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Date: 20020109

Dossier: 2000-178-IT-G

ENTRE :

KEVIN SHAUGHNESSY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu Jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les présents appels sont interjetés à l'encontre de cotisations pour 1994 et 1995 par lesquelles le ministre n'a pas admis des pertes de l'appelant provenant de la location d'une appartement condominial situé à Whistler (Colombie-Britannique). L'allégation selon laquelle l'appel pour 1994 était frappé de nullité a été abandonnée.

[2]            L'appelant, son frère Joseph Michael, William Oberton et William James Stuckey ont acheté l'appartement condominial en décembre 1988 pour 204 000 $. Le bien faisait l'objet d'un prêt hypothécaire de 153 000 $ à 12 p. 100 d'intérêts par an. Chacune des quatre personnes détenait une participation indivise de 25 p. 100.

[3]            L'appelant a témoigné que son objectif en achetant le bien était d'avoir un bien productif de revenu à long terme et non de revendre le bien à profit. Cette preuve n'a pas été contredite et est étayée par le fait que l'appelant a subséquemment acheté les participations des autres participants. J'accepte le témoignage de l'appelant.

[4]            L'avocat de l'intimée a consacré un certain temps à contre-interroger l'appelant au sujet de deux questionnaires en matière de location dans lesquels l'appelant avait indiqué qu'il avait initialement acheté le bien « comme investissement » . Je pense que l'avocat essayait de faire admettre à l'appelant que, par « investissement » , l'appelant voulait dire qu'il avait acheté le bien pour le revendre à profit et réaliser ainsi un gain en capital, ce qui aurait permis à l'intimée d'arguer que, comme le paragraphe 9(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit qu'un revenu exclut un gain en capital, les dépenses n'avaient pas été engagées en vue de gagner un revenu au sens de l'alinéa 18(1)a). Évidemment, si quelqu'un achète un bien dans l'intention de le revendre à profit, on peut poser la question de savoir s'il s'agit vraiment d'une immobilisation.

[5]            J'estime qu'il convient de faire trois observations sur cette approche. Premièrement, j'accepte le témoignage de M. Shaughnessy au sujet du but qu'il s'était fixé en acquérant le bien et en augmentant son investissement.

[6]            Deuxièmement, le mot « investissement » est un terme complètement neutre. Il peut désigner un investissement à long terme dans un terrain et un immeuble ou dans des obligations de société ou d'État — ce qui représente nettement une fin d'immobilisation — ou il peut désigner un investissement dans une entreprise commerciale ou dans un bien que l'on entend revendre à profit (à savoir un projet comportant un risque de caractère commercial). Selon le contexte, un investissement peut représenter une fin purement non commerciale, par exemple dans le cas de l'achat d'une nouvelle maison.

[7]            Troisièmement, même si l'avocat de l'intimée avait réussi en contre-interrogeant l'appelant à faire admettre à ce dernier que son but véritable et prédominant était de revendre le bien à profit, l'entreprise aurait été un projet comportant un risque de caractère commercial, et les dépenses auraient été déductibles de toute façon (Roopchan c. La Reine, C.C.I., no 94-3533(IT)I, 12 avril 1995 (96 DTC 1338)).

[8]            La question a toutefois été débattue sous l'angle de l'attente raisonnable de profit et c'est sous cet angle que j'en traiterai.

[9]            Les autres participants peuvent avoir eu un but différent de celui de M. Shaughnessy. Ils sont devenus insatisfaits du rythme auquel le bien s'appréciait et ont voulu retirer leurs cartes du jeu. En décembre 1993, l'appelant a acheté les participations de MM. Oberton et Stuckey, de sorte que, après cette date, le bien était détenu dans une proportion de 25 p. 100 par le frère de l'appelant, Joseph Michael, et dans une proportion de 75 p. 100 par l'appelant et son épouse, Shirley Anne Shaughnessy.

[10]          En décembre 1996, le frère de l'appelant, Joseph Michael, a vendu sa participation de 25 p. 100 à l'appelant et Shirley Anne Shaughnessy, de sorte que l'appelant et son épouse sont alors devenus propriétaires d'une participation indivise de 50 p. 100 chacun. Un nouveau prêt hypothécaire de 217 500 $ a été obtenu. En 1998, l'appelant et son épouse ont vendu le bien pour 353 000 $.

[11]          Je citerai les alinéas f) à o) des soi-disant « hypothèses » alléguées par l'intimée dans la réponse à l'avis d'appel :

[TRADUCTION]

f)              pendant toute la période pertinente, l'activité a été sous-capitalisée;

g)             pendant toute la période pertinente, l'appelant n'a apporté aucun changement important à l'activité ou n'en a pas planifié;

h)             l'appelant n'a aucune formation concernant l'activité;

i)               avant de commencer l'activité et au cours des années subséquentes, l'appelant n'a pas établi un plan d'entreprise pour déterminer si l'activité serait rentable;

j)               pour les années d'imposition 1989, 1990 et 1991, l'appelant n'a pas déclaré de revenus ou de frais de location relativement au bien;

k)              pour les années allant de 1992 à 1998, l'appelant a déclaré les pertes suivantes provenant de l'activité, comme pertes de location d'immeuble;

Année

d'imposition

    Revenu

    brut

    Dépenses

    Perte nette

1992

           3 007

           9 471

           6 464

1993

         14 300

         31 043

         16 743

1994

         11 025

         29 063

         18 038

1995

         19 265

         32 762

         13 497

1996

         17 021

         31 648

         14 627

1997

         16 743

         34 746

         18 003

1998

         16 065

         32 885

         16 820

Total

       97 426 $

     201 618 $

     104 192 $

l)               le montant total de 161 104 $ que l'appelant a déduit comme frais de location pour les années d'imposition 1994, 1995, 1996, 1997 et 1998 consiste en diverses dépenses qui sont indiquées à l'annexe « A » ;

m)             l'appelant n'avait pas d'attente raisonnable de profit relativement à l'activité durant les années d'imposition 1994 et 1995;

n)             les dépenses déduites relativement à l'activité ne sont pas raisonnables dans les circonstances;

o)             les dépenses déduites relativement à l'activité étaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelant et des autres propriétaires du bien.

[12]          Les alinéas f), g), h) et i) renferment les formules types habituelles représentant une partie connue mais essentiellement inutile de la plupart des appels relatifs à l'attente raisonnable de profit. On appuie sur le bouton approprié de l'ordinateur et celui-ci sort sur imprimante les alinéas f) à i).

[13]          Les alinéas m), n) et o) renferment d'autres formules constituant la même sorte de verbiage. L'alinéa m) est évidemment l'obligatoire incantation rituelle du mantra de l'attente raisonnable de profit. Les alinéas n) et o) sont simplement ajoutés en prime. Ils ne trouvent aucun fondement dans la preuve et n'ont pas été allégués au cours de l'argumentation. Ils sont tellement forcés qu'il n'est pas possible qu'ils aient été la base des cotisations. Je présume qu'appuyer sur un bouton de l'ordinateur pour produire les alinéas n) et o) exige à peu près le même degré de réflexion et de délibération qui a été nécessaire pour produire les alinéas f) à i). Le fait est simplement que ces mêmes alinéas figurent dans les réponses aux avis d'appel dans pratiquement toutes les causes relatives à l'attente raisonnable de profit soumises à notre cour. Il est inacceptable que ce genre de régurgitation irréfléchie de formules verbales stéréotypées se retrouve dans toutes les réponses aux avis d'appel dans les causes relatives à l'attente raisonnable de profit. La formulation d'hypothèses dans la réponse à l'avis d'appel comporte une sérieuse obligation, pour la Couronne, d'énoncer honnêtement et intégralement les hypothèses effectives sur lesquelles le ministre s'est fondé en établissant la cotisation, qu'elles appuient ou non la cotisation. Le fait d'alléguer dans la réponse à l'avis d'appel que le ministre s'est fondé sur des hypothèses qu'il ne peut avoir formulées n'est pas une façon de satisfaire à cette obligation. Le tribunal et la partie appelante devraient pouvoir compter sur l'exactitude et l'exhaustivité des hypothèses alléguées dans la réponse à l'avis d'appel. Malheureusement, cela devient de plus en plus difficile. L'ensemble du système élaboré dans nos tribunaux quant aux hypothèses et quant au fardeau de la preuve est menacé si la partie intimée n'énonce pas les hypothèses effectives sur lesquelles se fonde la cotisation, et ce, avec une franchise, une impartialité et une honnêteté totales.

[14]          Quoique l'appelant et son épouse aient été copropriétaires du bien, l'appelant a déduit l'ensemble des pertes. On n'a pas allégué au cours de l'argumentation ou dans la réponse à l'avis d'appel que, si les pertes étaient déductibles, seulement 50 p. 100 étaient déductibles par l'appelant. L'appelant n'avait donc aucune charge de preuve à cet égard. S'il en avait eu une, il pourrait avoir été en mesure de justifier sa déduction du montant total en se basant sur les règles d'attribution prévues à l'article 74.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je traite donc de l'affaire en me fondant sur le fait que, si les pertes sont déductibles, elles sont entièrement déductibles par l'appelant.

[15]          Dans l'affaire Donyina c. R., C.C.I., no 2001-934(IT)I, 9 juillet 2001 ([2001] 3 C.T.C. 2741), j'ai résumé ce qui semblait être les principes qui avaient été établis jusque-là dans le domaine de l'attente raisonnable de profit. Les appels des décisions rendues par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Stewart c. R., C.A.F., no A-337-98, 18 février 2000 ([2000] 2 C.T.C. 244), et dans l'affaire Walls c. R., C.A.F., no A-163-96, 23 novembre 1999 ([2000] 1 C.T.C. 324), ont récemment été entendus par la Cour suprême du Canada, et nous pouvons nous attendre à un nouvel éclairage dans ce domaine quelque peu obscur.

[16]          Le résumé fait dans l'affaire Donyina était le suivant :

[8]            Le principe de l'attente raisonnable de profit a évolué. Pendant un certain temps après l'affaire Moldowan, les répartiteurs de l'impôt ont, avec ferveur, refusé des pertes qu'ils considéraient rétrospectivement comme résultant d'une activité exercée sans attente raisonnable de profit. Leur ferveur a été beaucoup tempérée par des jugements comme Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001); P.G. du Canada c. Mastri, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420); Mohammad c. La Reine, C.A.F., no A-652-96, 28 juillet 1997 (97 DTC 5503); Kuhlmann c. La Reine, C.A.F. no A-981-96, 30 octobre 1998 (98 DTC 6652); Walls c. La Reine, C.A.F., no A-163-96, 23 novembre 1999 (2000 DTC 6025) (en appel devant la C.S.C.); Milewski c. La Reine, C.C.I., no 97-3096(IT)G, 12 août 1999 (99 DTC 968) (confirmé par C.A.F., no A-596-99, 26 septembre 2000 (2000 DTC 6559), Kaye c. La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998 (98 DTC 1659); Costello c. La Reine, C.C.I., no 97-407(IT)I, 8 janvier 1998 (98 DTC 1362); Smith c. La Reine, C.C.I., no 92-604(IT)G, 20 octobre 1995 (96 DTC 1886); Saunders c. R., C.C.I., no 96-1999(IT)I, 5 février 1998 ([1998] 2 C.T.C. 3196), et Roopchan c. La Reine, C.C.I., no 94-2533(IT)I, 12 avril 1995 (96 DTC 1338), ainsi que par des décisions antérieures de notre cour : Bélec c. La Reine, C.C.I., no 93-3443(IT)I, 5 août 1994 (95 DTC 121); Nichol c. La Reine, C.C.I., no 91-2094(IT)G, 9 septembre 1993 (93 DTC 1216), et N. Cipollone c. La Reine, C.C.I., no 94-54(IT)I, 24 août 1994 ([1995] 1 C.T.C. 2598). Le plus récent jugement sur cette question est Keeping c. La Reine, C.A.F., no A-372-99, 4 février 2001 (2001 F.C.A. 182).

[9]            Je ne vais pas citer ces jugements ni les analyser en long et en large. Je pense qu'il suffit de résumer certains des principes qu'ils semblent établir.

1.              En l'absence d'un élément personnel, le critère de l'attente raisonnable de profit doit être appliqué avec modération (Tonn, Keeping, Bélec et Walls). L'absence d'un élément personnel n'établit pas définitivement que le principe de l'attente raisonnable de profit ne peut être invoqué, mais une telle absence est un facteur qui a beaucoup de poids (Mastri).

2.              Le ministre ou le tribunal ne doit pas rétrospectivement porter un jugement sur le sens des affaires d'un contribuable qui s'est lancé de bonne foi dans une entreprise commerciale (Keeping, Tonn, Nichol, Kuhlmann, Bélec et Smith).

3.              Le fait qu'une entreprise ou qu'un bien soit financé à 100 p. 100 n'est pas en soi une raison pour appliquer le principe de l'attente raisonnable de profit (Milewski, Mohammad et Saunders).

4.              Il faut laisser au contribuable une période de temps raisonnable aux fins de l'établissement de l'entreprise (Keeping). Une telle période variera selon les circonstances et pourra bien être longue (Milewski).

5.              Le principe de l'attente raisonnable de profit ne doit pas être invoqué en remplacement d'une analyse. Avant d'invoquer ce principe, le répartiteur de l'impôt doit examiner les dépenses pour déterminer si elles sont raisonnables ou si, pour une autre raison, elles ne sont pas déductibles (Smith, Costello et Cipollone).

6.              Une attente de profit irrationnelle, absurde et ridicule n'est pas une attente raisonnable (Kuhlmann).

7.              Le fait qu'un investissement ou une entreprise soit en partie motivé par des considérations fiscales n'est pas pertinent quant à savoir s'il existe une entreprise et, en soi, une motivation fiscale n'est pas pertinente dans la détermination de la déductibilité de dépenses si une entreprise existe (Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (84 DTC 6305), à moins évidemment que le ministre ne choisisse d'invoquer la règle générale anti-évitement prévue à l'article 245, auquel cas la situation est fondamentalement différente.

8.              Lorsque des pertes ont été déclarées, puis refusées, la première question est de savoir s'il s'agit de « frais personnels ou de subsistance » , dont la définition législative inclut le critère de l'attente raisonnable de profit. Dans la négative, le critère de l'attente raisonnable de profit doit être appliqué avec un soin extrême et il faut alors déterminer s'il y a une entreprise. L'existence d'une attente raisonnable de profit n'est qu'un facteur dans cette détermination (Kaye).

9.              La question du caractère raisonnable de dépenses se pose dans le contexte d'une entreprise existante —­ l'article 67 interdit la déduction de dépenses qui ne sont pas raisonnables — ainsi qu'à l'étape initiale consistant à déterminer s'il y a une entreprise (Kaye).

10.            Si ce qui est manifestement un bien locatif a été acquis et détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial et qu'il était raisonnable de s'attendre à en tirer un profit à la revente, les pertes (soit les frais de possession engagés moins les loyers reçus) ne doivent pas être refusées selon le principe de l'attente raisonnable de profit (Roopchan). Le tribunal doit toutefois examiner avec soin une déclaration a posteriori selon laquelle un bien détenu à perte pendant un certain nombre d'années fait partie d'une opération spéculative motivée par une revente à profit. Ce n'est pas quelque chose que l'on s'attendrait qu'une personne admette facilement si le bien a été vendu à profit.

11.            Si le contribuable a plusieurs biens locatifs et que certains donnent lieu à un profit, tandis que d'autres donnent lieu à une perte, il ne convient pas d'appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit aux biens donnant lieu à une perte et de faire fi des biens donnant lieu à un profit. L'investissement doit être examiné dans son ensemble (Smith).

12.            Les décisions quant à savoir quand lancer une entreprise et quand l'abandonner sont des décisions d'ordre commercial dans lesquelles ni les autorités fiscales ni le tribunal ne doivent intervenir (Nichol). Néanmoins, si des pertes continuent d'être subies année après année pendant une période excessive, il faut tôt ou tard appliquer le principe selon lequel « trop, c'est trop » et considérer que ce qui pourrait avoir été une entreprise viable s'est révélé avec le temps un cas désespéré et que la meilleure chose à faire de cette entreprise est d'y mettre fin convenablement. Il faut toutefois considérer avec beaucoup de respect la décision d'un homme d'affaires de maintenir une entreprise.

[17]          En appliquant chacun de ces points à la présente espèce, les conclusions suivantes sont justifiées :

1.              Il n'y avait aucun élément personnel. L'appelant et son épouse allaient à l'appartement deux ou trois jours par année pour fins de nettoyage et d'entretien. Leurs amis et leur famille n'utilisaient pas le bien.

2.              Porter un jugement sur le sens des affaires de l'appelant est exactement ce que le ministre fait en l'espèce. L'appelant voyait Whistler comme une zone récréative susceptible de prendre de l'expansion, et leur décision se fondait sur des recherches et demandes de renseignements rationnelles.

3.              Le bien n'était pas financé à 100 p. 100. L'appelant avait déboursé une somme importante provenant de REER qu'il avait encaissés. Même si le bien avait été financé intégralement, cela n'aurait pas été fatal.

4.              L'appelant a acquis le plus gros de sa participation dans le bien en 1993 et en 1996, en rachetant la part des autres participants. Le ministre a pris pour cible les années d'imposition 1994 et 1995, immédiatement après que l'appelant eut accru sa participation dans le bien. Si l'appelant n'avait pas décidé de vendre le bien par suite de la cotisation de l'ADRC, il aurait réalisé un profit au cours des années subséquentes. Le ministre a selon moi été vraiment trop prompt dans sa réaction.

5.              Je n'ai vu aucune preuve d'une analyse quelconque — simplement la psalmodie habituelle de l'attente raisonnable de profit.

6.              Il n'y a assurément rien d'irrationnel, d'absurde et de ridicule à s'attendre à tirer un profit de la location d'un bien situé dans un des secteurs récréatifs les plus en demande de l'Amérique du Nord.

7.              Il n'y avait pas de considérations fiscales dans cet investissement.

8.              Ces dépenses ne sont assurément pas des frais personnels ou de subsistance.

9.              Il n'y a aucun élément qui indique que les dépenses étaient déraisonnables. Ce point avait été soulevé dans la réponse à l'avis d'appel, mais il a ensuite été abandonné.

10.            Le bien n'avait pas été acheté pour être revendu.

11.            Ce point ne s'applique pas.

12.            L'appelant a acquis sur une période de dix ans une participation de plus en plus importante dans le bien. Il a vendu le bien en 1998. Telle est la décision qu'il a prise. On ne peut l'en blâmer.

[18]          Aucun de ces principes n'a été observé par l'ADRC dans la présente espèce.

[19]          Un autre coup funeste pour le principe de l'attente raisonnable de profit a récemment été porté dans l'affaire Ludco Enterprises Ltd. c. La Reine, C.S.C., no 27320, 28 septembre 2001 (2001 DTC 5505). Dans pratiquement toutes les causes relatives à l'attente raisonnable de profit que j'ai entendues, les intérêts avaient été l'élément déterminant. Sans les intérêts, la perte serait habituellement éliminée ou considérablement réduite. Dans la présente espèce, les intérêts payés en 1994 et en 1995 ont été de 14 599 $ et de 17 436 $ respectivement. Les pertes déclarées étaient de 18 038 $ et de 13 497 $. L'appelant a dit que le revenu brut pour ces deux années-là avait été incorrectement déclaré et aurait dû être de 18 000 $ et de 22 000 $ respectivement plutôt que de 11 025 $ et de 19 265 $. Selon les chiffres révisés concernant le revenu brut, la perte pour 1994 aurait été de 11 063 $ et la perte pour 1995 aurait été de 10 762 $. L'élimination des frais d'intérêts aurait fait disparaître la perte et aurait donné lieu à un profit.

[20]          Ne pas admettre les pertes équivaut à refuser la déduction des frais d'intérêts. J'estime que c'est manifestement contraire à la décision rendue dans l'affaire Ludco, dans laquelle les frais d'intérêts ont été admis pour le motif que l'argent emprunté avait été utilisé pour acquérir des actions qui ont donné lieu à un revenu en dividendes. Les propos suivants, tenus par le juge Iacobucci pour l'ensemble de la cour, sont éclairants :

[58]          En l'espèce, la Cour canadienne de l'impôt et la Section de première instance de la Cour fédérale paraissent avoir appliqué l'arrêt de notre Cour Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, et assimilé « revenu » à « profit » . Toutefois, dans cette affaire, il ne s'agissait pas de définir la notion de « revenu » comme telle, mais de déterminer la source de revenu en jeu et, plus précisément, de faire une distinction entre les activités commerciales d'une part et les activités personnelles ou récréatives d'autre part. Il est clair que l'arrêt Moldowan, précité, ne permet pas d'affirmer préemptoirement (sic) que « revenu » s'entend nécessairement de « profit » .

[59 ]         Vu l'absence de définition dans la Loi, notre Cour doit appliquer les principes d'interprétation législative pour dégager le sens du terme « revenu » au sous-al. 20(1)c)(i). Le sens ordinaire de cette disposition n'appuie pas l'interprétation selon laquelle « revenu » équivaut à « profit » ou à « revenu net » . Le texte de la disposition ne propose aucun critère quantitatif. Le texte de la Loi n'appuie pas non plus une interprétation du mot « revenu » qui impliquerait que le tribunal doit se demander si le revenu a un caractère suffisant. Une telle approche serait trop subjective et la certitude doit être privilégiée en droit fiscal. En l'absence d'un trompe-l'oeil, d'un artifice ou d'autres circonstances viciant l'opération, les tribunaux ne devraient donc pas se demander si le revenu escompté ou touché a un caractère suffisant.

[60]          Comme l'a signalé le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale, le juge Bowman de la Cour canadienne de l'impôt (maintenant juge en chef adjoint de cette cour) à (sic) clairement répondu, dans Mark Resources Inc. c. La Reine (1993), 93 D.T.C. 1004, à l'argument suivant lequel le terme « revenu » employé au sous-al. 20(1)c)(i) s'entend nécessairement de « profit » . Mais surtout, le juge Bowman a rejeté cet argument en ces termes (à la p. 1015) :

« L'intérêt sur l'argent emprunté pour investir dans des actions ordinaires, ou dans un bien, ou une entreprise ou une corporation, est déductible parce qu'il est dépensé pour gagner des sommes qui doivent être incluses dans le calcul du revenu. Des éléments de revenus, comme des dividendes, qui doivent être inclus dans le revenu, en vertu des alinéas 12(1)j) et k), ne cessent pas d'être des revenus du simple fait que leur coût de production est supérieur à leur montant. »

[61]          Je partage cette opinion. De fait, si l'on considère le contexte immédiat dans lequel le terme « revenu » est employé au sous-al. 20(1)c)(i), il est significatif que, dans la disposition comme telle, la notion de « revenu » est utilisée par opposition à celle de revenu exonéré d'impôt. Dans cette optique, le terme « revenu » figurant au sous-al. 20(1)c)(i) ne s'entend pas du revenu net, mais bien du revenu assujetti à l'impôt. Il est donc clair que « revenu » s'entend du revenu en général, savoir de toute somme qui entre dans le revenu imposable et non seulement du revenu net.

[62]          L'autre élément de preuve concernant l'intention du législateur renforce cette conclusion. Si le législateur avait voulu que l'intérêt ne soit déductible que lorsque l'argent emprunté a été utilisé en vue de tirer un « revenu net » , il aurait pu le dire expressément. De fait, comme l'a souligné le juge Létourneau, des modifications de la Loi qui auraient eu pour effet de limiter la déduction de l'intérêt aux seuls cas où l'argent emprunté est utilisé en vue de réaliser un profit ont été présentées en 1981 et en 1991, mais elles n'ont jamais été adoptées.

[21]          En l'espèce, le ministre n'a pas admis les pertes en se fondant sur sa psalmodie cérémonielle de l'attente raisonnable de profit, à savoir une interprétation de la loi qui, appliquée par l'ADRC comme un critère autonome, ne saurait résister à un examen rationnel. Une analyse réaliste de ce que faisait l'ADRC dans ce cas-ci indique, on ne peut plus clairement, que l'ADRC refusait essentiellement d'admettre les intérêts parce que ceux-ci n'avaient pas donné lieu à la production d'un revenu net. C'est exactement l'approche qu'a rejetée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ludco.

[22]          Les appels sont admis avec frais et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations de manière à admettre la déduction de pertes de 11 063 $ pour 1994 et de 10 762 $ pour 1995. Telles sont les pertes résultant de la révision, par l'appelant, de son revenu brut de location pour ces années-là.

Signé à Toronto, Canada, ce 9e jour de janvier 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 3e jour de mai 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-178(IT)G

ENTRE :

KEVIN SHAUGHNESSY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 13 décembre 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelant :       Me F. Timothy Williamson

Avocat de l'intimée :         Me Carl Januszczak

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 soient admis avec frais et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations de manière à admettre la déduction de pertes de 11 063 $ pour 1994 et de 10 762 $ pour 1995.

Signé à Toronto, Canada, ce 9e jour de janvier 2002.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 3e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur

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