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Date: 20010724

Dossier: 2000-2720-IT-I

ENTRE :

MOHAMED KARMALI,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Représentant de l'appelant :               Richard Rooney

Avocate de l'intimée :                           Me Suzanne M. Bruce

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Motifsdu jugement

(Rendus oralement à l'audience à Toronto (Ontario) le 8 juin 2001)

Le juge McArthur, C.C.I.

[1]            À la suite d'une vérification portant sur des pertes locatives concernant un appartement de copropriété, le ministre du Revenu national a établi une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelant, pour les années d'imposition 1995 et 1996, rejetant la demande de déduction des pertes et du solde de la fraction non amortie du coût en capital à la fin de 1996. L'appelant interjette appel à l'encontre des nouvelles cotisations. Il est un médecin en titre travaillant auprès du ministère de la Santé fédéral et il n'a pas comparu à l'audience. La preuve a été présentée par Barry Flodder, le comptable de l'appelant depuis 15 ans. Richard Rooney, C.A., a agi à titre de représentant de l'appelant. Il s'est vu accorder du temps pour tenter de communiquer avec l'appelant afin qu'il participe à l'audience, mais comme il n'a pas réussi à le faire, il a choisi d'aller de l'avant.

[2]            Pendant les années d'imposition 1995 et 1996, l'appelant était employé en tant que médecin en titre à l'hôpital pédiatrique Sick Children de Toronto. Les hypothèses de fait suivantes qui figurent dans la réponse à l'avis d'appel ont été admises :

                [TRADUCTION]

7b)           l'appelant a acquis une unité dans un immeuble d'habitation en copropriété situé dans les immeubles Atriums à Kanata, Ontario (le " bien ") en 1987 pour un prix d'achat total de 131 998 $ à titre d'abri fiscal;

7c)            le bien a été financé à 99 p. 100 par une hypothèque et un billet à ordre d'un montant total de 130 998 $;

7d)           l'appelant a payé une prime afin d'obtenir un financement spécial et des garanties de recettes à l'égard du bien;

7e)            la prime a été amortie sur une période de cinq ans, ce qui a augmenté le montant des pertes locatives déclarées pour ces années;

7f)            l'appelant a commencé à louer le bien à partir de 1987;

7g)           de 1995 à 1996, l'appelant a déclaré un revenu de location et des dépenses locatives ainsi que des pertes découlant du bien de la manière suivante :

                ANNÉE REVENU                 FRAIS                     DÉPENSES

                                                                                D'INTÉRÊT           TOTALES              PERTES

                1995                         5 335 $    8 038 $ 10 291 $ 4 956 $

                1996                         4 893 $    6 874 $ 9 146 $    4 253 $

Le revenu susmentionné a été déclaré par l'appelant dans ses déclarations de revenus et selon M. Flodder, ce revenu est trompeur puisque l'unité de l'appelant produisait un revenu plus élevé pendant ces années, je crois aux alentours de 9 000 $. Toutefois, en raison des ententes de mise en commun relatives au copropriété, le revenu a été réduit aux chiffres déclarés. L'appelant n'a pas participé activement à l'activité de location.

7j)             l'appelant a également déclaré des pertes locatives nettes pour les huit années précédentes de la manière suivante :

ANNÉE                  PERTES LOCATIVES

                                                                                                DÉCLARÉES

1987                       17 168 $

1988                                        14 193 $

1989                         10 229 $

1990                         9 644 $

1991                         12 516 $

1992                         7 654 $

1993                         7 172 $

1994                         6 570 $

Ces pertes locatives déclarées s'élevaient au total à environ 85 000 $.

[3]            De nombreuses raisons expliquent les loyers moins élevés et les coûts plus élevés que ce qu'avait prévu l'appelant, dont une mauvaise gestion locative, une construction de mauvaise qualité de l'immeuble qui est devenu coûteux, le fait que le vendeur a fait faillite et qu'il n'a pas pu respecter ses garanties de loyer, qu'une poursuite coûteuse a été intentée, et ainsi de suite. En déclarant les pertes, l'appelant a réduit son revenu provenant d'autres sources. Enfin, il a vendu le bien au mois de février 1998. Je crois que le prix de vente était de 79 000 $.

[4]            M. Flodder a déclaré qu'il connaissait mieux les chiffres que l'appelant, ce qui est probable. Il a présenté un questionnaire de location (pièce A-1) prétendument rempli par l'appelant et la première question de ce questionnaire ainsi que la réponse qui l'accompagne se lisent comme suit:

                [TRADUCTION]

1.              Quel était l'objet initial de l'acquisition du bien?

                L'objet initial consistait à gagner un revenu sur une base continue. Cette attente, qui était l'unique motivation de l'achat du bien, était fondée sur la présentation originale du promoteur. De toute évidence, il n'y avait pas d'intérêt dans l'utilisation personnelle du bien puisque à l'époque j'habitais à Toronto et que j'y habite toujours, alors que le bien est situé à Ottawa. Je n'ai aucun parent à Ottawa.

L'appelant a apparemment fondé sa décision d'acheter sur une formule type d'une page (pièce A-2) préparée par le promoteur, qui établit une projection des années d'imposition 1986, 1987, 1988 et 1989. Le bien n'a pas été loué en 1986. La formule type, si je peux l'appeler ainsi, décrit une perte de revenu imposable après 1989 de 38 180 $ et une économie d'impôt de 19 929 $. Sous l'intitulé " État des flux de trésorerie après impôt ", une perte de 3 215 $ est indiquée à la fin de 1989. De plus, sous l'intitulé " Gain projeté sur la vente d'une unité à différents taux de plus-value (en supposant qu'une vente ait lieu en 1990) ", un profit de 40 197 $ est indiqué à titre de position de trésorerie après impôt sur la vente, en supposant une plus-value de 8 p. 100 par année.

[5]            M. Flodder a préparé un tableau de revenus de location et de pertes locatives (pièce A-3), reprenant celui du constructeur-vendeur au-delà de 1989, et il indiquait un revenu de location positif de 3 041 $ à la fin de 1996. En réalité, en 1996, la perte réelle était de 4 253 $. Il s'agit de savoir si le bien a été acquis par l'appelant en vue de tirer un revenu, si l'appelant avait une attente raisonnable de profit à l'égard de la location du bien pour les années 1995 et 1996; si les dépenses locatives ont été engagées par l'appelant en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien; et enfin, subsidiairement, si les dépenses locatives refusées étaient raisonnables dans les circonstances. Comme on l'a indiqué, l'appelant n'était pas présent pour témoigner des raisons l'ayant motivé à acheter l'unité.

[6]            La preuve présentée indiquait que l'appelant a acheté l'unité en vue d'en tirer un revenu de location. Je considère comme avéré qu'il a payé le montant de 131 000 $, réduisant le financement à 66 000 $ au mois de février 1998, moment où le bien a été vendu. L'avis d'appel préparé par M. Flodder comprenait les éléments suivants que je considère comme exacts :

                [TRADUCTION]

Au 31 décembre 1995, environ 56 p. 100 de la dette originale relative au bien a été effacé.

Au milieu de 1996, le taux d'inoccupation a diminué et le taux de location a augmenté. De nombreux programmes mis en place par le conseil d'administration de la copropriété afin de réduire les coûts d'exploitation ont commencé à prendre effet.

Le conseil d'administration de la copropriété et M. Karmali ont entrepris les démarches nécessaires afin de réduire les coûts et de maximiser les revenus pendant cette période.

[...]

Même si le bien a été vendu au mois de février 1998, les projections démontrent que le bien aurait permis la réalisation d'un profit de 778 $ en 1998 et de 2 513 $ en 1999.

[7]            Les faits en l'espèce sont semblables à ceux examinés par le juge Bowie dans l'affaire von Heymann c. La Reine[1] où le contribuable, un médecin en titre, avait acquis une participation dans une société en commandite qui, à son tour, détenait une participation dans un complexe d'appartements. L'acquisition de cette participation a été entièrement financée grâce à des sommes empruntées. En établissant une cotisation à l'égard du contribuable, le ministre a rejeté la déduction de sa part des pertes de la société et des intérêts payés par lui relativement aux sommes empruntées. Le ministre considérait que (i) ces intérêts ne constituaient pas une source de revenu; que (ii) le contribuable n'avait pas d'attente raisonnable de profit compte tenu des coûts de financement très importants; et (iii) qu'il s'est intéressé à la société afin d'obtenir des avantages fiscaux et non pas pour tirer un revenu. Bien que je ne me considère pas lié par cette décision, je suis d'accord avec le raisonnement qui y est exposé et je le reprends en l'instance. Le juge Bowie a déclaré ce qui suit au paragraphe 8 :

À la suite de la publication des motifs du jugement de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Milewski, j'ai invité les avocats à présenter des observations écrites quant à son application à la présente affaire. L'avocat de l'intimée, tout naturellement, n'a pas suggéré que l'appelant avait omis de satisfaire au critère " en temps et lieu " établi par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Milewski. Au contraire, il a fait valoir ce que je pourrais appeler l'argument secondaire, soit que l'appelant avait acheté l'unité en vue de la revendre et que la revente avait donné lieu à un gain en capital, et non à un revenu.

[8]            Le juge Bowie s'est également fondé sur l'affaire Stewart c. La Reine[2]. Le contribuable avait acheté un bien immeuble avec une intention précise de le revendre à un prix plus élevé. Il avait été conclu qu'il n'avait pas de source de revenu, puisque aucun profit de location n'avait été réalisé dans le délai durant lequel il avait l'intention de conserver le bien et que la revente donnerait lieu à un gain en capital et non à un revenu. En l'espèce, l'appelant a remboursé plus de la moitié du principal de l'hypothèque et, dans l'appel von Heymann, l'appelant avait remboursé la totalité du principal sur un prêt de 6 000 $. Le juge Bowie a ensuite continué en citant le juge Robertson dans l'affaire Mohammad c. La Reine[3] et a ajouté ce qui suit :

[...] Il ne m'apparaît pas que l'appelant en l'espèce pouvait satisfaire à ce critère. [Le critère énoncé dans l'affaire Mohammad.] Il n'a effectué aucun paiement du principal au cours des cinq premières années, bien que son revenu ait considérablement excédé 200 000 $ par année.

[9]            La Reine c. Milewski[4] est un arrêt plus récent de la Cour d'appel fédérale. Dans cette affaire, la cour a conclu que le critère était rempli parce qu'il était raisonnable d'acheter un bien immeuble et d'en amortir le prix d'achat sur plus de 25 ans. Le juge Rothstein a déclaré ce qui suit aux pages 3 et 4 (DTC, à la page 6560) :

                Si rien ne laissait entendre que le principal serait remboursé ou si les frais d'intérêts annuels donnent lieu à des pertes pour une période indéterminée, c.-à-d. une période d'amortissement inhabituellement longue ou, comme dans Stewart, s'il n'y avait aucun profit prévu au cours de la période de conservation projetée, il pourrait y avoir absence d'une attente raisonnable de profit. Cependant, ce ne sont pas les faits ici.

                En l'espèce, la période d'amortissement était de 25 ans. Il ne s'agit pas d'une période d'amortissement inhabituelle pour des investissements à long terme dans l'immobilier. À mesure que le principal est remboursé, les frais d'intérêts diminuent et, toutes choses étant égales par ailleurs, la rentabilité sera, " en temps et lieu ", atteinte. Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que l'investissement était de nature à long terme. Dans ces circonstances, je crois que le critère de l'attente raisonnable de profit a été rempli.

Je conclus qu'en l'espèce, l'appelant a satisfait au critère " en temps et lieu " comme il est énoncé dans l'affaire Milewski afin d'établir l'existence d'une attente raisonnable de profit.

[10]          Je me penche maintenant sur l'argument de l'intimée selon lequel en l'espèce, comme dans l'affaire Stewart, l'appelant a acheté le bien avec l'intention de le revendre à un meilleur prix, même avant qu'il puisse devenir rentable, et que l'objet de l'acquisition n'était pas de produire un revenu, mais bien d'obtenir un gain en capital. Je continue de citer le juge Bowie dans l'affaire von Heymann :

[L]'appelant était motivé, dans l'achat de sa participation dans la société, à la fois par la possibilité d'un revenu à long terme et celle de vendre le bien à profit une fois le rétablissement du marché immobilier. Les avocats de l'appelant ont soutenu qu'il [TRADUCTION] " y a une preuve solide appuyant la conclusion selon laquelle l'appelant était engagé dans un projet comportant un risque de nature commerciale en l'espèce [...] ". J'adhère à cet avis; voir l'affaire Regal Heights Ltd. v. M.N.R. Tout profit sur la revente correspondait par conséquent à un revenu.

Le juge Bowie a par la suite admis les appels.

[11]          En l'espèce, je considère comme avéré que l'appelant a remboursé plus de la moitié du financement avant les années pertinentes. Il a acheté le bien avec l'intention à la fois de le vendre à profit après qu'il eut pris de la valeur au cours des années, et d'en tirer entre-temps un revenu de location, après avoir remboursé la dette. Le ministre aurait eu une position mieux défendable au cours des années précédentes, mais il a choisi de vérifier la comptabilité de l'appelant plus de dix ans après l'achat. Pendant ce temps, il est assez clair qu'il y avait une attente raisonnable de profit. Les comptables projetaient un profit en 1998, l'année où le bien a été vendu.

[12]          Il convient de signaler que les affaires Stewart et Allen c. La Reine ont obtenu une autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Les décisions de la Cour suprême pourront nous guider quant à cette question qui est devenue quelque peu complexe.

[13]          Pour ces motifs, les appels sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire les pertes déclarées ainsi que de se voir adjuger des dépens, s'il y a lieu.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour de juillet 2001.

" C. H. McArthur "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 18e jour de décembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure



[1]               C.C.I., no 98-2063(IT)G, 26 janvier 2001 (2001 DTC 203).

[2]               C.A.F., no A-337-98, 18 février 2000 (2000 DTC 6163).

[3]               [1998] 1 C.F. 165 (97 DTC 5503).

[4]               C.A.F., no A-596-99, 26 septembre 2000 (2000 DTC 6559).

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