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Date: 20010409

Dossier: 1999-4661-EI

ENTRE :

JAY SHAH,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du Jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

Introduction

[1]      L'appel en l'instance a été entendu le 6 décembre 2000 à Edmonton (Alberta).

[2]      Il s'agit d'un autre chapitre d'une longue saga judiciaire aux termes de laquelle l'appelant tente d'obtenir des prestations d'invalidité de longue durée à la suite d'une crise cardiaque ayant entraîné une incapacité permanente, survenue le 13 mars 1983 alors qu'il était au service du gouvernement de l'Alberta à titre de directeur de la Division de la gestion de la recherche du ministère de l'Environnement. À la suite de l' « octroi de dommages-intérêts » à l'appelant par la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a pris la décision suivante dans une lettre datée du 12 août 1999 :

                   [TRADUCTION]

La présente lettre a pour objet l'appel interjeté par le gouvernement de la province de l'Alberta à l'encontre de la décision datée du 18 mai 1999 portant sur l'assurabilité à des fins d'assurance-emploi des prestations d'assurance-invalidité de longue durée qui vous ont été versées par le gouvernement de la province de l'Alberta le 21 décembre 1998.

Il a été décidé que ces prestations étaient assurables, puisque vous étiez engagé en vertu d'un contrat de travail prorogé par le gouvernement de la province de l'Alberta et que, par conséquent, vous étiez son employé.

[3]      La décision a été rendue conformément à l'article 93 de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi sur l'a.-e. » ) et s'appuyait sur l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage et l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'a.-e.

Les faits

[4]      L'appelant a été embauché en qualité de directeur de la gestion de la recherche le 17 septembre 1981. Le gouvernement de l'Alberta était censé mettre fin à son emploi le 18 février 1983, cette mise à pied devait entrer en vigueur le 31 mars 1983. L'appelant a toutefois négocié un nouveau contrat, prolongeant son emploi du 31 mars 1983 au 30 septembre 1993, selon des modalités quelque peu différentes. Cependant, ce contrat n'a jamais été signé.

[5]      À la suite de sa crise cardiaque le 13 mars 1983, qui l'a rendu invalide de façon permanente, l'appelant n'est jamais retourné au travail. Le gouvernement de l'Alberta lui a versé des prestations d'invalidité de courte durée et des prestations d'invalidité de longue durée jusqu'en octobre 1983, époque où il a cessé le paiement. L'appelant a intenté une action en dommages-intérêts devant la Cour du Banc de la Reine. Un jugement a été rendu en sa faveur le 22 novembre 1993 par le juge J. A. Agrios qui a conclu, notamment :

a)        que l'appelant était toujours un employé en période probatoire tant à l'époque de la mise à pied prétendue qu'au moment de la crise cardiaque;

b)       que le processus de mise à pied suivi par le gouvernement de l'Alberta était légal;

c)        qu'une entente avait en fait été conclue entre le gouvernement de l'Alberta et l'appelant, en vertu de laquelle l'emploi de ce dernier prenait fin le 31 mars 1983 et qu'il devait être embauché pour une autre période de six mois, conformément au projet de contrat;

d)       qu'il avait été établi que la couverture pour l'invalidité de longue durée demeurait la même, que l'employé soit en période probatoire ou permanent;

e)        que l'appelant était couvert en vertu d'un régime d'assurance de longue durée pour des prestations d'invalidité, puisqu'il demeurait un employé à l'époque de sa crise cardiaque et l'avait été pendant les trois mois précédents. Son invalidité est survenue avant l'entrée en vigueur des modalités du nouveau contrat.

[6]      Après la formulation de ces conclusions, le juge a pris la question du montant des dommages-intérêts en délibéré, au sujet desquels les avocats pouvaient présenter des observations à un moment ultérieur.

[7]      Le 5 janvier 1995, la Cour d'appel de l'Alberta a entendu l'affaire. Elle a reconnu que rien dans le nouveau contrat conclu entre M. Shah et le gouvernement de l'Alberta n'empêchait de statuer que M. Shah avait continué d'être un employé jusqu'au 31 mars, mais que les modalités de son contrat original avaient pris fin le 31 mars et que le nouveau contrat était en vigueur après le 1er avril. De toute évidence, selon cette conclusion, il n'existait pas de contrat de travail se prolongeant au-delà du 30 septembre 1983. La Cour d'appel, pour des motifs différents de ceux exprimés par le juge de première instance, a continué en affirmant que l'employé avait obtenu un avantage permanent qui n'avait pas pris fin en vertu du sous-paragraphe 6c) du Régime.

[8]      La Cour d'appel n'a pas examiné la question des dommages-intérêts ni celle des montants qui étaient dus à l'appelant. Elle a rejeté l'appel en confirmant en réalité la décision rendue par le juge de première instance, selon laquelle M. Shah avait droit à une pension pour invalidité de longue durée.

[9]      La question du montant des dommages-intérêts a ensuite été soulevée devant M. le juge Girgulis de la Cour du Banc de la Reine, le 14 janvier 1997 et le 1er avril 1997. Le jugement a finalement été rendu le 23 novembre 1998; une partie du délai a été attribuable aux arguments portant sur les intérêts, le juge a rendu son jugement à ce sujet le 5 juin 1998. Les modalités finales relatives à l'octroi visaient des « dommages-intérêts généraux » de 256 308,67 $. Le jugement mentionne que l'évaluation des dommages-intérêts a été déterminée par des modifications apportées au [TRADUCTION] « droit initial de l'appelant en vertu du règlement sur le régime d'assurance-invalidité de longue durée » .

[10]     À mon avis, le libellé même du jugement précise que ce sont des dommages-intérêts qui ont été accordés à l'appelant, et non pas ses prestations initiales. Ce serait très logique pour deux raisons. D'abord, il s'agissait d'un contrat d'assurance, comme l'a déterminé le juge de première instance qui a également conclu que le gouvernement de l'Alberta avait contrevenu à ce contrat. Ensuite, alors que des prestations seraient normalement versées pendant une longue période à un employé qui demeurerait techniquement un employé, selon les faits particuliers de l'espèce, il ressort clairement des jugements rendus par le juge de première instance et le juge de la Cour d'appel que l'appelant n'était plus un employé après le 30 septembre 1983.

[11]     Cette interprétation reflétait l'opinion initiale de M. Feakes, de Revenu Canada, qui a écrit à l'appelant, le 12 juin 1997 :

                   [TRADUCTION]

En outre, comme le paiement découle d'un règlement judiciaire en compensation d'une perte, le paiement serait considéré comme des « dommages-intérêts » , et à ce titre il ne peut pas être considéré comme une rémunération assurable.

[12]     Le gouvernement de l'Alberta a adopté un point de vue semblable dans sa lettre envoyée au ministre en date du 22 juillet 1999 :

                  

                   [TRADUCTION]

La présente lettre constitue une opposition officielle à l'encontre de votre décision relative aux paiements versés à M. Jay Shah au titre de l'exécution volontaire d'un jugement, en date du 21 décembre 1998, aux termes duquel la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a accordé des dommages-intérêts à l'égard des prestations d'invalidité de longue durée.

Particulièrement, nous nous opposons à votre conclusion selon laquelle M. Shah était un employé du gouvernement de l'Alberta après le 31 octobre 1983 et selon laquelle les paiements versés à M. Shah en vertu du jugement consistaient en partie en des paiements de prestations d'invalidité de longue durée.

[13]     Le ministre a rendu une décision, par l'entremise de son chef des appels d'Edmonton, le 12 août 1999, comme cela est souligné ci-dessus.

[14]     Dans la réponse à l'avis d'appel, le représentant du ministre a déclaré, au nom du sous-procureur général du Canada, que :

                   [TRADUCTION]

[...] les prestations étaient assurables, puisque l'appelant était engagé en vertu d'un contrat de travail prorogé [...]

Il s'agit là du fondement de la décision du ministre.

[15]     L'avocat du ministre a tenté de présenter ses arguments de manière quelque peu différente lors de l'audition du présent appel. Dans son mémoire écrit, il a énoncé les questions en litige de la manière suivante :

                   [TRADUCTION]

a)          Il s'agit de savoir si le paiement versé à l'appelant ne constituait que des « dommages-intérêts » ou représentait en réalité des prestations auxquelles l'appelant avait droit en vertu du régime d'assurance-invalidité de longue durée;

b)          Si le paiement versé à l'appelant représentait des prestations d'assurance-invalidité de longue durée, il s'agit de savoir si ces prestations ont été versées en vertu d'un contrat de travail, de sorte que l'appelant exerçait un emploi assurable et que le paiement constituait une rémunération assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi et du règlement applicable.

[16]     L'avocat a présenté des arguments ingénieux, selon lesquels les « dommages-intérêts généraux » accordés étaient en réalité des « prestations d'invalidité de longue durée » . Toutefois, la Cour a accordé des dommages-intérêts plutôt que d'ordonner expressément le paiement de prestations. Les deux juges ont examiné la question des dommages-intérêts, et il ne revient pas à cette cour d'interpréter de nouveau l'octroi qui en a été fait. Manifestement, des dommages-intérêts sont des dommages-intérêts, et rien de plus. Cela tranche réellement le présent appel et confirme la position initiale de M. Feakes de Revenu Canada.

[17]     Toutefois, j'examinerai également le deuxième argument de l'avocat du ministre. Même si le paiement représentait des prestations d'invalidité de longue durée, par opposition à des dommages-intérêts, l'avocat reconnaît qu'elles ne seraient pas assurables en vertu de la Loi sur l'a.-e., à moins de respecter les conditions de la Loi. Il s'est particulièrement fondé sur le paragraphe 2(1) du Règlement sur la rémunération assurable et la perception des cotisations et sur la Loi sur l'a.-e., paragraphe qui est ainsi rédigé :

2. (1) Pour l'application de la définition de « rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour l'application du présent règlement, le total de la rémunération d'un assuré provenant de tout emploi assurable correspond au montant total, entièrement ou partiellement en espèces, que l'assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui est versé par l'employeur à l'égard de cet emploi.

[18]     L'avocat cite l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 ([1983] C.T.C. 20), au paragraphe 30 :

À mon avis, les mots « quant à » ont la portée la plus large possible. Ils signifient, entre autres, « concernant » , « relativement à » ou « par rapport à » . Parmi toutes les expressions qui servent à exprimer un lien quelconque entre deux sujets connexes, c'est probablement l'expression « quant à » qui est la plus large.

[19]     La difficulté à laquelle est confronté le ministre, à mon avis, et avec le plus grand respect dû à l'avocat, est le fait que le juge de première instance et celui de la Cour d'appel étaient d'avis que le contrat de travail avait pris fin le 30 septembre 1983. Le fondement même de l'argument de l'avocat devant cette cour est que [TRADUCTION] « l'appelant est demeuré assujetti à un contrat de travail prorogé avec le gouvernement de l'Alberta, même après avoir cessé de dispenser ses services » . Il ne s'agit toutefois pas de ce que les cours ont conclu. Dans des circonstances normales, il est évident qu'un employé demeure un employé pendant qu'il reçoit des paiements d'invalidité de longue durée et ce, jusqu'à ce que ces paiements cessent, peu importe la raison. En l'espèce, toutefois, il s'agit d'un cas très inhabituel, et il est clair que l'emploi a pris fin de façon permanente à la fin de septembre 1983. Ainsi, des dommages-intérêts ont été accordés à la place du paiement de prestations. Pendant la période au cours de laquelle les paiements devaient être effectués, il n'y avait ni contrat de travail, ni employeur, ni employé. Dans de telles circonstances, l'article 2 du Règlement, à mon avis, n'est pas pertinent. Il s'agissait d'une situation tout à fait différente de celle qui prévalait dans l'affaire Desender c. Canada (ministre du Revenu national - M.N.R.), [1999] A.C.I. no 901, une décision de mon collègue le juge Beaubier de cette cour, qui peut facilement être distinguée de l'espèce.

Conclusion

[20]     En résumé, je statue que les paiements versés à l'appelant constituaient des dommages-intérêts plutôt que des prestations d'invalidité de longue durée, et qu'ils n'étaient donc pas assurables en vertu de la Loi sur l'a.-e. Il ne s'agissait pas de paiements versés par un employeur à un employé relativement à l'emploi de ce dernier. Il n'y avait plus de contrat de travail après le 30 septembre 1983. Le paiement des dommages-intérêts n'était donc pas assurable en vertu de la Loi sur l'a.-e.

[21]     Par conséquent, l'appel est accueilli, et la décision du ministre est modifiée. Il est à espérer qu'il s'agit là du dernier chapitre de cette saga, plutôt longue et triste.

Signé à Calgary (Alberta), ce 9e jour d'avril 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d'octobre 2001.

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-4461(EI)

ENTRE :

JAY SHAH,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 6 décembre 2000 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :                              Me Michael Taylor

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et la décision du ministre est modifiée conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Calgary (Alberta), ce 9e jour d'avril 2001.

« Michael H. Porter »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour d'octobre 2001.

Martine Brunet, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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