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Date: 20000918

Dossier: 1999-4611-EI

ENTRE :

THE INSURANCE CORPORATION OF BRITISH COLUMBIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

RYAN LAKE,

intervenant.

Motifsdu jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]            Le présent appel a été entendu à Vancouver (Colombie-Britannique) le 25 août 2000. Ryan Lake a été l'unique témoin. Les avocats des autres parties ont donné lecture de certaines parties des interrogatoires préalables.

[2]            Il s'agit d'un appel interjeté par l'appelante ( « ICBC » ) contre une décision de Revenu Canada datée du 27 août 1999, qui est ainsi rédigée :

                                [TRADUCTION]

Insurance Corporation of British Columbia

a/s Service du droit des sociétés                        L. Desrochers

151 West Esplanade Street                                  Division des appels

North Vancouver (Colombie-Britannique)        Section 430-25

V7M 3H9                                                                                Le 27 août 1999

Messieurs,

La présente porte sur un appel interjeté par vous en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi contre une décision concernant l'emploi de Mme Shannie Harvey auprès de Ryan Lake au cours de la période allant du 1er septembre 1997 au 26 juin 1998.

Il a été décidé que Mme Shannie Harvey était employée par M. Ryan Lake en vertu d'un contrat de louage de services et que, par conséquent, elle détenait un emploi assurable. Puisque Mme Shannie Harvey était payée par la Insurance Corporation of British Columbia, cette dernière était réputée être l'employeur de l'assurée conjointement avec le véritable employeur.

Si vous n'êtes pas d'accord avec cette décision, vous pouvez interjeter appel à la Cour canadienne de l'impôt dans les 90 jours de la date de la mise à la poste de la présente. La marche à suivre pour interjeter appel est exposée dans le document que vous trouverez ci-inclus.

La décision formulée dans la présente est rendue conformément à l'article 93 de la Loi sur l'assurance-emploi et s'appuie sur l'article 5 de la Loi sur l'assurance-emploi et l'article 10 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations.

Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

Chef des Appels

Bureau des services fiscaux de Vancouver

[3]            Les paragraphes 3.1, 3.2, 3.4, 3.5, 3.6, 3.7, 3.8, 3.11, 3.15, 3.20, 3.24, 3.25, 3.27, 3.28, 3.29, 3.30 et 3.31 de l'avis d'appel ont été admis par l'intimée. Dans la mesure où le témoignage de M. Lake a porté sur ces paragraphes, il a confirme les admissions. Les paragraphes admis sont ainsi formulés :

                                [TRADUCTION]

3.1            Il s'agit d'un appel interjeté en vertu de l'article 103 de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, telle qu'elle a été modifiée (la « LAE » ).

3.2            La Insurance Corporation of British Columbia (l' « appelante » ) est une personne morale maintenue par la Insurance Corporation Act, RSBC 1996, ch. 228, telle qu'elle a été modifiée (la « ICA » ).

[...]

3.4            Pendant toute la période pertinente, les activités de l'appelante consistaient à assurer les automobiles et les occupants d'automobiles contre les dommages.

3.5            Pendant toute la période pertinente, M. Ryan Lake ( « M. Lake » ) vivait à Richmond, en Colombie-Britannique.

3.6            M. Lake a été impliqué dans un accident d'automobile le 3 mai 1997 ou vers cette date.

3.7            Au moment de son accident, l'appelante assurait M. Lake contre les dommages découlant d'accidents d'automobile.

3.8            À la suite de l'accident, M. Lake a présenté à l'appelante une demande d'indemnisation relativement aux blessures subies lors de l'accident.

[...]

3.11          À la fin du mois d'août 1997 ou vers cette époque, M. Lake a retenu les services de Mme Harvey pour l'aider à accomplir les activités générales de la vie quotidienne pendant qu'il était blessé.

[...]

3.15          Pendant toute la période pertinente, M. Lake, et non pas l'appelante, était l'employeur véritable de Mme Harvey.

[...]

3.20          L'appelante a accepté d'envoyer les chèques à Mme Harvey par la poste, à l'adresse de M. Lake, et elle les lui y a effectivement envoyés.

[...]

3.24          À une date inconnue de l'appelante, Mme Harvey a fait une demande au ministère du Développement des ressources humaines du Canada afin d'obtenir des prestations en vertu de la LAE.

3.25          À une date inconnue de l'appelante, le ministère du Développement des ressources humaines du Canada a demandé au ministre du Revenu national (le « ministre » ) de rendre une décision relativement à la question de savoir si Mme Harvey avait droit à des prestations en vertu de la LAE.

[...]

3.27          Selon la décision du ministre, l'employeur véritable de Mme Harvey était M. Lake.

3.28          Selon la décision du ministre, l'appelante était réputée être l'employeur de Mme Harvey en vertu de l'alinéa 10(1)a) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (pris en vertu de la LAE), DORS/97-33, tel qu'il a été modifié (le « RRAPC » ), compte tenu du fait que l'appelante avait « payé » Mme Harvey.

3.29          Par une lettre datée du 8 septembre 1998 (la « lettre » ), le ministre a avisé l'appelante de la décision.

3.30          La lettre a confirmé la position du ministre selon laquelle l'appelante était réputée être l'employeur de Mme Harvey et était donc responsable des retenues et des cotisations d'employeur exigées par la LAE relativement aux montants payés à Mme Harvey dans le cadre de son emploi auprès de M. Lake.

3.31          Par une lettre datée du 4 décembre 1998, l'appelante a fait appel au ministre de la décision et de la lettre, mais le ministre a confirmé la décision et la lettre par une lettre datée du 27 août 1999.

[4]            Les paragraphes 6, 7, 8 et 9 de la réponse sont ainsi formulés :

                                [TRADUCTION]

6.              À la suite d'un appel d'une décision interjeté par l'appelante en vertu de l'article 91 de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la « LAE » ), l'intimé a conclu que l'appelante était réputée être l'employeur de Shannie Harvey (la « travailleuse » ) aux fins du calcul et du versement des cotisations d'assurance-emploi puisque la travailleuse était employée par Ryan Lake ( « M. Lake » ) dans un emploi assurable pendant la période allant du 1er septembre 1997 au 26 juin 1998 (la « période » ).

7.              En rendant sa décision, l'intimé s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

a)              M. Lake a subi un accident d'automobile le 3 mai 1997 ou vers cette date;

b)             M. Lake bénéficiait d'une couverture d'assurance-automobile contractée auprès de l'appelante;

c)              M. Lake a demandé à l'appelante de couvrir les frais liés à l'embauche d'une préposée, qui pourrait lui apporter de l'aide au cours de sa convalescence faisant suite aux blessures qu'il avait subies lors de l'accident d'automobile;

d)             l'appelante a permis à M. Lake d'embaucher une préposée;

e)              l'appelante a établi le taux horaire de la préposée à 15 $ pour un maximum de quatre heures par jour de soins personnels offerts à M. Lake, et à 8,25 $ pour les soins apportés aux enfants de M. Lake;

f)              M. Lake a embauché la travailleuse afin qu'elle s'occupe de lui et de ses enfants à leur domicile, de 8 h à 18 h, du lundi au vendredi, au taux horaire établi par l'appelante;

g)             M. Lake dirigeait le travail de la travailleuse et la supervisait pendant qu'elle accomplissait ses tâches;

h)             l'appelante a fourni les feuilles de temps que devait remplir la travailleuse avant de les faire signer par M. Lake;

i)               l'appelante versait une rémunération à la travailleuse sur réception des feuilles de temps signées;

j)               le versement de la rémunération à la travailleuse par l'appelante ne représentait pas le remboursement d'une dépense engagée par M. Lake;

k)              l'appelante a évalué les besoins de M. Lake et a continué à payer la préposée durant la période;

l)               l'appelante est l'employeur réputé de la travailleuse aux fins des cotisations d'assurance-emploi puisque l'appelante a versé la rémunération directement à la travailleuse plutôt que de rembourser M. Lake.

B.            LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES SUR LESQUELLES L'INTIMÉ SE FONDE ET LES MOTIFS QU'IL A L'INTENTION DE PRÉSENTER

8.              Il se fonde sur l'alinéa 5(1)a), le paragraphe 2(1) et l'article 91 de la LAE ainsi que sur l'article 10 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le « Règlement » ), tel qu'il a été modifié.

9.              Il soutient respectueusement que c'est avec raison qu'il a décidé qu'au cours de la période la travailleuse était employée par M. Lake dans un emploi assurable au sens de l'alinéa 5(1)a) et du paragraphe 2(1) de la LAE puisque la travailleuse exerçait les fonctions d'un emploi en vertu d'un contrat de louage de services. Il soutient de plus que l'appelante est réputée être l'employeur de la travailleuse au sens de l'article 10 du Règlement puisqu'elle versait la rémunération de la travailleuse pendant la période.

[5]            Les hypothèses 7a), b), c), d), e), f), g), h), i) et k) sont exactes. En ce qui a trait à l'hypothèse j), M. Lake a engagé les dépenses relatives à Mme Harvey en l'embauchant, mais il ne se faisait pas rembourser par l'appelante. En effet, cette dernière payait directement Mme Harvey. C'est l'hypothèse l) qui fait l'objet du litige entre les parties.

[6]            L'article 10 du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations (le « Règlement » ) a été adopté en vertu des alinéas 108(1)d) et f) de la Loi sur l'assurance-emploi (la « LAE » ). Ils sont ainsi formulés :

108. (1) Le ministre peut, avec l'agrément du gouverneur en conseil, prendre des règlements :

[...]

d)             concernant la manière dont toute disposition de la présente loi applicable à un employeur d'un assuré sera applicable d'une part à toute personne qui verse tout ou partie de la rétribution de l'assuré pour services rendus dans l'exercice d'un emploi assurable et, d'autre part, à l'employeur d'une telle personne;

[...]

f)              prévoyant qu'en tout cas ou toute catégorie de cas où des assurés travaillent :

(i)             soit sous la direction générale ou la surveillance directe d'une personne qui n'est pas leur véritable employeur ou sont payés par une telle personne,

(ii)           soit de l'assentiment d'une personne qui n'est pas leur véritable employeur dans des lieux ou locaux sur lesquels cette personne a certains droits ou privilèges aux termes d'une licence, d'un permis ou d'une convention,

cette personne est réputée, aux fins de versement des cotisations, être l'employeur de ces assurés conjointement avec le véritable employeur, et prévoyant en outre le paiement des cotisations pour ces assurés et, le cas échéant, le remboursement des cotisations faisant double emploi.

[7]            L'article 10 du Règlement est ainsi formulé :

10.(1)       Lorsque, dans un cas non prévu par le présent règlement, un assuré travaille :

a)             soit sous la direction générale ou la surveillance directe d'une personne qui n'est pas son véritable employeur, ou est payé par une telle personne,

b)             soit avec l'assentiment d'une personne qui n'est pas son véritable employeur dans un lieu ou un local sur lequel cette personne a certains droits ou privilèges aux termes d'une licence, d'un permis ou d'une convention,

cette personne est réputée, aux fins de la tenue des registres, du calcul de la rémunération assurable de l'assuré ainsi que du paiement, de la retenue et du versement des cotisations exigibles à cet égard aux termes de la Loi et du présent règlement, être l'employeur de l'assuré conjointement avec le véritable employeur.

(2)            Le montant de la cotisation patronale payée par la personne réputée être l'employeur en vertu du paragraphe (1) est recouvrable par celle-ci auprès du véritable employeur.

(3)            Lorsque la personne qui est réputée être l'employeur d'un assuré en vertu du présent règlement ne paie pas, ne retient pas ou ne verse pas les cotisations qu'un employeur est tenu de payer, de retenir ou de verser aux termes de la Loi ou du présent règlement, les dispositions des parties IV et VI de la Loi s'appliquent à elle comme s'il s'agissait du véritable employeur.

[8]            Il y a deux questions juridiques en litige dans le présent appel :

1.              L'appelante est-elle à l'abri de l'application du paragraphe 10(1) du Règlement en vertu de la LAE?

2.              Si elle ne l'est pas, l'appelante a-t-elle payé Mme Harvey au sens du paragraphe 10(1)?

[9]            L'article 13 de la Insurance Act de la Colombie-Britannique, RSBC 1996, ch. 228 (la « Loi » ), établit l'étendue de l'immunité accordée à la ICBC. Il est ainsi formulé :

                                [TRADUCTION]

Société mandataire du gouvernement

13            (1)            Tous les biens et les montants d'argent acquis

ou administrés par la société sont réputés être la propriété

du gouvernement à toutes fins, y compris les exemptions de taxe.

(2)            La société est un mandataire du gouvernement.

(3)            L'argent, les fonds, les investissements et les biens acquis ou administrés par la société ne peuvent être pris, utilisés ou affectés à quelque fin que ce soit par le gouvernement sauf en vertu du paragraphe (5), du paragraphe 26(1) ou pour rembourser des avances consenties par le gouvernement ou des montants d'argent empruntés au gouvernement ainsi que l'intérêt sur ces montants.

(4)            Le paragraphe (3) ne s'applique pas au revenu mentionné à l'alinéa 7h) qui est reçu par la société.

(5)            La société doit payer au gouvernement toute taxe ou tout impôt qui, n'eût été le paragraphe (3), serait établi ou imposé à l'égard de la société, de son entreprise ou de ses biens en vertu d'une autre loi, à l'exception de l'impôt sur le revenu prévu dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

Cette loi, telle qu'elle a été modifiée, est celle qui a constitué l'appelante, la ICBC, en société. Les objets, les pouvoirs et la capacité de la ICBC sont énoncés aux articles 7 et 9 de la Loi. Ils sont ainsi formulés :

                                [TRADUCTION]

Objets, pouvoirs et capacité

7               La société a le pouvoir et la capacité d'exercer les fonctions suivantes :

a)             sous réserve de l'approbation du lieutenant gouverneur en conseil, se livrer à l'activité commerciale de l'assurance et de la réassurance et exercer cette activité dans toutes les catégories, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Colombie-Britannique;

b)             sous réserve de l'approbation du lieutenant gouverneur en conseil, diriger et administrer des régimes d'assurance, dont de l'assurance-automobile, autorisés en vertu de toute autre disposition législative;

c)              se livrer à l'activité commerciale de la réparation des biens assurés et de la récupération ainsi que de la disposition, par vente publique ou privée, des biens assurés et acquis en vertu d'un contrat aux termes duquel la société peut être tenue responsable à titre d'assureur, ou conclure des ententes avec d'autres personnes à ces fins;

d)             sous réserve de la Medical Practitioners Act et de la Hospital Act, se livrer à l'activité commerciale consistant à offrir des services médicaux et hospitaliers à une personne assurée en vertu d'un contrat selon lequel la société peut être tenue responsable à titre d'assureur, ou conclure des ententes avec d'autres personnes à ces fins;

e)              à son propre usage et à son propre profit, acquérir ou exproprier et détenir un bien-fonds, ou prendre des options sur un bien-fonds, qui est nécessaire à son entreprise et qui a fait l'objet d'une cession faite, ou d'un mortgage ou d'une hypothèque consenti, en sa faveur à titre de garantie, et qui a été acquis à titre d'investissement, ou cédé à la société en règlement complet ou partiel de dettes et de jugements, et elle peut disposer de l'ensemble ou d'une partie dudit bien-fonds;

f)               acquérir la totalité ou une partie des actions ou de l'entreprise et des actifs d'un assureur, d'un agent, d'un expert en sinistres ou d'un réparateur d'automobiles, ou conclure une entente afin d'offrir une catégorie d'assurance conjointement avec un autre assureur, à l'intérieur ou à l'extérieur de la Colombie-Britannique, la Insurance Act et la Financial Institutions Act ne s'appliquant pas à l'entente;

g)             exercer les pouvoirs et accomplir les tâches et les fonctions liés à la Motor Vehicle Act ou à la Commercial Transport Act, ou à tout programme du gouvernement ou d'un organisme gouvernemental, qui peuvent être autorisés en vertu de la Motor Vehicle Act, de la Commercial Transport Act ou de tout autre texte législatif portant sur les véhicules automobiles ou d'autres véhicules, ou qui peuvent être assumés par la société au moyen d'une entente conclue avec le gouvernement ou un organisme gouvernemental;

h)             recevoir, détenir, gérer et recouvrer pour le gouvernement et au nom de ce dernier,

(i)             le revenu provenant d'amendes payées à l'égard de contraventions données en vertu de la Offence Act, pour la violation des textes législatifs mentionnés dans les règlements pris en vertu de cette loi, y compris le revenu provenant d'amendes imposées par la Cour provinciale pour des infractions à l'égard desquelles des contraventions ont été données;

(ii)            le revenu provenant de droits d'immatriculation, de droits de permis et d'autres droits prévus par la Motor Vehicle Act, la Commercial Transport Act ou tout autre texte législatif concernant les véhicules automobiles ou d'autres véhicules;

i)              promouvoir et améliorer la sécurité routière.

[...]

Autres pouvoirs

9               (1)            La société a le pouvoir et la capacité d'accomplir tous

les actes et les choses nécessaires ou requis afin de

remplir ses fonctions et exercer ses pouvoirs.

(2)            Sans limiter la portée du paragraphe (1), la société peut :

a)             mener des enquêtes, exécuter des programmes de recherche et obtenir des statistiques pour répondre à ses besoins et pour établir et administrer tout régime d'assurance;

b)             conclure une entente avec des agents ou des experts en sinistres ou retenir leurs services afin qu'ils sollicitent et reçoivent des demandes d'assurance, recouvrent les primes, règlent les sinistres et effectuent au nom de la société toute autre chose que celle-ci estime nécessaire;

c)              prescrire des formulaires pour les demandes, les contrats, les polices et les autres choses qu'elle estime nécessaires;

d)             prescrire les détails devant être inscrits sur un formulaire;

e)              évaluer les dommages et les pertes et payer des indemnités en vertu d'un contrat aux termes duquel la société peut être tenue responsable à titre d'assureur;

f)               assumer en totalité ou en partie, à titre de réassureur, les risques couverts par un contrat d'un autre assureur, et se faire réassurer par un autre assureur relativement à tout ou partie des risques qu'elle supporte en vertu d'un contrat, que l'autre assureur soit ou non à l'intérieur de la Colombie-Britannique ou qu'il soit ou non autorisé en vertu de la Financial Institutions Act;

g)             faire tout ce qui est nécessaire pour régler les sinistres, enquêter sur les sinistres, opposer une défense aux demandes de règlement ou autrement traiter, conformément à la Loi, à la Insurance Act ou à la Financial Institutions Act, dans la mesure où elle est applicable, et conformément aux règlements pris en vertu de ces lois, les sinistres déclarés en vertu de contrats aux termes desquels la société peut être tenue responsable à titre d'assureur ou en vertu d'un régime établi en vertu de l'article 7 et du paragraphe 8(1);

h)             prendre les règlements administratifs et adopter les résolutions — dans les deux cas, non contraires à la Loi ou aux autres lois — qu'elle estime nécessaires ou utiles pour la conduite de ses activités et qui portent notamment sur le moment et l'endroit de ses réunions, sur la procédure lors de ces réunions et, de façon générale, sur la conduite de ses activités de toutes les manières.

En ce qui concerne les objets, les pouvoirs et la capacité énoncés dans ces deux articles, seuls les alinéas 7e), f) et h) portent sur les biens et les montants d'argent qui, selon le paragraphe 13(1), sont « réputés être la propriété du gouvernement à toutes fins » .

[10]          Dans l'affaire R. c. Eldorado Nucléaire Ltée., [1983] 2 R.C.S. 551 (4 D.L.R. (4th) 193), le juge Dickson, s'exprimant pour la majorité, a affirmé aux pages 565 et 566 (D.L.R. : aux pages 205 et 206) :

La loi déclare expressément qu'Uranium Canada et Eldorado sont « mandataire[s] de Sa Majesté » . Uranium Canada doit son statut de mandataire de l'État au par. 10(4) de la Loi sur le contrôle de l'énergie atomique qui se lit ainsi :

Une compagnie est, à toutes ses fins, mandataire de Sa Majesté, et elle ne peut exercer qu'à ce titre les pouvoirs dont elle est investie.

Eldorado doit son statut de mandataire à l'art. 3 de la Loi sur le fonctionnement des compagnies de l'État, S.R.C. 1970, chap. G-7; qui dispose :

Chaque compagnie est, à toutes ses fins, mandataire de Sa Majesté, et elle ne peut exercer ses pouvoirs qu'en cette qualité.

Le fait que ces dispositions législatives font de chaque compagnie intimée un mandataire de l'État « à toutes ses fins » ne signifie pas cependant que ces compagnies agissent en qualité de mandataires de l'État dans tout ce qu'elles font.

La loi crée des organismes comme Uranium Canada et Eldorado à des fins précises. Lorsqu'un mandataire de l'État agit conformément aux fins publiques qu'il est autorisé légalement à poursuivre, il a le droit de se prévaloir de l'immunité de l'État à l'encontre de l'application des lois parce qu'il agit pour le compte de l'État. Cependant, lorsque le mandataire outrepasse les fins de l'État, il agit personnellement et non pour le compte de l'État, et il ne peut invoquer l'immunité dont bénéficie le mandataire de l'État. Cela découle du fait que l'art. 16 de la Loi d'interprétation s'applique à l'avantage de l'État et non à l'avantage du mandataire personnellement. Seul l'État, par l'intermédiaire de ses mandataires et pour ses propres fins, ne peut être poursuivi en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.

Puis le juge Dickson a affirmé aux pages 574 et 575 (D.L.R. : aux pages 212 et 213) :

La common law ne dit pas que les personnes assujetties au contrôle de droit ont droit à l'immunité de l'État, mais plutôt que l'immunité s'applique aux personnes qui agissent pour le compte de l'État. Dans l'arrêt Metropolitan Meat Industry Board v. Sheedy, [1927] A.C. 899, le Conseil privé a conclu que le conseil en question n'était pas un mandataire de l'État parce que [TRADUCTION] « il n'y a rien dans la Loi qui fasse une distinction entre les mesures administratives prises par eux et les siennes [celles du Ministre] » (p. 905). L'affaire Sheedy ne portait pas sur l'immunité de l'État; il s'agissait plutôt de savoir si le privilège de l'État pouvait être invoqué dans le cas d'une liquidation. Néanmoins, il ressort de cet arrêt que le critère du contrôle de droit s'applique uniquement en l'absence de termes précis qui indiquent que l'organisme agit pour le compte de l'État ou en sa qualité de mandataire de l'État. Voir également l'arrêt Tamlin v. Hannaford, [1950] 1 K.B. 18 (C.A.). On peut facilement faire la distinction avec l'arrêt British Columbia Power Corp. v. Attorney-General of British Columbia (1962), 34 D.L.R. (2d) 25. Dans cet arrêt, on a décidé que la désignation de mandataire de l'État contenue dans la loi en question n'était pas concluante parce que cette loi ne précisait pas [TRADUCTION] « à toutes ses fins » . La cour à la majorité a conclu que la loi en question ne faisait de la société d'énergie un mandataire qu'à certaines fins qui ne comprenaient pas la question en litige dans cet appel.

L'arrêt de cette Cour, Formea Chemicals Ltd. v. Polymer Corporation Ltd., précité, est également instructif. Cette affaire portait sur l'art. 19 de la Loi sur les brevets, S.R.C. 1952, chap. 203.

Le gouvernement du Canada peut à tout moment se servir d'une invention brevetée, en payant au breveté, pour l'usage de l'invention, la somme que, dans un rapport, le commissaire estime être une indemnité raisonnable; et toute décision rendue par le commissaire sous l'autorité du présent article est sujette à appel devant la Cour de l'Échiquier.

Le juge Martland, s'exprimant au nom de la Cour, a assimilé le « gouvernement du Canada » à l'État. À l'instar d'Eldorado, Polymer était constituée à toutes ses fins mandataire de l'État, même si elle n'était pas assujettie à un contrôle de droit. Néanmoins, on a conclu que Polymer avait le droit de bénéficier de l'art. 19.

[TRADUCTION] Je suis d'avis qu'en vertu de l'art. 19, l'État a le droit absolu d'utiliser un brevet. Il a fait en sorte que l'intimée [Polymer] soit constituée pour fabriquer, vendre et faire le commerce du caoutchouc synthétique et il a fait de l'intimée son mandataire à toutes ses fins. L'utilisation du brevet par l'intimée, dans les circonstances, équivalait à l'utilisation par l'État au sens de l'art. 19. Dans ces conditions, l'intimée n'a pas violé ce brevet [à la p. 764].

On a conclu que la désignation de « mandataire à toutes ses fins » était déterminante; il n'y a pas eu d'enquête quant à l'autonomie réelle de Polymer. À mon avis, cet arrêt établit clairement que, lorsqu'une loi fait mention de l'État et qu'un organisme précis est déclaré expressément mandataire de l'État à toutes fins que ce soit, la loi s'applique également au mandataire. Cela s'applique à l'interprétation de l'art. 16 de la Loi d'interprétation.

[11]          Dans l'affaire British Columbia Power Corp. Ltd. v. A.G.B.C. et al. (1962), 34 D.L.R. (2d) 25, aux pages 29 et suivantes, le juge d'appel Sheppard, s'exprimant pour la majorité, a énuméré un certain nombre de critères à être appliqués lorsqu'on prétend qu'une société est un mandataire du gouvernement. Ces critères (présentés avec des réponses et des renvois à la Loi constituant la ICBC) sont les suivants :

1.              La Couronne a-t-elle délégué le contrôle et la gestion au conseil de la ICBC? (p. 32) (Oui, art. 3)

2.              La ICBC, dans sa nature essentielle, est-elle un « ministère du gouvernement » et est-ce que ses pouvoirs relèvent de la compétence du gouvernement? (p. 32) (Non, art. 7 et 9)

3.              La ICBC est-elle un instrument du gouvernement ou est-elle une société constituée dans le but d'exploiter une entreprise? (p. 32) (Elle est constituée afin d'exploiter une entreprise d'assurance et de réassurance, art.7)

4.              La ICBC a-t-elle une capacité de contracter distincte de celle de la Couronne? (p. 33) (Oui, art. 7 et 9)

5.              Le pouvoir de la ICBC de contracter est-il limité par ses documents constitutifs? (p. 33) (Oui, art. 7 et 9)

6.              La ICBC possède-t-elle ses propres actifs et la Couronne n'est-elle qu'une simple actionnaire de la ICBC? (p. 33) (Elle possède ses actifs et est contrôlée par le gouvernement de la Colombie-Britannique.)

7.              Les administrateurs de la ICBC possèdent-ils leurs propres pouvoirs discrétionnaires? (p. 33) (Oui, art. 3)

8.              Les employés de la ICBC sont-ils des fonctionnaires? (p. 34) (Non)

9.              La ICBC a-t-elle le pouvoir d'ester en justice? (p. 34) (Oui, par. 9(1) et al. 9(2)g)).

[12]          À la lumière de ces commentaires, il convient d'examiner de plus près l'article 13 de la Loi :

1.              Suivant le paragraphe (1), seuls les biens et les montants d'argent acquis ou administrés par la société sont réputés être la propriété du gouvernement à toutes fins.

2.              Le paragraphe (2) dit ensuite que la société est un mandataire du gouvernement. Par conséquent, sa portée est plus large que celle du paragraphe (1) qui est limitée aux « biens et [aux] montants d'argent » . Toutefois, les pouvoirs de l'organisme ne sont pas accordés « à toutes fins » .

3.              Au surplus, le paragraphe (5) dit que la société doit payer au gouvernement (de la Colombie-Britannique) tout impôt imposé à l'égard de la société, à l'exception de l'impôt sur le revenu prévu dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

Par conséquent, il semble que l'usage « à toutes fins » se limite à protéger les biens et l'argent de la société de l'exercice de pouvoirs comme une saisie-exécution ou une saisie-arrêt. Toutefois, l'immunité accordée à la ICBC par l'article 13 de la Loi ne va pas jusqu'à la protéger dans un cas comme celui dont il s'agit en l'espèce. Elle n'est pas à l'abri de la responsabilité prévue à l'article 10 du Règlement.

[13]          L'avocat de l'appelante soutient donc en ce qui concerne la signification de « payer » que, au point de vue juridique, il n'y a paiement fait par la ICBC à Mme Harvey que si ce paiement libère la ICBC d'une obligation qu'elle a envers Mme Harvey. M. Lake a accepté d'embaucher Mme Harvey et a conclu un contrat de travail avec elle. Mme Harvey a alors communiqué par téléphone avec la ICBC afin de confirmer la déclaration de M. Lake selon laquelle la ICBC versait à M. Lake un montant au titre d'une partie de son emploi auprès de M. Lake. Par la suite, la ICBC et M. Lake ont convenu que la ICBC ferait son chèque à l'ordre de Mme Harvey en se fondant sur un état des heures travaillées signé par M. Lake et Mme Harvey que M. Lake présenterait à la ICBC. Mme Harvey savait cela et c'est ce qui s'est produit. C'est M. Lake qui avait l'obligation de payer Mme Harvey pour s'acquitter de sa dette envers elle. La ICBC n'avait pas cette obligation.

[14]          Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Théoret, A-459-87, le 7 décembre 1988 (61 D.L.R. (4th) 289), la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'assurance-chômage (perception des cotisations), le prédécesseur de l'article 10 du Règlement. À la page 11 (D.L.R. : pages 310 à 312), la juge Desjardins affirmait :

                Jean-Louis Baudouin, dans Les Obligations (Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1982 aux pp. 351-52, explique les divers sens du mot « payer » :

Payer, dans la langue populaire, signifie avant tout donner une somme d'argent. Dans la langue juridique, payer c'est exécuter une obligation quelle que soit sa nature, qu'elle consiste à faire, à s'abstenir de faire quelque chose ou à donner un objet ou une somme. Le paiement, qui est un acte d'exécution de l'obligation assumée par le débiteur, a pour effet d'éteindre celle-ci et de rompre le lien juridique entre lui et son créancier. La nature juridique du paiement a donné lieu à une controverse doctrinale et jurisprudentielle; certains le considèrent comme un simple fait juridique donc susceptible d'être prouvé par tous les moyens, d'autres au contraire comme un acte juridique soumis quant à sa preuve aux règles strictes des articles 1233 et ss. C.c. On peut même y voir une convention puisqu'il suppose une entente entre créancier et débiteur. Quoi qu'il en soit, le paiement comporte à la fois un élément matériel (la remise de l'objet dû) et un élément intentionnel (le désir d'éteindre l'obligation).

Quel était, en l'espèce, l'élément intentionnel accompli par le notaire intimé? S'il a payé juridiquement, son acte le lie à titre d'employeur réputé par suite des dispositions du paragraphe 18(1) du Règlement.

[15]          Ce que la Cour d'appel fédérale a décidé dans l'affaire Théoret concernant le Code civil du Québec vaut également pour l'application de l'article 10 du Règlement en vertu de la common law. La signification de « payer » dans l'affaire Théoret constitue également l'une des significations de ce verbe en common law, comme on peut le constater dans Black's Law Dictionary, 6e éd., où le mot anglais « pay » est défini de la manière suivante :

                                [TRADUCTION]

n. Rétribution, rémunération, salaire, commissions, honoraires. L'acte ou le fait de payer ou d'être payé. Voir libération, paiement.

v. Acquitter une dette par l'offre du paiement dû; remettre à un créancier la valeur d'une dette, en argent ou en biens, pour son acceptation. U.C.C. § § 2-511, 3-604. Rémunérer pour des biens, des services ou du travail. Voir également libération, paiement.

[16]          Comme la ICBC n'avait pas l'obligation de payer Mme Harvey et que cette dernière le savait, la ICBC n'a pas payé Mme Harvey au sens du paragraphe 10(1) du Règlement pris en vertu de la LAE.

[17]          Pour cette raison, l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 2000.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de janvier 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Erich Klein, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-4611(EI)

ENTRE :

THE INSURANCE CORPORATION OF BRITISH COLUMBIA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

et

RYAN LAKE,

intervenant.

Appel entendu le 25 août 2000 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions

Avocats de l'appelante :              Me Joel Nitikman et Me Lori Mathison

Avocats de l'intimée :                 Me Ron Wilhelm et Me Victor Caux

Pour l'intervenant :            L'intervenant lui-même

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est annulée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de septembre 2000.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2001.

Erich Klein, réviseur


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