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Date: 20010504

Dossier: 2000-3935-IT-I

ENTRE :

RONALD BRODERICK,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.




Pour l'appelant :                                     L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                           Me Diane Hawco

Motifsdu jugement

(Prononcés oralement à l'audience le 16 mars 2001, à St. John's (Terre-Neuve).)

Le juge Campbell

[1]            Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre de nouvelles cotisations établies à l'égard de l'appelant pour ses années d'imposition 1996, 1997 et 1998.

[2]            Bien qu'au début il ait semblé n'y avoir aucun consensus quant aux questions en litige, il a été convenu que les questions dont la Cour serait saisie étaient les suivantes :

1.              Le gîte touristique constituait-il un établissement domestique autonome au sens du paragraphe 18(12) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ")?

2.              Le ministre était-il justifié de conclure que la moitié de la résidence était utilisée pour un usage personnel et que le reste était utilisé en vue de tirer un revenu du gîte touristique?

3.              En conséquence, le paragraphe 18(12) de la Loi a-t-il été correctement appliqué en vue de restreindre les pertes déclarées par l'appelant et découlant de son gîte touristique?

[3]            Aucune preuve n'a été produite à l'égard des frais d'automobiles déclarés par l'appelant, et l'intimée a accepté que la question soit réglée en faveur de l'appelant. La Cour n'en a donc pas été saisie. Bien que l'appelant ait fait allusion à la question du paiement d'un salaire à sa fille, l'intimée s'est objectée à ce que la Cour entende cette question, puisque l'appelant n'en a pas fait mention dans ses actes de procédure. Comme l'appelant n'a que vaguement mentionné le paiement et qu'il a reconnu que ce montant de 1 000 $ avait été suggéré par Revenu Canada à titre de rajustement, je ne peux autoriser cette demande de rajustement de 2 000 $.

[4]            En outre, l'appelant a demandé que je rende une décision en ce qui concerne l'installation du plancher de bois à l'étage de la résidence et les coûts associés au revêtement. Cet élément était mentionné dans les hypothèses l) et m) de la réponse de l'intimée. L'appelant a déclaré qu'en 1998, il avait remplacé la moquette usée par les invités à l'étage du gîte et avait décidé d'installer un plancher de bois au lieu de la moquette parce que certains invités avaient des allergies. Il a déclaré le coût à titre de frais d'entretien et de réparation. Je conclus que l'installation du plancher constituait une amélioration faite à la maison et que les coûts connexes représentaient une dépense en capital plutôt que des dépenses courantes, comme elles ont été déclarées.

[5]            L'appelant a acheté un bien à Marystown, à Terre-Neuve, en 1993. Il a déclaré qu'il avait l'intention, au moment de l'achat du bien, d'effectuer un jour ou l'autre des rénovations et d'ouvrir un gîte touristique. À la fin de 1996, le bien a été financé de nouveau, et le montant supplémentaire de 15 000 $ emprunté a servi à la construction d'un appartement situé au sous-sol, dans lequel l'appelant, son épouse et leurs deux enfants résidaient. Le sous-sol se composait de trois chambres à coucher, d'une salle de bains, d'une cuisine et d'une salle de séjour. Le sous-sol possédait une entrée distincte. La partie supérieure comprenait trois étages. L'un de ces étages était séparé en deux. Cet étage supérieur comportait trois chambres à coucher qui étaient louées à des invités.

[6]            Jusqu'à la fin des rénovations, l'appelant et sa famille ont habité toute la résidence à partir de la date d'achat, en 1993, jusqu'à la fin de 1996, époque où ils ont emménagé au sous-sol.

[7]            Le gîte touristique a ouvert ses portes en novembre 1996 et est demeuré ouvert à temps plein jusqu'en septembre 1998. L'appelant a également exploité une boutique d'artisanat à l'étage supérieur. Après septembre 1998, le gîte touristique n'était exploité qu'en saison. Bien qu'il ait en réalité été disponible pour des invités à plein temps de 1996 à 1998, il n'y a eu en fait que deux invités en novembre et en décembre 1996 et dix invités de janvier à mai 1997. Au cours de la même période, de janvier à mai 1998, il n'y a eu aucun invité, le dernier invité s'étant présenté en octobre 1998. Par conséquent, en 1998, il n'y a eu des invités que pendant quatre mois et demi sur la période totale de douze mois. Pendant cette période, l'appelant a déclaré 75 p. 100 de toutes les dépenses de l'année entière à titre de dépenses d'entreprise.

[8]            L'appelant a indiqué dans son témoignage la manière dont il calculait la superficie en pieds carrés de la maison par comparaison avec celle du sous-sol, qui comporte environ 611 ou 612 pieds carrés de superficie totale. Selon l'appelant, 60 p. 100 de ses invités étaient des clients imprévus et, par conséquent, l'endroit devait être libre pour recevoir des invités en tout temps.

[9]            Selon l'appelant et son épouse, les chambres étaient préparées et devaient également être tenues propres pendant les mois au cours desquels le gîte ne recevait aucun invité. Il y avait des contradictions dans le témoignage de l'appelant quant à la fréquence d'utilisation de l'étage supérieur par la famille, où était exploité le gîte touristique. L'épouse de l'appelant a admis avoir fait à quelques occasions sa lessive personnelle avec celle des invités en utilisant les appareils de l'étage supérieur. L'appelant a reconnu que les installations pour la lessive situées à l'étage étaient utilisées à l'occasion, même si la famille possédait une lessiveuse et une sécheuse portables dans l'appartement du sous-sol. De plus, selon l'appelant, la famille utilisait la cuisine et les installations de la salle commune à l'étage supérieur lorsqu'il n'y avait pas d'invité. Le pourcentage estimé d'utilisation des installations à l'étage supérieur variait toutefois, dans son témoignage, de 5 p. 100 à 20 p. 100. L'appelant a également déclaré qu'une partie de l'utilisation de la cuisine avait lieu lorsqu'ils prenaient leur petit déjeuner et des collations avec les invités.

[10]          Des éléments de preuve contradictoires ressortent des témoignages rendus par l'appelant et le vérificateur du ministère quant à la raison pour laquelle ce dernier n'a vu que la partie du gîte touristique de la résidence, et non l'aire habitable située au sous-sol. Peu importe ce qu'il en est, j'accepte le témoignage de l'appelant selon lequel il existe un logement, au sous-sol, d'environ 612 pieds carrés.

[11]          Le ministre prétend que, pendant les années pertinentes, le gîte touristique était un établissement domestique autonome au sens du paragraphe 18(12) de la Loi, que la moitié de la résidence était utilisée en vue que soit tiré un revenu du gîte et que le reste était utilisé par l'appelant et sa famille pour leur usage personnel. Pendant cette période, l'appelant avait un autre revenu provenant de son emploi en tant que professeur et un revenu de commissions provenant de son poste à la Fondation canadienne des bourses d'études.

[12]          Le cadre législatif qui régit la présente affaire figure au paragraphe 18(12), qui est ainsi rédigé :

Travail à domicile. Malgré les autres dispositions de la présente loi, dans le calcul du revenu d'un particulier tiré d'une entreprise pour une année d'imposition :

a)             un montant n'est déductible pour la partie d'un établissement domestique autonome où le particulier réside que si cette partie d'établissement :

(i)             soit est son principal lieu d'affaires,

(ii)            soit lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise;

b)             si une partie de l'établissement domestique autonome où le particulier réside est son principal lieu d'affaires ou lui sert exclusivement à tirer un revenu d'une entreprise et à rencontrer des clients ou des patients sur une base régulière et continue dans le cadre de l'entreprise, le montant déductible pour cette partie d'établissement ne peut dépasser le revenu du particulier tiré de cette entreprise pour l'année, calculé compte non tenu de ce montant et des articles 34.1 et 34.2;

c)              tout montant qui, par le seul effet de l'alinéa b), n'est pas déductible pour une partie d'établissement domestique autonome dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année d'imposition précédente est déductible dans le calcul du revenu d'entreprise du particulier pour l'année, sous réserve des alinéas a) et b).

[13]          L'expression " établissement domestique autonome " est ainsi définie au paragraphe 248(1) de la Loi :

" établissement domestique autonome " Habitation, appartement ou autre logement de ce genre dans lequel, en règle générale, une personne prend ses repas et couche.

[14]          Le juge Bowie, de cette cour, a examiné le paragraphe 18(12) de la Loi dans l'affaire Lott c. R., C.C.I., no 96-2865(IT)I, 27 novembre 1997, à la page 5 ([1998] 1 C.T.C. 2869, à la page 2873), où il a déclaré ceci :

[...] Il ressort très clairement du libellé du paragraphe (12) que celui-ci vise à restreindre la mesure dans laquelle les particuliers qui utilisent leurs maisons à des fins commerciales peuvent déduire une partie des frais d'entretien de la maison de leur revenu d'entreprise. La disposition en question établit la règle selon laquelle les frais d'entretien de la maison où l'entreprise est exploitée ne peuvent être déduits que s'il est satisfait aux sous-alinéas (i) ou (ii), et alors seulement dans la mesure où cela n'a pas pour effet de créer une perte d'entreprise ou de contribuer à créer une perte d'entreprise.

[15]          Le paragraphe 18(12) limite les pertes pouvant être déduites au montant de revenu déclaré, et les pertes non déduites peuvent être reportées. Le ministre a reconnu qu'une entreprise était exploitée sur les lieux et que des dépenses d'entreprise légitimes avaient été engagées, mais pas dans la mesure déclarée par l'appelant. La preuve révèle clairement qu'il s'agit de l'exploitation d'un gîte touristique selon le sens normal des mots. Il ne s'agissait pas d'un hôtel, mais l'exploitation comportait manifestement un élément commercial. Lorsqu'il y avait des invités, l'appelant et sa famille occupaient le sous-sol la plupart du temps et partageaient une partie de la cuisine, de la salle de lavage et de la salle de séjour situées à l'étage. Toutefois, durant la période d'environ sept mois au cours de l'année où il n'y avait pas d'invités, ils pouvaient utiliser tout l'étage supérieur, à l'exception des trois chambres à coucher. Il s'agissait à l'origine de leur maison avant les rénovations effectuées au sous-sol, et, maintenant que le gîte touristique est fermé, c'est de nouveau le cas. Les faits établissent clairement que c'était dans leur maison qu'ils recevaient des invités qui payaient pour utiliser les trois chambres à coucher situées à l'étage supérieur.

[16]          Selon les faits, il s'agissait au mieux d'une exploitation saisonnière à temps partiel. J'ai étudié les mois et le nombre d'invités qui se sont présentés à ce gîte touristique pendant les années en litige. En 1998, le gîte n'a reçu des invités que pendant quatre mois et demi ou cinq mois sur les douze mois. Pourtant, l'appelant a déclaré 75 p. 100 de toutes les dépenses de l'année à titre de dépenses d'entreprise. L'appelant a déclaré que les chambres à coucher situées à l'étage supérieur étaient gardées propres et prêtes pour le cas où un invité arriverait, mais des mois se sont écoulés sans que personne n'utilise les installations. Selon les faits, je conclus donc qu'il serait déraisonnable pour l'appelant de déduire 75 p. 100 des dépenses totales. L'attribution de 50 p. 100 effectuée par le ministre constitue un pourcentage raisonnable dans les circonstances.

[17]          L'appelant et l'intimée se sont appuyés sur plusieurs affaires, mais particulièrement sur l'affaire Sudbrack c. R., C.C.I., no 98-2386(IT)G, 19 septembre 1998 (2000 DTC 2521), une décision du juge en chef adjoint Bowman de cette cour. L'affaire Sudbrack peut être radicalement distinguée des faits de l'espèce. Dans cette affaire, un montant d'environ 100 000 $ avait été consacré à des rénovations importantes afin qu'une auberge de campagne, et non un gîte touristique, soit établie. Des repas fins ainsi que des menus gastronomiques étaient offerts à cette auberge, et il s'agissait là du principal objectif de l'auberge. Pour ce qui est de l'affaire dont je suis saisie, la fonction principale du bien était de servir de résidence pour l'appelant et sa famille et, pendant une partie de chacune des années en litige, de gîte touristique. Trois chambres à coucher étaient louées, mais, peu importe les raisons, le gîte a fini par devenir une exploitation saisonnière à temps partiel, malgré l'intention et le travail ardu de l'appelant. Lorsque des invités étaient présents, l'appelant et sa famille se confinaient à l'appartement du sous-sol la plupart du temps, mais, sauf pour garder les chambres propres et disponibles, il n'était pas nécessaire de limiter l'accès à l'étage supérieur, particulièrement lorsque des mois passaient sans que des invités ne se présentent ou ne soient susceptibles de le faire. Lorsqu'il y en avait, l'entreprise et la vie de famille se fondaient dans les aires communes de la maison.

[18]          Je suis d'accord avec l'avocate de l'intimée pour dire que l'affaire Sudbrack ne doit pas être appliquée à des situations où des chambres sont louées dans des habitations. Le portrait d'ensemble qui ressort en l'espèce est celui d'une résidence familiale dans laquelle un gîte touristique est exploité à partir d'une portion de la résidence et durant une partie de chacune des années en litige. Il est par conséquent raisonnable pour le ministre d'attribuer 50 p. 100 de la résidence à un usage personnel et le reste à des fins commerciales et, en conséquence, d'avoir invoqué le paragraphe 18(12) de la Loi afin de limiter le montant des pertes déduites de l'exploitation du gîte touristique. Je ne vois aucune raison selon les faits pour modifier ce pourcentage.

[19]          L'appel est par conséquent rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2001.

" D. Campbell "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

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