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Date: 20010323

Dossier: 98-1340-IT-G

ENTRE :

ENGELBERT FREDETTE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Engelbert Fredette interjette appel des cotisations d'impôt établies par le ministre du Revenu national (ministre) à l'égard des années d'imposition 1991, 1992 et 1993 (période pertinente). Le ministre a appliqué la règle générale anti-évitement (RGAÉ), énoncée au paragraphe 245(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), à une série d'opérations qui a permis à monsieur Fredette de détenir un immeuble de trois appartements (triplex) par l'intermédiaire de deux sociétés de personnes. Selon le ministre, cette série d'opérations a procuré à monsieur Fredette certains avantages fiscaux abusifs (avantages fiscaux refusés). Elle lui aurait permis en effet de reporter de deux ans l'imposition du revenu tiré du triplex, tout en déduisant sur la base de l'année civile les intérêts relatifs au financement de sa participation dans une de ces sociétés, de déduire des frais de subsistance relatifs à un des appartements du triplex (appartement du 631 ou 631) occupé par lui et son épouse, y compris des frais d'intérêts se rapportant à cet appartement, et finalement, de déduire un montant au titre de la déduction pour amortissement (DPA) qui était supérieur à celui qu'il aurait pu déduire selon l'alinéa 20(1)a) de la Loi et le paragraphe 1100(11) du Règlement de l'impôt sur le revenu (Règlement) s'il avait détenu directement le triplex.

[2]            En vertu du paragraphe 245(5) de la Loi, le ministre a déterminé les attributs fiscaux de monsieur Fredette pour la période pertinente en tenant pour acquis que ce dernier détenait le triplex directement et en totalité et a calculé son revenu selon l'année civile, tout en excluant de ce revenu tout loyer et toutes dépenses y compris les frais d'intérêts se rapportant à l'appartement du 631. Il a aussi refusé toute DPA.

Faits

[3]            Monsieur Fredette est un policier employé par la Ville de Québec. Son revenu d'emploi s'élève à 56 908,57 $ pour l'année 1991, à 50 430,92 $ pour l'année 1992, et à 65 174,35 $ pour l'année 1993. Son épouse, madame Odette Dufresne, travaille en 1990 et en 1991 comme adjointe administrative dans un cabinet de notaire. Ce cabinet conseille ses clients en matière de planification fiscale et madame Dufresne désire tirer avantage des connaissances qu'elle a acquises chez cet employeur. Elle consulte ses patrons lorsqu'elle et son mari font l'acquisition, le 17 mai 1990, du triplex situé aux numéros 631, 633 (appartement du 633 ou 633) et 635 (appartement du 635 ou 635) rue Ardouin, à Beauport. C'est d'ailleurs l'un de ses patrons, Me Gilles Naud (tel était alors son titre), qui agit comme notaire instrumentant lors de la signature de l'acte de vente.

[4]            Même si la décision a été prise, semble-t-il, de le détenir par l'intermédiaire de deux sociétés de personnes, ce sont tout d'abord monsieur Fredette et madame Dufresne qui acquièrent le triplex d'un couple qui vit apparemment des difficultés matrimoniales. Le prix s'élève à 220 000 $, dont 64 147,89 $ sont versés comptant lors de la signature de l'acte de vente. Pour financer une partie du versement comptant, monsieur Fredette et madame Dufresne utilisent 14 148 $ de leurs économies et contractent un emprunt de 35 000 $ auprès de la Caisse populaire Jacques Cartier (Caisse populaire). Il s'agit d'un prêt garanti par une hypothèque de deuxième rang en faveur de la Caisse populaire. L'acte de prêt stipule que la créance de la Caisse populaire est indivisible et que monsieur Fredette et madame Dufresne sont conjointement et solidairement responsables du remboursement du prêt. Pour financer le solde du versement comptant et le solde du prix d'achat, il semble que plusieurs autres prêts ont été obtenus, dont un de 129 852,18 $ garanti par une hypothèque de premier rang grevant le triplex, également accordée à la Caisse populaire. Ce prêt avait été consenti le mois précédent, soit le 15 avril 1990.

[5]            Le 28 mai 1990, une fiducie est établie pour chacun des deux enfants du couple Fredette-Dufresne, Pierre-Olivier et Vincent âgés de 6 ans et de 4 ans. Il s'agit de la Fiducie Pierre-Olivier et de la Fiducie Vincent (fiducies des enfants). En vertu des actes de donation fiduciaire, madame Dufresne est la fiduciaire.

[6]            Le 1er juin 1990, on forme deux sociétés en nom collectif. La première, la Société Ardouin enr. (SA), compte tout d'abord deux associés, monsieur Fredette et madame Dufresne, qui détiennent respectivement dix « participations de catégorie A » et dix « participations de catégorie B » . L'exercice de SA se termine le 28 février. La seconde société, la Société Dufresne-Fredette enr. (SDF) compte au début trois associés, soit monsieur Fredette et les fiducies des enfants, qui détiennent chacune dix participations dans SDF. L'exercice de celle-ci se termine le 31 janvier.

[7]            Ces deux sociétés déposent le 7 juin 1990 leur déclaration de société en nom collectif. On y décrit de la façon suivante les objectifs généraux pour lesquels elles ont été formées :

                2.              [. . .]

1o              Créer un fonds de pension à même les investissements effectués dans le domaine immobilier;

2o              D'une façon générale, maîtriser l'art de faire de l'argent dans l'immobilier, notamment:

a)              Initier des investisseurs au monde de l'immobilier, en y favorisant, entre autres, la présence de fiducies pour enfants mineurs;

b)             Apprendre à vivre un cycle économique avec un placement immobilier (3 à 5 ans);

c)              Apprendre comment se gère un immeuble à partir des conseils d'un professionnel gestionnaire immobilier;

d)             Apprendre les moyens de détenir un immeuble en associant les services de fiscalistes;

e)              S'assurer que le portefeuille immobilier soit suffisamment varié afin de ne pas être pénalisé par des placements trop peu diversifiés : Centres d'achat, condos, résidences pour personnes âgées, complexes hôteliers, etc.

[8]            Dans la déclaration de SA, on ajoute les objectifs précis suivants :

                [. . .]

5o              Acquérir et détenir des placements immobiliers.

6o              Conserver et accroître la valeur des placements immobiliers par l'amélioration, la rénovation, la réparation et l'entretien des immeubles acquis.

7o              Louer, gérer et administrer lesdits immeubles.

8o              Exercer toutes les activités ou affaires connexes ou apparentées aux activités ci-dessus mentionnées.

[9]            Dans celle de SDF, on ajoute les objectifs précis suivants :

                [. . .]

3o              Rechercher, concevoir, élaborer des projets d'investissement et de placement immobilier.

4o              Promouvoir la mise en oeuvre et la réalisation de projets d'investissement immobilier.

5o              Diriger et mener des études d'implantation des projets immobiliers.

6o              Poursuivre des consultations auprès de divers intervenants, experts et professionnels dans les secteurs de l'immobilier, du courtage immobilier, du conseil financier et fiscal, de l'évaluation pour déterminer et/ou établir la faisabilité desdits projets.

7o              Investir et effectuer des placements dans le secteur immobilier.

[10]          Selon le contrat de société, madame Dufresne est la seule associée à pouvoir gérer les affaires de SA[1]. Comme gestionnaire, madame Dufresne a droit à 1 % du revenu net de cette société. Ce revenu net ne comprend pas les gains en capital. Le solde du revenu doit être réparti entre les associés en proportion du nombre de participations qu'ils détiennent, sans égard à la catégorie de celles-ci. Quant aux gains en capital, ils doivent être répartis de la façon suivante : les détenteurs de participations de catégorie A ont droit à 50 % de ces gains et les détenteurs de participations de catégorie B ont droit à l'autre 50 %.

[11]          Selon le contrat de société, c'est monsieur Fredette qui gère les affaires de SDF. Les bénéfices ou les pertes nets de la société, incluant les gains et les pertes en capital, doivent être répartis entre les associés au prorata de leurs participations.

[12]          Par acte notarié du 14 juin 1990, monsieur Fredette et madame Dufresne souscrivent des participations additionnelles de catégorie A de SA, soit 217 800 et 2 200 participations respectivement. Comme paiement, chacun transfère sa participation respective (monsieur Fredette, 99 %, et madame Dufresne, 1 %) dans le triplex. Même si, pour respecter les conditions des prêts hypothécaires consentis par la Caisse populaire, SA s'engage à assumer personnellement la responsabilité à leur égard, monsieur Fredette et madame Dufresne conviennent qu'ils demeurent eux-mêmes responsables du remboursement de ces prêts et du paiement des intérêts (article 2.4 de l'acte notarié du 14 juin 1990).

[13]          Le même jour, soit le 14 juin 1990, madame Dufresne cède à SDF ses 2 200 participations de catégorie A dans SA en échange de 2 200 participations dans SDF et monsieur Fredette cède à SDF toutes ses 217 810 participations de catégorie A qu'il possède dans SA en échange de 217 810 participations dans SDF. Ainsi, après ces transferts, les associés de SDF sont monsieur Fredette, qui détient 217 810 participations[2], madame Dufresne avec ses 2 200 participations et les fiducies des enfants avec dix participations chacune. SA ne compte plus que deux associés, soit SDF, qui détient 220 010 participations de catégorie A, et madame Dufresne, qui détient un intérêt de gestionnaire lui donnant droit à 1 % des profits nets (à l'exclusion des gains en capital) et 10 participations de catégorie B.

[14]          L'acte opérant le transfert du triplex à SA par le couple Fredette-Dufresne n'est pas inscrit au Bureau de la publicité des droits (Bureau de la publicité). Lors de son témoignage, monsieur Naud a confirmé avoir recommandé d'attendre pour ce faire afin de différer le paiement du droit de mutation dû à la ville de Beauport en vertu de la Loi concernant les droits sur les mutations immobilières (Loi sur les droits)[3]. L'intention est, semble-t-il, d'inscrire le transfert au moment de la revente éventuelle du triplex par SA. Ceci explique pourquoi la facture de taxes foncières est adressée à monsieur Fredette et non à SA.

[15]          Même si le transfert du triplex n'est pas inscrit au Bureau de la publicité, madame Dufresne divulgue à des tiers que SA est la propriétaire du triplex. Ainsi, elle informe la Caisse populaire du transfert de l'immeuble locatif en faveur de SA. D'ailleurs, on peut constater dans l'acte de refinancement de prêt du 28 juin 1993 que SA est intervenue pour reconnaître avoir pris connaissance du prêt et pour y donner son accord à toutes fins que de droit. Lorsque madame Dufresne fait affaire avec des fournisseurs, notamment les assureurs, elle le fait au nom de SA. Elle a produit à l'appui de son témoignage une proposition d'assurance-habitation pour la période de juillet 1992 à juillet 1993 dans laquelle on décrit l'assuré comme étant « La Société Ardouin Enr. (Engelbert Fredette et Odette Dufresne) » . Finalement, les baux visant les appartements du triplex sont faits au nom de SA.

[16]          Selon monsieur Naud, la détention du triplex par l'intermédiaire d'une société de personnes a plusieurs avantages par rapport à la détention en indivision. La société permet de créer plus facilement des intérêts économiques et juridiques différents. Ici, par exemple, on a créé deux catégories de participations, l'une pour le partage des bénéfices (ou pertes) de location, et l'autre, pour la répartition du gain en capital. Toujours selon monsieur Naud, il est plus facile de gérer le problème de la division forcée lorsque l'on est en situation de société plutôt qu'en indivision. De plus, la société permet le transfert d'une part dans un immeuble sans qu'il y ait assujettissement à un droit de mutation. Toutefois, la Loi sur les droits ne prévoit pas d'exception lorsqu'on transfère un immeuble à une société de personnes, même si l'on détient 99 % des participations dans cette société. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'on a attendu pour enregistrer l'acte de transfert au Bureau de la publicité.

[17]          Monsieur Naud a aussi confirmé avoir informé madame Dufresne que l'appartement du 631 détenu par SA ne pouvait être considéré comme une « résidence principale » aux fins de l'article 54 de la Loi et que le gain en capital réalisé lors de sa disposition pouvait être assujetti à l'impôt. Un autre désavantage tient au fait que les frais de financement viennent augmenter le compte de pertes nettes cumulatives sur placements, ce qui a comme résultat de retarder l'utilisation de l'exonération des gains en capital de 100 000 $ à laquelle monsieur Fredette pourrait avoir droit.

[18]          Le 31 juillet 1990, monsieur Fredette transfère 10 800 participations dans SDF à Promotion immobilière D. F. Inc. (Promotion). Lors de son témoignage, monsieur Fredette ne savait pas qui était l'actionnaire de cette société. Le formulaire de transfert n'indique pas la contrepartie qu'aurait reçue monsieur Fredette pour ces participations. De plus, il est à noter que, selon ses déclarations de revenu postérieures au transfert, monsieur Fredette continue à s'attribuer non seulement la part du revenu ou de la perte de SDF qui revient à Promotion mais aussi celle attribuable aux fiducies des enfants au titre de leurs participations dans SDF, et, pour les années 1992 et 1993, la part du revenu de SA qui revient à madame Dufresne (soit la part lui revenant en sa qualité de gestionnaire)[4].

[19]          Madame Dufresne a décrit ainsi les trois appartements du triplex. L'appartement du 631 est situé au rez-de-chaussée et a une superficie de 1 584 pieds carrés. On y trouve trois chambres à coucher, un salon, une salle à manger, une salle de bain et une cuisine. L'occupant de cet appartement a aussi accès à un sous-sol qui n'est pas fini. L'appartement du 633 jouxte le 631 et est semblable au 631 : par exemple, on y retrouve un sous-sol qui n'est pas fini. Même si on n'y retrouve que deux chambres à coucher, sa superficie est de 1 760 pieds carrés. L'appartement du 635 est situé au-dessus du 633. Il a une superficie de 880 pieds carrés. On y retrouve aussi deux chambres à coucher, un salon, une salle à manger et une salle de bain. La locataire de cet appartement n'a pas accès à un sous-sol; en revanche, elle a accès à un cabanon situé dans la cour arrière. Tous les frais de chauffage, d'électricité et d'eau chaude sont à la charge des locataires.

[20]          Madame Dufresne occupe le 631 comme locataire, avec son mari, depuis au moins le 1er juillet 1990, soit deux semaines après l'acquisition du triplex par SA. C'est elle qui a signé le bail, tant comme locatrice au nom de SA que comme locataire. Les deux autres appartements sont loués à des personnes avec lesquelles le couple Fredette-Dufresne n'a aucun lien de parenté. Le tableau qui suit indique les loyers mensuels versés à l'égard des trois appartements :

Loyers du triplex

Loyers

90-91

91-92

92-93

93-94

631

650 $

675 $

685 $

690 $

633

N/D

600 $

600 $

600 $

635

525 $

545 $

510 $

520 $

[21]          Il est possible de dégager les données financières suivantes que j'ai calculées, à moins d'indication contraire, à partir des chiffres apparaissant aux annexes préparées par le ministre (annexes du ministre) pour la détermination des attributs fiscaux. Ces calculs ont été établis sur la base de l'année civile.

PERTES : LE 631

91

92

93

TOTAL

Loyer[5]

        7 950

            8 160

        8 250

-dép. locatives

       (2 875)

           (2 617)

       (2 618)

-intérêts

       (8 666)

           (8 372)

       (7 027)

pertes avant DPA

       (3 591)

           (2 829)

           (1 395)

(7 815)

-DPA[6]

       (1 063)

           (2 051)

       (1 973)

pertes après DPA

       (4 654)

           (4 880)

       (3 368)

(12 902)

PERTES : LES 633 - 635

91

92

93

TOTAL

loyer net avant intérêts

     8 264

     8 765

   8 397

-dép. intérêts

   (14 755)

   (14 255)

(11 964)

pertes avant DPA

    (6 491)

    (5 490)

   (3 567)

(15 548)

PERTES : TRIPLEX (AVANT DPA)

91

92

93

TOTAL

Pertes : les 633-635

    (6 491)

    (5 490)

(3 567)

Pertes : le 631

      (3 591)

       (2 829)

    (1 395)

TOTAL

   (10 082)

    (8 319)

(4 962)

(23 363)

[22]          Madame Dufresne a indiqué qu'elle et son mari envisageaient d'acheter une autre maison pour leur usage personnel et que SA aurait alors loué le 631 à un autre locataire. Toutefois, en mai 2000, madame Dufresne et monsieur Fredette habitaient toujours l'appartement du 631.

[23]          Madame Simard (vérificatrice), coordonnatrice de la section de l'évitement fiscal du district de Québec, a témoigné pour fournir des explications sur les cotisations du ministre. Dans l'établissement de ces cotisations, elle a tenu pour acquis que toutes les opérations effectuées par le couple Fredette-Dufresne constituaient des opérations valides mais elle a précisé qu'il fallait ne pas tenir compte de certaines pour les fins de la Loi. Elle a aussi reconnu qu'une société comme SA qui détenait un triplex avait le droit d'adopter un exercice différent de l'année civile pour les fins du calcul de son revenu au cours de la période pertinente.

[24]          Lors de son témoignage, la vérificatrice a indiqué les opérations (opérations planifiées) qui constituaient selon elle des opérations d'évitement pour les fins de l'article 245 de la Loi. Il y avait d'abord la formation de deux sociétés ayant adopté des fins d'exercice différentes; il y avait aussi le transfert du triplex à SA sans transfert des prêts s'y rapportant, le bail entre SA et madame Dufresne et le transfert des participations dans SA à SDF par le couple Fredette-Dufresne. Selon la vérificatrice, monsieur Fredette a effectué cette série d'opérations pour obtenir les avantages fiscaux refusés.

[25]          Selon la vérificatrice, les opérations planifiées n'ont pas été effectuées principalement pour des objets véritables autres que l'obtention d'avantages fiscaux. Les objectifs décrits dans les déclarations de société et poursuivis par le couple Fredette-Dufresne auraient pu être atteints sans l'utilisation des sociétés. Elle considère de plus que l'objectif consistant à augmenter le patrimoine des enfants par l'intermédiaire de fiducies est pratiquement illusoire car les fiducies des enfants détiennent chacune seulement 0,005 % des participations dans SDF. Il faut aussi rappeler que 50 % de la plus-value du triplex lors de sa revente par SA devait revenir à madame Dufresne, ce qui signifie que la part de chacune des fiducies dans la plus-value du triplex ne représente que 0,0025 %.

[26]          Toujours selon la vérificatrice, les opérations en question entraînent un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble. Selon les alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi[7], il n'est pas possible de déduire des frais de subsistance dans le calcul du revenu d'un contribuable. La vérificatrice a considéré comme des frais de subsistance les frais relatifs à l’appartement du 631, soit 37 % des dépenses locatives faites par SA et 37 % des frais d'intérêts déduits par monsieur Fredette (dépenses relatives au 631). Ce pourcentage a été déterminé en fonction des loyers versés pour chacun des appartements. Selon les calculs de la vérificatrice, ces frais de subsistance représentent une somme de 4 700 $ pour 1991, de 6 200 $ pour 1992 et de 4 400 $ pour 1993. Ces sommes comprennent la DPA.

[27]          En reportant de deux ans l'imposition des revenus du triplex, on fait aussi une entorse à la règle générale voulant que les revenus doivent être imposés annuellement. Finalement, on a contrevenu au paragraphe 1100(11) du Règlement, qui empêche de réclamer la DPA lorsque cela crée ou augmente une perte locative.

[28]          Pour refuser les avantages fiscaux en cause, la vérificatrice a déterminé les attributs fiscaux de la façon suivante. Elle a essentiellement, pour les fins fiscales, fait abstraction de l'existence de SA et de SDF. Elle a considéré monsieur Fredette comme le seul propriétaire du triplex et a calculé sur la base de l'année civile tous les revenus locatifs provenant du 633 et du 635 excluant ainsi ceux du 631[8]. Elle a aussi exclu les dépenses relatives au 631. Finalement, elle a confirmé que les revenus de loyer gagnés en 1994 n'étaient pas visés par les nouvelles cotisations du ministre puisqu'ils ne se rapportaient pas à la période pertinente.

Position de monsieur Fredette

[29]          L'avocat de monsieur Fredette rappelle tout d'abord que la vérificatrice a établi sa cotisation en tenant pour acquis que toutes les opérations ayant été effectuées par monsieur Fredette et son épouse l'avaient été validement. Il n'est pas question ici d'opérations inefficaces ou sans effets juridiques. Au contraire, toutes ces opérations respectent les dispositions de la loi, c'est-à-dire celles du Code civil du Bas-Canada qui était en vigueur durant la période pertinente. Selon l'avocat, aucune des opérations planifiées effectuées par monsieur Fredette n'entraîne un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble. Le paragraphe 96(1)[9] de la Loi indique qu'on doit calculer le revenu d'une société comme si elle était une personne distincte et que son année d'imposition correspondait à son exercice financier. Les paragraphes 248(1) (définition d' « exercice financier[10] » ) et 249(2)[11] de la Loi, pris ensemble avec le paragraphe 96(1), permettent ainsi à un contribuable de choisir pour une société un exercice qui se termine après la fin de l'année civile. Il peut le faire la première fois sans en demander la permission au ministre. L'avocat rappelle aussi qu'un contribuable a le droit d'arranger ses affaires de façon à payer le moins d'impôt possible. Selon lui, on n'a pas besoin d'avoir recours au paragraphe 245(2) de la Loi pour refuser des dépenses de nature personnelle. Le ministre aurait pu s'y prendre autrement.

[30]          Si le couple Fredette-Dufresne a acquis personnellement le triplex et a dû contracter personnellement les emprunts pour financer cette acquisition, c'est en raison des difficultés matrimoniales qu'éprouvaient les vendeurs. Le fait que le couple Fredette-Dufresne a transféré à SA cet immeuble tout en conservant la responsabilité relativement aux emprunts ne constitue pas un abus de la Loi. Au contraire, l'avocat soutient que c'est le ministre qui agit de façon abusive en appliquant le paragraphe 245(2) aux faits de cette cause. Il cite notamment les propos de mon collègue le juge Bowman dans la décision Jabs Construction Ltd. c. La Reine, [1999] A.C.I. no 374 (99 DTC 729). Le juge Bowman y affirme au paragraphe 48 que l'article 245 « ne doit pas être utilisé de façon routinière chaque fois que le ministre est mécontent du simple fait qu'un contribuable structure une opération d'une manière fiscalement efficace ou ne structure pas une opération d'une manière qui optimalise l'impôt. »

Position de l'intimée

[31]          L'avocate de l'intimée soutient que les opérations planifiées constituent toutes des opérations d'évitement. Elles n’ont pas été effectuées principalement pour des objets véritables (autres que l'obtention d'avantages fiscaux). Selon elle, le fait que SA loue l'appartement du 631 à madame Dufresne, qui l'habite avec monsieur Fredette, constitue une opération d'évitement visant à permettre la déduction de frais de subsistance, ce qui va à l'encontre des alinéas 18(1)a) et 18(1)h) de la Loi. Le fait que SA n'a pas assumé les obligations découlant des emprunts et de la dette prise en charge lors de l'acquisition du triplex rend l'opération fort inusitée dans le monde commercial. De façon générale, lorsqu'on vend un immeuble, on demande à l'acheteur de prendre en charge toutes les hypothèques grevant cet immeuble.

[32]          Selon l'avocate, le fait que SA s'est vue soustraite à l'obligation d'acquitter les frais d'intérêts constitue un abus des règles énoncées aux articles 4 et 96 et à l'alinéa 20(1)a) de la Loi. Ce dernier alinéa prévoit qu'un contribuable peut se prévaloir d'une DPA selon les règles établies au Règlement. Selon le paragraphe 1100(11) du Règlement, un contribuable ne peut réclamer une DPA supérieure au montant des revenus locatifs nets (y compris ceux reçus par l'intermédiaire d'une société) avant la DPA. Lorsqu'on lit la Loi dans son ensemble, il faut tenir compte des règles contenues dans le Règlement adopté en vertu de la Loi. Ces règles sont incorporées dans la Loi en vertu de l'alinéa 20(1)a). En agissant comme l'a fait monsieur Fredette, il a permis à SA de gagner un revenu locatif gonflé artificiellement. Ce revenu aurait été réduit à néant si SA avait eu à déduire les frais d'intérêts que monsieur Fredette a engagés personnellement. Il paraît donc évident que le transfert du triplex à SA a été effectué principalement pour obtenir des avantages fiscaux.

[33]          Quant à l'utilisation des deux sociétés, l'avocate de l'intimée a mis en doute les avantages décrits par monsieur Naud. Selon elle, il est presque aussi facile de mettre fin à une société que de demander le partage d'un bien détenu en indivision. Elle a notamment cité les articles 1895 et 1896 du Code civil du Bas-Canada.

[34]          De plus, elle a constaté que la planification successorale au bénéfice des enfants ne paraît pas constituer un motif sérieux compte tenu non seulement de la faible participation des fiducies des enfants dans SDF, mais aussi du fait que c'est monsieur Fredette qui inclut dans sa déclaration de revenu tous les revenus appartenant aux fiducies des enfants. L'existence de SDF dépend davantage de la poursuite d'avantages fiscaux que de la poursuite d'autres objets véritables, comme l'augmentation du patrimoine des enfants.

[35]          Un autre abus qu'a décrit l'avocate est le fait qu'on a déduit les intérêts sur la base de l'année civile alors que la déclaration des revenus de loyer a été reportée de deux ans grâce à l'utilisation des deux sociétés ayant chacune un exercice différent, celui de la deuxième se terminant avant celui de la première.

[36]          Selon l'avocate, les attributs fiscaux déterminés par le ministre sont raisonnables. Par exemple, le ministre a accordé 63 % des frais d'intérêts et 63 % des dépenses locatives comme dépenses admissibles. Elle a reconnu par contre que le ministre a tenu pour acquis qu'il y avait un espoir raisonnable de tirer un profit de la location des appartements du 633 et du 635.

[37]          De façon subsidiaire, l'avocate de l'intimée a soutenu qu'il n'y a eu aucun transfert véritable du triplex à SA parce que l'acte de transfert n'a pas été enregistré au Bureau de la publicité. Elle s'est fondée en partie sur la décision rendue dans l'affaire Bellerose c. Canada, [1999] A.C.I. no 354. Aux paragraphes 18 et 19, le juge Tardif de cette Cour écrit :

[18]          Certains faits apportent un éclairage hautement pertinent et surtout significatif quant à la qualité et réalité des véritables opérations. En effet, le contrat transférant le seul immeuble constituant l'actif de la société n'a pas été enregistré. Bien que cela ait été décrit comme étant secondaire et sans importance par l'appelant, étant donné que le seul consentement suffit pour donner effet à un transfert de propriété, le Tribunal ne partage pas cette appréciation, d'autant plus que l'immeuble était grevé d'une hypothèque; d'autre part, il ne pouvait y avoir aucun transfert sans l'intervention ou tout au moins sans le consentement du créancier hypothécaire.

[19]          Il ne s'agit pas là d'une simple formalité sans conséquence, il s'agit là d'un élément fondamental puisque seul l'enregistrement permet aux tiers de connaître la réalité du transfert. L'enregistrement permet la transparence, la cohérence mais aussi la vraisemblance de la transaction. L'enregistrement permet en outre d'assurer la stabilité et la protection des tiers. Prétendre que l'enregistrement d'une transaction immobilière est une simple formalité sans importance est une aberration, et particulièrement, si le propriétaire de l'immeuble s'est formellement engagé par sa signature à aviser le créancier hypothécaire.

[38]          Par conséquent, SA n'est jamais devenue propriétaire du triplex et c'est le couple Fredette-Dufresne qui continue à le détenir. Il n'est donc pas possible de déduire comme frais de location les frais relatifs à l'appartement du 631 puisqu'il s'agit de frais de subsistance. La DPA devrait donc être réclamée par monsieur Fredette personnellement et son montant ne pouvait dépasser le revenu locatif net après déduction des intérêts supportés par monsieur Fredette. Finalement, les revenus locatifs devraient être déclarés sur la base de l'année civile puisqu'ils constituent du revenu tiré d'un bien et non d'une entreprise. Les services fournis par SA sont ceux normalement fournis par un locateur. Selon la définition d' « exercice financier » que l'on retrouve au paragraphe 248(1) de la Loi, la notion d'exercice ne s'applique que pour le calcul d'un revenu tiré d'une entreprise.

Analyse

Application de la RGAÉ du paragraphe 245(2) de la Loi

[39]          Dans un premier temps, il est utile de revoir les dispositions législatives pertinentes. Il y a d'abord les paragraphes 245(1) (2)et (3) qui édictent :

245. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et au paragraphe 152(1.11).

                « attribut fiscal » S'agissant des attributs fiscaux d'une personne, revenu, revenu imposable ou revenu imposable gagné au Canada de cette personne, impôt ou autre montant payable par cette personne, ou montant qui lui est remboursable, en application de la présente loi, ainsi que tout montant à prendre en compte pour calculer, en application de la présente loi, le revenu, le revenu imposable, le revenu imposable gagné au Canada de cette personne ou l'impôt ou l'autre montant payable par cette personne ou le montant qui lui est remboursable.

« avantage fiscal » Réduction, évitement ou report d'impôt ou d'un autre montant payable en application de la présente loi ou augmentation d'un remboursement d'impôt ou d'un autre montant visé par la présente loi.

« opération » Une convention, un mécanisme ou un événement sont assimilés à une opération.

(2)            Disposition générale anti-évitement. En cas d'opération d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de sorte à supprimer un avantage fiscal qui, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, de cette opération ou d'une série d'opérations dont cette opération fait partie.

                                                                                                                                               

(3)            Opération d'évitement. L'opération d'évitement s'entend :

a)             soit de l'opération dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable;

b)             soit de l'opération qui fait partie d'une série d'opérations dont, sans le présent article, découlerait, directement ou indirectement, un avantage fiscal, sauf s'il est raisonnable de considérer que l'opération est principalement effectuée pour des objets véritables — l'obtention de l'avantage fiscal n'étant pas considérée comme un objet véritable.

                                                                                                [Je souligne.]

[40]          Comme on peut le constater, pour que la RGAÉ s'applique, il faut qu'aucune autre disposition de la Loi ne prohibe l'avantage fiscal demandé par le contribuable et refusé par le ministre. J'ai souligné dans le texte législatif les passages pertinents qui appuient cette interprétation. De plus, si les opérations ont été principalement effectuées pour des objets véritables (autres que l'obtention d'un avantage fiscal), ces opérations ne constituent pas des opérations d'évitement. Finalement, même si les opérations constituent des opérations d'évitement, il faut déterminer si elles entraînent directement ou indirectement un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble; c'est ce qui ressort du paragraphe 245(4) qui édicte :

(4)            Champ d'application précisé. Il est entendu que l'opération dont il est raisonnable de considérer qu'elle n'entraîne pas, directement ou indirectement, d'abus dans l'application des dispositions de la présente loi lue dans son ensemble — abstraction faite du présent article — n'est pas visée par le paragraphe (2).

[41]          Si les opérations constituent une série d'opérations d'évitement entraînant un abus dans l'application des dispositions de la Loi, les attributs fiscaux doivent être déterminés de façon raisonnable dans les circonstances de façon à supprimer l'avantage fiscal abusif. À mon avis, pour que les attributs fiscaux soient raisonnables, on doit les déterminer en essayant autant que possible de ne pas modifier les opérations mises en place par le contribuable.

[42]          Reprenons chacune des conditions d'application de la RGAÉ en les appliquant aux faits de ces appels. Tel qu'il est mentionné plus haut, le paragraphe 245(2) de la Loi constitue une disposition d'application de dernier recours. Il suppose que le contribuable a effectué des opérations valides qui respectent en plus chacune des dispositions de la Loi sauf l'article 245.

[43]          Avant d'appliquer cet article aux faits de ces appels, il est donc nécessaire de voir si d’autres dispositions de la Loi font obstacle à l'obtention des avantages fiscaux qu'a recherchés monsieur Fredette.

Argument subsidiaire

[44]          Quoique le ministre ait tenu pour acquis, lors de la cotisation, que toutes les opérations planifiées étaient valides, l'avocate de l'intimée a soutenu le contraire dans sa plaidoirie. Elle a fait valoir en effet que le transfert du triplex n'était pas opposable au ministre parce qu'il n'avait pas été enregistré au Bureau de la publicité. Même s'il ne s'agit là que d'un argument subsidiaire, il est plus approprié de régler cette question en premier lieu. Si l'avocate de l'intimée a raison, il ne sera pas nécessaire d'avoir recours à la RGAÉ.

[45]          À l'appui de son argument selon lequel SA n'était jamais devenue la véritable propriétaire du triplex, l'avocate de l'intimée a cité la décision rendue dans l'affaire Bellerose (précitée) et a souligné le défaut d'inscription au Bureau de la publicité. Mignault, dans Le droit civil canadien, tome 9e, Montréal, Wilson et Lafleur, 1916, commente l'article 2098 du Code civil du Bas-Canada qui exigait que tout acte entre vifs transférant la propriété d'un immeuble soit enregistré par transcription ou par inscription. Cet article édictait que « à défaut de tel enregistrement le titre d'acquisition ne peut être opposé au tiers qui a acquis le même immeuble du même vendeur, pour valeur, et dont le titre est enregistré » . À la lecture de ce texte, il est clair que le tiers visé par cette règle est le tiers qui aurait pu acquérir l'immeuble du même vendeur. On ne vise pas du tout les autorités fiscales qui n'acquièrent pas cet immeuble. Selon une jurisprudence bien établie, les incidences fiscales d'une opération doivent être déterminées en fonction des opérations véritables qui ont eu lieu. Ici, l'avocate de l'intimée reconnaît volontiers qu'il y a eu un transfert véritable effectué par le couple en faveur de SA. Cette conclusion est d'ailleurs conforme à ce que Mignault affirme à la page 211 :

Cet enregistrement, il est vrai, n'est pas nécessaire pour la validité du titre, sauf dans le cas des donations, mais il est indispensable si on veut opposer ce titre à des tiers.

[46]          À mon avis, l'argument subsidiaire de l'intimée est manifestement mal fondé[12]. Le ministre n'est pas un tiers au sens de l'article 2098 C.C.B.-C. Il n'a pas acquis le triplex. Le défaut d'enregistrement ne modifie pas le fait juridique que c'est SA qui est la véritable propriétaire du triplex. Le régime fiscal de la Loi à appliquer ici est celui régissant une société de personnes qui détient un immeuble locatif et non pas celui régissant un particulier qui détient un pareil immeuble en indivision.

[47]          C'est au niveau de la société SA qu'il faut calculer le revenu de celle-ci et cela doit se faire en fonction de l'exercice choisi par elle et en conformité avec les dispositions de la Loi, y compris celles relatives à la DPA. La vérificatrice a reconnu qu'une société de personnes détenant un immeuble locatif comme celui détenu par SA pouvait calculer son revenu selon un exercice qui pouvait se terminer après la fin d'une année civile. Comme personne n’a mis en doute lors de l’audience le bien-fondé de cette interprétation, il serait inapproprié dans les circonstances d'adopter une conclusion différente[13]. Voilà qui règle la question soulevée par l'argument subsidiaire.

Déduction de frais de subsistance

[48]          Traitons maintenant de la question des dépenses relatives au 631. À mon avis, il n'est pas nécessaire d'avoir recours au paragraphe 245(2) de la Loi pour contrer l'avantage fiscal procuré par la déduction de ces dépenses.

[49]          D'une part, on pourrait considérer qu'il serait approprié que monsieur Fredette, pratiquement l'unique propriétaire de SA et de SDF, puisse bénéficier fiscalement de toutes les pertes subies à l'égard du triplex puisque l'intimée reconnaît qu'il y avait un espoir raisonnable de tirer un profit de sa location[14] et que l'appartement du 631 a été loué pour un loyer qui semble raisonnable, surtout si on le compare à celui reçu pour les deux autres appartements. En effet, ce loyer est plus élevé que celui exigé du locataire du 633, une personne avec qui SA et le couple Fredette-Dufresne n'ont pas de lien de dépendance. Madame Dufresne a payé 0,41 $ le pied carré, alors que le locataire du 633, qui avait aussi accès à un sous-sol non fini, payait 0,34 $ le pied carré[15].

[50]          D'autre part, si l'on tient compte des frais d'intérêt[16] et que l'on calcule le revenu (ou la perte) sur la base de l'année civile, il faut constater que le triplex est loué à perte chaque année, et ceci même avant d'avoir pris la DPA. Il en est de même si ces calculs sont limités à l'appartement du 631. Il faut alors s'interroger si madame Dufresne aurait loué cet appartement de SA si cette location avait généré un bénéfice pour son mari. Il me semble tout à fait improbable que monsieur Fredette et son épouse aient agi ainsi. Quel avantage aurait eu madame Dufresne à verser un loyer sur lequel son mari aurait eu à payer de l'impôt? En effet, pourquoi, en plus de payer tous les frais relatifs à une résidence personnelle, aurait-on versé une somme supplémentaire (correspondant à la marge bénéficiaire) dont une partie importante (environ 50 %) aurait dû être remise en impôt aux autorités fiscales? Cela reviendrait à verser un impôt volontaire que très peu de personnes, comme on peut l'imaginer, seraient enclines à faire. Ceci est encore plus vrai si l'on pense que cet appartement ne pouvait bénéficier, selon monsieur Naud, du régime fiscal avantageux applicable à une résidence principale.

[51]          À mon avis, si madame Dufresne a loué le 631 de SA, c'est qu'elle savait fort bien que monsieur Fredette ne réaliserait aucun bénéfice de cette location mais subirait plutôt une perte locative importante si l'on tient compte des frais d'intérêts et de la DPA. De toute évidence, on peut facilement imaginer que le couple Fredette-Dufresne n'aurait pas permis que le loyer versé pour le 631 dépasse toutes les dépenses afférentes à cet appartement. Soit que le couple eût fait en sorte que les dépenses relatives au 631 augmentent de façon à au moins égaler le loyer, soit, comme l'ont d'ailleurs évoqué madame Dufresne et monsieur Fredette lors de leur témoignage, qu'il eût déménagé ailleurs et que SA eût loué le 631 à d'autres locataires. On peut facilement concevoir que le couple aurait pu acquérir par l'intermédiaire de SA ou d'une autre société un autre triplex dont il aurait pu occuper l'un des appartements et que cette nouvelle acquisition aurait nécessité de nouveaux emprunts, ce qui, bien évidemment, aurait entraîné de nouvelles pertes locatives. Selon toute apparence, SA louait un appartement à profit mais, quand on y regarde de plus près, tout n'est qu'illusion. Il est raisonnable de croire que l'intention véritable de SA était non pas de louer le 631 dans le but de gagner un revenu mais plutôt de fournir la jouissance d’un appartement aux associés de SA et SDF.

[52]          Il est clair que, si le couple Fredette-Dufresne avait fait un apport à SA d’une maison unifamiliale plutôt que d'un triplex dans des circonstances analogues, cet apport n'aurait pas rendu les intérêts versés sur les prêts de monsieur Fredette plus déductibles en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi dans le calcul de son revenu. Même après un tel transfert, on aurait conclu que l’argent n’avait pas été emprunté dans le but de tirer un revenu de la maison. Je crois que cette analyse est tout aussi valable lorsqu'il s'agit de la cession à une société d'un triplex dont une partie a été acquise dans le but de gagner un revenu et l'autre partie l'a été dans un autre but. Il m'apparaît raisonnable de conclure que, même après le transfert du triplex à SA, l’argent avait été emprunté en partie pour gagner un revenu et en partie pour un autre but.

[53]          Dans de telles circonstances, on ne peut considérer les dépenses relatives au 631 comme ayant été engagées dans le but de gagner un revenu. Par conséquent, SA et monsieur Fredette ne peuvent pas déduire ces dépenses, et ce en raison de la prohibition énoncée à l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Il n'est donc pas nécessaire d'appliquer le paragraphe 245(2) de la Loi pour refuser l'avantage fiscal indu réclamé par monsieur Fredette.

[54]          Quant aux autres avantages fiscaux que le ministre refuse d'accorder à monsieur Fredette, soit le report de deux ans de l'imposition des revenus locatifs et la DPA, je crois que le ministre ne peut s'appuyer sur aucune disposition de la Loi, à l'exception du paragraphe 245(2), pour les refuser. Aucun argument n'a été avancé selon lequel SA ou SDF n'avaient pas d'existence juridique. Au contraire, on a tenu pour acquis qu'elles existaient toutes les deux.

[55]          Tout d'abord, les alinéas 96(1)a) et b) de la Loi édictent qu'une société de personnes doit calculer son revenu comme si elle était une personne distincte et que son année d'imposition correspondait à son exercice financier. Comme à la définition d' « exercice financier » , au paragraphe 248(1), et au paragraphe 249(2), on reconnaît qu'un exercice peut se terminer après la fin de l'année civile et puisque, durant la période pertinente, il n'existait aucune disposition limitant cette possibilité — autre que celle exigeant que l'on demande l'autorisation au ministre si l'on veut modifier la fin de l'exercice —, force est de constater que SA s'est conformée aux dispositions de la Loi. Cette analyse est valable aussi pour le choix de la fin d'exercice de SDF.

[56]          Quant à la déduction des intérêts qui a été faite par monsieur Fredette relativement aux prêts pour financer l'acquisition du triplex, elle l'a été en conformité avec l'alinéa 20(1)c) de la Loi, qui édicte que l'on peut déduire l'intérêt « payé [. . .] au cours de l'année ou payable pour l'année » [17].

[57]          Concernant la DPA à cet égard aussi, SA s'est conformée aux dispositions de la Loi, soit à l'alinéa 20(1)a) et, par ricochet, au paragraphe 1100(11) du Règlement, qui édicte :

(11)          Biens locatifs — Nonobstant le paragraphe (1), en aucun cas le total des déductions, dont chacune est une déduction à l'égard de biens d'une catégorie prescrite possédés par un contribuable, qui comprend les biens locatifs possédés par lui, que le contribuable peut déduire par ailleurs en vertu du paragraphe (1) en calculant son revenu pour une année d'imposition, ne doit excéder la fraction, si fraction il y a,

a)             du total des sommes dont chacune représente

(i)             son revenu pour l'année tiré de la location, à bail ou non, d'un bien locatif possédé par lui, calculé en faisant abstraction de l'alinéa (1)a) [sic] de la Loi, ou

(ii)            le revenu d'une société pour l'année tiré de la location, à bail ou non, d'un bien locatif de la société, dans la mesure de la participation du contribuable à un tel revenu,

                qui est en sus

b)             du total des sommes dont chacune représente

(i)             sa perte pour l'année de la location, à bail ou non, d'un bien locatif possédé par lui, calculé en faisant abstraction de l'alinéa 20(1)a) de la Loi, ou

(ii)            la perte subie par une société pour l'année de la location, à bail ou non, d'un bien locatif de la société, dans la mesure de la participation du contribuable à une telle perte.

[58]          Le montant de DPA réclamé par SA respecte ces limites. Il faut donc déterminer si le paragraphe 245(2) de la Loi peut s'appliquer ici.

Avantage fiscal et opération d'évitement

[59]          La première question à trancher est celle de savoir si chacun des avantages fiscaux refusés pertinents constitue un « avantage fiscal » au sens du paragraphe 245(1) de la Loi. Il est manifeste que ces avantages ont consisté soit dans une réduction soit dans un report d'impôt, dont monsieur Fredette a bénéficié. Il n'est donc pas nécessaire de s'attarder sur cette question.

[60]          Ensuite, il faut déterminer si les opérations planifiées pertinentes étaient des opérations d'évitement. De façon générale, faire l'acquisition d'un triplex comme placement dans le but d'augmenter son patrimoine et celui des membres de sa famille et emprunter pour financer un tel placement m'apparaissent comme des opérations effectuées pour des objets véritables autres que l'obtention d'un avantage fiscal. De plus, que l'on détienne ce triplex directement, en indivision, ou que l'on détienne par l'intermédiaire d'une société de personnes ou d'une société par actions, cela n'a rien de troublant. Il s'agit là de modes usuels de détention d'immeubles.

[61]          Par contre, lorsqu'il a décidé, selon une planification fiscale bien établie, de transférer le triplex à SA sans céder les prêts qui s'y rapportaient, d'interposer entre eux et le triplex deux sociétés de personnes ayant chacune un exercice financier se terminant après le 31 décembre et de choisir pour SDF un exercice qui se termine avant celui de SA, le couple Fredette-Dufresne l'a fait principalement pour obtenir des avantages fiscaux, soit le report de l'imposition des revenus locatifs (tout en déduisant sur la base de l'année civile les intérêts) et l'augmentation de la DPA. J'en viens donc à la conclusion que ces opérations planifiées constituent des opérations d'évitement.

[62]          Il est manifeste que l'existence des deux sociétés dépend davantage de la poursuite d'avantages fiscaux que de la poursuite d'autres objets véritables. Tout d'abord, les deux sociétés ont été formées le même jour. Après le transfert du triplex et la réorganisation des sociétés de personnes, les associés de SDF détenaient (par l'intermédiaire de SDF) 100 % des participations de catégorie A dans SA, ce qui leur donnait droit pratiquement à 99 % des bénéfices de SA et à 50 % des plus-values de SA. Il aurait été plus simple de n'avoir qu'une seule société (disons SDF) et de donner à madame Dufresne pour son travail de gestion 1 % des bénéfices de SDF et 50 % de la plus-value. Cela aurait probablement facilité la déclaration par les bonnes personnes, et dans les bonnes années, des revenus respectifs des associés. En d'autres mots, il n'existe pas vraiment de motif à l'existence distincte de SA et SDF, sauf la possibilité de reporter le revenu locatif de deux ans.

Abus de la Loi

[63]          Reste à déterminer si les opérations en cause entraînent un abus dans l'application des dispositions de la Loi lue dans son ensemble. J'analyserai séparément l'avantage fiscal consistant dans le report du revenu et celui procuré par la DPA.

Report de l'imposition du revenu locatif de deux années et déduction des intérêts sur la base de l'année civile

[64]          L'interposition entre le triplex et ses propriétaires de deux sociétés de personnes ayant chacune une fin d'exercice différente, l'exercice de SDF se terminant avant celui de SA, a permis à monsieur Fredette de reporter de deux ans l'imposition de sa part des revenus locatifs. Le fait que SA détenait le triplex et que son exercice se terminait le 28 février permettait à monsieur Fredette de différer d'un an l'imposition de ses revenus locatifs. Par exemple, les revenus locatifs pour les mois de juillet 1991 (soit la date du début des opérations de SA) à décembre 1991 sont imposables en 1992 plutôt qu'en 1991. Le fait d’avoir interposé SDF entre SA et monsieur Fredette a permis de reporter d’une autre année, soit jusqu'en 1993, l'imposition des revenus locatifs de 1991 qui étaient imposables en 1992 (grâce à l’exercice de SA). Ce qui explique ce résultat est que la fin d’exercice de SA qui arrivait le 28 février 1992 tombait dans l’exercice de SDF qui se terminait le 31 janvier 1993.

[65]          Le fait que les intérêts sont déduits sur la base de l'année civile par monsieur Fredette n'est pas en soi un avantage fiscal indu. Cette démarche est conforme à la politique administrative du ministre et correspond en outre à la démarche que le ministre a adoptée dans le calcul des revenus locatifs de SA. En, réalité, cette déduction des intérêts ne fait qu'exacerber l'abus fiscal que le ministre voit dans le report de deux années du revenu locatif du triplex. C’est là que se trouve le véritable problème.

[66]          Durant la période pertinente, comme on l’a vu, la Loi autorisait que le revenu soit reporté d’un an. Si le législateur croyait qu'il y avait lieu de changer sa politique fiscale relativement à cet avantage fiscal, il lui était loisible de le faire. Et il l'a fait en 1995 pour les exercices débutant après 1994[18]. Par conséquent, on ne peut conclure que le report d’un an entraînait un abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble au cours de la période pertinente.

[67]          Toutefois, interposer une deuxième, une troisième ou une quatrième société pour différer de deux, trois ou quatre ans l'imposition du revenu est une tout autre affaire. Il n'est pas nécessaire de chercher bien loin pour trouver à quelles dispositions de la Loi lue dans son ensemble on contrevient ainsi. Le paragraphe 2(1) de la Loi édicte qu'un impôt doit être payé sur le revenu imposable « pour chaque année d'imposition » . Le paragraphe 2(2) de la Loi prévoit que le revenu imposable pour une année d'imposition comprend le revenu pour cette année. Entre dans le calcul du revenu pour une année d'imposition le revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien pour cette année. À l'article 12 de la Loi, on retrouve un ensemble de règles qui visent à ajouter an revenu pour une année d'imposition notamment les sommes à recevoir pour la fourniture de services au cours de l'année, même si ces sommes « ne sont dues qu'au cours d'une année postérieure » (alinéa 12(1)b)), et les sommes d'intérêts « reçues ou à recevoir [...] au cours de l'année » (alinéa 12(1)c)). Une déclaration de revenu doit être produite chaque année et l'impôt payé (150(1)).

[68]          Peu de personnes, je crois, trouveraient raisonnable de différer ainsi de quatre années l'imposition d'un revenu. Il faut fixer une limite quelque part. À mon avis, il faut la fixer ici à une année : différer l'imposition de plus d'une année de façon aussi factice, grâce à une série d'opérations d'évitement, entraîne un abus dans l’application de la Loi. Même si on ne contrevient pas à la lettre de l'alinéa 96(1)b) et des paragraphes 248(1) et 249(2), on contrevient à leur esprit. L'intention du législateur, en adoptant ces dispositions, n'était pas de permettre de reporter indéfiniment l’imposition du revenu d’un contribuable.

La DPA

[69]          Comme on a fait en sorte que les frais d'intérêts soient assumés par monsieur Fredette personnellement et non pas par SA, il devenait possible de réclamer la DPA au niveau de SA puisque la location par cette dernière des appartements du 633 et du 635 dégageait des bénéfices. Cela n'est pas surprenant puisqu'une des dépenses majeures dans la location d'un immeuble est souvent la dépense d'intérêts. Est-ce que le fait que monsieur Fredette et madame Dufresne ont continué à assumer personnellement les obligations découlant des prêts hypothécaires et que cela a permis à SA de se prévaloir d'une DPA plus élevée a procuré à monsieur Fredette un avantage fiscal abusif visé par l'article 245 de la Loi?

[70]          À mon avis, rien dans la Loi n'empêche l'utilisation d'une société — qu'elle soit une société par actions ou une société de personnes — pour détenir un immeuble locatif, et rien n'oblige un contribuable à obtenir le financement d'un tel immeuble par l'intermédiaire d'une société plutôt que de l'obtenir directement de l'associé ou des associés eux-mêmes. Au contraire, la possibilité d'utiliser une société est même reconnue expressément au sous-alinéa 1100(11)a)(ii) du Règlement[19]. De plus, l'alinéa 20(1)c) prévoit expressément qu'un contribuable a le droit de déduire dans le calcul de son revenu les intérêts versés dans le but de tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise. Cet alinéa permet aussi de déduire l'intérêt sur une somme payable pour un bien acquis pour être utilisé dans une entreprise. Ainsi, si un contribuable achète des actions d'une société ou détient un bien locatif personnellement (seul ou en indivision) ou par l’intermédiaire d’une société de personnes, il peut déduire les intérêts sur les prêts consentis pour financer l'acquisition de ces biens.

[71]          De plus, c'est l'alinéa 96(1)a) qui exige que le revenu de SA soit calculé comme si elle était une personne distincte, ce qui signifie que c'est à son niveau que doit s'effectuer la DPA prévue par l'alinéa 20(1)a) de la Loi et au niveau de monsieur Fredette qu'il faut déduire les intérêts en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi. Il faut ajouter que cette règle est en vigueur depuis 1972 et représente un changement majeur par rapport à la situation existant avant 1972. En effet, avant 1972, la DPA se prenait au niveau des associés. Ce n’est donc pas par oubli ou par inadvertance qu'a été créé ce régime fiscal applicable aux sociétés de personnes qui existait durant la période pertinente.

[72]          La principale disposition à laquelle se réfère l'intimée pour soutenir qu'il y a eu abus dans l'application de la Loi lue dans son ensemble est le paragraphe 1100(11) du Règlement. Or, il est clair en droit administratif qu'une loi (act en anglais) et un règlement, quoique tous les deux des textes législatifs, sont de nature très différente. Une loi est un texte législatif adopté par le Parlement fédéral ou une assemblée législative provinciale alors qu'un règlement est un texte législatif adopté le plus souvent par un gouvernement (l'exécutif) sous l'autorité d'une loi. À mon avis, comme le paragraphe 245(4) de la Loi ne dit pas « la Loi et le Règlement lus dans leur ensemble » , il ne faut pas tenir compte des règles adoptées par le gouvernement dans le Règlement. Si le législateur avait voulu qu'il en soit tenu compte, il l'aurait exprimé clairement au paragraphe 245(4) de la Loi, comme il l'a fait dans plusieurs autres dispositions de la Loi[20].

[73]          De toute façon, même s'il fallait tenir compte du paragraphe 1100(11) du Règlement pour déterminer s'il y a abus dans l'application de la « loi lue dans son ensemble » , j'en viendrais quand même à la conclusion que les opérations planifiées pertinentes qui ont permis à SA de réaliser des bénéfices plus élevés et de se prévaloir d'une DPA supérieure à celle qu’elle aurait pu déduire si elle avait été la débitrice des prêts ne constituent pas des opérations d'évitement entraînant un abus dans l'application de la Loi.

[74]          On peut constater en lisant ensemble le paragraphe 1100(11) du Règlement et l'alinéa 96(1)a) de la Loi qu'une société ne peut réclamer une DPA dépassant son revenu net de location. Or, ici, le montant réclamé par SA ne dépasse pas le montant du revenu net locatif (avant DPA) de cette société. Donc, strictement parlant, cette règle est respectée.

[75]          Le ministre prétend qu'il faudrait déduire dans le calcul du revenu locatif de SA une dépense qu'elle n'a pas engagée, soit les frais d'intérêts engagés par monsieur Fredette. D'une part, monsieur Fredette avait le choix de financer l'acquisition du triplex en empruntant lui-même et en faisant un apport de ce triplex à SA ou en faisant en sorte que SA effectue elle-même l'emprunt nécessaire. En soi, financer ainsi son apport à SA n'entraîne pas un abus dans l'application de la Loi. Il est tout à fait courant qu'un actionnaire emprunte pour souscrire ses actions et pour financer ainsi les opérations de sa société par actions, tout comme il est courant qu'une telle société emprunte elle-même pour financer ses propres activités. Je ne vois pas de raison de traiter différemment un associé qui décide de financer les activités de sa société de personnes en empruntant pour faire son apport à cette société[21] au lieu de demander à celle-ci d’obtenir son propre financement. Je ne vois pas non plus de raison de traiter différemment un associé qui emprunte pour faire un apport à sa société et un autre qui emprunte pour acheter un bien qu'il transfère par la suite à la société tout en demeurant débiteur du prêt. D'autre part, obliger SA à tenir compte, dans le calcul de son revenu, d'une dépense qu'elle n'a pas engagée contreviendrait à l'article 96 de la Loi, qui exige que le revenu de cette société soit calculé comme si elle était une personne distincte.

[76]          Lorsqu'il a adopté l'article 245 de la Loi, le législateur visait à contrer la mise en place de stratagèmes qui créent un avantage fiscal indu pour les contribuables. Par contre, il ne visait pas à permettre au ministre de forcer les contribuables à structurer leurs opérations de la façon la plus onéreuse possible au point de vue fiscal. Dans ses notes explicatives relatives au nouveau paragraphe 245 accompagnant le projet de loi modifiant la Loi, le ministre des Finances reconnaissait qu'un contribuable a le droit d'arranger ses affaires de façon à verser le moins d'impôt possible. L'article 245 constitue un outil puissant pour décourager et empêcher des abus flagrants dans l'application de la Loi. Il ne peut servir au ministre d'outil pour forcer les contribuables à structurer leurs opérations de la façon la plus favorable aux autorités fiscales.

Nouveaux attributs fiscaux

[77]          En résumé, l'avantage fiscal obtenu de façon indue par monsieur Fredette au cours de la période pertinente se limite au report de deux ans de l'imposition du revenu locatif. Pour éliminer cet avantage fiscal, le revenu de SDF doit être calculé en tenant pour acquis que son exercice financier se terminait à la même date que celui de SA. De cette façon, l'imposition du revenu locatif provenant du triplex ne peut être différée de plus d'une année. Par exemple, les revenus de location gagnés par SA au cours des mois de juillet à décembre 1991 sont imposables en 1992 et non en 1993.

[78]          Pour tous ces motifs, les cotisations pour les années d'imposition 1991, 1992 et 1993 sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant pour acquis que, au cours de la période pertinente : 1) l'exercice financier de SDF se terminait le 28 février, 2) dans le calcul du revenu de SA i) le loyer de l'appartement du 631 doit être exclu, ii) ses dépenses locatives se limitent à 63 % des dépenses locatives totales (soit le pourcentage admis par le ministre), iii) aucune déduction n'est faite des intérêts payés par monsieur Fredette et madame Dufresne, et iv) SA avait droit à la DPA calculée en conformité avec le paragraphe 1100(11) du Règlement, et 3) monsieur Fredette ne pouvait déduire que 63 % des intérêts se rapportant aux prêts obtenus pour financer l'achat du triplex. Monsieur Fredette et l'intimée n'ont droit à aucuns dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 23e jour de mars 2001.

« Pierre Archambault »

J.C.C.I.



[1] C'est elle qui s'occupe de faire signer les baux, de déposer les chèques de loyer, de vérifier les opérations bancaires, de communiquer avec les fournisseurs et notamment avec les assureurs.

[2] Il faut noter qu'on semble avoir oublié d'émettre dix participations supplémentaires en faveur de monsieur Fredette le 14 juin 1990.

[3] L.R.Q., c. D-15.1. Selon l'article 6 de cette loi, ce droit n'est dû qu'à compter de la date de l'inscription du transfert.

[4] Il faut ajouter que la part du revenu de SA qui revenait à madame Dufresne, que monsieur Fredette a ajoutée à son revenu en 1992, représente du revenu pour l'exercice 1991. On a donc, en quelque sorte, reporté de deux ans ce revenu comme s'il avait été gagné par l'intermédiaire de SDF, ce qui n'est pas le cas!

[5] Selon les loyers du tableau précédent.

[6] Le montant de DPA représente 37% de la DPA calculée selon les données des annexes du ministre.

[7] Ces deux alinéas édictent :

18: Exceptions d'ordre général.

(1)         Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles:

18(1)a) Idem — un débours ou une dépense, sauf dans la mesure où ce débours ou cette dépense a été fait ou engagé par le contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien;

18(1)h) Frais personnels et frais de subsistance — le montant des frais personnels ou des frais de subsistance du contribuable — à l'exception des frais de déplacement engagés par celui-ci dans le cadre de l'exploitation de son entreprise alors qu'il était absent de chez lui — ;

[8] La vérificatrice a confirmé avoir refusé les dépenses relatives au 631 parce qu'elle avait conclu qu'il fallait faire abstraction de l'existence des sociétés et, logiquement, selon cette position, il devenait impossible de se payer à soi-même du loyer. Toutefois, il faut noter que le bail n'a pas été conclu entre monsieur Fredette et SA, mais l'a plutôt été entre madame Dufresne et SA.

[9] Le paragraphe 96(1) se lit comme suit en 1993 (il a été modifié au cours de la période pertinente, mais cela est sans conséquence pour les fins du débat ici) :

            Article 96 : Règles générales.

(1) Lorsqu'un contribuable est membre d'une société, son revenu, le montant de sa perte autre qu'une perte en capital, de sa perte en capital nette, de sa perte agricole restreinte et de sa perte agricole, s'il y en a, pour une année d'imposition, ou son revenu imposable gagné au Canada pour une année d'imposition, selon le cas, est calculé comme si

a) la société était une personne distincte résidant au Canada;

b) l'année d'imposition de la société correspondait à son exercice financier;

c) chaque activité de la société (y compris une activité relative à la propriété de biens) était exercée par celle-ci en tant que personne distincte, et comme si était établi le montant

(i) de chaque gain en capital imposable et de chaque perte en capital déductible de la société, découlant de la disposition de biens, et

(ii) de chaque revenu et perte de la société afférents à chacune des autres sources ou à des sources situées dans un endroit donné,

pour chaque année d'imposition de la société;

d) chaque revenu ou perte de la société pour une année d'imposition était calculé compte non tenu de l'alinéa 20(1)v.1) ni des paragraphes 66.1(1), 66.2(1) et 66.4(1) et comme si aucune déduction n'était permise par l'article 29 des Règles de 1971 concernant l'application de l'impôt sur le revenu ni par le paragraphe 65(1) ou les articles 66, 66.1, 66.2 ou 66.4;

[. . .]

f) le montant du revenu de la société, pour une année d'imposition, tiré d'une source quelconque ou de sources situées dans un endroit donné, constituait le revenu du contribuable tiré de cette source ou de sources situées dans cet endroit donné, selon le cas, pour l'année d'imposition du contribuable au cours de laquelle l'année d'imposition de la société se termine, jusqu'à concurrence de la part du contribuable, et

g) la perte du contribuable — à concurrence de la part dont il est tenu — résultant d'une source ou de sources situées dans un endroit donné, pour l'année d'imposition du contribuable dans laquelle l'année d'imposition de la société se termine, équivalait à l'excédent éventuel :

(i) de la perte de la société, pour une année d'imposition, résultant de cette source ou de ces sources,

sur

(ii) [. . .]

(iii) dans les autres cas, zéro.

[10] Cette définition est la suivante :

Article 248 : Définitions

                        (1) Dans la présente loi,

« exercice financier » — « exercice financier » signifie la période pour laquelle les comptes de l'entreprise du contribuable ont été ordinairement arrêtés et agréés aux fins de l'établissement de la cotisation en vertu de la présente loi, et, en l'absence d'une coutume établie, l'exercice financier est celui que le contribuable adopte (toutefois, un exercice financier ne peut pas dépasser,

a) dans le cas d'une corporation, 53 semaines, et

b) dans le cas de tout autre contribuable, 12 mois, et il ne peut être apporté, aux fins de la présente loi, aucun changement à l'exercice financier habituel et agréé, sans l'assentiment du ministre).

[11] Le paragraphe 249(2) se lit comme suit :

249(2) Année d'imposition et exercice financier.

Pour l'application de la présente loi,

a) la mention d'une année d'imposition se terminant dans une autre année comprend une année d'imposition dont la fin coïncide avec celle de cette autre année; et

b) la mention d'un exercice financier d'une société se terminant dans une année d'imposition comprend un exercice financier de la société dont la fin coïncide avec celle de cette année.

[12] Dans l'affaire Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (84 DTC 6305), on a avancé un argument similaire d'opération incomplète, mais sans succès. Voir notamment la discussion à la page 6309.

[13] Tel qu'on l'a vu plus haut, selon la définition en vigueur durant la période pertinente, « exercice financier » signifie la période pour laquelle les comptes de « l'entreprise » ont été ordinairement arrêtés. Il n'est pas question d'exercice « d'une entreprise ou d'un bien » comme cela est le cas au nouvel article 249.1 de la Loi (en vigueur pour les exercices commençant après 1994). Il semble raisonnable de croire que la vérificatrice a tenu pour acquis qu'une société de personnes qui détient un immeuble comme le triplex exploite une entreprise même si les services fournis par SA sont ceux normalement fournis par un simple locateur.

Cette interprétation de la vérificatrice pourrait s'appuyer sur certaines notions de droit de la common law et du droit civil (à l'égard de sociétés commerciales comme la société en nom collectif), selon lesquelles l'exploitation d'une entreprise (au sens large, à savoir toute activité exercée lucrativement) constituait durant la période pertinente une des conditions de l'existence d'une société. (Voir notamment A Practical Guide to Canadian Partnership Law, A.R. Manzer, Canada Law Book Inc., Aurora, par. 2.250 et Me Jean Marier et André Michaud, c.a., Société en commandite, véhicule pour détenir des immeubles à revenu, Cours de perfectionnement du notariat, 1976, paragraphes 13 à 29.) Le fait qu'une société (en common law) ou une société commerciale (en droit civil) doit exploiter une entreprise (ou un négoce) pour exister pourrait expliquer pourquoi certains croient qu'une telle société exploite une entreprise (au sens plus étroit de la Loi, qui distingue entre les notions d'entreprise et de bien) et a donc le droit de choisir un exercice financier se terminant après la fin d'une année civile. Cette interprétation serait analogue à celle adoptée par certains qui soutiennent qu'il existe une présomption que les activités d’une société par actions constituent l'exploitation d'une entreprise.

Toutefois, il est loin d'être certain qu'une société de personnes puisse être toujours considérée comme exploitant une entreprise dans le sens plus étroit de la Loi. Par exemple, le loyer tiré d'un triplex constitue généralement un revenu tiré d'un bien et non d'une entreprise. À moins d'adopter une présomption comme celle déjà mentionnée, il n'y a pas de raison logique de croire qu'une telle activité constituerait une source d'un revenu tiré d'un bien pour un particulier et une source d'un revenu d'entreprise pour une société de personnes ou pour une société par actions. La nature du revenu gagné par une personne ne devrait pas dépendre du statut de cette personne. C'est l'approche qu'ont adoptée mes collègues les juges Bowman et Lamarre dans les affaires Goldstein v. The Queen 96 DTC 1029 et Marchand v. R., [1998] 3 C.T.C. 2340 et je partage leur point de vue. La question se pose donc de savoir si une société qui n'exploite pas d'entreprise mais qui tire un revenu d'un bien peut avoir un exercice financier et si cet exercice peut être différent de l'année civile. Notamment, comment devrait-on appliquer l'alinéa 96(1)b) de la Loi, qui édicte que l'année d'imposition d'une société correspond à son exercice financier?

En plus de l’interprétation présumée de la vérificatrice, on pourrait considérer celle-ci : la nouvelle définition d' « exercice » que l'on retrouve dorénavant à l'article 249.1 de la Loi n'a pour but que de préciser l'application de la Loi et ne modifie pas l'état du droit quant à cette question. À mon avis, ni l'une ni l'autre de ces interprétations ne paraît entièrement satisfaisante.

Heureusement, cette difficulté est disparue avec l'adoption du nouvel article 249.1 de la Loi pour les exercices ayant commencé après 1994. De plus, il est dorénavant plus clair, en vertu des dispositions du Code civil du Québec entré en vigueur en 1994 que l'exploitation d'une entreprise n'est pas une condition de l'existence d'une société en nom collectif. (Voir l'article 2186 et suivants, Code civil du Québec). Par contre, la difficulté demeure entière pour les exercices commençant avant 1994. Comme tout ce débat n'a pas eu lieu devant moi, il serait inopportun de trancher la question et j'adopte pour les fins de cet appel la même interprétation que celle de la vérificatrice.

[14] Notons aussi que le ministre n'a pas refusé les pertes locatives résultant de la location du 633 et du 635.

[15] Par contre, il est plutôt surprenant que la locataire du 635 ait payé un loyer de 0,61 $ le pied carré, soit près du double de celui exigé du locataire du 633. On peut se demander si ces calculs de loyer au pied carré sont bons.

[16] Si on se limitait à calculer au niveau de SA le revenu net généré par l’appartement du 631, on constaterait que cet appartement génère un bénéfice. Toutefois, je crois essentiel que l’on tienne compte des frais d'intérêts engagés par M. Fredette pour déterminer si la location de cet appartement génère véritablement un bénéfice. Sans cela, nous aurions une représentation incomplète de la réalité économique véritable. En effet, une dépense importante et essentielle à la location du triplex se trouve à ne pas être supportée par la société. Tenir compte des intérêts m’apparaît tout à fait approprié, non seulement parce que cette approche est dictée par le gros bon sens mais aussi, avec égards pour ceux qui adoptent l’opinion contraire, parce qu’elle est conforme aux dispositions de la Loi qui régisse le calcul du revenu qu'un contribuable a tiré d’une entreprise ou d’un bien par l’intermédiaire d’une société de personnes.

Il faut rappeler qu’une société de personnes n’est considérée comme une entité possédant sa propre personnalité juridique, ni en common law ni en droit civil. (En ce qui concerne la situation en droit civil, voir la décision de la Cour d’appel du Québec dans Ville de Québec c. La Cie d'immeubles Allard Ltée, [1996] R.J.Q. 1566). Il m’apparaît évident que c’est ce que le législateur a tenu pour acquis lorsqu’il a adopté le paragraphe 96(1) de la Loi, qui édicte qu’il faut calculer le revenu de la société de personnes comme si elle « était une personne distincte » et que chaque activité de la société (y compris une activité relative à la propriété de biens) était exercée par celle-ci « en tant que personne distincte » . Ce paragraphe dispose aussi que le montant du revenu de la société de personnes tiré d'une source quelconque constitue le revenu de l’associé tiré de cette source jusqu'à concurrence de sa part. Les auteurs Hogg, Magee et Cook, dans Principles of Canadian Income Tax Law, Third Edition (tiré de TaxPartner de Carswell) résume bien ce régime fiscal des associés d’une société de personnes à la rubrique — « 20.3 Taxation of partnership » :

The Income Tax Act recognizes the lack of legal personality of a partnership, and does not treat the partnership as a taxpayer [...]

Partnership income is calculated for tax purposes in a two-step process. The first step is to calculate the income of the partnership “as if the partnership were a separate personresident in Canada” (s. 96(1)(a)). For this step, the partnership is required to recognize all income and take all deductions that would be applicable to a separate person resident in Canada. The second step is to apportion the partnership's income among the individual partners in accordance with their shares in the firm (s. 96(1)(f)). Each individual partner is then obliged to report his or her share of the partnership income as part of his or her income for the year.

The income of each individual partner retains the source-characterization that it had when it was derived by the partnership. Accordingly, the appropriate share of income that was business income in the partnership is treated as business income in the hands of the partner; property income remains property income; and taxable capital gains remain taxable capital gains. This means that the individual partner is subject to the rules applicable to each source of income. For example, a partner's share of partnership dividends from taxable Canadian corporations is grossed up and eligible for the dividend tax credit in the partner's hands. As another example, although the partnership's business income will be a net figure from which all deductions that were applicable at the partnership level have been taken, the individual partner may have further deductions if he or she incurred expenses personally to earn the partnership income (for example, by using a personal automobile in the business or by attending a business conference). As another example, if an individual partner incurred an allowable capital loss in his or her private investments, the loss will be deductible against his or her share of any taxable capital gains derived by the partnership.

                                                            [Je souligne et notes infrapaginales omises.]

Parmi les dépenses engagées par l’associé, je crois qu’il faut tenir compte non seulement de dépenses comme les frais pour l'utilisation d’une automobile mais aussi des intérêts sur l’argent emprunté pour financer l’apport de l’associé à la société. Comme la société n’a pas de personnalité juridique distincte, financer un apport à la société équivaut à financer les activités de la société. Il est vrai que la Loi édicte que l’on doit calculer le revenu comme si la société était une personne distincte et qu’elle crée aussi un bien décrit comme une « participation dans une société de personnes » (voir notamment les articles 53, 98 et 100). On pourrait alors soutenir que le paiement des intérêts sur l’argent emprunté pour financer un apport à une société équivaut à financer une acquisition d’une « participation dans une société de personnes » et que ces intérêts sont déductibles dans le calcul du revenu tiré d’une telle participation, tout comme ce serait le cas s'il s'agissait d’actions d’une société par actions.

À mon avis, cette approche est mal fondée. Lorsqu’une société par actions – qui a une personnalité juridique distincte de celle de ses actionnaires — distribue ses bénéfices à ses actionnaires, ces bénéfices perdent leurs attributs de bénéfices de la société pour devenir des dividendes entre les mains des actionnaires. Les actionnaires ne reçoivent pas des revenus tirés d’une entreprise mais bien des dividendes, à savoir un revenu tiré de biens (les actions). Contrairement à la situation des actionnaires, les associés reçoivent, non seulement en réalité (selon les principes du droit commercial) mais aussi pour les fins fiscales (selon la règle de l’alinéa 96(1)f) qui défait en quelque sorte la fiction créée par les alinéas 96(1)a)et c)), un revenu tiré d’une entreprise exploitée par la société ou d'un bien détenu par cette société. En d’autres mots, la source du revenu de l’associé est la même que celle de la société. De plus, on ne retrouve ailleurs dans la Loi aucune disposition créant une fiction selon laquelle les revenus d’un associé sont tirés d’une « participation dans une société de personnes » . Il faut donc conclure que l’associé tire son revenu des activités de la société elle-même et non d’un bien (la participation dans la société de personnes), et que les frais d'intérêts engagés par cet associé pour financer son apport l’ont été pour obtenir ce revenu d’entreprise (ou revenu tiré d'un bien détenu par la société). Les intérêts devraient donc, en vertu de l’alinéa 20(1)c) de la Loi, être déduits de la part des revenus de la société revenant à l’associé, tout comme les autres dépenses engagées par l'associé à titre personnel sont déduites en vertu de l’article 9 ou d’autres dispositions particulières de la Loi, et cela se fait tout en adoptant le même exercice que celui de la société.

Il faut noter que cette interprétation est contraire à celle adoptée par le ministre dans son bulletin d’interprétation IT-318R au para. 15. (C’est d’ailleurs en suivant, selon toute vraisemblance, cette interprétation du ministre que M. Fredette a déduit sur la base de l’année civile ses intérêts. Si le ministre avait adopté l’approche que je retiens, les intérêts auraient été calculés selon le même exercice que celui de SDF et il n’y aurait pas eu le manque de rapprochement dont le ministre se plaint.) J'ai aussi considéré la décision de mon collègue le juge Bowman dans Allen c. Canada, [1999] A.C.I. no 499, (99 DTC 968). Après avoir rédigé ces motifs, j'ai pris connaissance de la décision de la Cour d'appel fédérale (La Reine c. Milewski, [2000] A.C.F. no 1651 (2000 DTC 6559)) qui confirme cette décision. Je note que dans cette affaire, il n'était aucunement question d'un avantage personnel obtenu par les contribuables et que le juge Bowman croyait qu'il était « évident » (paragraphe 21 de la décision) que la société exploitait une entreprise avec une attente raisonnable de profit.

[17] Cette déduction est conforme aussi à la politique administrative du ministre : voir le bulletin d’interprétation IT-138R au para. 15.

[18] Comme on l’a vu plus haut, pour les exercices débutant après 1994, la Loi a été modifiée par l'ajout, notamment, de l'article 249.1 de la Loi. Il y a aussi l'ajout de l'article 34.1 de la Loi. Il s'agit d'une réforme importante du régime fiscal relatif au calcul du revenu tiré d'une entreprise, plus particulièrement en ce qui a trait à l'exercice que les particuliers peuvent adopter. Sous ce nouveau régime, SA et SDF auraient été tenues d'adopter comme exercice l'année civile et monsieur Fredette n'aurait pu bénéficier d'aucun report de revenu.

[19] Voici le texte pertinent :

(11)       Biens locatifs — Nonobstant le paragraphe (1), en aucun cas le total des déductions, dont chacune est une déduction à l'égard de biens d'une catégorie prescrite possédés par un contribuable, qui comprend les biens locatifs possédés par lui, que le contribuable peut déduire par ailleurs en vertu du paragraphe (1) en calculant son revenu pour une année d'imposition, ne doit excéder la fraction, si fraction il y a,

a)          du total des sommes dont chacune représente

(i)          son revenu pour l'année tiré de la location, à bail ou non, d'un bien locatif possédé par lui, calculé en faisant abstraction de l'alinéa (1)a) de la Loi, ou

(ii)                 le revenu d'une société pour l'année tiré de la location, à bail ou non, d'un bien locatif de la société, dans la mesure de la participation du contribuable à un tel revenu, [...]

[Je souligne.]

[20] Pour une analyse plus approfondie, se référer à la décision que j'ai rendue en même temps que celle-ci dans l'affaire Rousseau-Houle c. La Reine 98-1946(IT)G.

[21] Un tel scénario est même décrit de façon expresse au paragraphe 18(2.1) de la Loi.

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