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Date: 20010606

Dossier: 2000-5110-IT-I

ENTRE :

PASQUALE CROLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Avocat de l'appelant :         Me Howard J. Alpert

Avocate de l'intimée :          Me Lesley King

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Motifsdu jugement

(rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario), le 7 mai 2001)

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1]            Les présents appels sont interjetés par Pasquale Crola à l'encontre de cotisations fiscales pour ses années d'imposition 1996, 1997 et 1998. Dans le calcul de son revenu pour ces années, l'appelant a déclaré des pertes locatives en ce qui concerne un bien situé au 1147, avenue Glengrove, Toronto, Ontario. En établissant une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant pour ces années, le ministre du Revenu national a refusé la déduction des pertes susmentionnées. Le présent appel a donc été interjeté.

[2]            En1988, l'appelant et sa fille Maria ont acheté le bien en litige. Le prix s'élevait à 236 000 $, un montant de 30 000 $ a été payé par Maria et un autre de 40 000 $ a été versé par l'appelant. Le solde de 166 000 $ a été financé au moyen d'une hypothèque. Il s'agissait d'un bungalow de deux unités d'habitation, l'une au rez-de-chaussée et l'autre au sous-sol, et il a été acquis par eux à des fins locatives. L'appelant lui-même résidait au 1145, avenue Glengrove, soit dans le bien attenant. L'appelant et sa fille ont indiqué dans leur témoignage que, agissant sur les conseils de leur avocat, ils ont fait enregistrer le titre de propriété au nom de Maria. Ils n'ont pu expliquer d'une manière compréhensible pourquoi cela semblait être la recommandation de l'avocat; toutefois, en fin de compte, cela n'a aucune incidence sur la question dont est saisie la Cour.

[3]            En 1988, l'appelant a commencé à déclarer la location du bien en association avec sa fille et a continué de le faire en 1989 et en 1990. Je crois que c'est en 1990 que Maria s'est mariée et que, ayant besoin de financement pour l'achat d'une maison, elle a vendu sa part dans le bien à l'appelant pour 30 000 $. Toutefois, pour une raison quelconque, aucune démarche n'a été entreprise pour faire enregistrer à nouveau le bien au nom de l'appelant. L'appelant a indiqué dans son témoignage que, pendant toutes les années ultérieures, lui seul a déclaré tout le revenu de location et toutes les dépenses locatives ainsi que les pertes déclarées à l'égard du bien de la manière suivante :

Année

Revenu de location

Dépenses

Perte totale

Part de l'appelant

1988

4 550 $

      4 920 $

        370 $

        185 $

1989

15 600

2 228

6 682

3 341

1990

15 600

21 888

6 288

3 144

1991

16 800

24 983

8 183

8 183

1992

15 240

24 835

9 595

9 595

1993

15 720

22 717

6 997

6 997

1994

15 630

17 055

1 425

1 425

1995

11 800

18 446

6 646

6 646

1996

12 000

17 718

5 718

5 718

1997

9 275

17 188

7 913

7 913

1998

9 775

14 945

5 170

5 170

À l'audition des présents appels, les déclarations ont été produites par l'appelant pour ce qui est des années d'imposition 1999 et 2000 au cours desquelles il a déclaré le revenu de location, les dépenses et le revenu net à l'égard du bien. Les chiffres sont les suivants :

Année

Revenu de location

Dépenses

Revenu total

1999

18 550 $

13 875 $ $

4 675 $

2000

18 960

14 775

3 885

[4]            L'appelant a indiqué dans son témoignage que les pertes subies pendant les années 1996, 1997 et 1998 étaient plus importantes que ce qu'il prévoyait en grande partie à cause de locataires difficiles qui payaient habituellement leur loyer en retard, quand ils le payaient. Selon l'appelant, cette situation difficile ne s'est réglée qu'à la fin de 1998. Il attribue les résultats positifs des années 1999, 2000 et jusqu'à maintenant à des locataires responsables, à des loyers supérieurs, à des paiements faits en temps utile et, pour ce qui est de l'année 1999, à une nouvelle hypothèque de cinq ans possédant un bien meilleur taux d'intérêt de 6¼ p. 100 par année.

[5]            Selon l'intimée, cette affaire se fonde essentiellement sur l'approche adoptée par le juge d'appel Robertson, qui, s'exprimant pour la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mohammad c. La Reine, [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503), a fait remarquer que :

[...]il ne peut y avoir d'expectative raisonnable de profit tant et aussi longtemps que des paiements importants ne sont pas faits sur le principal de la dette. Cela mène inévitablement à la question de savoir si une perte locative peut être réclamée même si aucun paiement de ce genre n'a été fait au cours des années d'imposition en question. Je répondrais par l'affirmative, mais en ajoutant cependant quelques réserves. Le contribuable doit établir à la satisfaction de la Cour de l'impôt qu'il ou elle avait un plan réaliste en vue de réduire le principal de l'emprunt. [...]

En un mot, il s'agissait de la position principale adoptée par l'intimée. Selon l'appelant, pendant toute la période pertinente, le bien a été utilisé à titre de bien locatif, et la période nécessaire à la réalisation d'un profit n'était pas déraisonnable ni incorrecte compte tenu des circonstances.

[6]            Le paragraphe 9(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu définit la notion de revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien en termes de bénéfices alors que l'alinéa 18(1)a) de la Loi prévoit des restrictions particulières ainsi que la déduction de dépenses. Plus particulièrement, cet alinéa interdit la déduction de dépenses, sauf dans la mesure où elles sont engagées ou effectuées en vue de tirer un revenu. L'alinéa 18(1)h) limite expressément la déductibilité des frais personnels ou de subsistance, qui, suivant la définition qui en est donnée au paragraphe 248(1) de la Loi, excluent les dépenses inhérentes à un bien, à moins que celui-ci soit entretenu dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise. Selon le droit établi, lorsqu'il n'y a pas de profit pendant les années en litige, un appelant doit prouver qu'il avait une attente raisonnable de profit à l'égard du projet.

[7]            Il est également nécessaire de faire remarquer que, comme le critère de l'attente raisonnable de profit est d'application plus stricte en ce qui concerne les critères à des fins commerciales établis par le paragraphe 9(1) et l'alinéa 18(1)a) de la Loi, le ministre et les tribunaux doivent suivre le principe selon lequel, lorsque parmi les faits d'une affaire on ne trouve pas de déduction fiscale non appropriée, un élément personnel ou toute autre circonstance suspecte, le critère devrait s'appliquer de manière moins assidue que si l'un ou l'autre de ces éléments était présent. (Voir Mastri c. La Reine, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420).) En d'autres termes, le ministre et les tribunaux doivent se garder de faire des conjectures sur les décisions d'affaires des contribuables.

[8]            Il est très évident en l'espèce qu'il n'y avait pas d'élément personnel, de déductions non appropriées ni d'autres circonstances suspectes. Pendant toute la période pertinente, le bien était détenu à des fins locatives. Rien n'indique non plus que les gains en capital possibles étaient des facteurs ayant motivé l'achat. Ainsi, il s'agit de se demander si l'appelant exerçait une activité de location d'une manière commerciale donnant lieu à une attente raisonnable de profit. L'avocate de l'intimée déclare que l'appelant ne l'a pas fait, s'appuyant encore sur l'affaire Mohammad et la proposition selon laquelle la composante intérêts était tellement importante qu'elle était incompatible avec une attente de profit objectivement raisonnable. On a de plus soutenu au nom de l'intimé que, selon les faits, il a fallu plus de dix ans avant qu'un profit soit réalisé. Je doit faire remarquer que dans l'affaire Mohammad, en examinant la doctrine de l'attente raisonnable de profit, le juge d'appel Robertson a fait observer que, lorsque la composante intérêts est si importante qu'une perte locative est enregistrée avant même que d'autres dépenses locatives autorisées soient prises en compte dans l'état des résultats, un bénéfice ne peut être réalisé tant que les frais d'intérêts ne sont pas réduits en remboursant le principal du prêt. Selon ses mots : " il y a des cas où le contribuable n'est pas en mesure de respecter à première vue la doctrine de l'expectative raisonnable de profit ". Je dois souligner que ce n'est pas le cas en l'espèce. On ne peut dire, à mon avis, même en ce qui concerne les trois années en litige au cours desquelles l'appelant éprouvait des problèmes avec ses locataires, que la composante intérêts était en elle-même plus importante que les recettes de location brutes.

[9]            Bien que la prétention de l'intimée, selon laquelle un délai de dix ans représente une longue période, ait un certain bien-fondé, en l'espèce on doit tenir compte du fait que l'on examine la situation d'un investisseur ayant peu de connaissances en la matière et dont les décisions ne doivent pas être évaluées selon les mêmes critères que celles d'un promoteur immobilier commercial. Je reconnais qu'il lui a fallu plus de temps pour réaliser un profit parce qu'il a omis d'agir de manière plus décisive en se débarrassant des locataires qui étaient en retard dans leurs paiements, mais le coût de toute poursuite judiciaire peut très bien avoir été considéré en égard à ce fait. Je remarque également que, même s'il a dû acquérir la part de sa fille en 1991 pour 30 000 $, limitant ainsi sa capacité à payer d'avance ou à rembourser une partie du montant principal de l'hypothèque, il a pu néanmoins réduire ce montant, qui est passé de 166 000 $ à 123 000 $. De plus, selon la preuve, l'appelant a graduellement réduit ses dépenses même pendant les années où le bien n'était pas loué au complet. Il est également établi qu'il a maintenant réussi à accroître ses recettes et qu'il réalise, et qu'il devrait pouvoir continuer à réaliser, un profit net pour lequel il sera sans doute imposé. Tout compte fait, je suis convaincu qu'il s'agissait d'une activité commerciale visant à produire un profit, ce qu'elle a réalisé, non sans difficultés.

[10]          L'appel sera admis, mais non pas à l'égard de toutes les dépenses déclarées. Je vais examiner chaque année en litige séparément. Pour 1996, les dépenses seront réduites par la suppression des montants de 437 $ à l'égard d'un élément qui était le déneigement je crois; un faible montant de 8,37 $ qui représentait un reçu non valable de 1995; et environ 70,42 $ de dépenses non attestées. Le montant total devant être soustrait est de 515,79 $, lequel réduira la perte nette selon mon calcul à 5 202,97 $. En 1997, la preuve soutient les dépenses déclarées de l'appelant à l'exception d'un élément, soit le montant de 2 960 $, représentant les réparations effectuées au plafond. Je ne suis pas complètement convaincu qu'une estimation des coûts établit adéquatement ce fait. Ensuite, et plus important, cet élément, à mon avis, ne constitue pas une dépense courante. La réfection du plafond constitue une dépense en capital qui pourrait être et qui aurait dû être ajoutée à la fraction non amortie du coût en capital du bien. Il s'ensuit que la perte nette pour cette année-là sera réduite à 4 953,09 $. Je ferais également remarquer que l'inclusion de ce montant dans les dépenses pour cette année et l'omission du ministre de le considérer comme il se devait, c'est-à-dire comme une dépense en capital, a eu l'effet secondaire de renforcer la position de l'intimée concernant la viabilité commerciale du bien locatif. Cela a artificiellement augmenté la perte. Je n'affirme pas que cela a été fait intentionnellement. Je ne prétend pas cela, mais il s'agit là, comme je l'ai mentionné, de l'effet secondaire du fait d'avoir laissé un élément qui était manifestement une dépense en capital dans la colonne des dépenses. En 1998, le montant de 579,31 $ représentant les éléments que sont le déneigement, les dépenses personnelles et les dépenses non attestées ne sera pas admis. Ainsi, la perte nette sera de 4 590,70 $ pour cette année. Sous réserve de ce qui précède, les appels sont admis avec dépens, lesquels seront taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juin 2001.

" A. A. Sarchuk "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de décembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

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