Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010803

Dossier: 2001-639-IT-I

ENTRE :

LYN TRAMBLE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            L'appelante interjette appel des cotisations établies à son égard pour les années d'imposition 1996 et 1997; dans lesdites cotisations, le ministre du Revenu national a rejeté la déduction de pertes de 4 661 $ et 1 198 $ qu'elle avait subies dans le cadre de l'exploitation de ce qu'elle qualifiait d'entreprise artistique.

[2]            L'appelante est l'aînée de onze enfants. Elle a commencé à peindre à l'âge de cinq ans. Elle a étudié à l'Université de Windsor, où elle a obtenu un baccalauréat ès arts avec spécialisation en beaux-arts. Elle a également étudié à la Banff School of Fine Arts, à l'Université York et l'Université de Guelph. Elle a travaillé comme enseignante à compter de 1965; elle était également religieuse et résidait au couvent St. Joseph de London, qu'elle a quitté en 1972. Elle est allée vivre à Toronto et a enseigné les arts visuels à l'abbaye Loretto, qui a constitué le sujet de certains intérieurs qu'elle a peints.

[3]            À compter de 1985, elle a travaillé à temps plein pour le Dufferin-Peel Roman Catholic Secondary School Board, et ce, jusqu'à sa retraite, prise en 1999, si ma mémoire est fidèle.

[4]            Elle a commencé à déclarer des revenus ou des pertes à compter de 1980, et elle a continué de le faire jusqu'à aujourd'hui. Voici les chiffres en question :

Année                                     Recettes                    Dépenses                             Perte

1980                                      2 350 $                            7 948 $                            (5 598 $)

1981                                      3 292 $                            7 689 $                            (4 397 $)

1982                                      5 421 $                           13 270 $                            (7 849 $)

1983                                             676 $                         3 569 $                            (2 893 $)

1984                                      6 354 $                            6 774 $                                       ( 420 $)

1985                                      2 776 $                           10 155 $                            (7 379 $)

1986                                      6 055 $                           13 096 $                            (7 041 $)

1987                                     16 585 $                           14 421 $                             2 164 $

1988                                      8 267 $                           14 231 $                            (5 964 $)

1989                                      6 135 $                            8 906 $                            (2 771 $)

1990                                      2 635 $                           10 193 $                            (7 558 $)

1991                                      7 088 $                           10 838 $                            (3 750 $)

1992                                      3 441 $                            6 604 $                            (3 163 $)

1993                                      5 485 $                            8 803 $                            (3 318 $)

1994                                      2 046 $                            8 610 $                            (6 564 $)

1995                                      4 352 $                            8 537 $                            (4 185 $)

1996                                      3 084 $                            7 745 $                            (4 661 $)

1997                                      5 481 $                            6 679 $                            (1 198 $)

1998                                      1 194 $                            5 897 $                            (5 703 $)

1999                                      7 786 $                            8 890 $                            (1 104 $)

[5]            Ce n'est qu'à compter de 1996 que les pertes ont été rejetées, au motif que l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit. Il semble que la raison pour laquelle les autorités fiscales ont décidé d'appliquer ce critère soit le fait que l'appelante n'a dégagé un bénéfice que lors d'une seule année au cours de cette période de vingt ans. La chose paraît avoir troublé quelque peu les autorités fiscales, mais celles-ci ont été mal inspirées en l'instance de s'en prendre à une artiste établie en faisant valoir le critère de l'attente raisonnable de profit. Dans l'affaire Donyina c. La Reine, dossier 2001-934(IT)I, j'ai indiqué ce qui suit :

Les décisions quant à savoir quand lancer une entreprise et quand l'abandonner sont des décisions d'ordre commercial dans lesquelles ni les autorités fiscales ni le tribunal ne doivent intervenir (Nichol). Néanmoins, si des pertes continuent d'être subies année après année pendant une période excessive, il faut tôt ou tard appliquer le principe selon lequel « trop, c'est trop » et considérer que ce qui pourrait avoir été une entreprise viable s'est révélé avec le temps un cas désespéré et que la meilleure chose à faire de cette entreprise est d'y mettre fin convenablement. Il faut toutefois considérer avec beaucoup de respect la décision d'un homme d'affaires de maintenir une entreprise.

[6]            Cet énoncé est probablement assez pertinent en soi pour servir de ligne directrice dans la pratique - je n'avais certes pas l'intention d'en faire un principe de droit -, mais il convient de l'appliquer avec précaution et de tenir compte de la nature de l'entreprise dont il est question. La personne qui exerce des activités artistiques doit parfois y consacrer sa vie entière avant de devenir un artiste réputé. Nous avons tous entendu parler d'artistes et de compositeurs qui sont morts sans le sou et dont l'oeuvre n'a été reconnue par les générations suivantes que longtemps après qu'ils ont quitté ce monde.

[7]            Le ministère du Revenu national (désormais l'ADRC) tient compte de la situation particulière des artistes, dont il est question dans le bulletin d'interprétation IT-504R2, Artistes visuels et écrivains, qui se révèle fort utile. Voici un extrait de ce bulletin :

4.              [...]

Étant donné la nature de l'art et de la littérature, il peut s'écouler un temps considérable avant qu'un artiste ou un écrivain s'établisse et réalise des bénéfices. Bien que la question de l'existence d'une attente raisonnable de profit soit pertinente lors de la détermination de la déductibilité des pertes, dans le cas des artistes et des écrivains, on reconnaît qu'une période plus longue puisse être nécessaire pour établir qu'il existe effectivement une attente raisonnable de profit.

5.              Les éléments pris en considération par le Ministère pour déterminer s'il y a une attente raisonnable de profit comprennent les suivants :

a)                    le temps consacré aux entreprises artistiques ou littéraires;

b)             la mesure dans laquelle l'artiste ou l'écrivain a présenté ses oeuvres lors de lancements publics ou privés, y compris, mais non exclusivement, des expositions, des publications et des séances de lecture, selon la nature du travail;

c)              la mesure dans laquelle l'artiste est représenté par un négociant en oeuvres d'art ou un agent et l'écrivain, par un éditeur ou un agent;

d)             le temps consacré à la promotion et à la commercialisation des oeuvres de l'artiste ou de l'écrivain, et le genre d'activités qui s'y rapportent normalement;

e)              le montant du revenu reçu se rapportant au travail même de l'artiste ou de l'écrivain, y compris, mais non exclusivement, le revenu provenant des ventes, des commissions, des redevances, des droits, des subventions et des récompenses, qui peut raisonnablement être incluse (sic) dans le revenu d'entreprise;

f)              l'historique du dossier, couvrant un bon nombre d'années, des pertes et des bénéfices annuels reliés à l'exploitation de ses oeuvres par l'artiste ou l'écrivain;

g)             la variation, sur une période de temps, de la valeur ou de la popularité des oeuvres de l'artiste ou de l'écrivain;

h)             le genre de dépenses déduites et leur rapport avec les entreprises de l'artiste ou de l'écrivain (p. ex., dans le cas d'un écrivain, il y aurait une indication claire de l'existence d'une activité commerciale si une partie importante des dépenses était consacrée à la recherche);

i)               les compétences de l'artiste ou de l'écrivain dans son domaine respectif, démontrées par ses études et reconnues du public et de ses pairs par des distinctions honorifiques, des récompenses, des prix et des critiques;

j)               l'adhésion à une association professionnelle d'artistes ou d'écrivains qui est réservée à certains membres ou à certaines catégories de membres selon des normes établies par cette association;

k)              l'importance du revenu brut que l'artiste ou l'écrivain tire de l'exploitation de ses oeuvres et la croissance de ce revenu brut au cours des années; l'examen de ce facteur doit tenir compte des influences externes comme la conjoncture économique, l'évolution des goûts du public, etc., qui peuvent influencer la vente des oeuvres artistiques ou littéraires;

l)               la nature des travaux littéraires entrepris par l'écrivain; on considère qu'une oeuvre littéraire comme un roman, un poème, une nouvelle ou toute oeuvre non fictive rédigée pour la vente générale ou la vente par l'intermédiaire d'un syndicat de distribution offre normalement une meilleure perspective de profit qu'un travail entrepris en vue d'une distribution limitée.

6.              Aucun des éléments mentionnés au numéro 5 ci-dessus n'est plus important qu'un autre, ni ne détermine en lui-même si une activité constitue une entreprise qui est exploitée en vue de réaliser des bénéfices ou qui présente une attente raisonnable de profit. Tous les critères pertinents sont considérés au moment de la détermination, et le défaut de satisfaire à un critère particulier n'empêche pas les activités artistiques ou littéraires du contribuable d'être considérées comme une entreprise.

7.              Il est possible qu'un artiste ou un écrivain ne réalise pas de bénéfices durant sa vie, mais que son travail présente quand même une attente raisonnable de profit. Toutefois, pour présenter une « attente raisonnable de profit » , les entreprises artistiques ou littéraires, selon le cas, doivent être exercées de manière à pouvoir, selon les éléments énumérés au numéro 5 ci-dessus, être considérées, aux fins de l'impôt sur le revenu, comme l'exploitation d'une entreprise plutôt que comme un passe-temps.

[8]            La personne qui a rédigé ces commentaires a fait preuve d'une grande sensibilité au sujet de la nature de l'activité artistique, et elle nous rappelle également la pertinence de cet aphorisme : ars longa vita brevis, « l'art est long, la vie est courte » . Les bulletins d'interprétation n'ont pas force de loi et ne lient pas la cour, mais le bulletin en question est pertinent, et l'appelante satisfait pour l'essentiel aux critères qui y sont formulés.

[9]            Examinons maintenant l'activité artistique de l'appelante, Mme Tramble, qui exploite son entreprise sous son nom de jeune fille, Lyn Westfall. Elle est une artiste établie ayant à son actif un bon nombre d'expositions, et elle compte des oeuvres qui font partie de différentes collections. Je reproduis ici une partie de la pièce A-5, qui énumère les expositions où ses toiles ont été présentées ainsi que les collections comptant certaines de ses toiles.

EXPOSITIONS PRÉSENTANT EXCLUSIVEMENT LES oeUVRES DE L'ARTISTE

        1979/1980             Metropolitan Separate School Board, Toronto

        1981                      Gallery 480, Elora

        1982                      Kaspar Gallery, Toronto

        1982                      Université Wilfrid Laurier

        1984                      Résidence de l'artiste, Caledon

        1986                      The Millcroft Inn, Alton

        1987                      Résidence de l'artiste, Caledon

        1988                      Woodstock Public Art Gallery, Woodstock

        1991                      Résidence de l'artiste, Caledon

        1994                      The Tarragon Theatre, Toronto

        1995                      The Art Gallery of Peel, Brampton.

EXPOSITIONS REGROUPANT DIFFÉRENTS ARTISTES

        1992                   - Exposition-concours - Wellington Country Museum

                                  - Studio Tour '92

        1993                   - Peel Collects - Art Gallery of Peel

                                  - 20e Exposition-concours annuelle - Art Gallery

                                  of Peel

                                  - Studio Tour '93

        1994                   - Exposition-concours - Wellington County Museum -

                                  Prix du jury

                                  - Studio Tour '94

        1995                   - Exposition-concours - Edward Day Gallery - Kingston

                                  - Exposition-concours - Art Gallery of Peel -

                                  Prix du jury

                                  - Studio Tour '95

        1996                   - Exposition-concours - Art Gallery of Peel

                                  - Studio Tour '96

        1998                   - Joseph D. Carrier Art Gallery, Centre Columbus, North York

                                  - Studio Tour '98.

PRINCIPALES COLLECTIONS

Collection Shell Canada, Calgary

Steven Slavin Agencies, Toronto

Neiman, Callegari, Bolton

Karoma Publishing Inc., Ann Arbour, Michigan

Villa Columbo Children's Centre, Toronto

James A. Coutts, Toronto

Université Wilfrid Laurier, Waterloo

Kathryn Robinson, Toronto

Goodman, Phillips & Vineberg, Toronto

Isabel Bassett, Toronto

J.H. Warch and Co. Limited, Toronto

Austin Cooper, Toronto

Prudential Life, Toronto

Gordon et Selma Edelstone, Toronto

Xerox Canada Inc., Toronto

Koffler Gallery, Toronto.

[10]          Dans le but de rendre son entreprise rentable, l'appelante fait de la publicité dans Slate, magazine consacré aux artistes; également, elle présente ses oeuvres lors d'expositions et dans des galeries d'art, et elle loue ses tableaux. Selon son témoignage, 80 % des tableaux loués sont en bout de ligne vendus.

[11]          Elle a produit en preuve la liste de ses oeuvres vendues en 1996 et en 1997. J'ai notamment été frappé par le fait que la quasi-totalité de ses toiles vendues au cours de ces années avaient été peintes lors d'années antérieures, certaines remontant même à 1982. Cela montre qu'il faut parfois attendre des années avant qu'une oeuvre d'art soit vendue. Aux dires de l'appelante, les oeuvres prennent généralement de la valeur à mesure que s'établit la réputation de l'artiste, et cela s'est avéré vrai dans son cas.

[12]          L'appelante est une artiste hautement versatile et prolifique. Elle fait de l'aquarelle et de la peinture à l'huile, et sa thématique est très variée. Ses oeuvres regroupées sous le thème du requiem pourraient être décrites comme des collages - des aquarelles sur lesquelles est apposé du papier de riz japonais et qui comportent des signes servant à la notation du chant grégorien. Sa toile intitulée « Ubi caritas, et amor, Deus ibi est » est une peinture complexe et saisissante commandée pour une maison de retraite. Elle a été vendue 4 000 $ en 1999.

[13]          Une grande partie de ses oeuvres sont des portraits de femmes qui ont marqué l'histoire, entre autres Hildegard von Bingen, Jeanne d'Arc et Edith Stein, de même que de personnages féminins de la Bible. De puissants courants religieux et féministes parcourent son oeuvre.

[14]          L'appelante a déclaré que l'agent des appels, M. Baksh, s'est fondé sur les trois raisons suivantes pour rejeter son opposition :

a)              Elle travaillait à temps plein comme enseignante au cours des années en cause. À cela, elle répond qu'elle consacrait autant de temps qu'elle le pouvait à son art, et qu'elle avait besoin de son salaire d'enseignante pour poursuivre ses activités artistiques. La somme de temps consacrée aux activités artistiques n'a pas grande pertinence lorsque l'on veut déterminer si des activités constituent une entreprise. Mozart pouvait écrire une symphonie en quelques jours, alors que Brahms devait y consacrer des années.

b)             Ses activités sont trop concentrées au plan géographique - elle devrait s'efforcer de vendre ses oeuvres dans l'ensemble du pays.

c)              Ses activités artistiques sont trop spécialisées : les peintures consacrées à des thèmes religieux ne sont pas particulièrement prisées à notre époque.

[15]          Ces deux derniers arguments sont de parfaits exemples de cas où le ministre substitue son jugement commercial à celui du contribuable. Or, les tribunaux ont toujours indiqué que le ministre du Revenu national ne doit pas agir ainsi. Il est toujours présomptueux de la part d'un tiers, entre autres un répartiteur de l'impôt, de fournir à une personne en affaires des conseils sur la manière dont elle devrait exploiter son entreprise. Cela est encore plus vrai lorsque l'entreprise en question est de nature artistique.

[16]          Ainsi que cela a été mentionné dans l'affaire Donyina :

2.              Le ministre ou le tribunal ne doit pas rétrospectivement porter un jugement sur le sens des affaires d'un contribuable qui s'est lancé de bonne foi dans une entreprise commerciale (Keeping, Tonn, Nichol, Kuhlmann, Bélec et Smith).

[17]          Je répéterai ici ce que j'avais déclaré dans l'affaire Kaye c. La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998, aux pages 2 et 3 (98 DTC 1659, à la page 1660) :

                [4]            Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l'utilisation de l'expression rituelle, et je préfère formuler ainsi la question : « Y a-t-il une entreprise véritable? » C'est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu'elle englobe la question du caractère raisonnable de l'attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu'un entrepreneur faisant le forage de puits d'exploration a une attente raisonnable de profit et qu'il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d'entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C'est le caractère commercial de l'entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L'intention subjective de faire de l'argent entre certes en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur déterminant, bien que l'absence d'une telle intention puisse nuire à l'assertion qu'une activité est une entreprise.

                [5]            On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : « Est-ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise? » Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

                [6]            Cela mène à une autre considération — soit la question du caractère raisonnable. L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n'est pas coulée dans le béton. L'article 67 s'applique dans le contexte d'une entreprise et suppose l'existence d'une entreprise. C'est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l'absence de raisons contraignantes, qu'une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s'attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

                [7]            En fin de compte, les choses se résument à évaluer, en faisant preuve de sens pratique, l'ensemble des facteurs, en accordant à chacun l'importance qui convient dans le contexte global. Bien entendu, on ne doit pas faire fi de la vision et de l'imagination de l'entrepreneur, mais ce sont là deux aspects qui sont difficiles à évaluer à prime abord. En d'autres termes, si vous voulez qu'on vous traite comme un homme d'affaires, agissez en homme d'affaires.

[18]          Considérons les faits en cause dans la présente affaire : nous sommes en présence d'une artiste professionnelle accomplie, qui exploite une entreprise à titre d'artiste d'une manière structurée et en faisant preuve de sens des affaires. Elle tient méticuleusement ses comptes. Ses dépenses sont modestes - par exemple, elle ne demande pas la DPA à l'égard de son studio. Dans les faits, ses pertes sont relativement peu élevées, et ses dépenses sont raisonnables par rapport aux recettes générées. S'il ne s'agit pas d'une entreprise, pourrait-on me dire de quoi il s'agit? En tout cas, ce n'est certainement pas un loisir.

[19]          Selon l'avocat, il y a un élément personnel en jeu dans les activités de l'appelante, ce qui justifie une application plus rigoureuse du principe de l'attente raisonnable de profit. Il se fonde à cet égard sur des propos attribués à l'appelante dans le cadre d'une entrevue publiée dans un journal lors d'une exposition de ses oeuvres à la Peel Art Gallery en 1995:

                                [TRADUCTION]

                Je n'ai d'autre choix que de me consacrer à mon art. Il s'agit d'un besoin irrépressible, cela me donne un sentiment de valeur personnelle et m'apporte une tranquillité d'esprit. C'est quelque chose d'absolument fascinant - qui m'accapare et me consume tout à la fois.

[20]          L'activité artistique est en soi un besoin profond et une passion. Si un artiste n'est pas habité par la passion de son art, il devrait sans doute envisager de se recycler. Je suis persuadé que, dans bien des professions, la passion est non seulement inutile mais carrément contre-indiquée. Toutefois, l'art ne fait pas partie de ces professions.

[21]          Je ne crois pas que l'on puisse conclure, du seul fait de la passion ressentie par l'appelante envers son travail, à l'existence d'un élément personnel l'empêchant d'exploiter une entreprise.

[22]          L'avocat a également soutenu que l'appelante n'a rien fait pour réduire ses dépenses ou accroître ses revenus. En fait, elle faisait tout ce qu'elle pouvait. Il se trouve simplement que ses oeuvres n'ont pas encore frappé l'imagination du public autant qu'elles auraient mérité de le faire sans doute, ou simplement qu'elles ne se sont pas vendues aussi bien que celles d'autres artistes canadiens. La supposition de l'appelante voulant que cela finisse par arriver n'a rien de déraisonnable. L'avocat n'a proposé aucun moyen par lequel elle aurait pu réduire ses dépenses, fort modestes au demeurant. Pour accroître son revenu, il lui aurait fallu peindre un plus grand nombre de toiles. Cela aurait entraîné une hausse de ses dépenses; par contre, son revenu n'aurait pas été plus élevé pour autant si ses toiles ne s'étaient pas vendues durant l'année - seul le montant de ses pertes aurait augmenté.

[23]          Une dernière observation s'impose. Les artistes peuvent faire un choix en vertu du paragraphe 10(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu de manière que la valeur des biens décrits à leur inventaire soit réputée nulle. Autrement dit, les artistes n'ont pas à déduire du coût, pour eux, des biens vendus le coût ou la valeur des toiles figurant toujours à l'inventaire à la fin de l'année. Cela signifie dans les faits que les artistes peuvent établir leur déclaration selon la méthode de comptabilité de caisse, ce que fait justement l'appelante en l'instance. Si elle était tenue d'établir la valeur des biens figurant à son inventaire d'après leur coût ou leur valeur marchande, selon le moins élevé de ces deux montants, il semble probable, étant donné le nombre de toiles non vendues figurant à son inventaire à la fin de l'année, que ses pertes seraient éliminées et qu'elle enregistrerait un bénéfice - purement théorique -, à l'égard duquel elle serait assujettie à l'impôt.

[24]          Il est ironique de voir que c'est justement la concession accordée aux artistes au paragraphe 10(6), dans le but d'encourager les activités artistiques et de prendre en compte la situation assez particulière des artistes, qui est à la source des pertes dont on refuse la déduction au motif qu'il n'existait pas d'attente raisonnable de profit.

[25]          Je conclus que l'appelante exploitait une entreprise artistique et qu'elle avait une attente raisonnable de profit. Son attente de profit n'était absolument pas « irrationnelle, absurde et ridicule » (Kuhlmann c. La Reine, C.A.F., no A 981-96, 30 octobre 1998 (98 DTC 6652).

[26]          Les appels sont admis, avec dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations de manière à autoriser l'appelante à déduire de son revenu pour les années 1996 et 1997 les pertes subies dans le cadre de l'exploitation de son entreprise artistique.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'août 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour d'avril 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-639(IT)I

ENTRE :

LYN TRAMBLE,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 24 juillet 2001 à London (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Peter Westfall

Avocat de l'intimée :                   Me Patrick Folz

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 soient admis avec dépens et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations aux fins d'autoriser l'appelante à déduire de son revenu les pertes subies dans le cadre de l'exploitation de son entreprise artistique.


Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'août 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour d'avril 2002.

Mario Lagacé, réviseur

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.