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Date: 20010507

Dossier: 90-159-IT

ENTRE :

REDHEAD EQUIPMENT LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus à Regina (Saskatchewan), le 20 avril 2001. Seul Gary Redhead, propriétaire et président de l'appelante (" Redhead "), a témoigné. Pendant toutes les périodes pertinentes, Redhead était le distributeur pour la Saskatchewan de Champion Road Machinery Limited.

[2]            En 1986, Champion Road Machinery Limited (" Champion ") a introduit la garantie prolongée Uptime 5/5 (5 ans ou 5 000 heures) applicable au groupe propulseur. On en trouve un résumé dans les " recommandations et suggestions [...] " que Champion a fait parvenir à l'appelante (pièce A-2). Les paragraphes 5 et 6 de la pièce A-2 sont libellés comme suit :

[TRADUCTION]

5.              La garantie est expliquée en détail dans le formulaire CW002. Champion garantit le groupe propulseur d'une nouvelle niveleuse livrée à une autorité gouvernementale ou municipale pendant cinq ans ou 5 000 heures, la première de ces éventualités étant retenue, comme il est précisé au paragraphe 3. Cummins garantit le groupe moteur, et les détails de cette garantie sont exposés dans les formulaires compris dans la trousse. Le client a payé 5 000 $ pour obtenir cette protection, soit 1 $ pour chaque heure d'utilisation.

6.              Vous effectuerez des vérifications aux fins de la garantie UPTIME 5/5 tous les six mois. Nous vous recommandons de vous familiariser avec le formulaire avant de procéder à votre première inspection. Vous jugerez probablement utile d'effectuer une inspection fictive d'une niveleuse usagée se trouvant dans votre cour.

La question en litige est celle de savoir si l'appelant peut demander la déduction d'une provision au titre du programme d'inspection.

[3]            M. Redhead a précisé que, lorsque la garantie a été introduite, l'appelante a révisé sa formule d'établissement des prix des niveleuses Champion et a défini cinq composantes du prix de vente :

1.              le prix de la niveleuse;

2.              le montant de 5 000 $ payable à Champion au titre du programme 5/5;

3.              les frais d'inspection de 5 000 $ pris en charge par Redhead;

4.              la commission du représentant de commerce;

5.              le bénéfice de Redhead.

Les niveleuses en question étaient vendues à des municipalités et faisaient habituellement l'objet d'un échange. Les ventes étaient toutes conclues à la suite de négociations plutôt que par appel d'offre. Aucune des composantes du prix n'était mentionnée aux clients parce que Redhead prévoyait que les négociations allaient aboutir quand le client allait finir par dire : " Bon, je vais acheter votre niveleuse si vous incluez le programme d'inspection ". La Cour conclut que c'est une attente logique et sensée en ce qui concerne la négociation de contrats de vente.

[4]            En conséquence, Redhead a fixé le coût estimatif de ses inspections à 5 000 $, soit le montant que Champion considérait comme le coût fixe du programme 5/5. Redhead a ensuite calculé une provision à la fin de l'année 1986, laquelle était égale aux 4/5 de 5 000 $ x 56, ce dernier chiffre étant le nombre de niveleuses Champion assorties du programme d'inspection 5/5 qu'elle avait vendues. La provision a été rejetée, d'où l'appel dont je suis saisi en l'instance.

[5]            Les parties de l'article 20 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ") sur lesquelles porte l'appel sont les suivantes :

20(l)         Déductions admises lors du calcul des revenus d'une entreprise ou d'un bien - Nonobstant les dispositions des alinéas 18(1)(a), (b) et (h), lors du calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition, peuvent être déduites celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qui peut raisonnablement être considérée comme s'y rapportant:

[...]

(m)           Provision relative à certaines marchandises et à certains services — sous réserve du paragraphe (6), lorsque des sommes visées à l'alinéa 12(1)(a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, une somme raisonnable à titre de provision dans le cas

(i)             de marchandises qui, selon ce qui est raisonnablement prévu, devront être livrées après la fin de l'année,

(ii)            de services qui, selon ce qu'il est raisonnablement prévu, devront être rendus après la fin de l'année,

(iii)                 de périodes pour lesquelles le loyer ou d'autres sommes relatives à la possession ou à l'usage d'un fonds de terre ou de biens meubles, ont été payées à l'avance, ou

(iv)           de remboursement en vertu d'arrangements ou d'ententes de la catégorie visée au sous-alinéa 12(1) (a) (ii), qui, selon ce qui est raisonnablement prévu, devront être faits après la fin de l'année sur remise ou revente au contribuable d'articles autres que des bouteilles;

[...]

20(7)        Exception - L'alinéa (1)(m) ne permet pas de faire une déduction

(a)            à titre de réserve relativement à des garanties ou indemnités, [...]

[6]            En conséquence, la question particulière à trancher est celle de savoir si la provision calculée par M. Redhead au titre des inspections était une déduction interdite par le paragraphe 20(7) parce qu'elle se rapportait à des garanties ou des indemnités. Ou, le programme d'inspection constituait-il une garantie offerte par Redhead aux termes de l'entente avec Champion et du contrat de vente avec le client? Une autre question, qui sera tranchée en premier, est celle de savoir si montant obtenu en calculant les 4/5 de 5 000 $ par niveleuse était une provision " raisonnable " aux termes de l'alinéa 20(l)m).

[7]            Le programme Uptime 5/5 s'appliquait uniquement aux municipalités situées dans un rayon de 25 à 300 milles des trois points de vente de Redhead en Saskatchewan. Redhead était tenue d'envoyer un membre qualifié de son personnel pour faire l'inspection de chaque niveleuse tous les six mois. Champion avait informé Redhead du montant qu'elle prévoyait lui verser pour chaque inspection et qui allait de 150 $ la première année à 200 $ la cinquième année. Redhead savait qu'il en coûtait davantage pour envoyer un " technicien " à bord d'un véhicule contenant l'équipement nécessaire effectuer des inspections à quelque 25 à 300 milles du point de vente. Il fallait procéder à une inspection détaillée des circuits de fluides, du bâti-moteur, du système d'admission d'air, d'échappement et de refroidissement, du système d'alimentation, du bloc d'entraînement d'essieu, du cercle porte-lame, du poste de commande et de l'articulation cylindrique, du système électrique, de " l'entretien et des rajustements ", ainsi que du système de " lame ". Il fallait également faire une vérification de l'état de marche. Chaque rapport d'inspection était signé par le propriétaire et par Redhead (pièce A-3). On ne saurait qualifier cette d'inspection de " sommaire ". Par ailleurs, c'était juste une inspection. Redhead ne s'occupait pas de l'entretien, du remplacement ou de la réparation. La pièce A-3 ne laisse aucun doute à ce sujet — l'entretien et la réparation sont la responsabilité du propriétaire. Redhead devait toutefois fournir la main-d'oeuvre qualifiée, l'équipement et le temps nécessaires pour effectuer ces inspections à des milles de ses locaux, tous les six mois.

[8]            En 1986, Redhead était en affaires depuis 18 ans. Il n'existe toutefois aucun élément de preuve permettant d'établir qu'elle avait déjà effectué ce genre d'inspection. Cependant, le coût de 10 inspections détaillées dépassait largement le montant que Champion versait à Redhead. La Cour ne juge pas déraisonnable d'ajouter un montant supplémentaire d'environ 500 $ par inspection dans de telles circonstances. La distance moyenne parcourue sur des routes accidentées en zone rurale la plupart du temps pour se rendre au lieu d'inspection et en revenir excédait les 300 milles et le coût réel du déplacement atteignait facilement 2 $ le mille, équipement et véhicule adapté compris, même en 1986. Il faut aussi ajouter le coût du technicien, de ses avantages et d'une nuit à l'hôtel à l'occasion, sans oublier les frais généraux. Il convient de préciser que deux inspections par année peuvent représenter 112 jours d'inspection en moyenne par année. Cela équivaut au coût d'une demi-année personne de travail, auquel il est nécessaire d'ajouter le coût d'utilisation d'un véhicule et de l'équipement. Des frais de 56 000 $ par année plus le montant que Champion verse annuellement à Redhead au titre des inspections semblent alors tout à fait raisonnables. En 1988, durant la phase de l'opposition, le comptable agréé de l'appelante a demandé à cette dernière de calculer le coût moyen réel de chaque inspection effectuée en 1986, après réception, semble-t-il, du paiement de Champion. Le coût s'établissait à 3 734,40 $ par niveleuse. Redhead a alors réduit la provision demandée à 3 734,40 x 56 x 4/5 = 167 301,12 $. Deux observations doivent être faites au sujet de ce chiffre :

1.              Le calcul a été effectué après 1986 et il est fondé sur les données de 1986.

2.              Champion avait prévu une augmentation des coûts au fil des années pour tenir compte du vieillissement des machines et du temps accru consacré à l'inspection, ainsi que de l'augmentation de tous les autres coûts. Cette façon de faire est tout à fait sensée. La Cour est d'avis que le montant de 5 000 $ par machine auquel Redhead est arrivé était raisonnable et que sa demande révisée pour les quatre autres années l'est tout autant.

[9]            La provision ne se rapportait pas à une garantie ou une indemnité. Aucune garantie n'était offerte et aucune perte n'était protégée. Le contrat stipulait simplement que Redhead allait procéder à une inspection.

[10]          Qui plus est, Redhead n'était pas le responsable de la garantie 5/5. Celle-ci était offerte par Champion, comme en fait foi le libellé de l'entente conclue entre Champion et Redhead. Les paragraphes 5 et 6 de cette entente (pièce A-5) sont libellés de la façon suivante :

[TRADUCTION]

5.                     Le DISTRIBUTEUR convient d'effectuer, tous les six mois, et de la manière précisée dans le RAPPORT UPTIME, des inspections de toutes les NIVELEUSES pour lesquelles la GARANTIE a été achetée (les " INSPECTIONS UPTIME ") en faisant appel à des techniciens formés et qualifiés (les " TECHNICIENS "). Les TECHNICIENS soumettent au PROPRIÉTAIRE, contre reçu, un RAPPORT UPTIME pour chaque INSPECTION UTPIME effectuée en précisant les réparations requises ou les pièces à remplacer. S'il n'est pas en mesure de présenter le RAPPORT UPTIME au fonctionnaire dont le nom est indiqué au paragraphe 18 de la GARANTIE, le DISTRIBUTEUR le lui fait parvenir par " poste certifiée ".

6.                     Le DISTRIBUTEUR convient d'effectuer, avec l'autorisation du PROPRIÉTAIRE, la totalité des réparations ou des remplacements de pièces visés par la GARANTIE (" RÉPARATIONS GARANTIES ") et précisées dans le RAPPORT UPTIME, ainsi que les autres réparations ou remplacements de pièces (" RÉPARATIONS NON GARANTIES ") autorisées par le PROPRIÉTAIRE (ensemble, le " TRAVAIL REQUIS "); le DISTRIBUTEUR doit avoir terminé le TRAVAIL REQUIS dans les quatorze (14) jours suivant l'INSPECTION UPTIME. Toutes les autres RÉPARATIONS GARANTIES doivent être effectuées par le DISTRIBUTEUR dans les sept (7) jours suivant la date à laquelle le PROPRIÉTAIRE fait une réclamation aux termes de la GARANTIE. Toutes les RÉPARATIONS GARANTIES et NON GARANTIES doivent être effectuées par des TECHNICIENS seulement.

[11]          Pour que Champion honore sa garantie, il devait y avoir inspection de la machine et présentation du " rapport Uptime " (le rapport d'inspection). Redhead, pour sa part, fournissait la main-d'oeuvre nécessaire à l'exécution de la garantie, mais ce service ne s'inscrivait pas dans le cadre du programme d'inspection. En fait, Champion et le propriétaire étaient les signataires de la " garantie prolongée du groupe propulseur offerte par Champion " (pièce A-4). Redhead n'était pas partie à cette garantie. Au paragraphe 5 de la pièce A-4, soit l'entente conclue entre Champion et le propriétaire, il est dit que les inspections constituent une condition de la garantie, non un élément de celle-ci.

[12]          La Cour conclut que Redhead a bien exigé des frais de 5 000 $ par niveleuse vendue en 1986 aux fins de l'exécution du programme d'inspection et qu'elle a inclus ce montant dans son revenu en application de l'alinéa 12(1)a) de la Loi. Les 4/5 ou plus de ce comptant de 5 000 $ représentent les services d'inspection assurés par Redhead après 1986. Redhead a confié ces inspections en sous-traitance; les municipalités qui possèdent des niveleuses les gardent toutes pendant plus de cinq ans et elles ne sont pas détruites par accident ou pour toutes sortes d'autres raisons. En conséquence, une inspection devait être effectuée tous les six mois; il ne s'agissait aucunement d'une éventualité. Pour ce motif, la fraction utilisée pour faire les calculs, soit 4/5, était justifiée.

[13]          Les inspections ne constituaient ni des garanties ni des indemnités. Elles servaient à déterminer que les niveleuses étaient entretenues et utilisées de façon convenable. Les inspecteurs expliquaient aussi au personnel de la municipalité les mesures à prendre pour bien entretenir les machines. Cela permettait à Champion de protéger ses garanties. Ces inspections étaient également utiles aux municipalités, qui obtenaient de l'information sur le genre d'entretien assuré par leur personnel; elles constituaient aussi une condition préalable de l'exécution du contrat conclu avec Champion relativement à la garantie.

[14]          Pour ces motifs, les appels sont admis, et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations selon les présents motifs.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2001.

" D. W. Beaubier "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

90-159(IT)O

ENTRE :

REDHEAD EQUIPMENT LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 20 avril 2001 à Regina (Saskatchewan), par

l'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Douglas C. Hodson

Avocate de l'intimée :                           Me Tracey Harwood-Jones

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1983, 1984, 1985 et 1986 sont admis et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations, conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de mai 2001.

" D. W. Beaubier "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur


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