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Date: 20000526

Dossier: 1999-2516-IT-I

ENTRE :

MARK SHAWN TAYLOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1] Dans le calcul de son revenu pour les années d’imposition 1994 et 1995, l’appelant a déduit le montant de 8 400 $ chaque année à titre de pension alimentaire pour les enfants. Le ministre du Revenu national a refusé la déduction dans sa totalité pour l’année d’imposition 1994 et a réduit la déduction réclamée par l’appelant pour 1995 à 6 300 $, ce qui a donné lieu aux appels en l’instance.

[2] L’appelant et son ex-conjointe, Angela Maureen Bauer, se sont séparés le 1er mai 1993 ou vers cette date. Deux enfants sont issus du mariage. Les deux parties ont retenu les services d’un avocat afin de les représenter dans la négociation d’un accord de séparation. Finalement, à la suite de longues négociations, un accord a été conclu, daté du 13 avril 1995[1]. Le paragraphe 6.1 de l’accord prévoit :

[TRADUCTION]

6.1 À compter du premier vendredi de janvier 1994, et le vendredi de chaque semaine par la suite, le conjoint versera à la conjointe une pension alimentaire pour les deux enfants d’un total de 700 $ par mois, soit un total de 350 $ par mois par enfant. Cette pension sera versée pour chaque enfant jusqu’à;

a) [...]

Ce paragraphe est demeuré en vigueur et n’a pas été modifié pendant les années d’imposition en litige[2].

[3] L’appelant et son ex-conjointe ont indiqué dans leur témoignage que, pendant toute la période pertinente, ils entendaient faire en sorte que le paiement de la pension alimentaire de 700 $ par mois soit déductible pour l’appelant et imposable pour l’ex-conjointe. Toutefois, au cours de son témoignage, l’ex-conjointe de l’appelant a admis n’avoir inclus aucune partie des paiements de la pension alimentaire dans le calcul de son revenu pour l’année d’imposition 1994 et que seul le montant de 6 300 $ a été inclus à titre de “ pension alimentaire ” dans son revenu pour l’année d’imposition 1995.

[4] Selon l’appelant, la clause pertinente de l’accord de séparation prévoit que le paiement de la pension alimentaire commencera à compter de janvier 1994. L’avocat a soutenu que les deux parties ont explicitement déclaré dans leur témoignage qu’elles souhaitaient que les paiements de la pension alimentaire soient déductibles pour l’appelant et imposables pour sa conjointe et que ce fait ressort clairement du libellé non ambigu de l’accord.

[5] Selon le ministre, les montants en litige ne constituaient pas des paiements versés en vertu d’un accord écrit au sens des paragraphes 56.1(3) et 60.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la “ Loi ”) et par conséquent ne sont pas déductibles. L’intimée prétend de plus que seules les pensions alimentaires pour les enfants versées à la suite de la signature de l’accord le 13 avril 1995 sont admissibles à titre de paiements faits en vertu des modalités de l’accord de séparation écrit et sont déductibles du revenu de l’appelant conformément à l’alinéa 60b).

Conclusion

[6] Les dispositions de la Loi pertinentes à la présente procédure sont les paragraphes 56.1(1) et 60.1(3). Ils prévoient :

56.1(1) Dans le cas où une ordonnance, un jugement ou un accord écrit visé aux alinéas 56(1)b) ou c), ou une modification s'y rapportant, prévoit le paiement périodique d'un montant :

a) soit à un contribuable par une personne qui est, selon le cas :

(i) le conjoint ou l'ancien conjoint du contribuable,

(ii) si le montant est payé en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal compétent en conformité avec la législation d'une province, un particulier de sexe opposé qui est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du contribuable,

b) soit au profit d'un contribuable, d'enfants confiés à sa garde ou à la fois du contribuable et de ces enfants,

tout ou partie du montant, une fois payé, est réputé, pour l'application des alinéas 56(1)b) et c), payé au contribuable et reçu par lui.

60.1(3) (3) Pour l'application du présent article et de l'article 60, lorsqu'une ordonnance ou un jugement d'un tribunal compétent ou un accord écrit, établi à un moment d'une année d'imposition, prévoit que tout montant payé avant ce moment et au cours de l'année ou de l'année d'imposition précédente est considéré comme payé et reçu au titre de l'ordonnance, du jugement ou de l'accord, le montant est réputé payé à ce titre.

[Je souligne]

[7] Dans l’affaire Joseph Chabros c. La Reine[3], la Cour a eu l’occasion d’examiner en quelles circonstances des paiements versés avant l’application d’un accord de séparation sont déductibles conformément au paragraphe 60.1(3) de la Loi. Dans cette affaire, le montant en litige était mentionné dans le procès-verbal de transaction signé par les conjoints sur les conseils des avocats, dont la clause 14 était ainsi formulée :

[TRADUCTION]

14. La requérante reconnaît que l'intimé lui a versé la somme de 18 200 $ pour subvenir à ses besoins pendant l'année civile 1988.

Le juge d’appel Hugessen a déclaré au nom de la Cour :

La seule disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu qui permet de traiter les aliments versés avant la conclusion d'un accord de séparation comme s'ils avaient été versés en vertu de cet accord de séparation est le paragraphe 60.1(3) qui se lisait comme suit à l'époque :

[TRADUCTION]

(3) Paiements antérieurs - Aux fins du présent article et de l'article 60, lorsqu'un arrêt, une ordonnance ou un jugement d'un tribunal compétent ou un accord écrit, établi à une date quelconque d'une année d'imposition, prévoit que tout montant payé avant cette période et au cours de l'année en question ou de l'année d'imposition précédente doit être considéré comme ayant été payé et reçu en vertu de l'arrêt, de l'ordonnance, du jugement ou de l'accord les règles suivantes s'appliquent :

a) ce montant est réputé avoir été payé en vertu de l'arrêt, de l'ordonnance, du jugement ou de l'accord; et

b) le payeur est réputé avoir vécu séparé en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un accord écrit de séparation de son conjoint ou de son ex-conjoint, à la date où le paiement a été fait et durant le reste de l'année.

Nous sommes tous d'avis que cette disposition énonce très clairement que l'accord de séparation, à la différence de la clause 14 (ci-dessus), doit prévoir que les sommes versées antérieurement seront considérées comme ayant été versées et reçues en vertu dudit accord. On ne saurait parler ici d'interprétation stricte ou libérale de la loi : c'est tout simplement le seul sens que peuvent avoir les mots utilisés. L'arrêt qu'a prononcé la Cour suprême du Canada dans l'affaire, Québec (Communauté urbaine) et autres c. Corporation Notre-Dame de Bon-Secours n'autorise pas, d'après nous, les tribunaux à ne pas tenir compte du texte de la loi dans les affaires fiscales; bien au contraire, la Cour a pris grand soin de déclarer que “ les règles ordinaires d'interprétation doivent s'appliquer ”.

Il est évident qu’il doit exister un élément dans l’accord pertinent duquel il est possible de déduire l’existence d’une intention selon laquelle le paragraphe 60.1(3) devait s’appliquer aux paiements antérieurs.

[8] Le paragraphe 60.1(3) exige que l’accord prévoit expressément qu’un montant versé antérieurement soit considéré avoir été payé et reçu en vertu dudit accord. Le paragraphe est rédigé dans un langage clair et non ambigu qui exige que l’accord non seulement mentionne les paiements passés, mais également les mentionne en faisant référence au fait qu’ils ont été payés et reçus en vertu dudit accord. Ce n’était pas le cas en l’espèce. Comme l’a observé le juge Beaubier dans l’affaire Dergousoff c. Sa Majesté la Reine[4] :

La mention de paiements “ à compter du 1er janvier 1995 et, par la suite, [...] ” est plutôt de la nature d'un énoncé. Il ne s'agit pas d'une déclaration que les paiements en question sont considérés payés et reçus au titre de l'ordonnance, ou reçus et payés le 12 juillet 1995 au titre de l'accord provisoire.

Ces commentaires s’appliquent en l’espèce. En conséquence, les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de mai 2000.

“ A. A. Sarchuk ”

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de novembre 2000.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               Pièce A-1.

[2]               Des projets d’accord de séparation datés de mai 1994, d’octobre 1994 et de mars 1995 ont été déposés par l’intimée sous les cotes R-1, R-2 et R-3. Le paragraphe 6.1 de chacun de ces projets est ainsi formulé :

                                [TRADUCTION]

À compter du premier vendredi de mai 1994, et le vendredi de chaque semaine par la suite, le conjoint versera à la conjointe une pension alimentaire pour les deux enfants au montant de 175 $ pour chacun par semaine; cette pension sera versée jusqu’à;

a)              [...]

[3]               C.A.F., no A-407-94, 29 mars 1995 (95 DTC 5247).

[4]               C.C.I., no 98-1286(IT)I, 1 septembre 1999 ((1999) 1 R.F.L. (5th) 34).

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