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Date: 20010618

Dossier: 2000-3764-IT-I

ENTRE :

BRUCE G. LOCKHART,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]            Dans l'avis de cotisation no 11922, en date du 10 juin 1999, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi une cotisation à l'égard de l'appelant relativement à l'impôt fédéral sur le revenu que la société Kootenay Cutting & Coring Ltd. ( « Kootenay » ) avait retenu à la source, mais qu'elle n'avait pas versé, ainsi que relativement aux pénalités et intérêts.

[2]            L'appelant accepte les faits non contestés suivants tels qu'ils ont été énoncés dans la réponse de l'intimée :

                [TRADUCTION]

a)              la société a été constituée dans la province de la Colombie-Britannique le 30 mars 1995;

b)             la société a ouvert un compte de l'employeur auprès de l'Agence des douanes et du revenu du Canada au mois d'avril 1995;

c)                    la société a engagé des employés dans le cadre de ses activités;

d)             la société n'a pas versé de retenues à la source pour les mois d'avril et de mai 1995;

e)              le 5 juin 1995, le ministre a fait parvenir à la société une notification PD14 pour l'aviser du fait que les retenues à la source n'avaient pas été versées;

f)              le 13 juillet 1995, la société a versé au receveur général les retenues à la source appropriées pour les mois d'avril, de mai et de juin 1995;

g)             la société a versé à temps au receveur général les retenues à la source appropriées pour les mois de juillet et d'août 1995, comme l'exige la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) dans sa version modifiée (la « Loi » );

                [...]

i)               le 6 novembre 1995, le ministre a fait parvenir à la société une notification PD14 pour l'aviser du fait que les retenues à la source n'avaient pas été versées et lui a accordé un délai de 30 jours pour répondre;

j)               la société n'a pas répondu à la notification PD14 du 6 novembre 1995;

k)              le 6 janvier 1996, le ministre a fait parvenir une lettre à la société pour l'aviser du fait que les retenues à la source n'avaient pas été versées et lui a accordé un délai de 20 jours pour répondre;

                [...]

m)             l'appelant a été, pendant toute la période pertinente, un administrateur de la société;

n)             la société a omis de verser au receveur général l'impôt fédéral sur le revenu qu'elle avait retenu sur les salaires versés à ses employés ainsi que les pénalités et les intérêts se rapportant à l'impôt fédéral non versé;

o)             le 5 janvier 1999, la dette de 6 208,99 $ de la société relative à l'impôt fédéral non versé, aux pénalités et aux intérêts a été enregistrée et reconnue par la Cour fédérale du Canada;

p)             le 5 janvier 1999, le ministre a fait parvenir le bref de saisie-exécution aux shérifs de la Colombie-Britannique pour la saisie et la vente des biens immeubles et des biens meubles situés dans la province ou se trouvait la société;

q)             le 18 février 1999, le bref de saisie-exécution a été retourné avec la mention « nulla bona » (aucun bien).

[...]

[3]            Il s'agit de savoir si l'appelant est responsable, en tant qu'administrateur, du défaut de Kootenay de verser au receveur général un montant d'impôt sur le revenu fédéral, ainsi que les pénalités et les intérêts qui s'y rapportent.

[4]            Dans l'avis d'appel que l'appelant a reconnu comme une partie de la preuve, celui-ci déclare que, lorsqu'il était un administrateur, il a fait preuve de diligence raisonnable. Il affirme que lorsqu'il était administrateur, il a examiné les relevés de compte des retenues à la source courantes. Il affirme que le relevé daté du 27 octobre 1997 indiquait un solde dû de 3 958,96 $, qui n'avait pas été acquitté en 1996. L'appelant a ensuite déclaré qu'il possède des dossiers qui indiquent que des chèques de 3 900 $ avaient été émis pour des retenues à la source et que l'ADRC n'avait pas enregistré ce paiement.

[5]            L'appelant déclare également que le commis comptable de Kootenay était parti et que les livres et les registres étaient en désordre. Il a affirmé que les relevés de fin de mois du 31 mars 1996 et du 30 avril 1996 indiquaient respectivement des montants à payer de 95,23 $ et de 574,51 $. Selon lui, ces relevés étaient trompeurs. Il croit qu'il a été induit en erreur, quant à la situation des comptes de Kootenay, par sa fille Lesley et l'époux de cette dernière, Raymond, qui étaient également des administrateurs, et ce parce qu'ils savaient qu'il était sur le point de perdre son investissement de 25 000 $ dans l'entreprise. Il dit que Lesley et Raymond s'occupaient de la gestion quotidienne des activités de l'entreprise et que lui-même avait un emploi à plein temps dans une entreprise de conception de maisons et qu'il s'occupait de son épouse et d'une fille atteinte de maladie mentale.

JURISPRUDENCE

[6]            Pour décider si l'appelant a fait preuve de diligence raisonnable, il est possible de se fonder sur l'affaire Soper c. La Reine[1], dans laquelle la Cour d'appel fédérale a décrit la norme applicable. Le juge Robertson était d'avis que la norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi était souple et que la conduite d'un administrateur n'était pas régie par une seule norme immuable :

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi est fondamentalement souple. Au lieu de traiter les administrateurs comme un groupe homogène de professionnels dont la conduite est régie par une seule norme immuable, cette disposition comporte un élément subjectif qui tient compte des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur, ainsi que du contexte de la société visée, notamment son organisation, ses ressources, ses usages et sa conduite. Ainsi, on attend plus des personnes qui possèdent des compétences supérieures à la moyenne (p. ex. les gens d'affaires chevronnés).

La norme de prudence énoncée au paragraphe 227.1(3) de la Loi n'est donc pas purement objective. Elle n'est pas purement subjective non plus. Il ne suffit pas qu'un administrateur affirme qu'il a fait de son mieux, car il invoque ainsi la norme purement subjective. Il est également évident que l'intégrité ne suffit pas. Toutefois, la norme n'est pas une norme professionnelle. Ces situations ne sont pas régies non plus par la norme du droit de la négligence. La Loi contient plutôt des éléments objectifs, qui sont représentés par la notion de la personne raisonnable, et des éléments subjectifs, qui sont inhérents à des considérations individuelles comme la « compétence » et l'idée de « circonstances comparables » . Par conséquent, la norme peut à bon droit être qualifiée de norme « objective subjective » [2].

[7]            La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire La Reine c. Corsano[3], a conclu qu'il existait une norme de prudence applicable à tous les administrateurs et que l'application de la norme est souple, puisqu'il faut apprécier les connaissances, les circonstances et les facteurs variables et différents liés à un administrateur pour déterminer s'il s'est conformé à cette norme.

[8]            Il est également important de signaler que c'est dans l'affaire Soper que la Cour a établi une distinction entre les administrateurs internes et les administrateurs externes. La Cour a défini la signification d' « administrateur interne » , mais elle a omis de le faire pour les « administrateurs externes » :

Mais cependant, il est difficile de nier que les administrateurs internes, c'est-à-dire ceux qui s'occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable[4].

[9]            Dans l'affaire Cadrin c. R.[5], la Cour d'appel fédérale a conclu qu'il était raisonnable pour un administrateur externe de s'en remettre aux assurances fournies par les administrateurs internes selon qui les obligations étaient respectées.

[10]          Dans l'affaire Whitehouse c. La Reine[6], le juge Rip a déclaré ce qui suit au sujet des paragraphes 227.1(3) de la Loi et 323(3) de la Loi sur la taxe d'accise :

La question de savoir si un administrateur a satisfait à la norme de prudence aux fins des paragraphes 227.1(3) et 323(3) est d'abord et avant tout une question de fait qui doit être tranchée à la lumière des connaissances personnelles et de l'expérience de l'administrateur en cause. Une attitude entièrement passive de la part d'un administrateur n'aidera peut-être pas la cause de ce dernier à l'égard d'une cotisation, mais, à moins qu'il n'y ait des motifs de s'interroger, l'administrateur est autorisé à s'appuyer sur les personnes qui s'occupent de la gestion quotidienne pour effectuer le paiement des obligations prévues dans la loi. L'administrateur externe qui sait ou se doute ou devrait savoir que quelque chose cloche doit prendre des mesures concrètes pour tenter de remédier à la situation[7].

ANALYSE

[11]          Pour appliquer la norme de prudence au présent appel, il est nécessaire de tenir compte des connaissances personnelles, des antécédents et de l'expérience de l'appelant. Ce dernier semble être, d'après les entreprises et les emplois variés qu'il a eus, un homme très intelligent et bien informé. Il est un technicien en architecture.

[12]          Il affirme qu'à la suite du départ du commis comptable, les livres et les registres étaient en désordre et qu'il n'a pas pu y mettre de l'ordre, puisqu'il ne comprenait pas bien les méthodes comptables.

[13]          L'appelant a déclaré qu'il était un administrateur externe et qu'il ne s'occupait pas de la gestion quotidienne de Kootenay. Il appuie cet argument en faisant état de ses autres emplois et projets. À un certain moment, il a déclaré qu'il faisait confiance à sa fille et à l'époux de cette dernière pour l'exploitation de l'entreprise, mais il dit avoir été induit en erreur par eux. À un autre moment, il a affirmé ne pas avoir une totale confiance en sa fille et en l'époux de cette dernière et que la relation était difficile depuis le début.

[14]          Deux parties de la preuve sont importantes. L'appelant a déclaré qu'il avait pour la première fois eu connaissance de l'omission du versement des retenues à la source en 1998 dans une lettre de diligence raisonnable (pièce R-2) envoyée à Revenu Canada. Toutefois, il ressort au contraire de la preuve que le premier avis indiquant une omission de verser les retenues à la source dont l'appelant avait eu connaissance datait de juillet 1995 (pièce A-2). Autrement, depuis le début de l'existence de l'entreprise, l'appelant était au courant des problèmes relatifs aux retenues à la source. La divergence entre ces éléments de preuve n'a pas été réglée de façon satisfaisante.

[15]          L'appelant savait qu'il y avait des problèmes relatifs aux flux de trésorerie, puisqu'il a effectué plusieurs avances de fonds, entre autres au mois d'octobre 1995 (pièce A-2) et le 4 avril 1996. Bien qu'il ait apparemment examiné les états financiers mensuels intermédiaires de Kootenay pour l'année 1995, pour ce qui est des retenues à la source, il ne paraît pas s'être renseigné auprès de sa fille, de son gendre ou de Revenu Canada au sujet de l'état du compte des retenues à la source par la suite.

[16]          L'appelant a déclaré qu'il avait reçu des renseignements inexacts de son avocat au sujet de la responsabilité des administrateurs, il a déclaré avoir été induit en erreur par sa fille et son gendre au sujet des retenues à la source et qu'à un certain moment, le commis comptable avait disparu pour de bon. Sa fille, son gendre, son avocat et son comptable[8], qui lui auraient tous donné des renseignements inexacts, auraient certainement pu être assignés comme témoin. Aucun d'entre eux n'a été appelé.

[17]          Sa prétention selon laquelle il était un administrateur externe est considérablement mitigée, puisque (i) il était le principal investisseur (l'investissement constituait 75 p. 100 de ses ressources personnelles.); (ii) la société était exploitée à partir de la maison de sa fille et de son gendre, dont l'appelant était le propriétaire et le locateur; et (iii) les activités de l'entreprise étaient à environ dix minutes de chez l'appelant. En outre, il recevait les rapports financiers de Kootenay pour l'année 1995 et il était la caution des prêts consentis à la société par des institutions tout en fournissant de temps à autre des fonds afin de maintenir Kootenay en vie. Il n'était pas un administrateur externe.

CONCLUSION

[18]          Je conclus que l'appelant, selon son témoignage, n'a pas fait preuve de diligence raisonnable afin de s'assurer, dès le début de l'existence de l'entreprise, que les retenues à la source étaient versées. Il a déclaré qu'il s'en remettait à sa fille, à son gendre, à son commis comptable et à son comptable. Il affirme qu'il était intimidé par sa fille et son gendre et, pourtant, malgré cette intimidation, il a continué à fournir des fonds. Il a déclaré que les documents qui lui avaient été fournis l'avaient induit en erreur. Pourtant, il savait, depuis le mois de juillet 1995, qu'il y avait un problème relatif aux retenues à la source (pièce A-1). La prétention de l'appelant selon laquelle les activités de Kootenay étaient secondaires dans sa vie par rapport à d'autres activités peut très bien être vraie, mais les obligations légales d'une personne occupant un poste d'administrateur d'une société ne se sont pas éteintes en raison de ces facteurs personnels.

[19]          L'appelant n'a pas agi avec le degré de soin, de diligence et de compétence requis, pour prévenir l'omission de Kootenay de verser les retenues à la source, qu'une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

DÉCISION

[20]          L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3764(IT)I

ENTRE :

BRUCE G. LOCKHART,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 31 mai 2001 à Castlegar (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Johanna Russell

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation numéro 11922, en date du 20 juin 1999 et établie en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de juin 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de mars 2002.

Martine Brunet, réviseure




[1] [1998] 1 C.F. 124 (97 DTC 5407) (C.A.F.).

[2] Ibid. à la page 155 (DTC : à la page 5416).

[3] [1999] 3 C.F. 173 (99 DTC 5658) (C.A.F.).

[4] Précitée, note 1, à la page 156 (DTC : à la page 5417).

[5] C.A.F., no A-112-97, 17 décembre 1998 (99 DTC 5079).

[6] C.C.I., no 98-2659(IT)I, 23 novembre 1999 (2000 DTC 1541).

[7] Ibid. à la page 6 (DTC : à la page 1543).

[8] (Le comptable et le commis comptable étaient deux personnes différentes.)

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