Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20001013

Dossier: 96-1166-IT-G

ENTRE :

ROGER ET RICHARD BARNABE, EN LEUR QUALITÉ D'EXÉCUTEURS TESTAMENTAIRES DE FEU LOUIS BARNABE,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de l'ordonnance

Le juge Mogan, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'une requête présentée en vertu de l'article 159 des Règles de procédure générale de la présente cour (les « Règles » ) visant à obtenir la révision de la taxation des dépens effectuée par l'officier taxateur R. D. Reeve, agissant conformément aux articles 153 à 158 des Règles.

[2]            L'histoire du présent litige n'est pas compliquée. En avril 1996, les exécuteurs testamentaires de feu Louis Barnabe (les « appelants » ) ont déposé un avis d'appel auprès de la présente cour relatif à l'année d'imposition 1992. La principale question était de savoir si le défunt avait disposé de certains biens avant son décès, survenu le 10 mai 1992. Le 19 janvier 1998, le juge McArthur, de la présente cour, a rendu un jugement rejetant l'appel, et ce, en ces termes :

[TRADUCTION]

L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1992 est rejeté avec dépens.

[3]            Les appelants ont interjeté appel à l'encontre de la décision du juge McArthur devant la Cour d'appel fédérale par un avis d'appel daté du 13 février 1998. À la Cour d'appel fédérale, le juge Sexton, rédigeant les motifs du jugement majoritaire, a conclu par la phrase suivante :

Il convient, en conséquence, d'accueillir l'appel et d'adjuger des dépens en faveur des appelants.

Le 22 juin 1999, la Cour d'appel fédérale a rendu un jugement formel qui accueillait l'appel des appelants, et ce, en ces termes :

L'appel est accueilli. Les appelants auront droit aux dépens et l'affaire est renvoyée au ministre pour qu'il établisse une nouvelle cotisation conformément aux motifs du jugement de la Cour.

[4]            M. Reeve, l'officier taxateur, a présidé l'audience de taxation des dépens afférents à l'instance devant la présente cour lors d'une conférence téléphonique tenue le 21 mars 2000. Dans ses motifs de taxation datés du 6 juillet 2000, l'officier taxateur a conclu que les appelants n'avaient droit à aucuns dépens pour l'instance instruite devant la présente cour. Dans ses motifs, l'officier taxateur a déclaré :

[TRADUCTION]

À la lumière des termes employés par la Cour d'appel, je ne suis pas persuadé d'avoir le pouvoir d'interpréter plus largement une décision d'un tribunal de façon à accorder des dépens afférents à l'instance devant la Cour canadienne de l'impôt et des dépens additionnels afférents à l'instance devant la Cour d'appel.

(paragraphe 18)

Une interprétation qui me permettrait d'accorder des dépens à tous les niveaux couvrirait certainement tous les litiges. Toutefois, je crois qu'en l'espèce, ce serait aller au-delà de ce que dit la Cour d'appel dans sa décision.                   (paragraphe 18)

En l'espèce, je n'ai pas compétence pour accorder des dépens afférents à l'instance devant la Cour canadienne de l'impôt.                              (paragraphe 20)

[5]            Avant d'examiner le bien-fondé de cette requête, j'aimerais commenter brièvement la dernière phrase précitée. Avec tout le respect que je lui dois, l'officier taxateur avait compétence pour accorder des dépens afférents à l'instance devant la Cour canadienne de l'impôt. Dans l'exercice de sa compétence, il a interprété les termes employés par la Cour d'appel fédérale lorsqu'elle a accueilli l'appel interjeté par les appelants à l'encontre de la décision du juge McArthur. En interprétant ces termes, l'officier taxateur a conclu que la Cour d'appel fédérale avait l'intention d'adjuger des dépens aux appelants pour l'instance instruite devant elle. C'est sur cette décision de l'officier taxateur, dans laquelle il interprète le jugement de la Cour d'appel fédérale, que porte la présente requête.

[6]            La présente requête a été entendue à Winnipeg le 22 septembre 2000. À la lumière des arguments de l'avocate, il ressort que les dépens des appelants afférents à l'instance devant la Cour d'appel fédérale ont déjà été taxés. Par conséquent, j'examinerai seulement la question de savoir si les appelants ont droit aux dépens afférents à l'instance devant la présente cour. À l'instar de l'officier taxateur, je dois interpréter les termes du jugement formel de la Cour d'appel fédérale cités plus haut, au paragraphe 3. Dans les Règles de la Cour fédérale, le mot « Cour » est défini comme suit :

« Cour » désigne la Cour fédérale du Canada et, selon le contexte, doit s'entendre soit de la Division de première instance, soit de la Cour d'appel, soit de l'une et l'autre;

L'article 344 des Règles de la Cour fédérale dispose :

344(1)      La Cour a entière discrétion pour adjuger les frais et dépens aux parties à une instance, pour en déterminer la somme, pour les répartir et pour désigner les personnes qui doivent les supporter.

(2)            Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(3)            En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte :

a)             du résultat de l'instance;

b)             [...]

En l'espèce, la Cour d'appel fédérale a exercé son pouvoir discrétionnaire pour adjuger les frais et dépens lorsqu'elle a dit, dans son jugement formel : « Il convient [...] d'accueillir l'appel et d'adjuger des dépens en faveur des appelants » . Avant 1987, le paragraphe 344(1) des Règles de la Cour fédérale était rédigé comme suit :

344(1)      Les dépens et autres frais de toutes les procédures devant la Cour sont laissés à la discrétion de la Cour et suivent le sort de l'affaire sauf ordonnance contraire.

En interprétant cette version antérieure du paragraphe 344(1), dans l'affaire RCP Inc. c. M.R.N., [1986] 1 C.F. 485, le juge Rouleau déclarait, aux pages 488 et 489 :

                Au fil des ans, les tribunaux ont eu à examiner le sens du mot « sort » dans diverses circonstances. Dans l'affaire Creen v. Wright (1877), 25 W.R. 502 (C.A.), la Cour a statué que, dans les cas où, à l'instruction d'une action, il est rendu une ordonnance de non-lieu qui est infirmée, qu'un nouveau procès est accordé et que, au terme du second procès, le demandeur obtient verdict et jugement, il a droit aux dépens du premier procès en tant que partie des dépens qui « suivent le sort de l'affaire » . Le verdict du jury au second procès constitue le sort de l'affaire.

                Dans l'arrêt Field v. Great Northern Railway Company (1878), 26 W.R. 817 (Div. Ct.), on a jugé que le sort de l'affaire était le résultat de toutes les procédures incidentes au litige et que les dépens qui suivent le sort de l'affaire comprennent les dépens à toutes les étapes du litige.

[...]

                Au cours de mes recherches, je n'ai pu trouver aucun arrêt appuyant l'argument suivant lequel lorsqu'une affaire a été réglée entre les parties et que la poursuite du litige devient inutile, il ne peut y avoir d'ordonnance quant aux dépens. Le « sort de l'affaire » , que les dépens doivent suivre, n'est rien de plus que l'issue du litige; en l'espèce, le litige a connu son issue lorsque la requérante a obtenu le redressement qu'elle demandait par règlement. [...]

[7]            Les mots « suivent le sort de l'affaire » ont été retirés du paragraphe 344(1) lors de la modification de 1987. Toutefois, la première chose que la Cour peut considérer, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, est précisée à l'alinéa 344(3)a), soit le « résultat de l'instance » . À mon avis, le « résultat » est la décision de la Cour d'appel fédérale. Toutefois, « l'instance » se limite-t-elle à l'audience devant le tribunal d'appel ou inclut-elle l'audience devant le tribunal d'instance inférieure qui a donné lieu à l'appel? Il n'y aurait jamais d'instance en appel s'il n'y avait d'abord de procès devant un tribunal d'instance inférieure donnant lieu à une décision à l'encontre de laquelle la partie déboutée pourrait interjeter appel. Étant donné la conclusion du juge Rouleau dans l'affaire RCP c. M.R.N. à l'effet que le « sort de l'affaire » soit le résultat du litige, je suis porté à croire que « l'instance » dont il est question à l'alinéa 344(3)a) des Règles de la Cour fédérale comprend les procès en première instance et ceux en appel. Mon opinion ne donne pas pour autant gain de cause aux appelants, car l'alinéa 344(3)a) n'est en fait que le premier élément dont je dois tenir compte.

[8]            Devrais-je tirer quelque conclusion que ce soit du fait que les motifs du jugement majoritaire de la Cour d'appel fédérale et le jugement formel de cette dernière soient silencieux quant à l'instance instruite devant le juge McArthur de la présente cour? Ces documents passent-ils sous silence la procédure devant la présente cour parce que la Cour d'appel tenait pour acquis qu'elle adjugeait des dépens aux deux niveaux ou parce que la Cour d'appel avait sciemment décidé de ne pas adjuger de dépens afférents à l'instance devant le tribunal d'instance inférieure? Dans son ouvrage intitulé « The Law of Costs » , deuxième édition 1999 (Canada Law Book Inc.), Mark M. Orkin écrit, au paragraphe 802.11 :

[TRADUCTION]

Lorsqu'un appel est accueilli, le principe général est à l'effet que l'ordonnance de dépens au procès est annulée et que les dépens en première instance et en appel sont adjugés à l'appelant qui a gain de cause. Toutefois, le tribunal peut, à sa discrétion, écarter ce principe en présence de circonstances inhabituelles.

                Quoique, comme je l'ai fait remarquer, les dépens de l'appel suivent le sort de l'instance, en l'absence de circonstances spéciales, les dépens en première instance doivent être demandés dans le mémoire et oralement lors de l'audience.

[9]            La documentation dont je dispose, pour l'examen de la présente requête, n'inclut aucune copie du mémoire d'appel que les appelants ont présenté en Cour d'appel fédérale. Par conséquent, je ne sais pas si les dépens pour l'instance instruite devant le juge McArthur ont été demandés dans ce mémoire. La déclaration sous serment de Robert C. Lee au soutien de la présente requête est imprécise. Au paragraphe 5 de la déclaration sous serment, la pièce « D » est décrite comme une copie du « jugement rendu par la Cour » (soit la Cour d'appel fédérale), alors qu'en fait la pièce « D » est une copie des motifs du jugement, et non du jugement formel. En outre, au paragraphe 7, les pièces « F » et « G » sont décrites comme le « Certificat de taxation et les motifs de taxation » . En fait, la pièce « F » est une copie de la lettre envoyée par la présente cour aux procureurs des appelants à laquelle est jointe une copie conforme du certificat de taxation des dépens, le certificat même n'étant pas joint à la déclaration sous serment. En outre, la déclaration sous serment n'inclut aucune copie du mémoire des appelants présenté en Cour d'appel fédérale.

[10]          Un examen de sept décisions rapportées de la Cour d'appel fédérale, rendues en 1998 et portant sur des appels interjetés en vertu de l'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale, ne permet pas d'établir une tendance constante quant au sort des dépens afférents à l'instance devant le tribunal d'instance inférieure. Par exemple, dans les trois affaires suivantes :

                                Semiahmoo Indian Band                    [1998] 1 C.F. 3

                                Andrew Donnelly                                                 [1998] 1 C.F. 513

                                Carpenter Fishing Corp.                    [1998] 2 C.F. 548

les appels ont été accueillis avec dépens et une référence précise a été faite au « tribunal d'instance inférieure » . Dans les quatre affaires suivantes :

                                Beothuk Data Systems Ltd.                 [1998] 1 C.F. 433

                                Ken Rubin                                                              [1998] 2 C.F. 430

                                Mary Robinson                                     [1998] 2 C.F. 569

                                Shell Canada Ltd.                                                [1998] 3 C.F. 64

les appels ont été accueillis avec dépens, mais sans faire référence au « tribunal d'instance inférieure » . Il se peut que la Cour d'appel fédérale ait adjugé les dépens conformément à la demande qui lui a été faite à ce sujet dans les mémoires déposés par les divers appelants.

[11]          En l'espèce, je ne peux déterminer si, en accueillant l'appel et en adjugeant des dépens sans faire référence au tribunal d'instance inférieure, la Cour d'appel fédérale voulait exclure des dépens adjugés aux appelants ceux de la présente cour ou si elle voulait plutôt accorder des dépens aux deux niveaux, tenant pour acquis que les mots « des dépens » entraîneraient cette conclusion. À mon avis, les appelants avaient le fardeau de me convaincre que, dans leur mémoire, ils avaient demandé des dépens afférents tant à l'instance en Cour d'appel fédérale qu'à celle devant la Cour canadienne de l'impôt. S'ils avaient déposé leur mémoire d'appel présenté à la Cour d'appel fédérale avec pareille demande de dépens, j'aurais pu en inférer qu'en accueillant l'appel et qu'en adjugeant « des dépens » , la Cour d'appel fédérale adjugeait des dépens pour les deux niveaux. Toutefois, en l'absence du mémoire des appelants, je ne tirerai aucune conclusion semblable, car je ne sais pas si l'on avait demandé à la Cour d'appel fédérale de conclure quant aux dépens pour les deux niveaux.

[12]          La requête est rejetée. Étant donné l'incertitude réelle quant à l'intention de la Cour d'appel fédérale dans son jugement formel, je n'accorderai aucuns dépens en ce qui concerne la présente requête. Aucune des parties n'a demandé de dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour d'octobre 2000.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 2e jour d'avril 2001.

Mario Lagacé, réviseur

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