Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 19990119

Dossier: 98-1236-IT-I

ENTRE :

DANIEL TREMBLAY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 9 décembre 1998 à Québec (Québec) par l’honorable juge Pierre Archambault

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1] Il s'agit d'un appel d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 1995, interjeté sous le régime de la procédure informelle. Le ministre du Revenu national (ministre) a refusé la déduction par monsieur Tremblay d'une somme de 10 470 $ à titre de pension alimentaire. Cette somme (frais de résidence) a été versée en conformité avec l'article 4 d'une convention sur les mesures accessoires (Convention) intervenue le 27 septembre 1993 entre monsieur Tremblay et madame Johanne Boivin, son épouse. Voici ce que stipule cet article:

À titre de pension alimentaire pour les enfants, le défendeur paiera jusqu'à la vente de la résidence familiale le versement hypothécaire mensuel ainsi que l'emprunt contracté pendant le mariage (prêt personnel). De même, il paiera à leur échéance les taxes municipales et scolaires ainsi que les assurances de l'immeuble.

[2] Le 6 octobre 1993, dans son jugement de divorce, la juge Boisvert de la Cour supérieure du Québec a donné force exécutoire à la Convention. Le procureur de monsieur Tremblay a reconnu que les frais de résidence ont été versés à des tiers.

[3] Selon le témoignage de monsieur Tremblay, il était important pour lui que ces frais puissent être déductibles dans le calcul de son revenu. Son avocat lui aurait confirmé que tel serait le cas. Toutefois, rien dans le libellé de la Convention ni dans celui du jugement de divorce n'indique que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi) s'appliquent aux frais de résidence décrits à l'article 4 de la Convention.

[4] Le ministre soutient que les frais de résidence payés à des tiers ne constituent pas une “ pension alimentaire ” ou “ autre allocation ” prévue à l'alinéa 60b) de la Loi. De plus, le paragraphe 60.1(2) de la Loi ne s'applique pas pour permettre à monsieur Tremblay de déduire les frais de résidence puisqu'il n'y a aucune stipulation dans la Convention ou le jugement indiquant que ces sommes seront déductibles en vertu du paragraphe 60.1(2) de la Loi.

[5] En raison de cette absence de stipulation, il est bien évident que monsieur Tremblay ne peut bénéficier des dispositions du paragraphe 60.1(2) de la Loi. Reste à déterminer si les frais de résidence constituent une pension alimentaire ou autre allocation. Il est clair qu’en raison du paragraphe 56(12) de la Loi que les frais de résidence ne constituent pas une allocation puisque madame Boivin ne pouvait utiliser à sa discrétion les sommes versées au titre de ces frais. Le paragraphe 56(12) de la Loi dispose ainsi :

56(12) Sous réserve des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) et pour l'application des alinéas (1)b), c) et c.1) et 60b), c) et c.1), un montant reçu par une personne ¾ appelée “ contribuable ” aux alinéas (1)b), c) et c.1) et “ bénéficiaire ” aux alinéas 60b), c) et c.1) ¾ ne constitue une allocation que si cette personne peut l'utiliser à sa discrétion.

[6] Reste la question de savoir si les frais de résidence payés à des tiers peuvent constituer une pension alimentaire. Malheureusement pour monsieur Tremblay, je ne crois pas que de tels frais constituent une pension alimentaire au sens de l'alinéa 60b) de la Loi, et ceci pour plusieurs raisons.

[7] Tout d'abord, il faut se rappeler que même si la Convention stipule que les frais de résidence sont versés “ à titre de pension alimentaire ”, cela ne signifie pas nécessairement que ces frais représentent une pension alimentaire au sens de l’alinéa 60b). Il s'agit là d'une question de droit que la Cour doit trancher en tenant compte de la nature véritable des sommes visées à l'article 4 de la Convention.

[8] Il est clair que les frais de résidence que monsieur Tremblay a versés à des tiers ont été ainsi versés pour le bénéfice de ses enfants habitant avec madame Boivin et l'ont été aussi en exécution de l’obligation alimentaire de monsieur Tremblay. Toutefois, ces frais n'avaient pas les attributs d'une “ pension ”, à savoir une allocation périodique versée à une personne. Il ne s'agit pas d'une somme que madame Boivin pouvait dépenser à sa guise. Il s'agit plutôt du paiement par monsieur Tremblay d'une dépense précise.

[9] On pourrait être porté à donner un sens plus large à l'expression “ pension alimentaire ”, par exemple, celui de toute prestation alimentaire visée par un accord écrit ou une ordonnance judiciaire. Je crois toutefois qu'il faut rejeter une telle interprétation. Il y a d'abord le contexte dans lequel le législateur a utilisé cette expression. En juxtaposant à “ pension alimentaire ” l'expression “ et toute autre allocation ”, le législateur indique qu'il adopte le sens plus étroit de pension alimentaire, à savoir celui d'allocation.

[10] Je crois en outre que ce sens étroit correspond davantage au but recherché par le législateur. Dans l'affaire Jacques c. Canada, [1994] A.C.I. no 561, j'ai eu l'occasion de traiter de la même question que celle soulevée ici. En particulier, j'ai analysé le contexte historique du paragraphe 56(12) de la Loi et le but poursuivi par le législateur en l’adoptant. J'ai notamment fait référence à des documents budgétaires déposés le 10 février 1988 à la Chambre des communes par l'honorable Michael H. Wilson, ministre des Finances, dans lesquels on disait ce qui suit :

Pour les années d'imposition 1988 et suivantes, les modifications rétabliront le statu quo antérieur à l'arrêt Gagnon. Par conséquent, les paiements faits à des tiers après 1987 relèveront des règles prévues aux articles 56.1 et 60.1 de la loi.

[11] Lorsque l'on tient compte du libellé de l'alinéa 60b), du paragraphe 56(12) et de l'article 60.1 de la Loi, il ressort clairement que les sommes précises versées à des tiers ne sont pas des sommes que l'on peut généralement déduire en vertu de l'alinéa 60b) de la Loi. Le législateur permet toutefois aux contribuables d'échapper à cette règle générale si les deux parties à un accord portant sur des prestations alimentaires conviennent que ces sommes ¾ qui ne représentent pas des allocations : par exemple, les frais de résidence en l’espèce ¾ seront déductibles par le payeur et imposables entre les mains du bénéficiaire. De même, un juge pourrait en décider ainsi dans son ordonnance. Toutefois, il est important que l'accord entre les parties ou l'ordonnance de la cour prévoie que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi s'appliquent à tout paiement visé par cet accord ou cette ordonnance. S'il fallait donner à l'expression “ pension alimentaire ” le sens large de toute somme versée en vertu d'un accord écrit ou d'une ordonnance, à quoi aurait-il servi d'adopter les paragraphes 56(12), 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi? Je crois qu'en adoptant le sens étroit de pension alimentaire, nous en arrivons à un sens plus en harmonie avec ces dispositions de la Loi.

[12] Finalement, il reste un autre motif possible pour conclure que les frais de résidence ne constituent pas une pension alimentaire. Dans la version anglaise de l'alinéa 60b) de la Loi, l’équivalent de “ pension alimentaire ” est “ alimony ”. Comme je l’ai indiqué dans l'affaire Jacques, précitée, dans les provinces de common law, ce terme est limité aux prestations remises à un conjoint. Une fois le divorce obtenu, il ne s'agit plus d'“ alimony ”. Il est intéressant de noter qu'aux articles 15.1 et 15.2 de la Loi sur le divorce, qui traite de “ l'ordonnance alimentaire ” au profit d'un enfant et d'un époux, on n'utilise pas le terme “ alimony ” ni l'expression “ pension alimentaire ”[1]; on parle plutôt de “ prestations pour les aliments ” ou de paiement “ for the support ”. Si le législateur avait voulu que toute prestation alimentaire soit déductible en vertu de l'alinéa 60b) de la Loi, il aurait utilisé l'expression “ prestation alimentaire ” (ou une expression similaire) et non pas “ pension alimentaire ”.

[13] En conclusion, je ne crois pas que les frais de résidence constituent une “ pension alimentaire ou autre allocation ” au sens de l'alinéa 60b) de la Loi, et la somme de 10 700 $ versée par monsieur Tremblay en 1995 ne peut être déduite dans le calcul de son revenu.

[14] Pour ces motifs, l'appel de monsieur Tremblay est rejeté, le tout sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de janvier 1999.

“ Pierre Archambault ”

J.C.C.I.



[1] Comme il s'agit ici d'une ordonnance en matière de divorce, domaine qui est de compétence fédérale, le Code civil du Québec n’est pas pertinent.

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