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Date: 20001218

Dossier: 97-901-UI

ENTRE :

RICK ORAM,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Cain, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel interjeté par l'appelant à l'encontre d'une décision de l'intimé datée du 18 février 1997 selon laquelle l'emploi occupé par l'appelant auprès de Charlottetown Inn Ltd., la payeuse, du 12 au 30 décembre 1994 ne constituait pas un emploi assurable, puisqu'il n'y avait pas eu conclusion d'un contrat de louage de services entre la payeuse et l'appelant ou, subsidiairement, que la payeuse et l'appelant traitaient l'un avec l'autre avec lien de dépendance aux termes de la Loi sur l'assurance-chômage (la « Loi » ).

[2]            Pour parvenir à sa décision, l'intimé s'est fondé sur les hypothèses suivantes :

                [TRADUCTION]

a)              la payeuse était une société dûment constituée en personne morale sous le régime des lois de la province de Terre-Neuve;

b)             pendant toute la période pertinente, les actions en circulation de la payeuse étaient détenues par les personnes et selon les proportions suivantes :

                ACTIONNAIRE                    POURCENTAGE DES ACTIONS

                Sandy Campbell                                                    98 %

                Laverne Campbell                                                                 2 %

c)              la payeuse était une petite auberge comprenant huit chambres d'hôte et une salle à manger;

d)             la payeuse n'a pas envoyé de feuillet T4 à l'appelant pour les montants censément gagnés au cours de la période en litige;

e)              l'appelant vivait, durant la période en litige, avec Cherie Lee Campbell-Oram, fille de Sandy Campbell et de Laverne Campbell; ils se sont mariés le 5 octobre 1996;

f)              l'appelant et Cherie Lee Campbell-Oram sont les parents d'un enfant, Bradley, né en novembre 1994;

g)             l'appelant est briqueteur de métier;

h)             l'appelant a été embauché pour couper et entreposer du bois de chauffage, enlever un foyer et installer un poêle à bois dans l'auberge et pour faire certains travaux d'entretien dans l'auberge et dans certains appartements possédés par la payeuse;

i)               l'appelant déterminait ses heures de travail et son taux de rémunération;

j)               personne ne supervisait l'appelant au nom de la payeuse;

k)              l'appelant avait besoin de 12 semaines d'emploi assurable pour avoir droit à des prestations d'assurance-chômage en 1995;

l)               l'appelant a obtenu de Rossco Services Ltd. un relevé d'emploi faisant état de six semaines d'emploi assurable, soit du 17 octobre au 24 novembre 1994;

m)             l'appelant a obtenu de la payeuse un relevé d'emploi faisant état des trois semaines constituant la période en litige;

n)             l'appelant a ensuite obtenu d'Alexander Campbell s/n Campbell's Construction un relevé d'emploi faisant état de trois semaines d'emploi assurable, soit du 2 au 20 janvier 1995;

o)             Alexander Campbell est le frère de Cherie Lee Campbell-Oram et le fils de Sandy Campbell et de Laverne Campbell;

p)             l'intimé a déterminé, en date du 18 février 1997, que l'appelant n'occupait pas un emploi assurable auprès d'Alexander Campbell s/n Campbell's Construction pendant la période mentionnée à l'alinéa n);

q)             l'appelant a conclu des ententes factices avec la payeuse et Alexander Campbell, ce qui lui a permis d'obtenir des relevés d'emploi indiquant suffisamment de semaines d'emploi assurable pour pouvoir avoir droit à des prestations d'assurance-chômage, ces relevés permettant à la payeuse et à Alexander Campbell d'affirmer que l'appelant touchait un revenu;

r)              l'appelant et la payeuse n'ont pas conclu un contrat de louage de services;

s)              l'appelant avait de fait un lien de dépendance avec la payeuse.

[3]            L'appelant a admis les hypothèses figurant aux alinéas a) à c), e) à h) et k) à p) inclusivement, mais a nié chacune des autres hypothèses énoncées ci-dessus.

[4]            Selon la preuve présentée, la Cour tire les conclusions de fait qui suivent.

[5]            La payeuse exploite une petite auberge à Charlottetown, au Labrador (Terre-Neuve), une collectivité située sur la côte Sud-Est du Labrador et comprenant 312 habitants. La collectivité est un hameau qui est accessible uniquement par les airs ou par la mer pendant le printemps, l'été et l'automne et par les airs ou par motoneige l'hiver.

[6]            Le principal actionnaire de la payeuse était Sandy Campbell, une employée à la retraite de Newfoundland Hydro.

[7]            Avant le moratoire de 1992 sur la morue, la collectivité était prospère grâce à la pêche. À la suite du moratoire, certains pêcheurs ont pêché d'autres espèces, l'emploi a chuté, et beaucoup de jeunes ont profité du programme LSPA. Certains ont déménagé, et d'autres ont tenté d'établir de nouvelles entreprises dans la région. Ceux qui sont restés recevaient à la quinzaine des chèques au titre du moratoire. Les pêcheurs allaient en mer jusqu'en octobre, puis revenaient se préparer pour l'hiver. Les emplois occasionnels devenaient rares.

[8]            À l'été 1994, la payeuse a obtenu un contrat de déboisement afin de créer une route d'accès près de Charlottetown. Le déboisement devait se faire sur une distance de deux kilomètres. La payeuse a été en mesure d'embaucher cinq personnes afin de couper et d'empiler le bois. Environ 40 cordes de bois ont été mises de côté et empilées dans la zone de construction. La payeuse devait les utiliser pour chauffer son auberge durant les mois d'hiver. Le contrat a pris fin au début de novembre, et les employés ont touché des prestations d'assurance-chômage après avoir présenté une demande en ce sens. Le bois laissé sur les lieux devait être coupé et fendu, apporté à l'auberge et empilé au sous-sol.

[9]            La payeuse a dû attendre jusqu'à ce qu'il y ait un pied de neige au sol avant de déplacer le bois en traîneau et en motoneige. Au début de décembre, les conditions climatiques étaient bonnes, mais les tentatives faites par la payeuse pour embaucher de la main-d'oeuvre locale se sont avérées vaines. La plupart des habitants étaient sans emploi et ne souhaitaient pas travailler.

[10]          L'appelant avait des rapports étroits avec la fille de Sandy Campbell, Cherie Lee. Un enfant est né de leur relation. Ils ne vivaient pas ensemble, mais Cherie Lee revenait à Charlottetown avec l'enfant pour Noël.

[11]          Au cours d'une conversation avec Cherie Lee, l'appelant a appris que le père de cette dernière avait de la difficulté à trouver quelqu'un pour s'occuper du bois. L'appelant a appelé M. Campbell, qui lui a dit que, s'il pouvait se rendre à Charlottetown - l'appelant vivait à Gander -, il pouvait avoir l'emploi et effectuer également d'autres travaux nécessaires à l'auberge. L'appelant avait occupé deux emplois, à la fin de l'été et à l'automne 1994 (pour un total de six semaines), et cherchait à obtenir davantage de travail afin d'en accumuler suffisamment pour avoir droit à des prestations d'assurance-chômage avant l'hiver au cas où il ne pourrait trouver un emploi permanent.

[12]          L'appelant est arrivé à Charlottetown le 10 décembre 1994 ou vers cette date et a commencé à travailler deux jours plus tard. La payeuse lui a fourni tous les outils et l'équipement, l'a amené sur les lieux, lui a expliqué ce qui devait être fait et a accepté de lui verser le taux horaire de 6 $ pour une semaine de 40 heures.

[13]          Au cours des trois semaines suivantes, l'appelant s'est occupé du bois, l'a transporté à l'auberge et l'a empilé au lieu d'entreposage du bois, au sous-sol. Briqueteur de métier, il a également effectué des travaux sur le foyer et la cheminée et diverses réparations à l'intérieur de l'auberge. La payeuse était présente et supervisait le travail. De temps à autre, Alexander Campbell fils, le frère de sa petite amie, lui donnait un coup de main.

[14]          La payeuse a effectué les déductions nécessaires, a payé l'appelant en espèces, comme c'était la coutume à Charlottetown, et lui a remis un relevé d'emploi faisant état de trois semaines de travail ainsi qu'un feuillet T4 aux fins de l'impôt sur le revenu.

[15]          Pour déterminer si une relation employeur-employé comporte un lien de dépendance, le critère qu'il convient d'appliquer consiste à se demander si les opérations des parties sont compatibles avec l'objet et l'esprit de la loi (la Loi sur l'assurance-chômage) et indiquent une juste participation au jeu normal des forces économiques du marché. (Voir Parrill c. Canada (Ministre du Revenu national), [1996] A.C.I. no 1680, conf. par [1998] A.C.F. no 836 (C.A.F.) (QL).)

[16]          Les « forces économiques du marché » doivent être celles qui existent là où l'emploi est exercé. Cet emploi a été exercé dans un hameau situé au Labrador (Terre-Neuve), comptant 312 habitants, dont la plupart, à l'époque, occupaient un emploi ou bénéficiaient de l'assurance-chômage, et où, même quand tout allait bien, les travailleurs disponibles étaient rares. L'une des tâches consistait en la réparation d'une cheminée et d'une fournaise. L'appelant était briqueteur de métier et disposait du matériel nécessaire pour faire le travail. L'intimé a soutenu que le travail que l'appelant avait effectué ne représentait que des tâches insignifiantes. La preuve révèle que l'appelant devait transporter, couper et fendre 40 cordes de bois et ensuite les empiler dans un sous-sol, une tâche que l'on peut difficilement qualifier d'insignifiante.

[17]          L'intimé a cité, dans son argumentation, la remarque faite par lord Donaldson dans l'affaire Tanguay c. Canada (Commission d'assurance-chômage), (C.A.F.), no A-1458-84, 2 octobre 1985 ([1986] 68 N.R. 157), selon laquelle :

                                [TRADUCTION]

[...] il s'agit d'un régime d'assurance, et ce, quelque en soit le mode de financement; il faut également se rappeler que le risque visé est le chômage. Par sa nature, l'assurance exige que l'assuré ne crée ni n'accroisse délibérément le risque

au soutien de sa prétention selon laquelle la relation entre la payeuse et l'appelant était factice et visait à permettre à ce dernier d'avoir droit à des prestations, alors que ce droit avait été créé par une relation non étayée par un contrat de louage de services.

[18]          L'affaire Tanguay, précitée, est d'application limitée. On doit se rappeler que les faits dans cette affaire se rapportaient à un groupe d'employés qui avaient quitté leur emploi dans le but de permettre à de plus jeunes travailleurs de les remplacer. Ces employés ont ensuite présenté des demandes de prestations d'assurance-chômage, lesquelles ont été rejetées parce que le groupe, par son action, avait « créé » ou « accru » un « risque » qui n'existait pas. Les employés auraient pu continuer à travailler, mais ils ont décidé de créer une situation de non-emploi qui n'existait pas.

[19]          On ne peut soutenir que l'appelant a en l'espèce créé ou accru un quelconque risque relativement au régime d'assurance en acceptant l'emploi que lui offrait la payeuse. Il tentait simplement d'accumuler suffisamment de semaines de travail de façon à ce que, s'il était réduit au chômage un jour ou l'autre, il soit capable de profiter des prestations pour lesquelles le régime d'assurance-chômage avait été créé. Il n'avait pas un droit absolu de toucher des prestations, même s'il remplissait les exigences de travail minimales. Il devait également pouvoir travailler et, si un emploi dans sa branche lui était offert, il devait l'accepter ou perdre son droit aux prestations prévues par la Loi. L'affaire ne s'applique pas à l'employé qui occupe de bonne foi un emploi et qui accumule par la même occasion suffisamment de semaines de travail pour être admissible à des prestations.

[20]          On pourrait dire que toute personne qui accepte un emploi saisonnier peut « créer » ou « accroître » le « risque » au regard de la Loi, puisqu'elle sait que, à la fin de la saison, le seul revenu qu'elle pourra toucher proviendra du fonds de l'A.-C.

[21]          Dans l'arrêt Hickman Motors Limited c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336, la Cour suprême du Canada a souligné les principes applicables lorsqu'une personne conteste les hypothèses formulées par le ministre du Revenu national. Dans cette affaire, la Cour examinait les hypothèses formulées par le ministre aux fins de l'établissement d'une cotisation en matière fiscale. Ces principes s'appliquent également aux hypothèses formulées par le ministre en vertu de la Loi.

[22]          Ces principes peuvent être ainsi résumés :

Il est bien établi en droit que, dans le domaine de la fiscalité, la norme de preuve est la prépondérance des probabilités et que, à l'intérieur de cette norme, différents degrés de preuve peuvent être exigés, selon le sujet en cause, pour que soit acquittée la charge de la preuve.

En établissant des cotisations, le ministre se fonde sur des présomptions, et la charge initiale de détruire les présomptions formulées par le ministre dans sa cotisation est imposée au contribuable. Le fardeau initial du contribuable consiste à démolir l'exactitude des présomptions du ministre, mais rien de plus.

L'appelant s'acquitte de la charge initiale de démolir les présomptions du ministre lorsqu'il présente au moins une preuve prima facie, et il est établi en droit qu'une preuve non contestée ni contredite démolit les présomptions du ministre.

Lorsque l'appelant a démoli les présomptions du ministre, le fardeau de la preuve passe à ce dernier, qui doit réfuter la preuve prima facie faite par l'appelant et prouver les présomptions.

Lorsque le fardeau est passé au ministre et que ce dernier ne produit aucune preuve, le contribuable est fondé à obtenir gain de cause.

[23]          Une preuve prima facie est soutenue par une preuve qui offre un tel degré de probabilité en sa faveur qu'elle doit être acceptée si la Cour y croit, à moins qu'elle ne soit réfutée ou que le contraire ne soit prouvé. Elle peut être contredite par une preuve concluante qui exclut la possibilité de la véracité de toute autre conclusion que celle établie par la preuve.

[24]          Les hypothèses clés sur lesquelles l'intimé s'est fondé figurent aux alinéas d), i), j), q), r) et s). La preuve présentée par l'appelant, que la Cour accepte, a créé une preuve prima facie et a efficacement démoli ces hypothèses. L'appelant a établi une preuve prima facie, et l'intimé n'a présenté aucune preuve pour contester ou contredire cette preuve prima facie.

[25]          La preuve offerte par l'appelant appuie l'existence d'un contrat de louage de services valide entre l'appelant et la payeuse. Les heures de travail étaient établies par la payeuse, et cette dernière, par l'entremise de sa représentante Sandy Campbell, a supervisé l'appelant pendant toute la durée de son emploi.

[26]          La preuve étaye la conclusion selon laquelle il n'y avait pas, entre la payeuse et l'appelant, de lien de dépendance.

[27]          L'emploi que l'appelant occupait chez la payeuse était conforme à l'objet et à l'esprit de la Loi. Il représentait un moyen pour l'appelant, comme l'avaient été ses autres emplois récents, d'obtenir du travail afin d'accumuler suffisamment de semaines d'emploi pour avoir droit à des prestations d'assurance-chômage au cas où il ne pourrait par la suite obtenir un emploi permanent. Ses deux tentatives précédentes avaient été contrecarrées par des circonstances hors de son contrôle. D'abord, il avait travaillé pour une compagnie qui administrait un pont et qui avait fait faillite. Ensuite, il avait occupé un emploi dans une station-service, mais il avait été mis à pied en raison d'un manque de travail.

[28]          Son emploi auprès de la payeuse reflétait également une juste participation au jeu normal des forces économiques du marché, un marché isolé du courant dominant de l'activité économique avec peu ou pas de main-d'oeuvre disponible.

[29]          La Cour retient, des arguments de l'intimé, que ce dernier fondait ses hypothèses sur les rapports étroits entre l'appelant et Cherie Lee (la fille de l'actionnaire contrôlant), sur le fait que l'appelant était le père de l'enfant de Cherie Lee et qu'elle et lui s'étaient mariés par la suite, sur l'époque de l'année où les événements sont survenus et sur son embauchage ultérieur par le frère de Cherie Lee. Ces éléments sont clairement suspects de prime abord, mais les hypothèses du ministre doivent être fondées sur des circonstances pertinentes, et non sur des soupçons. L'intimé devait en l'espèce déposer des preuves fortes afin d'étayer ses hypothèses, notamment celle selon laquelle l'emploi de l'appelant était un leurre, et l'entente, une opération fictive conçue uniquement dans le but de permettre à l'appelant de présenter une demande de prestations quelque trois mois plus tard. Aucune telle preuve n'a été déposée, et aucune preuve qui aurait contesté ou contredit le témoignage direct de l'appelant n'a été produite par le contre-interrogatoire de ce dernier.

[30]          L'appel est accueilli, et la décision du ministre est annulée.

Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de décembre 2000.

« Murray F. Cain »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de juillet 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-901(UI)

ENTRE :

RICK ORAM,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 7 juin 2000 à Goose Bay, Labrador (Terre-Neuve), par

l'honorable juge suppléant Murray F. Cain

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Don Singleton

Avocats de l'intimé :                            Me Scott McCrossin

                                                          Me Dominique Gallant

JUGEMENT

          L'appel est accueilli, et la décision du ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

          Signé à Rothesay (Nouveau-Brunswick), ce 18e jour de décembre 2000.

« Murray F. Cain »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de juillet 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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