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Date: 20010301

Dossiers: 2000-1639-CPP,

2000-1640-EI

ENTRE :

TIGER COURIER INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]      Les présents appels ont été entendus sur preuve commune à Saskatoon (Saskatchewan), le 22 février 2001. L'appelante a fait comparaître Melvin Kurmey, Stacey Kliewer, Fraser Faulkner, Elvin Dashney, James Gebert, Vic Garman et Ernie Foth. L'intimé a fait comparaître le travailleur en cause, Robert Smiroldo.

[2]      L'appelante interjette appel des décisions selon lesquelles Robert Smiroldo avait exercé chez elle, au cours de la période allant du 1er janvier 1998 au 15 février 1999, un emploi aux termes d'un contrat de louage de services.

[3]      Les hypothèses formulées dans les deux réponses aux avis d'appel sont identiques. Le paragraphe 14 de la réponse relative à l'assurance-emploi se lit comme suit :

[TRADUCTION]

14.        Le ministre a appuyé sa décision sur les hypothèses de faits suivantes :

a)          les faits admis ci-dessus;

b)          l'appelante n'était pas liée au travailleur;

c)          l'appelante exploite un service de messagerie;

d)          le travailleur fournissait des services de chauffeur dans une zone déterminée;

e)          au cours de sa journée, le travailleur accomplissait les tâches suivantes :

(i)          il triait des bordereaux d'expédition, à l'entrepôt de l'appelante;

(ii)         il repérait les colis à expédier aux clients de l'appelante;

            (iii)        il effectuait le chargement des colis;

            (iv)        il livrait les colis;

(v)         il ramassait des colis et les portait à l'entrepôt en vue de leur livraison;

(vi)        une fois revenu à l'entrepôt avec ces colis, il les déchargeait du camion;

            (vii)       il préparait les documents nécessaires;

            (viii)       il chargeait les remorques routières;

f)           le travailleur n'avait pas de contrat écrit;

g)          l'appelante dressait les listes de prix utilisées par le travailleur;

h)          le travailleur pouvait fixer son propre horaire, mais, ce faisant, il devait respecter les heures de livraison déterminées par les clients de l'appelante;

i)           le travailleur avait le droit exclusif de livrer des colis dans la zone qui lui était assignée;

j)           le travailleur était rétribué selon un système tenant compte du poids, du type de chargement et du nombre d'articles livrés;

k)          le travailleur était payé à la quinzaine;

l)           les heures du travailleur n'étaient pas consignées;

m)         le travailleur ne présentait pas de factures à l'appelante, mais il lui remettait les bordeaux d'expédition;

n)          l'appelante calculait la rétribution en se fondant sur les bordereaux d'expédition que le travailleur lui avait remis;

o)          tout remplaçant à qui le travailleur faisait appel devait d'abord être approuvé par l'appelante;

p)          le travailleur devait :

            (i)          fournir son propre véhicule et son propre chariot;

            (ii)         payer la moitié du coût de son uniforme;

(iii)        payer 50 $ par mois pour la location d'un radio-téléphone;

q)          l'uniforme et le véhicule du travailleur portaient le logo de l'appelante;

r)           l'appelante fournissait au travailleur les feuilles de tarifs, les bordereaux d'expédition et la documentation de Tiger Courier;

s)          le travailleur devait payer ce qui suit :

(i)          les frais relatifs au véhicule, y compris les frais de location, le coût des plaques d'immatriculation, les frais d'assurances, notamment au titre de l'assurance responsabilité, le coût du carburant et les frais de réparation;

(ii)         les primes relatives à l'assurance contre les accidents du travail offerte par l'appelante;

t)           concernant ses méthodes, l'appelante avait donné une formation au travailleur quand il avait commencé.

[4]      Les hypothèses 14b), c), d), e)(i) à (vi) inclusivement, f), g), h), i), j), k), l), m), n), p), q) et s) n'ont pas été réfutées.

[5]      L'appelante avait lancé son entreprise de messagerie à Saskatoon en 1984 ou 1985. À cette époque, elle faisait appel à Dasher Courier pour le ramassage et la livraison, moyennant des frais à l'unité. Même si son entreprise prenait de l'expansion, elle a continué pendant un certain temps de recourir aux mêmes chauffeurs de Dasher. Au bout du compte, elle avait passé un contrat avec quatre chauffeurs de Dasher pour le ramassage et la livraison. Ces quatre chauffeurs avaient réglé leurs comptes avec Dasher, ils avaient acheté leurs propres camions, la ville avait été divisée en quatre zones, et ils avaient commencé à effectuer le ramassage et la livraison pour Tiger tout comme ils l'avaient fait précédemment pour Dasher Courier.

[6]      À l'époque en cause, Tiger avait divisé Saskatoon en cinq zones et assigné une zone à chaque chauffeur. Chaque chauffeur possédait sa propre camionnette, qu'il utilisait à ses propres frais, et payait ses propres primes d'assurance, y compris au titre de l'assurance contre les accidents du travail. Tiger n'effectuait aucune retenue sur les montants versés aux chauffeurs en ce qui concerne l'impôt, l'assurance-emploi ou le Régime de pensions du Canada. Aucun des chauffeurs n'était inscrit aux fins de la TPS, car le comptable de Tiger les avait avisés que leur travail représentait ce qui pourrait être appelé une opération blanche aux fins de la TPS.

[7]      Tout au long de la période, la journée de chaque chauffeur, pendant cinq jours, se déroulait comme suit :

6 h 30 ou plus tôt — Le chauffeur arrivait avec sa camionnette à l'entrepôt de Tiger, triait les marchandises qui venaient d'arriver et chargeait la camionnette.

          8 heures — Le chauffeur quittait l'entrepôt avec sa camionnette, faisait la livraison dans sa zone et effectuait le ramassage à des heures prédéterminées ou selon les instructions reçues par radio du répartiteur de Tiger.

          11 heures — 12 heures — Le chauffeur téléphonait pour confirmer sa pause-repas (qu'il faisait habituellement chez lui). (S'il avait fini vers 10 heures, le chauffeur pouvait ramasser un peu partout à Saskatoon des colis devant être livrés à North Battleford ou à Prince Albert. Les chauffeurs dont le trajet était court ou qui étaient zélés ou qui avaient peu de livraisons à faire pouvaient effectuer ce ramassage pour toucher un revenu supplémentaire.)

          12 heures à 13 ou 14 heures — Repas

13 ou 14 heures à 17 heures — Le chauffeur effectuait le ramassage dans la zone de ramassage.

          17 heures — Le chauffeur portait à l'entrepôt de Tiger les marchandises qu'il avait ramassées, les plaçait dans des cages d'expédition désignées (destinations diverses), aidait à palettiser ou à emballer les envois restants, puis rentrait chez lui avec sa camionnette. Exception :

          17 h 30 ou 18 h à 18 h 30 — Chaque jour, par roulement, un des chauffeurs restait à l'entrepôt de Tiger pendant que l'opérateur de chariot élévateur à fourches chargeait dans des semi-remorques les marchandises devant être envoyées à Calgary, à Edmonton, à Winnipeg, etc. Il en était ainsi principalement pour des raisons de sécurité.

[8]      En ce qui concerne les hypothèses non mentionnées comme n'ayant pas été réfutées :

          14e)(vii) et (viii) — Les expéditeurs étaient censés préparer leurs propres documents. Tiger préparait les documents de livraison et s'occupait de la facturation. Même si elle n'était pas payée, Tiger payait quand même les chauffeurs. Tous les documents étaient au nom de Tiger. Cette dernière s'occupait du chargement des remorques routières.

          14o) — Les travailleurs (chauffeurs) choisissaient leurs remplaçants et les payaient. Le remplaçant utilisait la camionnette du travailleur. Tiger ne faisait que confirmer que le remplaçant avait la compétence nécessaire pour conduire la camionnette et qu'il était apte au travail d'une manière générale.

          r) — Aucun élément de preuve n'indique qu'il y avait de la « documentation » de Tiger. Le reste de cette hypothèse est exact.

          t) — Initialement, les chauffeurs de Dasher élaboraient la procédure à suivre. Tout nouveau travailleur était formé par le chauffeur qu'il remplaçait et par ses collègues chauffeurs. L'appelante pouvait donner certaines instructions au sujet des documents à préparer s'il se révélait qu'un nouveau chauffeur avait commis des erreurs à cet égard.

[9]      Bref, la preuve concernant les chauffeurs, y compris M. Smiroldo, indique ce qui suit :

1.        Chaque chauffeur déterminait chaque jour s'il se rendrait au travail avec sa camionnette. Si un chauffeur décidait de ne pas travailler, il pouvait soit recourir à un remplaçant pour conduire sa camionnette soit aviser Tiger par téléphone, auquel cas les quatre autres chauffeurs se partageaient sa zone.

2.        Les chauffeurs téléphonaient pour dire où ils en étaient seulement au moment de la pause de midi, qui pouvait durer une heure ou deux, au choix du chauffeur.

3.        Les vacances étaient strictement au choix des chauffeurs.

4.        Les chauffeurs pouvaient avoir d'autres occupations. L'un d'eux était propriétaire de biens locatifs et en assurait la gestion. Les chauffeurs pouvaient utiliser leurs camionnettes à d'autres fins. Ils pouvaient en tout temps résilier le contrat conclu avec Tiger et travailler pour un concurrent, ce que certains ont fait.

5.        Les chauffeurs pouvaient refuser de se rendre chez des clients résidant dans leur zone. M. Smiroldo l'a fait dans le cas d'un client si éloigné que fournir ses services à ce client n'était pas rentable. (Ce faisant, M. Smiroldo a augmenté ses propres profits.) Tiger a alors fait appel à une société de messagerie. De même, Tiger avait pris un client de la zone de M. Smiroldo et l'avait attribué à un autre chauffeur, à la demande du client. Ce chauffeur était un ami de ce client. Donc, les chauffeurs se faisaient ainsi concurrence pour réaliser des profits et ils sollicitaient des clients, ils sollicitaient du travail supplémentaire de clients existants et ils adressaient des clients éventuels à Tiger. Il semble que les chauffeurs recevaient la moitié du tarif demandé à un client et que Tiger recevait l'autre moitié.

6.        Tiger n'offrait pas d'avantages sociaux aux chauffeurs et ne leur payait pas de vacances ni de congés de maladie. Ils étaient entièrement indépendants et n'étaient pas syndiqués.

7.        Il fallait que les autres chauffeurs approuvent un nouveau propriétaire-exploitant de camionnette. Si un chauffeur quittait Tiger (avec sa camionnette), les autres chauffeurs décidaient entre eux comment réassigner les zones, se fondant principalement sur l'ancienneté. M. Smiroldo avait un mauvais dossier de service à la clientèle ainsi qu'un mauvais dossier comme chauffeur, et Tiger lui avait dit que, tant qu'il ne s'améliorerait pas, elle n'envisagerait pas de lui assigner une zone du centre-ville, où l'activité était plus intense. Il ne s'est jamais amélioré et Tiger a fini par le renvoyer en raison de nombreuses fautes et de plaintes de clients et de membres du public. Sur la foi de la preuve présentée, il s'agissait d'un renvoi motivé.

8.        Les chauffeurs étaient payés par Tiger selon les factures présentées. Il était arrivé que M. Smiroldo demande un prix excessif à des clients. Les clients s'étaient plaints à Tiger, et les factures avaient été réduites. M. Smiroldo avait en outre détruit certains articles; les pertes avaient été prises en charge par Tiger et non par lui. Tous les frais de camionnette étaient à la charge de M. Smiroldo, qui déduisait en outre des frais de bureau à domicile en qualité d'entrepreneur. Certaines années, Tiger avait signé pour les chauffeurs un formulaire d'impôt en matière de véhicule d'employé. Cependant, les chauffeurs se considéraient comme des entrepreneurs indépendants, et Tiger les traitait comme tels. La rentabilité variait selon l'étendue des zones, les distances par rapport à l'entrepôt de Tiger, le nombre de clients, le nombre de livraisons, les tarifs exigés des clients par Tiger, qui était en concurrence avec Loomis, Purolator, etc. La rentabilité variait aussi selon les rapports entre le chauffeur et les clients, selon que le chauffeur était zélé ou non, selon les frais relatifs à sa camionnette, selon la fréquence à laquelle il se présentait pour travailler et selon ses rapports avec les autres chauffeurs.

[10]     Analyse selon les critères établis dans l'arrêt Wiebe Door :

1.        Sauf pour ce qui était du papier, tous les instruments de travail des chauffeurs leur appartenaient. Ces derniers portaient bel et bien des uniformes de Tiger et apposaient le logo de Tiger sur leur camionnette, mais ils choisissaient leur camionnette, ainsi que le reste de leurs vêtements.

2.        Les chauffeurs exerçaient eux-mêmes un contrôle dans leur zone. Ils déterminaient eux-mêmes comment travailler dans leur zone, comment développer leurs relations avec les clients et comment augmenter leur volume de travail. Ce que Tiger exigeait, c'était qu'ils partent faire des livraisons à 8 heures et rapportent les colis qu'ils avaient ramassés au plus tard à 17 heures, et ce, cinq jours par semaine. Même les heures de livraison ou de ramassage étaient fixées par les clients et non par Tiger.

3.        Rentabilité — Les chauffeurs pouvaient perdre de l'argent. Les camionnettes occasionnaient constamment des frais. Si le travail diminuait dans une zone, le chauffeur devait s'attendre à perdre de l'argent. Inversement, si le travail augmentait dans une zone, le chauffeur pouvait s'attendre à faire plus d'argent. Les chauffeurs pouvaient subir des pertes ou réaliser des bénéfices.

4.        Intégration — Le travail des chauffeurs n'était pas intégré à l'entreprise de Tiger. Les chauffeurs étaient des entrepreneurs indépendants travaillant dans leur zone respective. S'ils ne travaillaient pas, d'autres chauffeurs pouvaient les remplacer. Ils pouvaient en outre lancer des entreprises semblables, comme l'a bel et bien fait un des chauffeurs qui ont témoigné. Tiger et les chauffeurs étaient en symbiose. Les chauffeurs oeuvraient dans le domaine du transport, comme l'avait conclu le juge suppléant Porter, de la C.C.I., dans l'affaire Mayne Nickless Transport Inc. c. M.R.N., 97-1416 (UI), tandis que Tiger exploitait un service de messagerie. Les chauffeurs choisissaient leur camionnette, déterminaient leurs trajets, louaient leur radio, commercialisaient leurs services et acceptaient et refusaient des clients ainsi que des chargements. Ils dirigeaient leur entreprise de transport tout comme Dasher l'avait fait dix ans auparavant et tout comme une autre entreprise de messagerie le faisait en remplacement de M. Smiroldo et d'autres chauffeurs de temps en temps. De même, des chauffeurs suppléants allaient et venaient, et les chauffeurs qui cessaient de faire affaire avec Tiger étaient remplacés par de nouveaux propriétaires-exploitants de camionnette. Les chauffeurs ne faisaient pas partie intégrante de l'entreprise de Tiger, et vice versa. Chacun pouvait être remplacé et était remplacé avec le temps.

[11]     Les appels sont accueillis. Robert Smiroldo n'était pas un employé de l'appelante durant la période en cause. Les décisions du ministre sont annulées. J'adjuge à l'appelante les dépens auxquels elle a droit en vertu de la loi.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2001.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1639(CPP)

ENTRE :

TIGER COURIER INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de

Tiger Courier Inc. (2000-1640(EI)) à Saskatoon (Saskatchewan) par

l'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me William Dent Preston

Avocate de l'intimé :                  Me Suzanne Lalonde

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2001.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1640(EI)

ENTRE :

TIGER COURIER INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de

Tiger Courier Inc.(2000-1639(CPP)) à Saskatoon (Saskatchewan) par

l'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions

Avocat de l'appelant:                 Me William Dent Preston

Avocate de l'intimée:                  Me Suzanne Lalonde

JUGEMENT

L'appel est accueilli et la décision du ministre est infirmée selon les motifs du jugement ci-joints.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mars 2001.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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