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Date: 20010515

Dossier: 1999-745-IT-G

ENTRE :

MARK LESTER ISAAKS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Bonner, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de cotisations fiscales établies à l'égard de l'appelant pour ses années d'imposition 1994 et 1995. En établissant la cotisation, le ministre du Revenu national a inclus dans le revenu des gains réalisés par l'appelant lors de la vente de trois habitations. Selon le ministre du Revenu national, chacun de ces gains constituait un revenu tiré d'une entreprise. L'appelant prétend que les cotisations sont erronées parce que les gains découlaient de la disposition de biens qui ont tous constitué sa résidence principale. En fait, l'appelant soutient que les biens vendus entrent dans le cadre des dispositions de l'alinéa 40(2)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette disposition comporte une méthode de calcul qui peut réduire à zéro les gains en capital découlant de la vente de la résidence principale du contribuable. Elle ne s'applique toutefois que lorsque le gain provient d'un compte capital, et il s'agit là de la principale question en litige. L'appelant soutient également que si les gains sont imposables, le ministre n'a pas permis la déduction des coûts appropriés. Ce point a été reconnu par la Couronne.

[2]            L'appelant oeuvre dans le métier du bâtiment depuis 1983. De 1983 à 1988, il a travaillé en tant qu'installateur de recouvrement mural extérieur. Depuis 1988, il exploite une entreprise d'entrepreneur en finitions sous le nom de Mark's Custom Finishing. De plus, il s'adonne à l'achat et à la revente de biens immeubles à usage d'habitation. Du mois de décembre 1988 à la fin de 1992, l'appelant a acheté, rénové, loué et revendu trois biens qui étaient des maisons qu'il avait achetées en mauvais état en vue de les rénover. En outre, pendant la période allant de 1993 à 1995, l'appelant a construit et vendu quatre maisons et a déclaré les gains découlant de cette activité dans le cadre de son revenu d'entreprise. Cette activité était exercée sous le nom de Mark's Custom Homes.

[3]            En plus de tout cela, il a acheté et vendu les trois biens, dont les gains qui découlent sont en litige dans la présente affaire.

[4]            Le premier bien était situé au 12353, chemin Lehman, à Maple Ridge. L'appelant a acheté un terrain vague au mois d'avril 1992. Il a ensuite construit une maison sur le terrain. L'appelant et sa famille ont commencé à habiter ce bien à titre de résidence à partir du mois d'août 1992. L'appelant a mis la maison en vente au mois d'octobre 1993. Le bien a été vendu au mois de décembre 1993 et, le 31 janvier 1994, cette vente a été finalisée et l'acheteur a pris possession de la maison.

[5]            L'appelant soutient qu'il a vendu le bien parce que les maisons du lotissement possédaient des logements aménagés au sous-sol. D'après ce que j'ai compris, l'inconvénient de ces logements était que leurs occupants ajoutaient à la densité de la population du secteur. La maison de l'appelant était située sur un coin. L'appelant trouvait que les gens passaient en voiture sur son gazon et que la circulation était dangereuse pour ses enfants. Il a indiqué dans son témoignage qu'il avait donc décidé de déménager.

[6]            Le témoignage de l'appelant en ce qui concerne les problèmes du secteur du chemin Lehman a été corroboré dans une certaine mesure par le témoin Brian Fox, qui a vécu au 12363, place Lehman du mois de septembre 1992 à 1995. M. Fox a confirmé que dans 90 p. 100 des maisons, des logements avaient été aménagés au sous-sol et il a déclaré que le stationnement était devenu un problème. Il a ajouté qu'il avait déménagé en 1995 parce que le secteur était trop populeux.

[7]            Le deuxième bien en litige est situé au 12180-250 A Street, à Maple Ridge. L'appelant a acquis le lot au mois de septembre 1993. Il a indiqué dans son témoignage qu'il avait obtenu un contrat pour construire une maison sur commande et qu'il avait trouvé un " joli lot " tout juste derrière. Ce joli lot est devenu l'emplacement de la deuxième résidence en litige. L'appelant a expliqué qu'il y avait un avantage à tirer de la construction de deux maisons situées à proximité l'une de l'autre. La preuve portant sur l'avantage était plutôt vague, mais elle semble se rapporter à la livraison des matériaux de construction.

[8]            La construction de la maison située au 250, A Street a commencé après l'achat du lot, en septembre 1993. Le bien a été mis en vente en octobre 1993 et vendu en décembre 1993 à la condition que la prise de possession ait lieu en mai 1994. L'appelant a vécu avec sa famille dans cette maison pendant une période inférieure à quatre mois à partir du 31 janvier 1994.

[9]            L'appelant a mentionné dans son témoignage les raisons l'ayant poussé à vendre le bien. Il a indiqué qu'il ne souhaitait pas vivre près du promoteur immobilier, dont le comportement avait entraîné l'enregistrement de privilèges pour frais promotionnels impayés sur tous les lots du lotissement. Il a fait valoir que le bien avait été mis en vente au mois d'octobre 1993 en raison de problèmes découlant de privilèges enregistrés qui sont survenus tout juste après le début de la construction de la maison. L'appelant a qualifié sa décision de vendre de " précipitée ". Elle l'était certainement. La possibilité de la revente était présente à l'esprit de l'appelant dès le début. Il a demandé, lorsqu'il a sollicité une hypothèque auprès de la Maple Ridge Community Credit Union afin de financer le projet, un remboursement de " frais de spéculation " imposés par le prêteur dans l'éventualité où l'appelant emménageait dans la maison. Cette demande figure dans une annexe à la demande de prêt datée du 1er septembre 1993.

[10]          L'existence des privilèges et des problèmes avec les services municipaux a été confirmée par le témoin Dennis Horwood. Ce dernier a indiqué que les problèmes relatifs au travail de mauvaise qualité effectué par les entrepreneurs qui avaient installé les services municipaux étaient apparents dès le mois d'octobre 1992. La date à laquelle le premier privilège a été enregistré n'est pas précisée. L'appelant s'est plaint auprès de la municipalité dans une lettre datée du 6 janvier 1993 [sic] au sujet du refus de cette dernière de lui permettre d'occuper la maison.

[11]          La troisième maison, située au 11517-236 B Street à Maple Ridge, a été construite sur un lot acheté par l'appelant en février 1994. Le lot était situé près d'une maison que l'appelant construisait pour un client au 11537 - 236 B Street. L'appelant et sa famille ont emménagé dans la maison en mai 1994 et ils y ont vécu pendant environ 13 mois avant de la mettre en vente en juin 1995. Le bien a été vendu au mois d'août 1995, et la vente a été finalisée au mois d'octobre 1995. L'appelant a indiqué dans son témoignage que, une année après l'emménagement, il était devenu évident que le terrain adjacent allait servir à la construction d'habitations à revenu modique. Il s'est également plaint du fait qu'il était difficile de monter une colline sur le chemin menant au bien et que l'école que fréquentaient ses enfants était ouverte pendant toute l'année et que cela nuisait aux vacances d'été.

[12]          Les plaintes de l'appelant au sujet de la nature de l'aménagement du secteur ont été appuyées dans une certaine mesure par le témoignage de John Robert Graham, une personne qui a possédé et occupé une maison dans le secteur de 1993 à 1997. Il a indiqué qu'il avait été amené à croire que ce secteur était " cossu ".

[13]          La principale question en litige en l'espèce est, comme je l'ai déjà indiqué, celle de savoir si les profits découlant de la vente des trois maisons représentent, comme le prétend l'intimée, un revenu tiré d'une entreprise ou, comme le soutient l'appelant, des gains provenant d'un compte capital. Le mot " entreprise " est défini au paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu de manière à inclure les projets comportant un risque de caractère commercial.

[14]          Les tribunaux ont de façon constante insisté pour dire que, lorsque vient le moment de décider si une opération était envisagée comme un projet comportant un risque de caractère commercial, il faut examiner les circonstances qui s'y rapportaient : Happy Valley Farms Ltd. c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-6632-82, 16 juillet 1986, aux pages 8, 9 et 10 (86 DTC 6421, à la page 6424). La Cour suprême du Canada a souligné l'importance de l'intention comme l'un des facteurs à être examinés dans l'affaire Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103. Dans cette affaire, le juge Major a résumé certains facteurs importants à considérer pour décider si une opération immobilière constitue un projet comportant un risque de caractère commercial. Il a énuméré ce qui suit au paragraphe 17 :

(i)         L'intention du contribuable relativement au bien immeuble au moment de l'achat, ses possibilités de réalisation et la mesure dans laquelle cette intention est réalisée. L'intention de revendre la propriété avec bénéfice la rendra plus susceptible d'être qualifiée de projet comportant un risque de caractère commercial.

(ii)        La nature de l'entreprise, de la profession, du métier ou de l'occupation du contribuable et des associés. Plus l'entreprise ou la profession d'un contribuable est liée aux transactions immobilières, plus il est probable que le revenu réalisé sera considéré comme un revenu tiré d'une entreprise plutôt que comme un gain en capital.

(iii)       La nature du bien et l'usage qu'en fait le contribuable.

(iv)       La mesure dans laquelle l'argent emprunté a servi à financer l'acquisition du bien immeuble et la période pendant laquelle le bien immeuble a été détenu par le contribuable. Les opérations impliquant emprunt et revente rapide sont plus susceptibles d'être des projets comportant un risque de caractère commercial.

[15]          Le rôle de l'intention dans des affaires de ce genre ne peut pas être correctement compris si on ne consulte pas le passage suivant, de l'affaire Racine, Demers and Nolin v. Minister of National Revenue, 65 DTC 5106, à la page 5111 :

Pour donner à une transaction qui comporte l'acquisition d'un capital le double caractère d'être aussi en même temps une initiative d'une nature commerciale, l'acquéreur doit avoir, au moment de l'acquisition, dans son esprit, la possibilité de revendre comme motif qui le pousse à faire cette acquisition; c'est-à-dire qu'il doit avoir dans son esprit l'idée que si certaines circonstances surviennent il a des espoirs de pouvoir la revendre à profit au lieu d'utiliser la chose acquise pour des fins de capital. D'une façon générale, une décision qu'une telle motivation existe devrait être basée sur des inférences découlant des circonstances qui entourent la transaction plutôt que d'une preuve directe de ce que l'acquéreur avait en tête.

[16]          Je ne crois pas que les différents problèmes qui, aux dires de l'appelant, l'ont convaincu de vendre les trois maisons étaient des circonstances qui ont contrecarré une intention exclusive, existant au moment où l'appelant a acheté les lots, d'occuper les biens à titre de résidences pour une période indéterminée. D'abord, je devrais remarquer que j'ai eu l'impression que l'appelant, lors de son témoignage, avait tendance à exagérer les problèmes qu'il avait éprouvés avec les trois maisons. En ce qui concerne le premier bien, la preuve ne m'a pas convaincu que l'aménagement et l'occupation des logements situés au sous-sol ainsi que la densité de la population et de la circulation en découlant pouvaient avoir constitué un inconvénient qui n'était devenu apparent pour la première fois que lorsque l'appelant avait construit la maison et qu'il y avait emménagé. Pour ce qui est du deuxième bien, l'hypothèque paraît avoir été constituée dès le début en vue d'une possibilité, si ce n'est de la probabilité, d'une revente. Le problème relatif aux privilèges a apparemment été résolu au début de 1994. Il est difficile d'imaginer que ce problème a empoisonné la relation entre l'appelant et le promoteur immobilier au point où l'appelant était incapable de continuer à vivre dans le voisinage. En ce qui concerne le troisième bien, la proposition selon laquelle les difficultés d'accès en hiver à cause de la colline constituaient la raison de la revente m'a paru improbable et m'a amené à douter des autres excuses. De toute évidence, l'appelant connaissait bien Maple Ridge, son climat et sa topographie et il devait être au courant de ce genre de problème avant l'achat. En outre, la preuve selon laquelle la construction de maisons en rangée dans le secteur a créé un grave problème ayant entraîné la vente du troisième bien ne me convainc pas. Le comportement de l'appelant dans son ensemble doit être examiné. La vitesse à laquelle il a acquis des terrains, a construit trois maisons et les a revendues, associée aux excuses plutôt minces données pour les ventes, soutient la déduction selon laquelle les trois opérations en litige n'étaient que de simples prolongements des entreprises de construction de maisons et de charpenterie habituelle de l'appelant.

[17]          Je me penche maintenant sur le montant des inclusions dans le revenu.

[18]          L'appelant, qui n'était pas représenté par un avocat à l'audition de son appel, a soulevé pour la première fois à l'audience la question du montant des gains. Il a produit une pile de reçus, qui établissaient selon lui des coûts qui n'avaient pas été pris en considération dans le calcul des profits qui ont été imposés. À la suite d'une brève consultation entre l'appelant et l'avocat de l'intimée, ce dernier a reconnu que certains coûts supplémentaires auraient dû être accordés. Ces coûts supplémentaires relatifs au premier bien s'élèvent à 7 957,80 $. Pour ce qui est du deuxième bien, ils totalisent 1 302,55 $ et, pour le troisième bien, ils s'élèvent à 23 580,75 $. Je ne dispose pas de suffisamment de documents pour établir ce que le vérificateur a ou n'a pas accordé dans le calcul des profits en litige et, pour cette raison, il est loin d'être évident que les autres demandes de coûts supplémentaires de l'appelant ne comprennent pas de double emploi. En outre, elles comprennent des montants qui auraient été payés en espèces et des reçus de montants qui ne peuvent pas être clairement associés à la construction des trois habitations que l'appelant a vendues. Par conséquent, les documents sont loin d'établir que l'appelant a le droit de déduire des coûts en plus de ceux reconnus par l'avocat de la Couronne. Les appels sont donc admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les gains ou les pertes doivent être révisés afin de refléter les coûts supplémentaires accordés. Le succès est partagé. Il ne s'agit pas d'une affaire où l'adjudication des dépens serait appropriée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2001.

" Michael J. Bonner "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-745(IT)G

ENTRE :

MARK LESTER ISAAKS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 27 mars 2001 à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge Michael J. Bonner

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                   Me Carl Januszczak

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 sont admis, sans dépens, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les gains et les pertes provenant de la vente de trois maisons, après la déduction des coûts supplémentaires reconnus par l'avocat de l'intimée à l'audience, constituent un revenu et des pertes d'entreprise.


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de mai 2001.

" Michael J. Bonner "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2002.

Martine Brunet, réviseure


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