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Date: 20010622

Dossier: 2000-1995-IT-I

ENTRE :

GILBERT FORTIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

P.R. Dussault, J.C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une cotisation pour l'année 1998. Par cette cotisation, le ministre du Revenu national (le " Ministre ") a refusé à l'appelant la déduction d'une somme de 22 884 $ réclamée à titre de dépenses d'emploi pour frais juridiques.

[2]            Pour établir et maintenir la cotisation, le Ministre a tenu pour acquis les faits énoncés aux alinéas a) à c) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Ces alinéas se lisent :

a)              Selon les factures produites par l'appelant, ce dernier aurait encouru les frais juridiques suivants :

                1996                         7 225,16 $

                1997                         8 646,71 $

                1998                         7 012, 17 $

                Total                        22 884,04 $

b)             L'appelant se fonde sur l'alinéa 8 (1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu pour déduire un montant de 22 884,15 $ de frais légaux, à la ligne 229 de sa déclaration d'impôt 1998.

c)              Aucun tribunal n'a établi à ce jour qu'une somme était due à l'appelant par son ancien employeur.

[3]            La question en litige telle que formulée au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel (la " Réponse ") " consiste à déterminer si l'alinéa 8(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") autorise l'appelant à déduire les frais légaux qu'il réclame dans sa déclaration d'impôt 1998 ". La position du Ministre est énoncée aux paragraphes 7 et 8 de la Réponse dans les termes suivants :

7.              Le Ministre s'appuie sur l'alinéa 8(1)b) de la Loi, telle qu'amendée et applicable pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 ainsi que sur le bulletin d'interprétation IT-99R5.

8.              Il soutient que puisque l'appelant n'a pas établi qu'un montant lui est dû par son ancien employeur, l'appelant n'est pas justifié de déduire les frais juridiques qu'il réclame.

[4]            Il importe d'apporter ici deux précisions. D'abord, lors de son témoignage l'appelant a affirmé avoir demandé une correction à ses déclarations de façon à réclamer pour chacune des années 1996, 1997 et 1998, la déduction des frais payés au cours de chacune de ces années et non la déduction du montant total en 1998 telle que réclamée initialement dans sa déclaration pour cette année. Aucune nouvelle cotisation n'a été établie par le Ministre suite à cette demande.

[5]            Deuxièmement, en cours d'audition, il est ressorti de la preuve apportée par l'appelant que la presque totalité des frais légaux réclamés sont en rapport avec une plainte contre son ancien employeur en vertu des articles 122 et 128 de la Loi sur les normes du Travail (" Loi sur les normes "), (L.R.Q., chapitre N-1.1) par laquelle l'appelant recherchait une réintégration mais également " une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié " (art. 128, 2e alinéa de la Loi sur les normes). Or, l'avocate de l'intimée a reconnu que si l'appelant ne recherchait pas comme tel un salaire qui aurait été dû par son ancien employeur, il recherchait des dommages qui seraient considérés comme une allocation de retraite au sens donné à cette expression au paragraphe 248 de la Loi. Or, l'alinéa 60o.1) prévoit une déduction pour les frais judiciaires et extrajudiciaires pour recouvrer ou pour établir un droit à une telle allocation de retraite. Toutefois, l'avocate de l'intimée adopte à cet égard la même position que celle concernant l'interprétation de l'alinéa 8(1)b), soit que l'appelant n'a pas démontré qu'un montant lui était dû à ce titre.

[6]            L'appelant a été la seule personne à témoigner. Il est ingénieur. Selon son témoignage et les documents soumis en preuve, les éléments pertinents au litige peuvent se résumer comme suit. Le 9 juin 1994, il a été embauché comme ingénieur civil par la firme Les Consultants BPR (S.E.N.C.) (" BPR "). Les tâches qui lui ont alors été assignées étaient celles d'un surveillant de chantier pour la construction d'un pont à Havre St-Pierre. Le 8 août 1994, l'appelant a été assigné comme surveillant d'un autre chantier à l'usine d'Abitibi-Price à Beaupré. Le 26 septembre 1994, l'appelant a été promu directeur de construction sur ce même chantier et ses conditions de travail ont alors été modifiées. Toutefois, l'appelant réclamait le paiement des heures supplémentaires travaillées depuis le début de son emploi et a continué de réclamer le paiement de telles heures en rapport avec l'exercice de ses nouvelles fonctions comme directeur de construction. Des représentants de l'employeur lui ont laissé entendre qu'il n'avait pas droit au paiement des heures supplémentaires. L'appelant, de son côté, a continué à insister, notamment en janvier 1995, et ce, malgré la fin de non-recevoir indiquée par les représentants de l'employeur. En octobre 1995, l'appelant a réclamé à nouveau le paiement des heures supplémentaires travaillées depuis le début de son emploi pour BPR. Le ler décembre 1995, il a été convoqué à une réunion avec des représentants de l'employeur et on lui a annoncé qu'il était mis à pied parce que le projet à l'usine d'Abitibi-Price était à peu près complété et qu'un autre projet tardait à se concrétiser. À ce moment, on a offert à l'appelant une prime de 2 500 $ et les services d'un représentant de l'employeur pour l'aider à réorienter sa carrière ailleurs.

[7]            Essentiellement, l'appelant prétend qu'il n'a pas été mis à pied à cause d'un manque de travail mais qu'il a plutôt été congédié à cause de sa réclamation pour le paiement des heures travaillées en temps supplémentaire.

[8]            Le 10 janvier 1996, l'appelant déposait une plainte en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes, laquelle connut de multiples péripéties. Tel qu'indiqué à la page 2 de la décision du commissaire du travail Jean Lalonde en date du 5 janvier 1999 (pièce I-3), cette procédure entraîna " deux décisions de commissaires et deux appels au Tribunal du travail " avant que le dossier lui soit retourné pour décision sur la plainte. Finalement, la décision du commissaire Lalonde établit ce qui suit à la page 9 :

" Ce n'est pas la réclamation du temps supplémentaire qui a été la cause de la rupture du lien d'emploi mais bien l'absence de contrats lucratifs pour l'employeur auxquels il pouvait assigner le plaignant. Il ne s'agit pas d'un congédiement mais bien d'un licenciement. Dans les circonstances, je n'aurais eu d'autre choix que de rejeter la plainte du plaignant. "

[9]            Cette décision du commissaire du travail Jean Lalonde a été confirmée par le juge en chef Bernard Lesage du Tribunal du travail du Québec le 29 mars 1999 (pièce I-5).

[10]          Selon le témoignage de l'appelant, la plus grande partie des dépenses réclamées a été engagée pour les services d'un conseiller en relations industrielles qui l'a représenté aux fins de cette plainte formulée en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes.

[11]          De façon parallèle et distincte, l'appelant a maintenu sa réclamation pour ce qu'il considérait des montants dus pour du temps supplémentaire et qui n'avaient jamais été payés par son ex-employeur. Cette réclamation a été poursuivie par la Commission des normes du travail en vertu de l'article 98 de la Loi sur les normes qui se lit ainsi :

" Lorsqu'un employeur fait défaut de payer à un salarié le salaire qui lui est dû, la Commission peut, pour le compte de ce salarié, réclamer de cet employeur le salaire impayé. "

[12]          Dans cette action devant la Cour du Québec, la Commission des normes du travail obtint partiellement gain de cause pour du temps supplémentaire effectué par l'appelant comme surveillant de chantier, soit jusqu'au 23 septembre 1994 c'est-à-dire pour la période précédant sa nomination comme directeur de construction. La décision du juge André Cloutier de la Cour du Québec en date du 17 décembre 1997 (pièce I-6) a été confirmée par la Cour d'appel du Québec le 11 janvier 2001.

[13]          Dans son témoignage, l'appelant a affirmé qu'une petite partie seulement des frais légaux réclamés en 1998 se rapportait aux honoraires d'un avocat mandaté par lui pour soutenir la position de la Commission des normes du travail qui avait pris fait et cause pour lui dans la poursuite de cette action en Cour du Québec.

[14]          Dans les pièces justificatives soumises par l'appelant avec sa déclaration de revenu 1998 (pièce I-1), on ne retrouve qu'une seule facture portant mention de services rendus par Jean-Guy Michaud, C.R.I., partiellement en rapport avec cette action. Le total de la facture est de 534,87 $ et aucune ventilation spécifique n'a été faite quant à l'ensemble des services couverts par la facture.

[15]          Les dispositions pertinentes de la Loi susceptibles de s'appliquer en l'espèce sont l'alinéa 8(1)b), le paragraphe 248(1) (définition " allocation de retraite ") et l'alinéa 60o.1). Pour l'année 1998, ces dispositions se lisaient ainsi :

8. Éléments déductibles.

(1)           Sont déductibles dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

b)            Frais judiciaires d'un employé - les sommes payées par le contribuable au cours de l'année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci;

[...]

248 :        Définitions

(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. [...]

" allocation de retraite " - " allocation de retraite "

                Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d'un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

a)             soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d'une charge ou d'un emploi ou par la suite;

b)             soit à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent.

60. Autres déductions.

Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

[...]

o.1)         Idem - l'excédent éventuel du moins élevé des montants suivants :

(i) le total des frais judiciaires ou extrajudiciaires, sauf ceux se rapportant au règlement ou au partage de biens découlant du mariage ou de son échec, payés par le contribuable au cours de l'année ou de l'une des sept années d'imposition précédentes pour recouvrer l'un des montants suivants ou pour établir un droit à ceux-ci :

(A) une prestation prévue par quelque régime ou caisse de pensions, sauf une prestation prévue par le régime institué par le Régime de pensions du Canada ou un régime provincial de pensions, au sens de l'article 3 de cette loi, en raison de l'emploi du contribuable ou d'un particulier décédé auquel le contribuable était apparenté ou dont il était une personne à charge ou le représentant légal,

(B) une allocation de retraite du contribuable ou d'un particulier décédé auquel le contribuable était apparenté ou dont il était une personne à charge ou le représentant légal,

(ii) l'excédent éventuel du total des montants dont chacun représente :

(A) soit un montant visé à la division (i)(A) ou (B) au titre duquel les frais judiciaires et extrajudiciaires visés au sous-alinéa (i) ont été payés, reçu après 1985 et inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure,

(B) soit un montant inclus en application de l'alinéa 56(1)l.1) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure,

sur le total des montants dont chacun représente un montant déduit en application de l'alinéa j), j.01), j.1) ou j.2) dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année ou pour une année d'imposition antérieure, dans la mesure où il est raisonnable de considérer que ce montant est déductible en raison de la réception d'un montant visé à la division (A),

sur :

(iii) la fraction du total visé au sous-alinéa (i) quant au contribuable qu'il est raisonnable de considérer comme déductible en application du présent alinéa dans le calcul du revenu du contribuable pour une année d'imposition antérieure;

(Soulignés ajoutés.)

[16]          Il importe de signaler ici que l'alinéa 8(1)b) a été modifié par 1990 L.C., chap. 39, art. 2 applicable aux sommes payées après 1989. Par cette modification, on a ajouté à la fin de l'alinéa les mots " ou pour établir un droit à ceux-ci ".

[17]          Quant à l'alinéa 60o.1), il a été ajouté par 1990 L.C., chap. 39, art. 12 applicable aux années d'imposition 1986 et suivantes.

[18]          Pour justifier le refus du Ministre d'accorder une déduction à l'appelant en vertu de l'alinéa 8(1)b), l'avocate de l'intimée s'appuie sur les décisions dans les affaires Basque c. Sa Majesté La Reine, 1998 CarswellNat 1937 et Turner-Lienaux c. Canada, [1996] A.C.I. no 943. Cette dernière décision a fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, laquelle a été rejetée par la Cour d'appel fédérale [1997] A.C.F. no 562.

[19]          La décision dans l'affaire Basque (précitée) s'appuie d'abord sur la décision du juge en chef Couture de la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire MacDonald v. M.N.R., 90 DTC 1751. Or, dans l'affaire Basque (précitée), il s'agissait de la réclamation d'une déduction pour frais légaux de 6 000 $ en 1995. Par contre, dans l'affaire MacDonald (précitée), la réclamation d'une déduction pour frais légaux en vertu de l'alinéa 8(1)b) de la Loi était pour l'année 1984 et la Cour a conclu que les frais avaient été payés non pas pour recouvrer un salaire dû par l'employeur mais pour obtenir une allocation de retraite. Tel qu'indiqué plus haut, ni l'alinéa 8(1)b) dans sa version amendée, ni l'alinéa 60o.1) ne pouvaient être applicables pour l'année d'imposition 1984. On comprend que si l'année du litige avait plutôt été l'année 1986 ou une année subséquente que l'alinéa 60o.1) aurait alors été applicable aux faits de l'espèce et que le contribuable aurait eu droit à une déduction en vertu de cette disposition. Avec respect, j'estime que la référence à la décision MacDonald (précitée), dans l'affaire Basque (précitée), n'était tout simplement pas appropriée.

[20]          La décision dans l'affaire Basque (précitée), est aussi fondée sur la décision dans l'affaire Turner-Lienaux (précitée). Dans cette affaire, l'appelante réclamait en vertu de l'alinéa 8(1)b) de la Loi, des frais judiciaires encourus en 1991, 1992 et 1993 en rapport avec une action intentée parce qu'on avait refusé de lui accorder une promotion suite à un concours auquel elle avait participé. L'appelante soutenait que le concours était entaché d'un vice de forme. Son action fut rejetée et la décision fut confirmée en appel. Toutefois, au niveau fiscal, l'appelante prétendait que si elle avait réussi, elle aurait eu droit à un salaire représentant, par période de deux semaines, environ 100 $ de plus que le salaire qu'elle recevait par suite de sa reclassification après la conclusion du concours au terme duquel elle n'avait pas obtenu le poste. Le juge Margeson de la Cour canadienne de l'impôt a refusé la déduction en vertu de l'alinéa 8(1)b), notamment parce que l'action de l'appelante n'avait pas pour but de faire établir un droit à un traitement ou salaire puisqu'elle n'avait pas accompli le travail du poste qu'elle convoitait. À cet égard, les paragraphes [36] à [40] de la décision paraissent particulièrement pertinents. Ils se lisent ainsi :

[36] Notre cour a quelque difficulté à conclure qu'un traitement ou " salaire " est " dû " à une personne si cette dernière n'a pas accompli le travail ou n'a pas occupé le poste exigeant le versement du traitement ou salaire. Elle a en outre de la difficulté à conclure qu'il pourrait être statué qu'une personne a engagé des frais judiciaires pour établir un droit à un traitement ou salaire quand deux tribunaux compétents ont en fait jugé que l'appelante n'avait pas le " droit " qu'elle cherchait à faire appliquer que son action en justice.

[37] Il ne saurait faire de doute que l'appelante ne cherchait pas à recouvrer un salaire dû.

[38] Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a en fait aucune différence entre la version modifiée et la version antérieure à la modification de l'alinéa 8(1)b). Notre cour peut entrevoir le cas d'une personne qui pourrait ne pas avoir gain de cause dans une action en justice - à cause d'une preuve inappropriée, d'une preuve insuffisante concernant les dommages-intérêts ou pour quelque autre raison - et qui pourrait quand même avoir engagé les frais pour établir " un droit à [un traitement ou salaire] ".

[39] Toutefois, dans l'affaire en instance, l'action en justice s'est soldée pour une déclaration à l'effet qu'un tel droit n'existait pas et non qu'un tel droit n'avait pas été établi, et la cause a donc été rejetée.

[40] Notre cour ne peut conclure que le fait de croire quelque chose, si absurde que ce soit ou si lointaines que soient les chances d'avoir gain de cause, donnerait au contribuable le droit de déduire les frais judiciaires, pourvu que le contribuable ait cru que le droit existait. Cela pourrait donner lieu à des abus absurdes relativement à l'alinéa en question.

[21]          Il me paraît assez évident, dans une action pour recouvrer le traitement ou le salaire dû par un employeur ou un ancien employeur, que l'on doive d'abord démontrer que les services pour lesquels on prétend avoir droit au traitement ou au salaire, ont été rendus. Ceci étant, il est clair que l'alinéa 8(1)b) n'est plus limité, dans sa version applicable après 1989, aux frais judiciaires ou extrajudiciaires qui sont encourus pour recouvrer des montants qui sont dus à titre de traitement ou salaire par un employeur ou un ancien employeur. Les mots " ou pour établir un droit à ceux-ci " que l'on retrouve maintenant à l'alinéa 8(1)b) de la Loi méritent quelques commentaires. La préposition " pour " placée devant un infinitif signifie " en vue de " ou " afin de ". Bien que je n'aie pas à décider de la question aux fins du présent litige, à mon avis, l'expression " pour établir " ne signifie aucunement qu'un contribuable doive établir ou réussir à faire établir son droit à un traitement ou à un salaire pour avoir droit à une déduction en vertu de l'alinéa 8(1)b) contrairement à ce qui est indiqué au paragraphe 23 du Bulletin d'interprétation, IT 99 R5, " Frais judiciaires et comptables ", 11 décembre 1995. À ce paragraphe, on peut lire :

" Si le contribuable n'a pas gain de cause devant le tribunal ou ne réussit pas autrement à établir qu'un montant lui est dû, il ne peut déduire ces dépenses. Toutefois, en vertu de cet alinéa, une déduction est possible même si le contribuable n'a pas encore recouvré le montant qui lui est dû. "

[22]          J'ajouterai simplement que le texte même de l'alinéa 8(1)b) ne m'apparaît pas comporter la condition énoncée à la première phrase du paragraphe 23. De plus, l'alinéa 8(1)b) ne limite pas la déduction des frais judiciaires ou extrajudiciaires au montant du traitement ou du salaire inclus dans le revenu de l'année contrairement à l'alinéa 60o.1) qui limite la déduction de tels frais au montant de l'allocation de retraite inclus dans le revenu de l'année bien qu'il y ait dans ce cas la possibilité d'un report de sept ans. De plus, la deuxième phrase du même paragraphe 23 apparaît difficilement conciliable avec la première et on se demande si on n'y exprime pas l'opinion qu'une déduction préalablement accordée à l'égard d'une année sera annulée rétroactivement si le contribuable ne réussit pas finalement à faire reconnaître son droit au traitement ou salaire qu'il réclamait. Si tel est le cas, cette opinion ne me paraît pas fondée. Une telle restriction existe à l'égard de l'alinéa 60o.1) mais non à l'égard de l'alinéa 8(1)b) de la Loi.

[23]          Le libellé et le contexte des alinéas 8(1)b) et 60o.1) méritent toutefois quelques remarques additionnelles. Les frais judiciaires ou extrajudiciaires qu'un contribuable peut déduire dans le calcul de son revenu d'emploi en vertu de l'alinéa 8(1)b) de la Loi, doivent correspondre aux sommes qu'il a payées au cours de l'année. La règle traduit simplement le principe général selon lequel le revenu d'emploi est calculé selon la méthode de comptabilité de caisse. Un contribuable peut au cours d'une année, engager une poursuite ou prendre une action pour recouvrer un traitement ou un salaire qu'il estime dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à un tel traitement ou salaire. Bien que la poursuite ou l'action puisse ne pas connaître de dénouement au cours de l'année, le contribuable a quand même le droit de déduire les sommes payées à titre de frais judiciaires ou extrajudiciaires au cours de l'année. À mon avis, de semblables frais payés par un contribuable au cours d'une année pour participer à une action comme à celle intentée par la Commission des normes du travail en vertu de l'article 98 de la Loi sur les normes, sont couverts par l'alinéa 8(1)b) de la Loi.

[24]          Dans la présente affaire, cela signifie que seuls les frais judiciaires ou extrajudiciaires payés par l'appelant en 1998 pour recouvrer le montant dû par son ancien employeur à l'égard des heures supplémentaires travaillées en 1994 et 1995 ou pour établir son droit à l'égard d'un montant se rapportant aux heures supplémentaires travaillées aux cours de ces années, peuvent être déduits en 1998. Par ailleurs, je signale que la preuve établit que l'appelant avait droit au paiement de ses heures supplémentaires mais seulement alors qu'il était surveillant de chantier et non directeur de construction, c'est-à-dire seulement jusqu'au 23 septembre 1994. C'est la conclusion de la décision du juge André Cloutier de la Cour du Québec en date du 17 septembre 1997, laquelle a été confirmée par la Cour d'appel du Québec le 11 janvier 2001. Toutefois, la preuve démontre que seule une facture datée du 4 février 1998 en provenance de Jean-Guy Michaud, C.R.I. pour un montant total de 534,87 $ peut être partiellement attribuable aux frais payés par l'appelant en rapport avec l'action intentée par la Commission des normes pour son compte. Malgré l'absence de ventilation et vu le témoignage de l'appelant, j'estime qu'une somme égale à la moitié, soit 267,43 $ est déductible en vertu de l'alinéa 8(1)b) de la Loi.

[25]          J'en arrive à mes remarques concernant plus spécifiquement l'alinéa 60o.1) de la Loi. Cet alinéa prévoit la déduction des sommes payées à titre de frais judiciaires ou extrajudiciaires notamment, pour recouvrer une allocation de retraite ou pour établir un droit à celle-ci. Toutefois, comme la déduction permise à chaque année ne peut excéder le montant net de l'allocation de retraite inclus dans le revenu de l'année en cause (c'est-à-dire après déduction des sommes qui sont transférées à titre de cotisation à un régime de pension agréé ou à titre de prime en vertu d'un régime enregistré d'éparge-retraite selon l'alinéa 60j.1), on permet de reporter sur les sept années suivantes la déduction des frais judiciaires ou extrajudiciaires payés au cours d'une année et qui n'ont pu être déduits pour cette année donnée à cause de cette restriction, c'est-à-dire à cause de l'absence ou de l'insuffisance d'un montant d'allocation de retraite reçu au cours de cette année donnée et inclus dans le calcul du revenu de la même année.

[26]          Dans la présente affaire, la plainte faite par l'appelant en vertu de l'article 122 de la Loi sur les normes visait sa réintégration et, non pas le paiement d'un salaire, mais plutôt le paiement d'une indemnité en vertu de l'article 128 de la même loi. En effet, tel que mentionné plus haut, le deuxième alinéa de l'article 128 prévoit qu'un commissaire du travail peut, s'il juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante " ordonner à l'employeur de payer au salarié, une indemnité jusqu'à un maximum équivalent au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié ". Or, le 5 janvier 1999, le commissaire du travail, Jean Lalonde, a décidé que l'appelant n'avait pas été congédié mais plutôt licencié. Cette décision a été confirmée par le juge en chef Bernard Lesage du Tribunal du travail, le 29 mars 1999. L'appelant n'avait donc pas droit à une indemnité qui aurait pu être considérée comme une allocation de retraite au sens donné par l'alinéa b) de la définition de cette expression au paragraphe 248(1) de la Loi et il n'en a reçu aucune. Plus particulièrement, n'ayant reçu aucune allocation de retraite en 1998, l'appelant ne peut, en vertu de l'alinéa 60o.1), déduire dans le calcul de son revenu pour cette année, les frais judiciaires ou extrajudiciaires payés par lui en 1996, 1997 et 1998 pour établir, mais sans y réussir, le droit à une telle allocation de retraite.

[27]          En conséquence de ce qui précède, l'appel de la cotisation établie pour l'année 1998 est admis et la cotisation est déférée au Ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que l'appelant a droit à la déduction d'un montant de 267,43 $ en vertu de l'alinéa 8(1)b) de la Loi aux fins du calcul de son revenu d'emploi pour l'année 1998.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 2001.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.

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