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Date: 20000217

Dossier: 97-2884-IT-I

ENTRE :

HELEN LEPP,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

(Motifs rendus oralement à l'audience à Winnipeg (Manitoba), le 13 janvier 1999)

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1]            Helen Lepp interjette appel d'une cotisation d'impôt établie pour l'année d'imposition 1993 dans laquelle le ministre du Revenu national a refusé la déduction d'une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise ( « PDTPE » ) de 74 319 $. Le ministre s'est fondé sur un certain nombre d'hypothèses de fait qui sont énoncées dans les termes suivants aux alinéas 6 a) à p) de la réponse à l'avis d'appel :

                                [TRADUCTION]

a)                    Lepp Fleet Commodities Inc. ( « Fleet » ) a été constituée en personne morale le 1er décembre 1987; son siège social est situé au 67, rue Ethelbert, Winnipeg;

b)                    au cours de la période de 1987 à 1993 (la « période » ), Wilfred Victor Lepp ( « Wilfred » ), l'époux de l'appelante, était administrateur, président, secrétaire et unique actionnaire de Fleet (il détenait une action);

c)                    au cours de la période, le titre du 67, rue Ethelbert, Winnipeg, était enregistré au nom de l'appelante, qui résidait avec Wilfred à cette adresse;

d)                    2563623 Manitoba Ltd. ( « 2563623 » ) a été constituée en personne morale le 13 mars 1990; son siège social est situé au 67, rue Ethelbert, Winnipeg;

e)                    au cours de la période, Wilfred était administrateur, président et secrétaire de 2563623, et l'appelante était l'unique actionnaire de la compagnie (elle détenait une action);

f)                     au cours de la période, l'appelante ne détenait aucune action de Fleet;

g)                    au mois de novembre 1990 à peu près, la Banque Toronto-Dominion (la « Banque TD » ) a accordé à Fleet une marge de crédit d'exploitation de 125 000 $ (la « marge de crédit » );

h)                    Fleet, Wilfred, l'appelante et d'autres sociétés appartenant à Wilfred ou gérées par ce dernier, ont garanti le remboursement de la marge de crédit susmentionnée;

i)                      l'appelante a grevé la propriété du 67, rue Ethelbert d'une hypothèque subsidiaire qu'elle a consentie à la Banque TD à titre de garantie supplémentaire du remboursement de la marge de crédit;

j)                      le 17 mars 1992 ou vers cette date, la Banque TD a exigé le paiement de ses fonds à toutes les parties concernées et elle a institué des poursuites en vue de récupérer le montant de l'emprunt et de réaliser sa garantie;

k)                    les parties en sont arrivées à un règlement qu'elles ont consigné dans une entente à l'amiable datée du 15 avril 1993;

l)                      l'appelante a consenti une nouvelle hypothèque sur le 67, rue Ethelbert, et elle a payé à la Banque TD la somme de 99 725,42 $ provenant des fonds hypothécaires afin de se libérer de sa responsabilité;

m)                   l'appelante a considéré la somme de 99 725,42 $ mentionnée à l'alinéa l) ci-dessus comme une perte au titre d'un placement d'entreprise et elle a déduit une PDTPE de 74 319 $ pour l'année d'imposition 1993;

n)                    l'appelante n'a reçu de Fleet aucune contrepartie pour avoir consenti à la Banque TD une garantie et l'hypothèque subsidiaire grevant le 67, rue Ethelbert relativement à la marge de crédit d'exploitation de 125 000 $ que la Banque TD a accordée à Fleet;

o)                    l'appelante n'a pas consenti la garantie et l'hypothèque subsidiaire grevant le 67, rue Ethelbert à la Banque TD en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

p)                    l'appelante n'exploitait pas une entreprise de prêt à des tiers.

q)                   

[2]            Selon la preuve, la compagnie appelée Lepp Fleet Commodities Inc. exploitait une entreprise et, pendant toutes les périodes pertinentes, son administrateur, président et unique actionnaire était M. Lepp, l'époux de la contribuable. Au mois de novembre 1990, Fleet a pris des dispositions pour obtenir une marge de crédit d'exploitation de 125 000 $ auprès de la Banque Toronto-Dominion. Pour que la compagnie obtienne cette marge de crédit, l'appelante, qui était propriétaire d'une résidence sise au 67, rue Ethelbert, dont elle détenait le titre, a dû en garantir le remboursement en cas de défaut. À cette fin, elle a consenti une hypothèque subsidiaire sur cette propriété en faveur de la banque.

[3]            Fleet a omis de rembourser son emprunt à la banque. Par suite de cette omission, la banque a institué des poursuites devant les tribunaux et, en bout de ligne, puisque seule l'appelante avait des éléments d'actif, les parties en sont arrivées à un règlement prévoyant le remboursement de la dette de Fleet par l'appelante. Pour régler la réclamation, l'appelante a payé à la banque la somme de quelque 99 000 $, qu'elle a considérée comme une perte au titre d'un placement d'entreprise et qu'elle a déduite à titre de PDTPE dans l'année d'imposition 1993.

[4]                 L'appelante n'accepte pas le refus de la PDTPE par le ministre parce qu'elle ne comprend pas ou connaît mal les principes qui sous-tendent la déductibilité d'une PDTPE. En outre, elle ne reconnaît pas le caractère distinct des identités juridiques des différentes compagnies, dont faisait partie aussi une autre compagnie dont elle était l'unique actionnaire. Il est parfaitement clair que, pour qu'il y ait PDTPE, il faut établir que l'argent, dans ce cas-ci le montant payé sur la garantie (et la garantie elle-même), a été utilisé en vue de tirer un revenu.

[5]            Dans l'affaire Canada c. Shell Canada Ltée, [1998] 3 C.F. 64 (98 DTC 6177), la Cour d'appel fédérale a fait un certain nombre de remarques concernant le sens de l'expression « en vue de tirer un revenu » dans le contexte d'une obligation de payer des intérêts sur de l'argent emprunté conformément à une garantie. Bien que l'affaire Shell porte sur le paiement d'intérêts, la notion en cause est la même. La Cour a dit ceci à la page 85 (DTC : 6183) :

Le troisième élément est que le contribuable doit utiliser l'argent en vue de gagner un revenu. Cela est conforme au principe fondamental, en matière d'équité fiscale, selon lequel seule la dépense que le contribuable engage en vue de gagner un revenu peut être déduite. Par conséquent, dans la mesure où le contribuable engage une dépense à des fins personnelles ou en vue de gagner un revenu exonéré d'impôt, la déduction ne peut pas être admise. [...]

Dans ses motifs, le juge Linden s'est reporté à l'affaire 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N., [1997] 2 C.F. 471 (97 DTC 5126), et il a dit :

[...] la déduction des intérêts a été refusée parce que l'utilisation qu'on avait faite de l'argent ne pouvait pas avoir rapporté un revenu à l'entreprise. Dans cette affaire, le contribuable faisait partie d'un groupe de compagnies et, dans le cadre de la réorganisation du groupe, il avait garanti les prêts consentis aux autres membres du groupe. Lorsqu'on lui a demandé d'honorer la garantie, le contribuable a dû emprunter de l'argent afin de la payer.

C'est exactement ce qui s'est produit en l'espèce. La Cour d'appel fédérale a statué aussi que, dans l'affaire 74712 Alberta Ltd., l'intérêt ne pouvait pas être déductible parce que la garantie n'avait pas été prolongée en vue de gagner un revenu. Le juge Robertson a signalé — il s'agit d'un point important — qu'il fallait évaluer les termes « en vue de » et « utilisé » objectivement plutôt que subjectivement. Je signale cet élément parce que, dans la présente affaire, M. Lepp a passé beaucoup de temps à expliquer que, si ses compagnies étaient en bout de ligne rentables, ce serait à l'avantage de son épouse. Ce n'est pas le genre d'évaluation qu'il faut faire dans ce genre d'affaire. Même si, subjectivement, M. Lepp a pu croire que, si son épouse fournissait une garantie pour le compte de sa compagnie, elle pourrait, à un moment donné, en tirer un avantage considérable, ce n'est pas suffisant pour donner le droit à l'appelante de déduire une PDTPE. Pour être tout à fait franc, l'intérêt payé dans la présente affaire est non déductible car le fait d'honorer la garantie ne permettrait jamais à la contribuable de gagner un revenu. C'est là un concept qu'un grand nombre de contribuables ont de la difficulté à comprendre, mais sur lequel la Cour a dû se pencher à plusieurs reprises, avec le même résultat.

[6]            Dans la présente affaire, la garantie n'a pas été consentie dans le cadre des activités d'une entreprise exploitée par l'appelante, ou d'une affaire de caractère commercial. La garantie en l'espèce a été consentie pour que la banque accepte d'avancer le capital dont la compagnie de M. Lepp, dont il était le seul actionnaire, avait besoin pour exploiter son entreprise. C'est à cette seule fin que la garantie a été accordée. Cela ne permet pas, comme je l'ai dit précédemment, de prétendre que l'appelante aurait pu à un moment ou à un autre en tirer un avantage ou recevoir indirectement une partie des bénéfices réalisés par la compagnie de M. Lepp à un moment indéterminé, ni de soutenir, sur ce fondement, qu'une contrepartie a été donnée, puisque ce n'est pas ce que l'on entend par « contrepartie » . Tous les avantages économiques associés à la garantie étaient destinés à Lepp Commodities et à son actionnaire, M. Lepp. L'appelante n'a pas consenti la garantie en question en vue d'en tirer un avantage économique au sens où l'on entend généralement cette expression.

[7]            Enfin, il y a lieu de signaler qu'il n'y a eu aucune entente portant sur quelque forme d'intérêt que ce soit à payer. Il n'y a eu aucune entente relative au remboursement en cas de défaut de paiement par la compagnie. Il n'y a eu aucune entente, verbale ou écrite, énonçant les modalités de la participation de l'appelante. En termes clairs, la garantie n'a pas été offerte, dans les faits ou en droit, en vue de tirer un revenu. La garantie a été offerte simplement pour venir en aide à l'époux de l'appelante et à sa compagnie.

[8]            Je comprends les difficultés que ce genre de situation entraîne pour un contribuable, mais je dois dire qu'il n'y a aucun fondement sur lequel la Cour puisse tirer une conclusion différente. Par conséquent, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 17e jour de février 2000.

« A. A. Sarchuk »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

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