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Date: 20010608

Dossiers: 2000-4700-EI,

2000-4701-CPP

ENTRE :

THE LEARNING LOFT LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1]            Dans les présents appels, engagés en vertu du Régime de pensions du Canada (le « RPC » ) et de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), il s'agit de déterminer si, du 5 juillet 1999 au 5 janvier 2000, Rachelle Cronk (la « travailleuse » ), tutrice, travaillait pour l'appelante, The Learning Loft Ltd., comme entrepreneuse autonome ou comme employée.

[2]            Les actions de la société appelante sont détenues par Cindy Jenner, qui dirige aussi les activités commerciales de l'appelante. The Learning Loft offre, dans la région de London (Ontario), des services de tutorat à des élèves ayant des besoins particuliers.

[3]            Lorsque Mme Jenner a acquis la propriété de The Learning Loft, le plus gros, voire la totalité, des activités de tutorat se déroulaient dans les locaux loués par l'appelante. Cette dernière accepte tous les élèves, mais elle possède le matériel nécessaire pour enseigner à ceux qui ont des besoins particuliers, notamment les enfants ayant un trouble déficitaire de l'attention ou des troubles d'apprentissage. The Learning Loft engage des enseignants très compétents ayant fait leurs preuves auprès de tels élèves. Les tuteurs sont accrédités et ne cessent de parfaire leur formation.

[4]            Les heures d'ouverture normales de l'appelante sont de 9 h à 15 h. Certains enseignants offrent leurs services le jour, mais le plus gros du tutorat est effectué après les classes, soit de 15 h à 20 h, du lundi au jeudi.

[5]            Au début de la période en question, les services de tutorat étaient facturés 40 $ l'heure. Le 1er mars 2000, on a ramené le taux horaire à 38 $, pour faire face à la concurrence. Le tuteur et l'appelante se partagent à parts égales les honoraires payés à l'heure.

[6]            Aucun contrat écrit n'est conclu avec les parents des élèves. Les tuteurs (et la travailleuse) assurent les services de tutorat et perçoivent les honoraires auprès des parents avant de les remettre à l'appelante. Mme Jenner a déclaré qu'il est facile pour le tuteur de percevoir les honoraires puisque c'est lui qui est en contact avec le parent. Si le parent ne paie pas, l'appelante ne paie pas le tuteur. Si un élève ne se présente pas à une leçon, celle-ci est facturée au parent. Le tuteur facture à l'avance les leçons à l'appelante (sur un formulaire préparé par celle-ci), en précisant les dates prévues et le nombre de leçons à donner. La facturation se fait selon un cycle de quatre semaines. L'appelante demande au parent d'indiquer sur le chèque les dates des leçons qui correspondent au paiement; ainsi, Mme Jenner peut comparer la facture du tuteur avec le paiement du parent. Un tuteur peut refuser d'enseigner si le parent n'a pas acquitté une facture. Habituellement, le parent a payé la facture avant la deuxième leçon prévue dans le cycle. Mme Jenner s'est rappelé qu'une enseignante avait déjà quitté l'appelante parce qu'elle n'avait pas été payée par suite de l'omission d'un parent de payer l'appelante.

[7]            Le revenu du tuteur dépend uniquement des heures de travail. Habituellement, les tuteurs travaillent de trois à vingt-quatre heures par semaine. Un tuteur éventuel informe l'appelante des heures dont il dispose pour enseigner, et l'appelante essaie de concilier les heures indiquées avec celles qui conviennent à l'élève. Les tuteurs choisissent leurs heures de travail et, sous réserve de l'obligation de trouver un autre tuteur pour les remplacer, ils peuvent prendre congé quand bon leur semble. Toutefois, un seul tuteur à la fois peut prendre des congés. Le tuteur suppléant touche les honoraires correspondant aux heures enseignées; le tuteur en congé n'est pas payé. De façon générale, environ sept tuteurs travaillent à The Learning Loft à un moment ou à un autre.

[8]            L'appelante ne garantit aux tuteurs aucun nombre minimum d'heures de travail. Ils peuvent travailler ailleurs; en fait, la plupart d'entre eux sont employés par les commissions scolaires locales. Certains exploitent leur propre entreprise de tutorat et facturent des taux différents.

[9]            Le tuteur rencontre l'élève éventuel et ses parents avant de prendre un engagement. Il est libre de refuser d'enseigner à l'élève en question. S'il accepte la tâche, il évalue les besoins de l'élève et indique la durée du tutorat. La compatibilité entre l'enseignant et l'élève est importante. La relation s'établit entre l'élève (et ses parents) et le tuteur tout au long de l'enseignement. L'appelante ne supervise pas le tuteur. Si un parent n'apprécie pas la méthode pédagogique d'un tuteur, il s'en plaint à ce dernier ou à l'appelante et, à sa demande, il sera mis fin aux services que le tuteur fournit à l'élève en question. Cette règle s'appliquait à la travailleuse également.

[10]          Mme Jenner nie que les élèves sont des clients de l'appelante. Elle a témoigné qu'un tuteur [TRADUCTION] « prend lui-même le client en charge » si The Learning Loft ne peut répondre à ses besoins; au fil des ans, six enseignants ont lancé leur propre entreprise, avec de présumés clients de l'appelante.

[11]          Mme Jenner a expliqué qu'elle fournissait à tous les tuteurs la clé des locaux de l'appelante, où un endroit leur est réservé pour les périodes de tutorat. Un tuteur peut enseigner le samedi ou à n'importe quel autre moment s'il le souhaite. L'appelante, Mme Jenner a-t-elle déclaré avec insistance, n'exerce aucun contrôle sur les heures de travail.

[12]          Mme Jenner a indiqué qu'une nouvelle tendance se dessinait dans le monde du tutorat, soit le tutorat à domicile. Certains tuteurs préfèrent cependant travailler au bureau de l'appelante, où les distractions sont inexistantes. La décision d'enseigner au domicile de l'élève revient au tuteur. La demande de tutorat à domicile émane des parents. The Learning Loft ne verse au tuteur aucune indemnité pour les déplacements effectués entre la résidence d'un élève et ses bureaux ou entre la résidence du tuteur et celle de l'élève.

[13]          L'appelante ne tient pas de réunion régulière avec les tuteurs. Dans le passé, elle offrait des ateliers, auxquels elle a cependant dû mettre fin en raison des conflits d'horaires des tuteurs. L'appelante n'évalue pas non plus le rendement des tuteurs. C'est la réaction des parents qui détermine si un tuteur fait l'affaire.

[14]          Mme Jenner est chargée de la gestion, des finances et de la publicité de l'appelante. Lorsqu'elle travaille au bureau de cette dernière, elle répond aussi au téléphone; si elle est absente, c'est un tuteur qui s'en charge.

[15]          L'appelante fournit des instruments de travail et du matériel; un pupitre et des chaises, par exemple, lorsque le tutorat se fait dans ses bureaux. Il arrive parfois aux tuteurs d'utiliser des disques compacts et des jeux aux fins de leurs leçons. Dans la présente affaire, la travailleuse a fourni des crayons et du papier et a acheté certaines fournitures, que The Learning Loft ne lui a pas remboursées. Dans certains cas, l'appelante rembourse les dépenses aux tuteurs, soit normalement lorsque ceux-ci achètent des fournitures qu'elle exige. La travailleuse a utilisé son propre papier vierge, bien qu'il soit arrivé à l'appelante de fournir le papier. Au mois de mars 1999, la travailleuse a acheté un livre qu'elle a payé 20 $ environ et qui ne lui a pas été remboursé.

[16]          La travailleuse a été engagée par l'appelante en 1999. Contrairement à la règle établie, elle n'était pas accréditée. L'appelante avait une liste d'attente pour l'enseignement des mathématiques, et la travailleuse avait de l'expérience dans ce domaine. La travailleuse a enseigné à un enfant en particulier, qui avait fait appel aux services de l'appelante lorsqu'il fréquentait l'école élémentaire. Il y est retourné après son entrée à l'école secondaire parce qu'il avait besoin d'aide en mathématiques et en français. Mme Cronk a accepté de « prendre » l'élève en question, qui n'avait pas de « besoins particuliers » . Comme elle avait aussi un emploi ailleurs, Mme Cronk a tenté d'établir un horaire de cours qui n'entrerait pas en conflit avec son autre travail. Elle devait enseigner à l'élève deux heures par semaine.

[17]          Incapable de respecter ses engagements envers l'élève, Mme Cronk a demandé à Sheryl Cronk de l'aider pendant les mois de juillet et août 1999. Cette dernière étant compétente, elle a pris l'élève en charge, mais uniquement après avoir examiné son programme avec Rachelle Cronk. De l'avis de Mme Jenner, [TRADUCTION] « Sheryl ne travaillait pas pour moi [...] elle n'était pas enseignante à The Learning Loft [...] » . En fait, Mme Jenner a déclaré qu'elle ne savait rien du travail de Sheryl ni non plus de ses compétences. The Learning Loft, a-t-elle témoigné, n'exigeait pas que le tuteur fournisse les services personnellement. Toutefois, Sheryl Cronk était la première personne à remplacer une tutrice qui n'était pas elle-même tutrice. À la fin, la travailleuse a recommencé à donner des leçons à l'élève en question.

[18]          La travailleuse s'est rendu compte que l'élève et elle résidaient à un pâté de maisons l'un de l'autre, perdant donc du temps lorsqu'ils devaient se rendre au bureau de l'appelante aux fins des leçons. Pour économiser du temps, ils ont convenu de se rencontrer au domicile de l'un ou de l'autre.

[19]          Mme Jenner a indiqué que, à l'instar d'autres tuteurs, la travailleuse avait précisé à Mme Jenner les heures auxquelles elle pouvait enseigner. Comme elle « acceptait aussi des contrats ailleurs » , elle devait veiller à ce qu'il n'y ait pas de conflit d'horaire. Mme Cronk s'entendait avec l'élève sur les heures d'enseignement. Elle enseignait aussi les samedis.

[20]          Mme Cronk voyait rarement Mme Jenner après avoir pris en charge un élève. Les deux femmes ne se rencontraient que lorsque « les factures ou les chèques étaient remis » .

[21]          Mme Cronk est diplômée en psychologie. Elle a aussi étudié en génie pendant un an. Elle a fourni des services de tutorat à des étudiants de Fanshawe College, un collège communautaire de London, en mathématiques et en physique. Elle était alors payée par le collège. Le salaire horaire qui lui était versé par le collège était supérieur aux honoraires que lui payaient les étudiants. Le collège, semble-t-il, la considérait comme une employée.

[22]          À un moment donné, Mme Cronk s'est rendu compte qu'elle était débordée de travail et a refusé de prendre d'autres élèves. Du mois de septembre au mois de décembre 1999, elle a travaillé à temps plein comme photographe. Cependant, elle a continué à offrir des services de tutorat au Fanshawe College et a par la suite lancé sa propre entreprise de tutorat.

Analyse

[23]          La travailleuse était une entrepreneuse autonome au cours de la période en litige. Une personne comme la travailleuse peut être à la fois une employée de Fanshawe College et une entrepreneuse autonome de l'appelante. Dans le cas du collège, les étudiants étaient ceux du collège, qui prenait en charge les coûts du tutorat. Dans le cas de l'appelante, il n'y avait aucune restriction, c'est-à-dire que l'élève n'avait pas à fréquenter une école en particulier, les coûts du tutorat n'étaient pas pris en charge par l'appelante et, pour l'essentiel, la relation s'établissait entre le tuteur et l'élève.

[24]          Selon ce que la preuve révèle et ce que dicte le bon sens, c'est l'appelante qui assortissait l'élève et la travailleuse; une fois la relation établie, elle disparaissait du tableau. Elle exigeait des frais de la tutrice en échange de ce service. Toutefois, c'est la tutrice qui déterminait (avec l'élève à qui elle allait offrir l'enseignement) quelle matière allait être enseignée, comment et à quel moment et à quel endroit l'enseignement allait être dispensé. Ces décisions n'étaient pas celles de l'appelante. Il n'y avait pas de relation employeur-employé entre la travailleuse et l'appelante. Cette dernière n'exerçait aucun contrôle réel sur la travailleuse, et ne souhaitait pas le faire non plus. La travailleuse pouvait toujours avoir sa propre entreprise de tutorat sans utiliser l'appelante comme intermédiaire.

[25]          Si la travailleuse souhaitait utiliser des fournitures dont l'appelante n'avait pas besoin, elle en assumait le coût. Si elle voulait réduire ses dépenses, les frais de déplacement par exemple, elle pouvait enseigner à domicile. Si le parent d'un enfant ne payait pas et que la travailleuse insistât pour continuer à enseigner à l'enfant, celle-ci risquait de subir une perte puisque, le parent n'ayant pas payé, elle n'était pas payée non plus.

[26]          Lorsqu'il applique le critère à quatre volets énoncé dans les motifs du jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[1], le juge de première instance doit examiner l'ensemble de la relation qui existe entre les parties. L'entreprise de l'appelante consiste à trouver des élèves qui ont besoin d'aide, à les assortir à des tuteurs et à établir et à favoriser une relation entre les tuteurs et les élèves. L'entreprise de l'appelante ne consiste pas à offrir un enseignement à l'élève; cette entreprise est celle du tuteur.

[27]          Par conséquent, les appel sont accueillis.La travailleuse n'était pas une employée de l'appelante aux termes d'un contrat de louage de services durant la période allant du 5 juillet 1999 au 5 janvier 2000. L'emploi de l'appelante n'était donc pas un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi et n'ouvrait pas droit à pension aux termes de l'alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4700(EI)

ENTRE :

THE LEARNING LOFT LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de The Learning Loft Ltd. (2000-4701(CPP)) le 26 avril 2001, à London (Ontario), par

l'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Jeff Jenner

Avocat de l'intimé :                                        Me Daniel Bourgeois

JUGEMENT

          L'appel formé conformément au paragraphe 103(1) de la Loi sur l'assurance-emploi pour la période du 5 juillet 1999 au 5 janvier 2000 est accueilli et la décision du ministre du Revenu national relativement à l'appel porté devant lui en vertu de l'article 91 de la Loi est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mars 2002.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4701(CPP)

ENTRE :

THE LEARNING LOFT LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de The Learning Loft Ltd. (2000-4700(EI)) le 26 avril 2001, à London (Ontario), par

l'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  Jeff Jenner

Avocat de l'intimé :                                        Me Daniel Bourgeois

JUGEMENT

          L'appel formé conformément au paragraphe 28(1) du Régime de pensions du Canada est accueilli et la décision du ministre du Revenu national relativement à l'appel porté devant lui en vertu de l'article 27 du Régime est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de juin 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mars 2002.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               [1986] 3 C.F. 553, le juge MacGuire.

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