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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Date : 20010518

Dossiers : 2000-2088-IT-I,

2000-3092-IT-I

ENTRE :

GOPALACHARI RAGHAVAN,

VASUNDARA RAGHAVAN,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Représentant des appelants :                Gopalachari Raghavan

Avocat de l'intimée :                            Me Steven D. Leckie

Motifs du jugement

(rendus oralement à l'audience, le 26 avril 2001,

à Toronto (Ontario))

La juge Campbell

[1]      Les appels en l'instance ont été entendus ensemble sur preuve commune, avec le consentement des parties. Les deux appels se rapportent aux années d'imposition 1996 et 1997 des appelants.

[2]      Dans ses déclarations de revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997, l'appelante, Mme Vasundara Raghavan, a déduit des montants comme frais de garde d'enfants et a indiqué au titre de l'état civil qu'elle était séparée. Dans le calcul de l'impôt à payer pour ces mêmes années d'imposition, l'appelante a déduit un crédit d'impôt équivalent pour personne entièrement à charge non remboursable. Elle a en outre demandé pour ces années-là le crédit de taxe sur les produits et services ( « TPS » ) et le crédit de taxe de vente harmonisée ( « TVH » ) ainsi que la prestation fiscale pour enfants, pour le motif qu'elle était séparée.

[3]      Dans les cotisations à l'égard de Mme Raghavan, les déductions de frais de garde d'enfants ont été admises, ainsi que les crédits d'impôt équivalents pour personne entièrement à charge non remboursables, et ce, pour chacune des années d'imposition. De plus, en déterminant l'admissibilité de l'appelante aux crédits de TPS et de TVH ainsi qu'aux prestations fiscales pour enfants, le ministre a accepté ce que Mme Raghavan avait indiqué au titre de l'état civil, à savoir qu'elle était séparée.

[4]      Puis le ministre a établi de nouvelles cotisations et a refusé les déductions de frais de garde d'enfants, qu'il a admises dans le calcul du revenu de l'appelant, M. G. Raghavan. Le ministre a également refusé le crédit d'impôt équivalent pour personne entièrement à charge non remboursable. Une nouvelle détermination de l'admissibilité de Mme Raghavan aux crédits de TPS et de TVH ainsi qu'aux prestations fiscales pour enfants a été faite pour le motif que Mme Raghavan n'était pas séparée de l'appelant, M. G. Raghavan, dans les années d'imposition 1996 et 1997.

[5]      En calculant son revenu pour ces années d'imposition et en demandant les crédits de TPS et de TVH, l'appelant, M. G. Raghavan, n'a rien déduit comme frais de garde d'enfants et a indiqué au titre de l'état civil qu'il était séparé. En établissant des cotisations à l'égard de l'appelant, M. G. Raghavan, et en lui accordant les crédits de TPS et de TVH, le ministre n'a admis aucune déduction de frais de garde d'enfants et a accepté ce que M. G. Raghavan avait déclaré au titre de l'état civil, à savoir qu'il était séparé.

[6]      Dans les nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant, M. G. Raghavan, le ministre a admis les déductions de frais de garde d'enfants qui avaient été indiquées dans les déclarations de revenu de l'appelante, Mme Raghavan. Une nouvelle détermination de l'admissibilité de l'appelant (M. G. Raghavan) aux crédits de TPS et de TVH a en outre été faite pour le motif que l'appelant et sa conjointe, Mme V. Raghavan, n'étaient pas séparés durant ces années d'imposition.

[7]      Il s'agit principalement de savoir si, durant les années d'imposition 1996 et 1997, les appelants, M. et Mme Raghavan, étaient des conjoints selon le paragraphe 252(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Plus précisément, je dois déterminer si les appelants, qui n'étaient pas divorcés, vivaient séparés l'un de l'autre, bien que résidant sous le même toit. Ma décision quant à savoir s'ils vivaient séparés l'un de l'autre déterminera l'admissibilité de chacun d'eux à des déductions de frais de garde d'enfants et à des crédits d'impôt équivalents pour personne entièrement à charge non remboursables et l'admissibilité de chacun d'eux à des crédits de TPS et de TVH ainsi qu'à des prestations fiscales pour enfants pour les années d'imposition 1996 et 1997.

[8]      Les appelants ont deux fils et une fille. Ils ont témoigné qu'ils s'étaient séparés en février 1996. L'époux a témoigné que pendant environ une semaine il avait cessé d'habiter dans le bungalow que partageait la famille et qu'il avait ensuite emménagé dans l'appartement situé au sous-sol de la maison. Des photos ont été consignées en preuve pour montrer que l'appartement du sous-sol comporte une cuisine, une aire tenant lieu de chambre à coucher et une salle de bains, ainsi qu'une entrée extérieure distincte. L'appelante, Mme Raghavan, a déclaré qu'elle continuait à vivre dans la partie supérieure du bungalow avec les trois enfants. Elle utilisait l'entrée principale du bungalow, qui était distincte de l'entrée utilisée par son époux. Elle a témoigné qu'elle avait ajouté une serrure et un loquet à la porte menant du rez-de-chaussée à l'appartement du sous-sol. D'après la preuve, les appelants paient au pourcentage les frais du ménage, y compris les frais hypothécaires, c'est-à-dire que l'épouse en paie 70 p. 100 et que l'époux en paie 30 p. 100. Un accord de séparation n'a jamais été conclu, et aucun des appelants n'a jamais demandé l'avis d'un avocat.

[9]      Le paragraphe 252(4) est la disposition pertinente en l'espèce. Il définit le mot « conjoint » et traite expressément de parties qui vivent en union conjugale. La question de savoir si des conjoints vivent séparés l'un de l'autre durant une période donnée comprend une question de fait. Chaque cas doit nécessairement être déterminé selon les circonstances et les faits qui lui sont propres.

[10]     Au sujet de la question de savoir si des parties vivent séparées l'une de l'autre, le juge Bowman a, dans l'affaire Kelner c. R., C.C.I., no 94-868(IT)I, 29 septembre 1995 ([1996] 1 C.T.C. 2687), invoqué et cité les critères énoncés dans l'affaire Cooper v. Cooper, (1972) 10 R.F.L. 184, soit :

                   [TRADUCTION]

[...] en général, il a été conclu que les parties vivent séparées l'une de l'autre dans les circonstances suivantes :

(i)       Les conjoints font chambre à part.

(ii)      Les conjoints n'ont pas de relations sexuelles.

(iii)     Il y a peu ou point de communication entre les conjoints.

(iv)     La femme n'effectue pas de travaux ménagers pour le mari.

(v)      Les conjoints prennent leurs repas séparément.

(vi)     Les conjoints n'ont pas d'activités sociales communes.

[11]     Dans ce domaine du droit, les causes sont nombreuses, mais, en définitive, chaque cas doit être déterminé selon l'ensemble des faits qui lui sont propres.

[12]     Outre les témoignages des appelants selon lesquels ces derniers vivaient séparés l'un de l'autre dans ce bungalow en 1996 et en 1997, aucune preuve de tiers n'a été présentée à l'appui de ces témoignages, et l'on n'a guère présenté d'autres éléments de preuve étayant ces témoignages. Les appelants n'ont jamais divorcé, aucun accord de séparation n'a été signé et aucun des appelants n'a jamais demandé un type quelconque d'avis juridique. Bien que l'on ait mentionné que les services d'un avocat coûteraient cher, la preuve indiquait qu'aucun des deux appelants n'a en fait contacté un avocat pour s'enquérir des coûts. Même si les services juridiques nécessaires pour rompre cette relation étaient trop coûteux, Mme Raghavan n'a nullement cherché à faire en sorte que le nom de son époux soit supprimé des régimes d'assurance-vie, de pension ou de frais médicaux et dentaires qu'elle avait grâce à son emploi. Aucun élément de preuve n'indique qu'elle s'est déjà renseignée quant à savoir quelles mesures pouvaient être prises à cet effet.

[13]     M. Raghavan a témoigné que, dans son REER, son épouse était désignée comme bénéficiaire et qu'il n'avait nullement cherché à modifier cette désignation durant la période de la séparation.

[14]     Un compte conjoint d'exploitation au nom des deux appelants à la R.B.C. Dominion Securities est resté inchangé. Chaque appelant a déclaré la moitié d'un dividende à l'égard de ce compte. Chacun d'eux a en outre déclaré la moitié d'une petite somme représentant des intérêts gagnés.

[15]     La preuve indique en outre que l'appelant, M. Raghavan, aidait son épouse, Mme Raghavan, à remplir ses déclarations de revenu. Chaque appelant exploitait sa propre entreprise, mais Mme Raghavan a témoigné qu'elle ne savait pas grand-chose au sujet de ces entreprises. En remplissant ses déclarations de revenu, elle se fiait aux connaissances de son époux en matière d'investissement et d'informatique. La preuve indiquait que l'aide de l'époux était fournie par l'entremise des deux fils, soit des adolescents. En répondant à des questions, Mme Raghavan semblait connaître très peu de choses sur l'entreprise qu'elle disait être la sienne et que les fils exploitaient en son nom.

[16]     La preuve présentée par les deux appelants était quelque peu déroutante à cet égard, mais il semble que chacun d'eux exploitait une entreprise, et ils demandent à la Cour de croire que deux adolescents, alors âgés de 17 et 14 ans, je crois, faisaient les appels de télémarketing, etc., et ce, sous la supervision du père. Les déclarations de revenu confirmaient que les fils recevaient un salaire, mais un revenu n'a jamais été gagné dans l'une ou l'autre des entreprises. Parce que la preuve présentée par les deux appelants était déroutante et évasive, je n'accepte pas le fait que tel était le contexte global de ces entreprises et que telle était l'approche familiale de leurs activités. Toutefois, aux fins de cette analyse, je ne crois pas devoir ajouter quoi que ce soit, si ce n'est qu'il s'agissait simplement de preuves supplémentaires que les arrangements financiers des deux appelants sont restés intimement liés tout au long de cette période.

[17]     L'acte de cession et l'hypothèque portant sur le bungalow sont restés inchangés. On n'a jamais réellement envisagé ni même tenté de diviser les actifs. Aucune preuve n'indique que les appelants ont cherché à rompre leurs liens financiers. En outre, les appelants n'ont pas jugé nécessaire d'obtenir un avis juridique sur leurs droits et obligations respectifs résultant du fait que leurs arrangements financiers étaient intimement liés.

[18]     Mme Raghavan a témoigné qu'elle avait parlé de la situation matrimoniale seulement à une amie / gardienne et à sa mère, qui était en Inde. Elle a déclaré qu'elle n'avait pas discuté de son mariage avec ses collègues de travail ou avec des amis du couple. Elle a dit qu'elle ne sortait avec personne. M. Raghavan a déclaré qu'il avait eu l'occasion de sortir avec plusieurs femmes qu'il avait rencontrées du fait de son travail. Les deux appelants étaient hésitants dans leurs réponses à des questions quant à leurs activités sociales durant cette période; ainsi, leurs témoignages étaient encore là contradictoires et déroutants.

[19]     Le courrier a continué d'être livré à la maison comme il l'avait toujours été. Aucun effort n'a été fait pour que soit séparé le courrier destiné à l'appartement du sous-sol, et la preuve indique que les enfants répartissaient le courrier selon le parent à qui il était adressé.

[20]     Les appelants ont déclaré qu'ils ne prenaient pas de repas ensemble. La buanderie était au sous-sol, et la preuve indique que les enfants et leur mère utilisaient cette buanderie, à laquelle ils accédaient par la porte intérieure, munie d'une serrure, qui menait au sous-sol. L'appelant, M. Raghavan, a dit en réponse à une question qu'il était « possible » qu'il ait vu Mme Raghavan franchir cette porte et descendre l'escalier pour aller faire la lessive.

[21]     En résumé, le partage égal continu des revenus en dividendes et en intérêts indiqués dans les déclarations de revenu des deux appelants, le fait que l'acte de cession et l'hypothèque portant sur la maison sont restés inchangés, les relevés mensuels de la R.B.C. Dominion Securities, l'interconnexion continue des affaires financières et commerciales, l'absence de tentative de la part de l'épouse pour faire en sorte que son époux ne soit plus bénéficiaire de ses avantages en matière d'emploi ou simplement pour s'enquérir des mesures qu'elle pourrait prendre à cette fin et le fait que l'époux aidait à remplir les déclarations de revenu de l'épouse et à exploiter deux entreprises avec l'aide des adolescents sont tous des facteurs qui indiquent une relation continue entre les appelants. Je n'ai aucune preuve de tiers à l'appui des témoignages des appelants, lesquels témoignages étaient non pas directs, mais contradictoires et déroutants. Le témoignage de l'appelant, M. Raghavan, était parfois évasif.

[22]     Des appelants peuvent assurément vivre séparés l'un de l'autre sous le même toit si la preuve selon les critères énoncés dans la jurisprudence étaye une telle conclusion. Tel n'est pas le cas en l'espèce. Aux yeux des autres, les appelants ne semblaient pas vivre séparés l'un de l'autre. Leurs voisins, amis, banquiers et collègues de travail - selon la preuve présentée par les appelants - n'avaient aucune raison de croire qu'il ne s'agissait plus d'une cellule familiale viable.

[23]     À la lumière de la preuve présentée en l'espèce, qui est bien insatisfaisante à de nombreux égards, et compte tenu du fait que la charge de la preuve incombe aux appelants, je dois conclure que ces derniers étaient des conjoints et ne vivaient pas séparés l'un de l'autre durant les années en question.

[24]     Les appelants ont en outre invoqué la Charte canadienne des droits et libertés. Ils arguaient que, selon l'article 15 de la Charte, il y avait une discrimination fondée sur leur incapacité financière à avoir des résidences séparées, à obtenir des services juridiques, etc. Les appelants semblaient soutenir qu'il y avait un empiétement sur les droits et libertés que leur garantit la Charte.

[25]     Lorsqu'une question constitutionnelle est soulevée et que l'on ne s'est pas conformé aux exigences de l'article 57 en matière de préavis, la pratique de notre cour consiste à entendre l'argumentation. Si l'argumentation relative à la Charte était fondée, la Cour ajournerait l'audience à une certaine date pour que l'on se conforme aux exigences en matière de préavis. Si je concluais que cette argumentation n'était pas fondée, je statuerais sur l'appel en conséquence, sans aucune mention ultérieure des exigences en matière de préavis. Je suggère à l'avocat de l'intimée de se familiariser avec la pratique de notre cour et je le renvoie à l'affaire Langlois c. R., C.A.F., no A-780-95, 27 mai 1999 (1999 Carswell Nat. 1695), soit une décision de la Cour d'appel fédérale.

[26]     Le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés dit :

La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[27]     La discrimination doit être basée sur une caractéristique personnelle. Je conclus qu'il n'y a aucun fondement à l'argumentation des appelants et, même s'il y en avait un, les appelants ont choisi de ne présenter aucune preuve à cet égard, si ce n'est dans leurs conclusions finales quant à leur capacité financière. L'appelant, M. Raghavan, était conseiller financier. L'appelante, Mme Raghavan, est analyste en informatique à Bell Canada. Ils avaient assurément tous les deux des ressources à leur disposition pour prendre des mesures afin de se sortir de cette relation. Il n'y a aucune discrimination selon la Charte.


[28]     En conséquence, je rejette les appels.

Signé à Ottawa, Canada, ce 18e jour de mai 2001.

« Diane Campbell »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de février 2002.

Mario Lagacé, réviseur

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