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Date: 20000529

Dossier: 98-1177-UI

ENTRE :

GÉRARD LECOURS,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Charron, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Québec (Québec), le 11 février 2000, dans le but de déterminer si l'appelant avait exercé un emploi assurable, au sens de la Loi sur l'assurance-chômage et la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), du 1er juin au 2 octobre 1992, du 16 novembre au 11 décembre 1992, 17 mai au 5 novembre 1993, du 18 juillet au 18 novembre 1994, du 5 juin au 10 novembre 1995 et du 10 juin au 7 septembre 1996, lorsqu'il était au service de Les Entreprises Forestières Etchemin Ltée, le payeur.

[2]            Par lettre en date du 20 août 1998, l'intimé informa l'appelant que cet emploi n'était pas assurable, car il ne rencontrait pas les exigences d'un contrat de louage de services et qu'il n'existait pas de relation employeur-employé entre lui et le payeur.

Exposé des faits

[3]            Les faits sur lesquels s'est basé l'intimé pour rendre sa décision sont énoncés au paragraphe 7 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

« a)           Le payeur, constitué en corporation le 13 décembre 1974, exploite une entreprise dans le secteur forestier. (ignoré)

b)             Le payeur signe des contrats avec des propriétaires de machinerie lourde pour faire couper et transporter le bois. (admis)

c)              L'appelant était propriétaire d'une débusqueuse jusqu'en 1993; en 1995, il vendait la débusqueuse et achetait un transporteur d'une valeur de 235 000 $. (nié tel que rédigé)

d)             La débusqueuse et le transporteur sont 2 machines ayant la même fonction, soit de ramasser le bois abattu par une autre machine et de le transporter à l'endroit voulu. (admis)

e)              Durant les saisons de 1992 et 1993, l'appelant possédait personnellement sa débusqueuse et louait ses services et ceux de sa machine au payeur. (nié tel que rédigé)

f)              En 1994, l'appelant constituait une corporation sous le nom de « 3105-3424 Québec Inc. » (ci-après appelé l'employeur) qui était propriétaire d'un transporteur. (admis sous réserve)

g)             L'appelant était le seul actionnaire de l'employeur. (nié tel que rédigé)

h)             En 1992 et 1993, l'appelant était le seul à conduire sa débusqueuse. (admis)

i)               Depuis 1994, le payeur loue les services du transporteur de l'employeur; (nié tel que rédigé) l'appelant conduit le transporteur en alternance avec M. Alain Boivin car la machine peut fonctionner 24 heures par jour. (admis)

j)               Durant les années en litige, l'appelant a toujours travaillé pour le payeur avec sa débusqueuse ou avec le transporteur de l'employeur. (nié tel que rédigé)

k)              Le payeur signait un contrat avec l'appelant et « 3105-3424 Québec Inc. » dans lequel il louait la machinerie; un montant global était spécifié en fonction du mètre cube de bois transporté par la machine. (nié tel que rédigé)

l)               Le payeur versait une rémunération hebdomadaire fixe à l'appelant et à l'autre opérateur travaillant sur le transporteur. (admis)

m)             L'appelant ou l'employeur étaient responsables de tous les coûts d'opération de la machinerie; ils devaient en assumer toutes les réparations et l'entretien. (nié tel que rédigé)

n)             Si la machine subissait un bris prolongé, les revenus de coupe cessaient et l'appelant ne recevait plus de rémunération du payeur. (nié tel que rédigé)

o)             Le payeur versait tous les revenus de l'appelant et de l'employeur en fonction du volume de bois transporté; il soustrayait les salaires bruts versés à l'appelant et à son homme des sommes calculées en vertu des barèmes de coupe établis. (nié tel que rédigé)

p)             En 1992 et 1993, l'appelant était propriétaire de sa débusqueuse et il travaillait pour le payeur dans le cadre d'un contrat d'entreprise et non en vertu d'un contrat de louage de services. (nié)

q)             Depuis 1994, le payeur procède exactement de la même façon sauf qu'il négocie le contrat avec « 3105-3424 Québec Inc. » (nié)

[4]            L'appelant a reconnu la véracité de tous les alinéas du paragraphe 7 de la Réponse à l'avis d'appel, sauf ceux qu'il a niés ou déclaré ignorer, ainsi qu'il est indiqué entres parenthèses, à la fin de chaque alinéa.

Témoignage de Gérard Lecours

[5]            Gérard Lecours est opérateur et propriétaire de machinerie forestière. Avant et jusqu'au 13 avril 1994, il était propriétaire d'une débusqueuse qu'il conduisait lui-même, alors qu'il était au service de « Les Entreprises forestières Etchemin Ltée » , le payeur, pour couper et transporter du bois. Le 13 avril 1994, 3105-3424 Québec Inc. achète un transporteur de marque Timberjack, qu'elle loue au payeur pour effectuer ses opérations de coupe et de transport du bois. Cette machine coûte 235 000 $ (pièce A-5). Gérard Lecours est le seul et unique conducteur de sa débusqueuse en 1992 et 1993, mais depuis 1994, le payeur loue le transporteur de 3105-3424 Québec Inc., que ce dernier conduit en alternance avec Alain Boivin, 24 heures par jour. Durant les années en litige, l'appelant a toujours travaillé pour le payeur avec sa débusqueuse ou le transporteur. Le payeur loue, selon le cas, de l'appelant et de 3105-3424 Québec Inc. sa machinerie pour un loyer global calculé selon le mesurage du bois coupé et transporté. Le payeur verse à l'appelant et à l'autre conducteur une rémunération hebdomadaire fixe. L'appelant produit les baux de location de machinerie suivants sous la cote A-6 :

a)              bail du 1er juin 1992 entre le payeur et l'appelant;

b)             bail du 15 mai 1993 entre le payeur et l'appelant;

c)              bail du 30 mai 1994 entre le payeur et 3105-3424 Québec Inc.;

d)             bail du 29 mai 1995 entre le payeur et 3105-3424 Québec Inc.;

e)              bail du 1er juin 1996 entre le payeur et 3105-3424 Québec Inc.

[6]            Chacun de ces baux stipule au paragraphe 2, que :

« Le Locateur s'engage à livrer l'équipement en bon état de réparation, à garantir aux Entreprises Forestières Etchemin Ltée qu'il peut servir à l'usage pour lequel il est loué et à l'entretien et aux réparations qui sont nécessaires pour assurer la convention et l'usage de l'équipement, sous réserve du droit pour Les Entreprises Forestières Etchemin Ltée de voir à l'entretien mineur de l'équipement et aux réparations urgentes requises pour assurer le maintien en opération. »

[7]            Au paragraphe 7, qui traite du statut des employés, il est convenu que :

« Le Locateur reconnaît que les opérateurs d'équipement seront des membres réguliers des Entreprises Forestières Etchemin Ltée, sous réserve des règlements de cette dernière, et convient qu'il ne pourra assurer ni la direction, ni le contrôle desdits employés, lors des opérations sur le terrain et reconnaît sans réserve le pouvoir de gérance des Entreprises Forestière Etchemin Ltée et de ses mandataires et plus spécifiquement ses contremaîtres. »

[8]            L'appelant est seul actionnaire et administrateur de 3105-3424 Québec Inc. L'appelant reçoit son salaire hebdomadaire du payeur. Ce dernier lui paye des vacances, une assurance-médicaments et emploi. C'est 3105-3424 Québec Inc. qui paie l'assurance-responsabilité. L'appelant ne reçoit aucun salaire de 3105-3424 Québec Inc. Avant 1994, l'appelant payait l'assurance-responsabilité, l'essence, le coût du transport vers la forêt et celui des réparations en cas de bris. Pour ramener la machine en ville, c'est le payeur qui en assume le coût; pour effectuer des réparations, depuis 1994, c'est 3105-3424 Québec Inc. qui paie. L'appelant travaille de 5 h à 17 h.

Témoignage d'Yvon Roy

[9]            Commis-comptable au service du payeur, Yvon Roy affirme que Gérard Lecours travaille pour le payeur depuis 8-10 ans. Étant propriétaire d'une machine pour approcher le bois jusqu'au chemin, ce dernier l'embaucha pour faire ce travail. Le payeur n'avait pas ce genre de machine et en avait un besoin urgent. Le payeur mesure le bois coupé et transporté au chemin par l'appelant, et calcule le coût du transport qu'il répartit à raison de 40 % au conducteur et 60 % pour l'usage de la machine. En 1992 et 1993, l'appelant possède une débusqueuse qu'il loue au payeur et conduit lui-même ou fait conduire par un autre conducteur. Le conducteur est embauché par le payeur ou l'appelant selon le cas. Chaque quart de travail dure 10 heures : l'un pour le jour et l'autre, la nuit, selon la décision du payeur. En cas de bris, le propriétaire de la machine est responsable des réparations et le salaire du conducteur et le loyer de la machine sont suspendus. À partir de 1994, le payeur loue un transporteur de 3105-3424 Québec Inc. et l'appelant le conduit. Dans ce cas, c'est le locateur, 3105-3424 Québec Inc. qui est responsable des réparations. Le payeur paie le loyer des machines à leur propriétaire et le salaire des conducteurs à eux-mêmes, après avoir fait les déductions à la source de son chèque, telles les impôts, l'assurance-chômage, le régime des rentes, l'assurance-groupe, la pension, les repas et les couchers, s'il y a lieu. C'est le contremaître du payeur qui transmet les instructions de travail aux travailleurs.

Analyse des faits en regard du droit

[10]          Il y a lieu maintenant de déterminer si l’activité de l’appelant est incluse dans la notion d’emploi assurable, c’est-à-dire s’il existe un contrat de travail ou non.

[11]          La jurisprudence a énoncé quatre critères indispensables pour reconnaître un contrat de travail. La cause déterminante en cette matière est celle de City of Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1947] 1 D.L.R. 161. Ces critères sont les suivants : 1) le contrôle; 2) la propriété des instruments de travail; 3) la possibilité de profit et 4) le risque de perte. La Cour d’appel fédérale y a ajouté le degré d’intégration dans l’arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553, mais cette énumération n’est pas exhaustive.

[12]          Dans l'arrêt Le Procureur Général du Canada c. Normand Charbonneau, décision du 20 septembre 1996 (A-831-95), l'honorable juge Décary de la Cour d'appel fédérale explique que :

                « Par ailleurs, s'il est certain que l'appréciation de la nature juridique de relations contractuelles soit affaire d'espèce, il n'en reste pas moins qu'à espèces sensiblement semblables en fait devraient correspondre en droit des jugements sensiblement semblables. Aussi, lorsque cette Cour s'est déjà prononcée sur la nature d'un certain type de contrat, point n'est besoin par la suite de refaire l'exercice dans son entier : à moins que n'apparaissent dans les faits des différences vraiment significatives, le Ministre, puis la Cour canadienne de l'impôt ne devraient pas s'écarter de la solution retenue par cette Cour.

...

                Le payeur, ici, était une entreprise d'exploitation forestière. Il confiait à des équipes formées de deux personnes - un abatteur, qui coupait les arbres et un opérateur de débusqueuse, qui les ramassait et les transportait au bord d'un chemin forestier – le travail d'abattre et ramener du bois. L'intimé était propriétaire de la débusqueuse, une pièce de machinerie lourde évaluée à quelque 15 000 $ dont il assumait les coûts d'entretien et de réparation. Il avait lui-même recruté l'abatteur avec lequel il formait équipe. Lui-même et l'abatteur étaient payés au volume, en fonction du nombre de mètres cubes de bois abattu, et aucun volume n'était prescrit par le contrat; ce volume était mesuré aux deux semaines par un « mesureur » à l'emploi du payeur.

...

                L'intimé travaillait quelque trente-deux heures par semaine et sa période quotidienne de travail se situait généralement, mais pas nécessairement, à l'intérieur de la période proposée dans les règlements internes, soit entre 7 h 30 et 16 heures. Un contremaître à l'emploi du payeur s'assurait aux deux jours que l'équipe de l'intimé abattait bien les arbres précédemment identifiés par le payeur. Le mode de paiement était le suivant : le quart de la somme due à l'équipe était payé à l'intimé, le quart, à l'abatteur et la moitié à l'intimé pour l'utilisation de la débusqueuse. Trois chèques étaient donc émis aux quinze jours par le payeur. Le coût du transport de la débusqueuse, en début et fin de saison, était assumé par l'intimé; en cas de changement de territoire en cours de saison, il l'était par le payeur.

                Quand on regarde le portrait d'ensemble, il est bien évident qu'il s'agit à prime abord d'un contrat d'entreprise. La propriété de la débusqueuse, le choix du coéquipier, le paiement en fonction d'un volume non défini, l'autonomie de l'équipe sont des éléments déterminants qui, dans le contexte, ne peuvent être associés qu'à un contrat d'entreprise.

...

                Un élément retenu par le juge, qui l'amenait à conclure que « les chances de bénéfice et les risques de perte ne pouvaient exister » pendant le contrat était le fait que l'intimé était payé à salaire, au taux horaire de deux dollars et demi. C'est là une erreur de fait majeure. L'intimé était en effet payé en fonction de son volume de production et il eût suffi que sa débusqueuse tombe en panne pour qu'il se retrouvât devant rien.

... »

[13]          Le procureur de l'appelant a mis en preuve que ce dernier et Alain Boivin ont formé une équipe et conclu un contrat de travail avec le payeur, tandis que le transporteur Timberjack a été loué à Les Entreprises Forestières Etchemin Ltée de sorte que la location, sa réparation et son fonctionnement ne devraient pas être pris en considération dans l'analyse du contrat de travail proprement dit. L'appelant a rendu des services au payeur comme conducteur de la débusqueuse durant les périodes en litige. Cette preuve n'a pas été contredite.

[14]          Plusieurs points sont différents de la preuve faite dans les causes de Charbonneau (supra) et Canada (Procureur général) v. Rousselle et al., 124 N.R. 339. Par exemple :

a)              L'appelant était payé par chèques du payeur;

b)             À l'alinéa 7 f) de la Réponse à l'avis d'appel, le ministre du Revenu national décrit 3105-3424 Québec Inc. comme l'employeur, ce qui est faux;

c)              Depuis le 30 mai 1994, c'est 3105-3424 Québec Inc. qui assumait tous les frais d'opération de ses machines, mais le transport du début et de la fin de la saison était effectué par le payeur;

d)             C'est 3105-3424 Québec Inc. qui est propriétaire du transporteur de marque Timberjack acheté le 13 avril 1994;

e)              L'appelant reçoit ses instructions du contremaître du payeur;

f)              La journée de travail commence à 5 h pour se terminer à 17 h;

g)             L'appelant touche un salaire hebdomadaire approximatif de 700 $ qui lui est remis par le payeur.

[15]          Or, la preuve a démontré que le travail exécuté par l’appelant l’était sous la direction du payeur et qu’il existait un lien de subordination entre eux. C’est le payeur qui possède l’entreprise nécessaire à son exploitation. C’est le payeur qui seul peut réaliser des bénéfices ou des pertes dans l’exploitation de son entreprise et non l’appelant qui ne reçoit qu’un salaire fixe. Enfin, l'appelant exécutait son travail chez le payeur et était bien intégré dans son entreprise. J'en conclus donc que le payeur exploitait une entreprise et l'appelant était à son service durant les périodes en litige, puisque les outils étaient loués à celui-là par une personne morale indépendante du payeur.

[16]          L'appelant avait, il est vrai, le fardeau de la preuve et il s'en est bien déchargé par une preuve prépondérante, pour les périodes du 18 juillet au 18 novembre 1994, du 5 juin au 10 novembre 1995 et du 10 juin au 7 septembre 1996. Quant aux périodes d'emploi du 1er juin au 2 octobre 1992, du 16 novembre au 11 décembre 1992 et du 17 mai au 5 novembre 1993, l'appelant était lié au payeur par un contrat d'entreprise et l'appel est rejeté.

[17]          En conséquence, l'appel est admis et la décision rendue par le Ministre est modifiée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de mai 2000.

« G. Charron »

J.S.C.C.I.

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