l'honorable juge ajoute :

                ... Je suis certain que les Indiens sont tout à fait conscients que les opérations commerciales ordinaires font partie des « choses de la vie » et ne doivent pas être régies par leurs traités ou par la Loi sur les Indiens. J'estime que les Indiens, lorsqu'ils se livrent au jeu d'attaques et de ripostes des opérations commerciales sur le marché, ne s'imaginent pas qu'ils jouissent, sur le plan de la concurrence, d'une situation privilégiée par rapport à leurs concitoyens canadiens. Il est juste de dire que cette distinction sera faite chaque fois que les Indiens feront affaires à l'extérieur de leurs réserves. Le professeur Slattery l'affirme clairement lorsqu'il souligne, précité, à la p. 776, que les achats faits par les Indiens dans une pharmacie ordinaire sont régis par les lois d'application générale.

                Je conclus qu'il est tout à fait raisonnable de s'attendre à ce que les Indiens, lorsqu'ils acquièrent des biens personnels conformément à un accord conclu avec cette « entité indivisible » qu'est la Couronne, reconnaissent que la réponse à la question de savoir si les exemptions des art. 87 et 89 devraient s'appliquer à l'égard de ces biens, sans égards à leur situs, doit dépendre de la nature des biens en question. S'il s'agit simplement de biens que les Indiens ont acquis de la même manière que tout autre Canadien aurait pu le faire, je suis incapable d'expliquer pourquoi les Indiens devraient s'attendre à ce que le situs fictif prévu à l'al. 90(1)b) s'applique à l'égard de ces biens. En d'autres termes, même si les Indiens perçoivent la Couronne comme étant « indivisible » , je ne vois pas comment ils pourraient prétendre que l'al. 90(1)b) a pour but d'étendre les protections des art. 87 et 89 d'une manière « indivisible » à tous les biens qu'ils ont acquis conformément aux accords conclus avec cette entité, sans égard au lieu où ces biens sont possédés. Qu'en est-il si les biens en question sont possédés à l'extérieur de la réserve et ont été acquis par la bande indienne en question en vue simplement d'effectuer d'autres opérations commerciales sur le marché?

[53]          La Cour suprême du Canada a également été saisie d'un dossier relatif à l'article 87 de la Loi sur les Indiens, il s'agit de l'affaire Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877.

[54]          Dans cette affaire, l'honorable juge Gonthier a assujetti l'exemption prévue par l'article 87 au choix du contribuable Indien, quant à la manière d'organiser ses affaires.

À la page 887, il s'exprime ainsi :

                En conséquence, en vertu de la Loi sur les Indiens, un Indien jouit d'un choix en ce qui concerne ses biens personnels. L'Indien peut situer ces biens sur la réserve, auquel cas les biens sont protégés contre la saisie et la taxation, ou il peut les situer hors de la réserve, auquel cas les biens sont situés à l'extérieur de la zone protégée et peuvent davantage être utilisés dans le cours des opérations commerciales ordinaires dans la société. Il appartient à l'Indien de décider s'il désire bénéficier du système de protection que constitue la réserve ou s'il veut s'intégrer davantage dans l'ensemble du monde des affaires.

                Le critère du situs, à l'article 87, a pour objet de déterminer si l'Indien détient les biens en question en vertu des droits qu'il possède à titre d'Indien sur la réserve...

aux pages 890 et 891 :

...

                En répondant à cette question, il est évident qu'il serait complètement contraire à l'économie et aux objets de la Loi sur les Indiens et de la Loi de l'impôt sur le revenu d'adopter simplement les principes généraux du droit international privé dans le présent contexte. ... Le critère du situs en vertu de la Loi sur les Indiens doit être interprété conformément aux objets de cette loi et non à ceux du droit international privé. En conséquence, il faut réexaminer attentivement, en fonction des objets de la Loi sur les Indiens, si l'on doit retenir la résidence du débiteur comme facteur exclusif pour déterminer le situs de prestations comme celles qui ont été versées en l'espèce. Il se peut que la résidence du débiteur demeure un facteur important, voire même le seul. Toutefois, on ne peut arriver directement à cette conclusion à partir d'une analyse de la façon dont le droit international privé tranche cette question.

aux pages 892 et 893 :

                ...Il faut d'abord identifier les divers facteurs de rattachement qui peuvent être pertinents. On doit ensuite analyser ces facteurs pour déterminer le poids à leur accorder afin d'identifier l'emplacement du bien, en tenant compte de trois choses: (1) l'objet de l'exemption prévue dans la Loi sur les Indiens, (2) le genre de bien en cause et (3) la nature de l'imposition de ce bien. Il s'agit donc de déterminer, relativement à chaque facteur de rattachement, le poids qui devrait lui être accordé pour décider si l'imposition en cause de ce type de bien représenterait une atteinte aux droits de l'Indien à titre d'Indien sur une réserve.

ainsi qu'aux pages 899 et 900 :

                Pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel, un tribunal doit évaluer divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l'autre. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants: l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d''Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

[55]          Les principes énoncés dans Williams, précité, ont été repris par l'honorable juge Hamlyn de cette Cour dans l'affaire Recalma c. La Reine, 96 DTC 1520; traduction [1996] A.C.I. no 675, (Q.L.).

[56]          Dans cette affaire, l'honorable juge Hamlyn a déterminé qu'un revenu de placement était un bien meuble imposable, après avoir pris en considération les divers éléments de rattachement permettant de déterminer le situs de ce même revenu de placement.

[57]          Il a ainsi considéré les aspects suivants. Dans un premier temps, la résidence des appelants, la source ou l'emplacement du capital utilisé pour acheter les valeurs mobilières, l'emplacement de la succursale bancaire où les valeurs mobilières ont été achetées, l'endroit où le revenu de placement est utilisé, l'emplacement des instruments de placement, l'endroit où le revenu de placement est versé et la nature des valeurs mobilières, et en particulier dans un deuxième temps, le lieu de résidence de l'émetteur, l'endroit où l'émetteur exerce l'activité qui engendre un revenu et donne lieu au placement et l'emplacement du bien de l'émetteur qui, en cas de défaut, pourrait faire l'objet d'une saisie.

[58]          Conformément à la jurisprudence, le juge Hamlyn n'a pas accordé la même importance à chacun de ces éléments; il a cependant accordé et reconnu que le lieu de résidence de l'Indien était primordial. Il a aussi insisté sur le situs de l'activité génératrice du revenu. Dans l'affaire Recalma (précitée), aux paragraphes 20, 21 et 22 sur cette question, le juge Hamlyn s'est exprimé comme suit :

20             Tous les éléments relatifs aux instruments de placement, notamment leur emplacement, le lieu de résidence des émetteurs, l'acceptation des ordres et l'activité productrice d'intérêt sur les instruments de placement, étaient situés à l'extérieur de la réserve.

21             Le revenu tiré d'une acceptation bancaire est imposé à titre de revenu d'intérêt, tout comme le revenu tiré de fonds gérés. Le revenu procuré par ces instruments financiers a pour origine les compagnies ayant initialement émis les acceptations bancaires ou les fonds gérés et est ensuite transmis à la Banque de Montréal qui, elle, le remet aux appelants. En achetant les instruments de placement en question, les appelants ont choisi de s'engager dans une opération de placement, avec toutes les caractéristiques que cette dernière comportait. Ainsi, ils ont choisi de tirer un revenu, dans le marché commercial, d'activités économiques situées, exercées et structurées à l'extérieur de la réserve. Du même coup, ils ont choisi de s'engager dans le marché général des opérations commerciales ordinaires effectuées à l'extérieur de la réserve.

22             Pour cette raison, les biens meubles des appelants (les revenus de placement) ne sont pas situés dans une réserve.

[59]          La Cour d'appel fédérale a confirmé le jugement du juge Hamlyn. Les motifs du jugement, par l'honorable juge Linden de cette même Cour sont rapportés à 98 DTC 6238; traduction [1998] A.C.F. no 433, (Q.L.); il s'y exprime comme suit :

                ... lorsqu'un revenu de placement est en cause, ce revenu doit être considéré en fonction de son lien avec la réserve, de son effet bénéfique sur le mode de vie traditionnel des autochtones, du risque potentiel d'une atteinte aux biens des autochtones et de la mesure dans laquelle il peut être considéré comme provenant d'une activité du marché ordinaire. À notre avis, le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à la façon dont le revenu de placement a été produit, comme les tribunaux l'on fait dans les cas mettant en cause un emploi, des prestations d'assurance-chômage et un revenu d'entreprise. Étant un revenu passif, le revenu de placement n'est pas produit par le travail individuel du contribuable. D'une certaine façon, le travail est accompli par l'argent qui est investi partout dans le pays. Le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à des facteurs comme la résidence de l'émetteur des titres. [...]

                Le juge de la Cour de l'impôt a, encore une fois à bon droit, accordé moins d'importance, dans cette affaire de revenus de placement, à des facteurs comme le lieu de résidence du contribuable, la source du capital qui a permis l'achat des titres, le lieu où les titres ont été achetés et le revenu touché, l'endroit où le document attestant les titres était conservé et où le revenu a été dépensé. Nous ne trouvons aucune erreur dans le raisonnement du juge de la Cour de l'impôt dans la façon dont il a pondéré les différents facteurs de rattachement qui entrent en jeu à la lumière de l'objet de la loi.

                À notre avis, en adoptant la méthode téléologique, le revenu de placement touché par ces contribuables ne peut être considéré comme un bien meuble « situé sur une réserve » et, par conséquent, il n'est pas exempt d'impôt.

de poursuivre le juge Linden à la page 6240, traduction A.C.F. p. 15 :

                ... Bien entendu, le résultat pourrait être différent dans des situations où les fonds investis directement ou par l'entremise de banques dans les réserves sont utilisés exclusivement ou principalement pour consentir des prêts aux autochtones vivant dans les réserves. Lorsque des autochtones, quels que soient leur engagement envers leurs traditions, choisissent d'investir leurs fonds sur le marché ordinaire, ils ne peuvent échapper à l'impôt simplement en utilisant une institution financière qui est située dans une réserve.

[60]          En l'espèce, l'appelant vivait en dehors de la réserve; son mode de vie et ses habitudes étaient similaires et comparables à celles de tous les Canadiens. Dans le cadre de ses activités courantes, il a fait des économies. Il a décidé de les confier à une caisse populaire, une institution financière dont les règles constitutives et d'opérations étaient les mêmes que toutes les autres institutions semblables que sont les caisses populaires.

[61]          De fait, il existait une seule particularité: la caisse populaire était située sur le territoire de la réserve. Elle n'était pas la propriété d'un Indien ou de la communauté indienne bien que ses membres étaient très majoritairement des Indiens; par contre, tout non-Indien aurait pu être membre et théoriquement il aurait été possible à des non-Indiens de la contrôler et diriger bien que le situs de la caisse ne favorisait pas un tel scénario.

[62]          Les intérêts payés, par la caisse populaire à l'appelant, l'ont été en vertu d'un contrat de prêt où l'appelant était prêteur et la caisse populaire débitrice; le situs du contrat qui a généré les intérêts était physiquement le lieu de la place d'affaires de la caisse, soit le territoire de la réserve qui ne fait aucun doute en l'espèce.

[63]          Cette seule réalité peut-elle faire en sorte que les intérêts payés étaient exempts d'impôt entre les mains de l'appelant, Indien non résident de la réserve ?

Je réponds par la négative et ce, principalement pour les raisons suivantes :

Le capital à l'origine du placement de l'appelant à la caisse populaire a été constitué par du travail et des activités économiques effectués en dehors des réserves.

Les activités économiques et financières ayant permis le paiement des intérêts à l'appelant, ont été très majoritairement exécutées à l'extérieur de la réserve.

Les intérêts payés à l'appelant, n'ont en rien contribué à la protection, sauvegarde des intérêts, de la culture et du développement du mode de vie traditionnel des Indiens qui vivaient sur le territoire de la réserve.

Les opérations et activités de la caisse populaire qui a payé les intérêts à l'appelant, n'ont pas servi exclusivement au développement de la Nation Huronne.

N'importe quelle institution financière ou bancaire aurait pu rendre les mêmes services aux Indiens résidant sur la réserve et cela tout en étant située à l'extérieur de la réserve.

Les services rendus et offerts par la Caisse populaire sur la réserve étaient d'ordre essentiellement courants et propres aux choses économiques de la vie; ces services n'avaient rien à voir avec la culture et le mode de vie traditionnel des Indiens.

La preuve n'a jamais fait de corrélation entre le situs de la Caisse populaire et la protection de la sauvegarde et du développement des intérêts de la culture et du mode de vie traditionnel des Indiens résidant sur le territoire de la réserve.

La preuve a essentiellement établi qu'il existait un lien d'appartenance plus étroit et serré entre la caisse et ses membres Indiens; le situs de la caisse a sans doute contribué à ces relations positives, harmonieuses et soutenues. Par contre, il aurait très bien pu en être ainsi dans une autre institution située en dehors de la réserve.

Il s'agissait d'une caisse populaire ayant les mêmes droits et obligations que toutes les autres caisses populaires et dont la seule particularité était d'avoir un préjugé favorable à l'endroit des clients principalement Indiens. Il s'agissait là d'un comportement approprié pour toute organisation dont l'essence même était de faire des affaires avec les indiens.

Les intérêts payés à l'appelant n'ont ni été dépensés ni investis sur la réserve ou pour l'avantage et bénéfice des Indiens vivant sur la réserve. Les intérêts, tout comme le capital qui les a générés, ont résulté dans un premier temps d'activités économiques courantes à tous les Canadiens et dans un deuxième temps servi à des dépenses encore là usuelles, ordinaires et communes à tous les Canadiens.

[64]          Les intérêts étant un revenu de bien, il est difficile, voire impossible d'identifier l'endroit où les revenus ont été générés, puisque le bien est lui-même très volatile; en l'espèce, le directeur de la caisse a expliqué que la majeure partie des capitaux qui leur étaient confiés (situs contractuel sur la réserve) étaient acheminés et dirigés vers les marchés de capitaux traditionnels en dehors de la réserve. Le fait d'avoir transité par une caisse populaire qui n'a d'Indien que le lieu d'une partie de ses opérations, n'a pas pour effet de rendre de tels revenus de biens non imposables. Je ne crois pas que l'exemption prévue par la Loi justifie et permette une interprétation aussi large et englobante que celle soutenue par l'appelant.

[65]          Pour ces motifs l'appel est rejeté, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada ce 17e jour d'avril 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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