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Date: 20000913

Dossier: 98-2145-IT-G

ENTRE :

GILLES BLAIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(prononcés oralement à l'audience

le 22 mars 2000 à Montréal (Québec) et corrigés)

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]      Le ministre du Revenu national (ministre) a établi de nouveaux avis de cotisation à l'égard des années d'imposition 1993 et 1994. Pour l'année 1993, le ministre a ajouté au revenu de monsieur Blain une somme de 5 330 $ à titre de revenu de salaire. Pour l'année 1994, le ministre a ajouté une somme de 47 728 $ représentant la valeur de biens que monsieur Blain se serait appropriés. Ces biens appartenaient à Ballon Beko Ltée (BBL), une société dont monsieur Blain détenait 72 % des actions. Le ministre a aussi imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) à l'égard des deux années d'imposition en question. L'appel de monsieur Blain ne vise que l'année d'imposition 1994.

[2]      Au début de l'audience, monsieur Blain a admis les faits énoncés aux paragraphes 4 a), b), c) et d) de la réponse à l'avis d'appel.


Contexte factuel

[3]      Monsieur Blain détient un baccalauréat en administration. Constituée en société par actions en 1985, BBL exploite une entreprise de vente de ballons en latex sur lesquels elle appose généralement un imprimé.

[4]      BBL possède de l'équipement qu'elle a acheté à des fabricants étrangers et qu'elle doit améliorer pour répondre à ses besoins et à ses critères de qualité. Monsieur Blain affirme d'ailleurs avoir passé beaucoup de temps à améliorer la performance de cet équipement. BBL emploie une douzaine de personnes, dont environ huit employés à plein temps, y compris ses deux actionnaires, et une secrétaire. Parfois du personnel d'appoint doit être engagé.

[5]      Le coactionnaire de monsieur Blain s'occupe principalement de la production, des salariés et des commandes de matières premières; monsieur Blain s'occupe, quant à lui, des ventes, de la mise en marché, des affaires bancaires, de l'acquisition de l'équipement et des négociations avec les fournisseurs concernant le prix des matières premières.

[6]      La secrétaire s'occupe de la tenue des livres et un comptable externe, un CGA, prépare les états financiers, y compris les écritures de régularisation à la fin de l'année. L'exercice financier de BBL se termine le 31 mars. C'est aussi le CGA qui prépare les déclarations de revenu de cette société. Le chiffre d'affaires de BBL est passé de 35 000 $ en 1985 à environ 855 900 $ en 1993.

[7]      Après avoir produit sa déclaration de revenu pour l'année 1994 datée du 10 octobre 1994, BBL a produit des états financiers modifiés datés du 12 août 1995 afin de réclamer la déduction d'une provision additionnelle de 64 845 $ pour une créance irrécouvrable.

[8]      En novembre 1995, le vérificateur du ministre a débuté son travail relativement à BBL. Au cours de sa vérification, il a constaté que cette société avait fait une déduction pour amortissement à l'égard d'équipement dont une partie avait été, prétendument, achetée en 1994. Selon l'état de l'évolution de la situation financière au 31 mars 1994, lequel faisait partie des états financiers du 12 août 1995, BBL aurait acheté des immobilisations pour une somme de 82 987 $ en 1994. Le même montant apparaît au formulaire T2S(8) produit avec la déclaration de revenu initiale du 10 octobre 1994 pour l'année 1994.

[9]      Comme pièces justificatives pour une partie de cet équipement (équipement fictif), le représentant de la société a fourni trois factures d'un montant d'environ 22 097 $ chacune (soit un total de 66 289,71 $), que monsieur Blain a reconnues dans ses aveux comme des fausses factures.

[10]     Le montant de 66 289,71 $ apparaît aussi dans les registres comptables de BBL. Il y apparaît comme une écriture de régularisation présentée de la façon suivante : « Écriture 204 re: facture 11161-62-63 : 1610 équipement 66 289,71 $ au débit, 4011 vente de produit, 66 289,71 $ au crédit. »

[11]     Lors de sa vérification, le vérificateur a constaté que les trois factures susmentionnées étaient chacune une copie d'un même document, portant la même date et la même heure de transmission par télécopieur, la seule différence étant le numéro y figurant. En effet, la première copie porte le numéro 11161, la deuxième, le numéro 11162, et la troisième, le numéro 11163. De plus, si on examine les copies des factures, on peut constater que les chiffres « 2 » et « 3 » de ces numéros ont été modifiés minutieusement à la main. Si on ne les examine pas avec attention, on pourrait ne pas réaliser qu'il s'agit de caractères manuscrits.

[12]     Le vérificateur s'est rendu chez le fournisseur, qui lui a confirmé que ces factures n'étaient que des bons de commande et non des factures pour des biens et des services livrés. Il n'y avait donc pas eu de vente d'équipement à BBL par ce fournisseur. Le vérificateur a aussi constaté qu'un bon de commande portant le numéro 11163 existait, mais qu'il avait été envoyé à un autre client de ce fournisseur.

[13]     Comme il avait été informé par monsieur Blain que l'achat de l'équipement à ce fournisseur avait été financé en partie par un prêt de 55 000 $ consenti par la Banque fédérale de développement, le vérificateur s'est présenté à cette banque pour vérifier les assertions de monsieur Blain. Il a alors appris que ces fonds avaient servi à refinancer d'autres appareils que ceux visés par les trois fausses factures.

[14]     Ayant constaté qu'il s'agissait de factures falsifiées, le vérificateur a conclu que le produit de ventes de 66 289,71 $ avait été approprié par les deux actionnaires de BBL et il a informé monsieur Blain dans une lettre datée du 18 février 1997 qu'il se proposait d'inclure dans le revenu de celui-ci sa part (72 %) de ce revenu comme appropriation de fonds, soit une somme de 47 728 $.

[15]     Le vérificateur du ministre affirme avoir remis ce projet de cotisation à monsieur Blain le 25 février 1997 et précise que ce dernier avait jusqu'au 18 mars 1997 pour lui fournir des observations. Il faut ajouter que le projet visait aussi l'année 1993 et que le vérificateur se proposait d'augmenter le revenu de monsieur Blain en y ajoutant un revenu de salaire non déclaré de 5 330 $. Un projet de cotisation similaire fut aussi remis au coactionnaire de monsieur Blain.

[16]     Le vérificateur a aussi remis à monsieur Blain un projet de cotisation visant BBL dans lequel il l'informait de son intention d'ajouter au revenu de cette société une somme équivalant à la déduction pour amortissement faite par BBL à l'égard de l'équipement fictif. Le revenu de 66 289,71 $ indiqué par l'écriture numéro 204 n'était donc pas soustrait du revenu déclaré par BBL. Pour l'année 1993, le vérificateur a aussi refusé une somme de 39 175 $ comme dépense pour l'achat de marchandises pour lesquelles BBL n'a pas fourni de pièces justificatives, laquelle somme apparaît dans les registres comptables comme une écriture de régularisation. Cette fois-ci, l'entrée correspondant à l'achat était effectuée au compte « dû aux administrateurs » .

[17]     Lors d'une réunion du 18 mars 1997, monsieur Blain et son comptable ont informé le vérificateur que monsieur Blain acceptait toutes les modifications, sauf celles résultant des trois fausses factures. Quelques jours plus tard, de nouveaux états financiers modifiés pour l'année 1994, datés du 4 avril 1997, ont été produits auprès du ministre. Le montant apparaissant au poste du bilan « dû aux actionnaires » était réduit de 39 175 $ pour refléter le fait que le vérificateur avait refusé un montant équivalent pour l'achat de marchandises et que BBL acceptait cette modification. N'apparaît toutefois à l'état des résultats aucune réduction qui diminue les recettes de 66 289,71 $.

[18]     Lors de son témoignage, monsieur Blain a catégoriquement nié que BBL ait versé à lui et à son coactionnaire cette somme de 66 289,71 $. Selon lui, sa société n'avait pas les moyens de le faire et cela lui aurait causé un tort irrémédiable. De plus, il a soutenu que si on devait annuler l'écriture de régularisation indiquant l'achat d'équipement fictif au prix de 66 289,71 $, il faudrait aussi annuler l'inclusion d'une somme équivalente dans les ventes de la société. Selon lui, cela n'avait pas de bon sens que de n'annuler que la moitié de l'écriture de régularisation.

[19]     Monsieur Blain a aussi affirmé ne pas savoir qui aurait remis les fausses factures au comptable, tout en reconnaissant que cela pouvait être lui. À la question : « Qui les aurait modifiées et pourquoi cette personne l'aurait-elle fait? » , il a répondu que c'est son comptable qui avait fait les écritures comptables. Quand je lui ai demandé pourquoi le comptable aurait agi ainsi, il a fourni cette explication : il (monsieur Blain) s'était plaint à plusieurs reprises que l'équipement de BBL était sous-évalué; il avait dû consacrer beaucoup de temps à l'amélioration de la performance de cet équipement; et BBL devrait bénéficier de crédits pour la recherche et le développement.

[20]     Selon monsieur Blain, BBL a cessé ses opérations en 1998, après que le banquier de BBL eut rappelé sa marge de crédit en février 1998.

Analyse

[21]     D'abord, il est important de rappeler que c'est à monsieur Blain que revient la charge de démontrer que l'inclusion de l'appropriation de fonds pour l'année 1994 est erronée. Par contre, celle d'établir que monsieur Blain avait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans sa déclaration de revenu incombe à l'intimée.

Appropriation de 47 728 $

[22]     Je vais d'abord traiter de la question de l'appropriation. D'une part, monsieur Blain affirme catégoriquement qu'il n'a pas reçu la somme de 47 728 $ de BBL parce que cette dernière ne pouvait se permettre de la payer. Je note qu'il n'y a pas eu de preuve corroborante concernant la situation financière difficile de BBL.

[23]     Je note, par contre, que monsieur Blain, dans son témoignage, a fait référence au fait que BBL avait réclamé la déduction d'une provision pour une créance irrécouvrable de 64 845 $. C'est en raison de cette mauvaise situation financière de BBL et d'un mauvais placement qu'avait fait BBL dans une autre société que cette provision a été déduite. Or, la provision pour créance irrécouvrable a été refusée par le vérificateur et il semble bien, selon le témoignage du vérificateur, que BBL ait accepté ce refus. La confirmation de cette acceptation aurait été communiquée lors de la réunion du 18 mars 1997.

[24]     D'autre part, monsieur Blain s'offusque grandement de ce que le procureur de l'intimée met en doute sa crédibilité. Il ne m'est pas possible d'affirmer que monsieur Blain ment effrontément ou qu'il n'a aucune crédibilité. Toutefois, la preuve révèle clairement que monsieur Blain peut se tromper lorsqu'il relate sa version des faits.

[25]     Voici quelques exemples de cas où il se trompe manifestement. Monsieur Blain affirme avoir produit ses états financiers modifiés du 4 avril 1997 avant d'avoir appris que le vérificateur avait découvert les trois fausses factures. Au cours de l'argumentation, j'ai fait valoir à monsieur Blain que, d'après la réponse que lui avait fournie le vérificateur à une de ses questions, le projet de cotisation était terminé le 18 février 1997. Puisqu'il affirmait qu'il était possible que ce projet ne lui ait été envoyé qu'après le 4 avril 1997, j'ai alors décidé de rouvrir la preuve pour interroger davantage le vérificateur sur les circonstances entourant la remise du projet de cotisation.

[26]     Ce nouveau témoignage a révélé que le projet de vérification avait bel et bien été terminé le 18 février 1997, qu'il avait été remis à monsieur Blain le 24 février 1997 et que c'est le 18 mars 1997, lors d'une rencontre, que monsieur Blain et son comptable avaient fourni leurs observations au vérificateur.

[27]     Ainsi, la preuve révèle clairement, contrairement aux affirmations de monsieur Blain, que, lorsqu'il a produit ses états financiers du 4 avril 1997, il savait très bien que le ministère avait découvert les fausses factures et refusait l'ajout d'un montant de 66 289,71 $ au titre d'immobilisations et que le ministre maintenait dans les revenus de BBL un montant équivalent.

[28]     Les déclarations de revenu de monsieur Blain pour les années 1993 et 1994 indiquent qu'il n'aurait gagné aucun revenu au cours de ces deux années d'imposition. Interrogé sur la source des fonds pour subvenir à ses besoins, monsieur Blain a affirmé qu'il utilisait de l'argent versé par BBL et que les sommes ainsi versées auraient pu lui être fournies en remboursement d'avances qu'il aurait consenties à cette société. Or, un examen des états financiers pour les années 1993 et 1994 révèle que non seulement le solde du compte « dû aux actionnaires » n'a pas diminué, mais, au contraire, il a augmenté d'une somme d'environ 6 000 $. Ce sont plutôt les actionnaires qui ont augmenté leurs avances à la société. Cette situation soulève donc un doute sérieux quant à la version de monsieur Blain.

[29]     Je note aussi que monsieur Blain a informé le vérificateur que l'acquisition de l'équipement fictif avait été financé par la Banque fédérale de développement alors que la preuve révèle que les fonds obtenus de cette banque ont servi plutôt à refinancer d'autres appareils. Il est important de rappeler ici que c'est monsieur Blain qui, de façon générale, négocie avec les banquiers et qui s'occupe de l'achat de l'équipement, et non pas son coactionnaire. Il est donc plutôt surprenant de constater que monsieur Blain s'est trompé lorsqu'il a informé le vérificateur des sources de financement pour l'achat de l'équipement fictif.

[30]     Je note aussi que monsieur Blain est capable de tricherie. En effet, lorsqu'il a expliqué les circonstances entourant la déduction par BBL d'une provision pour créance irrécouvrable, il a indiqué à la Cour que cela faisait déjà deux ans que l'investissement que BBL avait fait dans une autre société était irrécouvrable et qu'il avait attendu deux années pour la déduire parce qu'il désirait ne pas alerter son banquier concernant la situation financière réelle de BBL.

[31]     Il faut mentionner aussi que monsieur Blain, quoique n'ayant déclaré aucun revenu pour l'année 1993, a accepté l'ajout par le ministre à son revenu d'un salaire de 5 330 $, soit un revenu non déclaré à l'égard duquel le ministre a imposé une pénalité en vertu du paragraphe 163(2). Je rappelle ici que le contribuable ne conteste pas la cotisation pour l'année 1993. On peut facilement comprendre qu'un contribuable puisse oublier de déclarer une somme de 5 000 $ s'il gagne 100 000 $, mais oublier 5 000 $ lorsqu'on ne déclare aucun revenu, cela est plutôt surprenant.

[32]     Quoiqu'il ne puisse pas être établi de façon certaine que les réponses données par monsieur Blain sont manifestement erronées, certaines des réponses qu'il a fournies lors de son témoignage m'apparaissent peu plausibles. Il faut rappeler que c'est monsieur Blain qui signait les déclarations de revenu de BBL. Il dit les avoir signées sans les avoir examinées attentivement et sans avoir pris connaissance des états financiers, alors qu'il possède un baccalauréat en administration et que c'est lui qui s'occupe des négociations avec le banquier. Il affirme ne pas avoir remarqué dans le formulaire T2S(8) joint à la déclaration de revenu pour 1994 que le montant des achats s'élève à 82 987 $ en 1994. Il fait la même affirmation à l'égard du même montant, décrit comme se rapportant à l'achat d'immobilisations, apparaissant aux états financiers modifiés qui sont datés du 11 août 1995 et qui ont été produits au ministre avant que la vérification ne débute en novembre 1995. Le coût d'achat de l'équipement fictif représente environ 80 % de tous ces achats! À la note 4 des états financiers produits avec la déclaration de revenu initiale, le montant des immobilisations au poste de l'équipement s'élève à 202 771 $ et la valeur nette passe de 78 083 $ en 1993 à 133 764 $ en 1994, soit une augmentation de 71,3 % de la valeur comptable ((133 764 $ - 78 083 $) ÷ 78 083 $). Il m'apparaît plutôt surprenant que monsieur Blain n'ait pas noté une telle augmentation. C'est après tout le même monsieur Blain que celui qui a affirmé s'être plaint dans le passé que l'équipement de BBL soit sous-évalué et qui a prétendu avoir fait pression sur son comptable à cet égard.

[33]     En plus de ces éléments de preuve qui me portent à croire que la version des faits de monsieur Blain n'est pas crédible, il y a d'autres indices qui militent contre la position de monsieur Blain. Le principal élément est le fait qu'il y a eu fabrication de fausses factures. Je crois que la preuve à cet égard est très claire; il s'agit d'un geste délibéré de la part de quelqu'un : les trois factures qui ont été fournies au ministre sont des copies d'un même bon de commande; l'heure et la date de transmission sont les mêmes pour les trois. Le fait qu'on ait modifié à la main les numéros de facture indique clairement qu'on a délibérément fabriqué ces fausses factures. Selon la prépondérance des probabilités, monsieur Blain savait à tout le moins que ces factures avaient été falsifiées.

[34]     On ne peut pas conclure ici qu'il s'agit, comme le prétend monsieur Blain, d'une simple erreur comptable. Il n'y a pas de preuve que c'est le comptable de BBL qui a fabriqué ces fausses factures. Il serait d'ailleurs plutôt surprenant qu'un professionnel, membre d'une corporation professionnelle, ait participé à une telle machination. Il n'est pas impossible que cela ait été le cas; il existe évidemment des personnes indésirables dans toutes les associations humaines. Mais ce comptable n'est pas venu témoigner lors de l'audience pour expliquer sa version des faits.

[35]     Je rappelle que dans la décision Enns c. le ministre du Revenu national, APP-1992(IT), à la page 3, le juge Sarchuk de cette cour a cité un passage tiré de l'ouvrage de Sopinka et Lederman The Law of Evidence in Civil Cases dans lequel les auteurs font remarquer que l'omission de faire comparaître un témoin peut être


considérée comme un fait défavorable à la position d'un appelant. Voici la traduction française du passage pertinent que l'on y retrouve :

L'application de ce principe a conduit à établir une règle bien connue selon laquelle l'omission d'une partie ou d'un témoin de produire une preuve que la partie ou le témoin était en mesure de produire et qui aurait peut-être permis d'élucider les faits, fonde la Cour à déduire que la preuve de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée.

[36]     Il est important de mentionner ici que monsieur Blain a affirmé, lors de son témoignage, que son comptable n'était pas en bonne santé et qu'il ne lui était pas possible de venir témoigner. Toutefois, je note aussi qu'aucun billet médical n'a été produit pour confirmer l'état de santé du comptable.

[37]     Qu'est-ce qui aurait pu être avancé pour expliquer le fait qu'on a fabriqué ces trois factures et que l'on a donc capitalisé de l'équipement qui n'a vraiment pas été acquis par BBL? La principale explication mise de l'avant par monsieur Blain est qu'il trouvait que son équipement était sous-évalué au bilan et qu'il en avait fait part à son comptable. Il croyait injuste que BBL ne puisse pas bénéficier de crédits d'impôt pour la recherche et le développement; selon lui, c'est un fait qui pourrait expliquer pourquoi son comptable aurait fait les écritures de régularisation mentionnées plus haut.

[38]     Est-il possible aussi que cette augmentation de l'actif de la société ait visé à montrer sous un jour plus favorable la situation financière de la société? Je dois mentionner que cette explication n'a pas été présentée avec grande conviction par monsieur Blain lors de son témoignage. Il a surtout insisté sur la sous-évaluation de son équipement pour les fins des crédits d'impôt pour la recherche et le développement.

[39]     Je dois aussi mentionner que BBL n'a pas cru bon de contester la décision du ministre refusant la déduction de la provision pour créance irrécouvrable. La preuve est insuffisante pour établir avec précision et certitude quelle était véritablement la situation financière de la société à cette époque. Pour les deux exercices 1993 et 1994, BBL a d'abord produit des états financiers indiquant des bénéfices pour les deux années en question. Pour l'année 1993, le montant du bénéfice net avant impôt s'élevait à 18 330 $, et pour l'année 1994, à 13 855 $.

[40]     À l'appui de son argument selon lequel il n'avait pas reçu la somme de 47 728 $ que le ministère a fixée comme appropriation en établissant la cotisation, monsieur Blain demande pourquoi il se serait approprié cette somme quand sa part des sommes dues aux administrateurs s'élevait à 84 270,24 $. Comme l'a fait remarquer le procureur de l'intimée, le fait qu'il n'ait pas utilisé le mécanisme du remboursement de ses avances pour se faire verser ces sommes lui permettait de recevoir les versements sans qu'il n'y ait d'incidence fiscale dans des années d'imposition ultérieures.

[41]     Je note aussi qu'il n'y a pas eu de preuve que les sommes dues aux deux actionnaires se répartissaient proportionnellement en fonction de leur participation dans le capital-actions de BBL et qu'il n'y a eu aucune preuve établissant le montant des avances que monsieur Blain a consenties à BBL. Je trouve plutôt surprenant que monsieur Blain ne se rappelle pas à quel actionnaire BBL devait la somme de 14 284 $[1] apparaissant au compte « dû aux actionnaires » . Cette somme représente le solde d'un montant de 15 000 $ indiqué à la note 5 des états financiers du 12 août 1995[2].

[42]     Un autre argument possible à l'appui de la position de monsieur Blain est le fait qu'il serait plutôt surprenant qu'un contribuable comme BBL ait déclaré des revenus supplémentaires de 66 289,71 $ si l'intention était que les actionnaires se les approprient sans les déclarer comme revenu dans leur propre déclaration de revenu. Souvent, dans de telles circonstances, les contribuables occultent ces revenus. Il est important de faire remarquer que sans l'ajout au revenu de BBL de la somme de 66 289,71 $, cette société aurait enregistré une perte. En effet, même après avoir inclus cette somme, BBL n'a déclaré qu'un revenu net de 12 401 $. Du montant de 66 289 $ déclaré par BBL, seulement 18,7 % (12 401 $ ÷ 66 289 $) était effectivement assujetti à l'impôt. De plus, en augmentant de 66 289,71 $ ses immobilisations, BBL pouvait obtenir non seulement en 1994 mais dans les années subséquentes une diminution de son revenu grâce à la déduction pour amortissement. Le taux d'amortissement pour l'équipement en question était de 20 %. Donc, le stratagème utilisé par BBL pour augmenter ses actifs de façon artificielle lui permettait d'éponger le revenu supplémentaire qu'elle aurait pu être tentée de ne pas déclarer.

[43]     Il existe aussi d'autres faits qui, en soi, ne seraient pas suffisants pour permettre de conclure que monsieur Blain s'est approprié la somme de 47 728 $; toutefois, ces circonstances, ajoutées à celles que j'ai déjà décrites, me confortent dans la conclusion que j'adopte dans cet appel.

[44]     Tout d'abord, monsieur Blain soutient que la somme de 66 289 $ devrait être déduite des revenus de BBL puisqu'elle constitue la deuxième partie d'une écriture de régularisation que, d'après lui, le comptable a effectuée par erreur. Si un tel argument devait être retenu, les recettes brutes de la société pour l'année 1994 passeraient à 756 119 $, ce qui représenterait une diminution des recettes d'environ 12 % par rapport à celles déclarées pour 1993.

[45]     Un autre fait : si monsieur Blain et BBL croyaient fermement que le ministre aurait dû diminuer les revenus de BBL d'une somme de 66 289 $, pourquoi BBL n'a-t-elle pas, dans ses états financiers modifiés du 4 avril 1997, diminué ses revenus d'autant? Comme on l'a vu plus haut, il est clair que ces états financiers ont été produits après qu'on eut informé BBL et monsieur Blain que le montant apparaissant comme le coût d'équipement fictif devait être exclu.

[46]     Selon l'ensemble de la preuve que j'ai entendue et selon la prépondérance des probabilités, j'en arrive à la conclusion que monsieur Blain s'est approprié la somme de 47 728 $ durant l'année 1994 et que cette somme doit être incluse dans son revenu en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu comme un avantage conféré par BBL à monsieur Blain en tant qu'actionnaire.

Pénalité

[47]     Ayant conclu ainsi, il me reste à traiter de la question de la pénalité. Comme l'a soutenu le procureur de l'intimée, si j'en venais à la conclusion, selon la prépondérance des probabilités, que monsieur Blain s'était approprié la somme de 47 728 $, il deviendrait relativement plus facile de conclure que ce dernier avait sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé dans ses déclarations de revenu. Il m'apparaît raisonnable de croire que monsieur Blain connaissait l'existence des fausses factures et que celles-ci représentaient un stratagème pour lui permettre de s'approprier des biens appartenant à BBL.

[48]     Il est important de rappeler que monsieur Blain possède un baccalauréat en administration et qu'il gère une entreprise depuis 1985. On peut en inférer qu'il est un contribuable qui connaissait bien ses obligations fiscales. Ne pas déclarer un revenu effectivement reçu de 47 728 $ dans un cas où la déclaration qu'on a produite ne fait état d'aucun revenu, c'est faire preuve d'une conduite de personne qui sciemment, ou à tout le moins dans des circonstances équivalant à faute lourde, a fait un faux énoncé dans sa déclaration. J'en viens donc à la conclusion que l'intimée s'est déchargée de son fardeau de la preuve.

[49]     Pour ces motifs, l'appel de monsieur Blain est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de septembre 2000.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.


NO DU DOSSIER DE LA COUR :      98-2145(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :               GILLES BLAIN

                                                          et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  21 mars 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        L'honorable juge Pierre Archambault

DATE DU JUGEMENT :                    11 avril 2000

COMPARUTIONS :

          Pour l'appelant(e) :                    L'appelant lui-même

          Pour l'intimé(e) :                        Me Michel Lamarre

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

          Pour l'appelant(e) :

                             Noms :                  

                             Étude :                  

          Pour l'intimé(e) :                        Morris Rosenberg

                                                          Sous-procureur général du Canada

                                                          Ottawa, Canada



[1] À noter que ce montant de 14 284 $ apparaît comme un « dû à un particulier » à la note 5 des états financiers du 29 septembre 1994, produits avec la déclaration du revenu de 1994.

[2] À cette note apparaît un autre compte « dû aux actionnaires » d'un montant de 156 217 $.

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