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Date: 19990315

Dossiers: 97-1213-UI, 97-131-CPP

ENTRE :

COUNTRY VENTURES LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

ET

Dossiers: 97-1217-UI, 97-132-CPP

BRIAN MACHNIAK,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Porter, C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus à Winnipeg (Manitoba), le 23 février 1999. Les appels en l'instance ont été entendus sur preuve commune du consentement des parties.

[2]            L'appelant Brian Machniak (" M. Machniak ") a interjeté appel contre la décision du ministre du Revenu National (le " ministre ") en date du 30 janvier 1997 selon laquelle des cotisations au Régime de pensions du Canada et des cotisations d'assurance-chômage étaient payables sur la rémunération versée à M. Machniak par l'appelante, Country Ventures Ltd. (la " société "), pour la période allant du 1er janvier 1995 au 30 avril 1996. Le motif de cette décision était le suivant :

[TRADUCTION]

[...] Vous exerciez un emploi en vertu d'un contrat de louage de services et étiez donc un employé.

Il était dit que la décision était rendue conformément au paragraphe 27(1) du Régime de pensions du Canada (le " Régime ") et au paragraphe 61(1) de la Loi sur l'assurance-chômage (la " Loi ") et qu'elle se fondait sur les alinéas 6(1)a) du Régime et 3(1)a) de la Loi respectivement.

[3]            La société a interjeté appel contre cette décision du ministre et contre une décision identique, rendue à la même date, concernant Ken Zorn, soit un autre des travailleurs de la société. Ken Zorn n'est pas intervenu dans l'appel et n'a pas interjeté appel. D'après l'avocate du ministre, il avait été informé de la décision du ministre et a décidé de ne pas prendre de mesures. Son cas est toutefois bel et bien porté en appel par la société, qui a reçu du ministre une évaluation au titre de cotisations d'assurance-chômage et de cotisations au Régime de pensions du Canada concernant les deux travailleurs.

[4]            Les faits établis révèlent que, pour toute la période en question, les deux travailleurs ont été embauchés par la société en vertu d'ententes verbales, afin de conduire deux des camions de transport longue distance de la société pour Hunterline Trucking Ltd (" Hunterline ") et en vertu des permis d'exploitation de cette dernière. Il s'agit de savoir si les deux travailleurs ont exercé ces activités comme employés ou s'ils les ont exercées comme entrepreneurs indépendants, c'est-à-dire en vertu de contrats d'entreprise. La question est la même dans les deux cas, et c'est une question fréquente.

Le droit

[5]            La manière dont la Cour doit procéder pour déterminer s'il s'agit d'un contrat de louage de services, donc d'une relation employeur-employé, ou d'un contrat d'entreprise, donc d'une relation avec un entrepreneur indépendant, a été clairement énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). Le critère à appliquer a été expliqué davantage par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099). À la suite de ces arrêts, notre cour a rendu de nombreuses décisions, dont certaines ont été citées par les avocats, qui montrent comment ces lignes directrices en matière d'appel ont été appliquées. Dans l'arrêt Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc., précité, la Cour d'appel fédérale disait ceci :

[Analyse]

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. Le ministre du Revenu national, 87 D.T.C. 5025. Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] "examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties". Quand il s'est servi de cette règle pour déterminer la nature du lien existant dans l'affaire Montreal Locomotive Works, lord Wright a combiné et intégré les quatre critères afin d'interpréter l'ensemble de la transaction.

À la page 5029, il déclare :

[...] Je considère le critère de lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères, comme beaucoup l'ont interprété, mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant toujours sur ce que lord Wright a appelé [TRADUCTION] " l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations " et ce même si je reconnais l'utilité des quatre critères subordonnés.

À la page 5030, il poursuit :

Il est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles.

Il fait également observer : " Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents ".

[...] comme le juge MacGuigan, nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

[6]            J'ai également examiné les jugements suivants, qui m'avaient été cités par les avocats :

Astro Towing (1988) Ltd. c. M.R.N., [1996] A.C.I. no 1720, 96-1639(UI), 17 décembre 1996, juge T. O'Connor, Cour canadienne de l'impôt

Fred Bond et Sa Majesté La Reine, [1997] A.C.I. no 89, 96-3116(IT)I, 15 février 1997, juge suppléant D. W. Rowe, Cour canadienne de l'impôt

Custom Auto Carriers Ltd. et M.R.N. et Chris Rodgers, 97-780(UI), 16 octobre 1998, juge suppléant Michael H. Porter, Cour canadienne de l'impôt

Fimrite Oilfield Services Ltd. et M.R.N., 96-1607(UI), 14 octobre 1998, juge G. Rip, Cour canadienne de l'impôt

Braaten Trucking Ltd. c. M.R.N., [1998] A.C.I. no 672, 98-258(UI) et 98-45(CPP), 22 juillet 1998, juge suppléant D. W. Rowe, Cour canadienne de l'impôt

F.G. Lister Transportation Inc. c. M.R.N., [1998] A.C.I. no 558, 96-2163(UI) et 96-119(CPP), 23 juin 1998, juge suppléant D. W. Rowe, Cour canadienne de l'impôt

Summit Gourmet Foods Inc. et M.R.N. et Freeman Walters, 97-470(UI), 24 novembre 1997, juge M. Mogan, Cour canadienne de l'impôt

S & S Investments Ltd. s/n Our Messenger Service c. M.R.N., 94-1872(UI), 2 octobre 1996, juge R. E. Sobier, Cour canadienne de l'impôt.

[7]            Voilà donc les lignes directrices juridiques dont je dois tenir compte en tranchant cette question.

[8]            Dans la réponse à l'avis d'appel produite par le sous-procureur général du Canada au nom du ministre, il est dit que, en parvenant à sa décision, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes, qui sont les mêmes dans les deux cas :

[TRADUCTION]

a)              les faits admis ci-devant;

b)             l'appelante exploite une entreprise de camionnage;

c)              l'appelante est propriétaire de camions et embauche des chauffeurs pour conduire les camions;

d)             les travailleurs ont été embauchés comme chauffeurs de camion par l'appelante;

e)              les camions appartenaient à l'appelante;

f)              l'appelante payait tous les frais relatifs au fonctionnement des camions;

g)             l'appelante avait une entente avec Hunterline en vertu de laquelle elle fournissait un camion et un chauffeur à Hunterline;

h)             l'entente entre Hunterline et l'appelante était que, une fois un voyage terminé, Hunterline payait à l'appelante 75 p. 100 du profit sur ce voyage, puis l'appelante payait au travailleur 25 p. 100 de cette proportion de 75 p. 100;

i)               Hunterline contrôlait les voyages par l'intermédiaire d'un répartiteur et établissait le programme des affectations des travailleurs en matière de camionnage;

j)               Hunterline établissait les horaires relatifs aux courses que les travailleurs faisaient par camion;

k)              l'appelante payait les travailleurs deux fois par mois, par chèque;

l)               les travailleurs devaient consigner leurs heures de conduite dans un carnet de route et communiquer ce nombre d'heures à Hunterline;

m)             les travailleurs ne couraient aucun risque de perte;

n)             si les travailleurs ne s'acquittaient pas correctement de leurs fonctions, l'appelante avait le droit de mettre fin à l'arrangement qu'elle avait conclu avec eux en matière d'emploi;

o)             les travailleurs ne sollicitaient pas leur propre travail;

p)             les travailleurs ne pouvaient conduire les camions pour des fins autres que celles de Hunterline ou de l'entreprise de l'appelante;

q)             les travailleurs n'étaient pas à leur compte.

[9]            Les appelants ont fait savoir par l'intermédiaire de leur avocat qu'ils étaient d'accord sur les alinéas a) à j) (sauf qu'il serait plus exact de dire que Hunterline " donnait les affectations " que de dire qu'elle " établissait les horaires relatifs aux courses ", ce que les chauffeurs faisaient eux-mêmes une fois qu'une course leur était assignée) et qu'ils étaient en outre d'accord sur les alinéas k), l), n) et o) (jusqu'à un certain point seulement) et sur l'alinéa p).

[10]          Les appelants étaient en désaccord sur les alinéas m) et o).

[11]          David Boychuk et M. Machniak ont témoigné pour les appelants. Aucun témoin n'a été appelé pour le ministre.

[12]          David Boychuk a dit au cours de son témoignage qu'il était le président de la société et qu'il avait une connaissance personnelle des questions. Il a expliqué que la société exploite un certain nombre de camions dont elle est propriétaire et qu'elle exploite en outre une entreprise de réparation de camions en Saskatchewan. Certains des camions de la société sont conduits par des employés permanents, qui sont payés d'après la distance parcourue, indépendamment du montant reçu par la société pour le voyage. Ces chauffeurs reçoivent en outre des avantages prévus par la loi, et il est clair que la société exerce un contrôle sur eux et qu'elle les dirige.

[13]          D'autres chauffeurs, par exemple M. Zorn et M. Machniak, travaillent en vertu d'un arrangement différent. La société a un contrat général avec Hunterline, soit une grande société de camionnage, contrat en vertu duquel elle fournit des camions et des chauffeurs à Hunterline, qui attribue ensuite des voyages directement à ces chauffeurs. Hunterline a tous les permis d'exploitation nécessaires et fournit les semi-remorques contenant les chargements, lesquelles semi-remorques doivent être arrimées aux camions pour le transport.

[14]          Les chauffeurs traitent directement avec Hunterline pour convenir de leurs voyages. Une fois qu'on leur a attribué un voyage, ils sont libres de déterminer eux-mêmes comment procéder et par où passer. En outre, ils sont libres d'accepter ou non un voyage, mais il ressortait clairement de la preuve que, s'ils refusaient trop de voyages, on ne les garderait pas.

[15]          Hunterline payait à la société 75 p. 100 du profit sur le voyage. De son côté, la société payait aux chauffeurs 25 p. 100 de cette proportion de 75 p. 100. La société payait tous les frais relatifs au fonctionnement du camion comme les primes d'assurances, les frais relatifs à l'immatriculation, les frais d'essence et d'huile ainsi que les frais d'entretien et de réparation.

[16]          Les camions qui étaient neufs valaient en 1995 environ 75 000 $ à 80 000 $ chacun.

[17]          Les chauffeurs fournissaient certains articles comme des bâches pour couvrir les chargements, des courroies et du matériel d'arrimage, des chaînes ainsi qu'un protège-cabine, ce qui était nécessaire seulement pour certains chargements. Neufs, ces articles coûteraient environ 5 000 $, mais M. Machniak a dit au cours de son témoignage qu'il avait accumulé les siens au fil des ans et que, si l'on s'en occupait bien, de tels articles étaient bons pour la vie. Il reste que les chauffeurs fournissaient ce matériel à leurs frais.

[18]          Les chauffeurs étaient responsables des dommages causés à leur camion et aux biens de tiers, du moins à concurrence de la franchise d'assurances, ainsi que des dommages causés à un chargement et de la perte totale ou partielle d'un chargement, encore là à concurrence de ce qui n'était pas couvert par les assurances. Ils couraient en outre un risque concernant leur propre matériel. La société les payait à toutes les deux semaines, par chèque. Ils ne faisaient pas rapport à la société régulièrement comme devaient le faire les employés permanents. On se fiait simplement à eux et l'on s'attendait qu'ils accomplissent le travail comme des professionnels, ce qu'ils étaient. Lorsque les chauffeurs étaient ainsi embauchés, c'était généralement parce qu'ils avaient déjà de l'expérience et qu'ils n'avaient pas besoin d'une formation ou d'une supervision quotidienne. Ils étaient toutefois tenus de présenter des fiches journalières à Hunterline, conformément à la loi.

[19]          En convenant de voyages à effectuer, ils établissaient la meilleure relation de travail qu'ils pouvaient avec les répartiteurs de Hunterline, car ces personnes pouvaient leur attribuer des voyages plus rentables. En outre, après un voyage, s'il n'y avait aucun chargement disponible pour le voyage de retour, ils entreprenaient parfois d'obtenir d'une autre source un chargement pour ce voyage de retour. Ils étaient toutefois quand même tenus de s'occuper d'un tel chargement par l'intermédiaire de Hunterline. Ils n'étaient pas libres de tenter d'obtenir des chargements pour les transporter à leur compte, ce que je considère comme important. Le nom de Hunterline était peint sur les côtés des camions et, relativement à l'exploitation de ces camions, tout se faisait sous les auspices de Hunterline.

[20]          Il est clair que, plus ils faisaient de voyages, plus ils étaient payés. Cependant, pour chaque dollar qu'ils gagnaient pour eux-mêmes, ils en gagnaient plusieurs pour la société. Leur taux de rémunération demeurait toujours constant, et Hunterline était, par l'intermédiaire de la société, la seule source de cette rémunération. Souvent, toutefois, ils pouvaient conclure avec Hunterline de meilleurs marchés que ne pouvait le faire la société directement, et il était plus rentable de travailler ainsi, les employés permanents étant simplement payés selon la distance parcourue.

[21]          Leurs ententes avec la société n'étaient pas des ententes écrites.

[22]          Ils ne pouvaient conduire les camions d'une autre organisation ou transporter des marchandises pour une autre organisation sans passer par Hunterline.

[23]          Ils déterminaient eux-mêmes quand ils arrêtaient de travailler. Ils n'avaient pas de congés de maladie payés ni de vacances payées. Ils étaient tous les deux des agriculteurs et, durant les saisons de pointe, par exemple lorsqu'ils s'occupaient de leurs récoltes, ils ne travaillaient pas comme chauffeurs. En dehors des saisons de pointe, ils s'organisaient pour conduire ces camions à temps plein. Ils pouvaient, comme l'a fait une fois M. Machniak, prendre des dispositions pour qu'un autre chauffeur conduise leur camion à leur place. Cet autre chauffeur devait alors être approuvé par Hunterline, qui, avant de donner son autorisation, vérifiait les références de cet autre chauffeur, par exemple son dossier de conducteur. J'ai conclu de la preuve que ce n'était pas une pratique courante. La seule fois où c'est arrivé, soit dans le cas de M. Machniak, ce dernier a été payé par la société comme d'habitude, puis il a payé son remplaçant. J'ai vu cela comme une anomalie plutôt que comme une procédure établie.

[24]          On ne tenait pas compte de la TPS dans les paiements faits aux chauffeurs. Pourtant, la preuve indiquait que, pour une année quelconque, chaque chauffeur recevait plus que le montant permettant d'être exonéré de TPS. Aucune déduction n'était effectuée au titre de l'impôt, des cotisations d'assurance-chômage ou des cotisations au Régime de pensions du Canada.

[25]          Tels sont les principaux faits que j'ai dégagés de la preuve présentée par les témoins. Il n'y avait pas vraiment de différend quant aux faits entre le ministre et les appelants. Le litige concernait plutôt l'interprétation à donner de ces faits. Il n'y a pas de doute qu'il y avait une distinction considérable à faire entre les arrangements conclus par ces chauffeurs et les arrangements conclus par les employés permanents. Il s'agit donc de savoir si ces chauffeurs entraient dans une catégorie différente d'employés ou s'ils étaient vraiment des entrepreneurs indépendants. D'après leurs dépositions, l'intention des parties était qu'ils soient des entrepreneurs indépendants. La Cour n'est toutefois liée non pas tant par l'intention des parties que par les modalités de l'arrangement qu'elles ont en fait conclu. La substance de l'arrangement est plus importante aux fins de la présente décision que la manière dont les parties ont choisi d'étiqueter l'arrangement. De toute façon, l'intention des parties n'est pas attestée par un contrat écrit. S'il y avait eu un contrat écrit, la Cour pourrait, en l'absence d'une preuve claire indiquant que la substance ne correspondait pas à l'intention, avoir été encline à accorder un poids considérable à une intention clairement exprimée. Dans les circonstances de l'espèce, toutefois, les parties doivent être considérées comme ayant voulu créer ce qu'elles ont bel et bien créé en fait. Elles peuvent avoir espéré ou pensé que l'arrangement n'entrerait pas dans la catégorie des contrats de louage de services, mais c'est maintenant là une question mixte de fait et de droit à trancher.

Application des critères aux faits de l'espèce

[26]          L'aspect du contrôle ou de la supervision doit reposer principalement sur le droit d'exercer un contrôle ou une supervision, que ce droit ait en fait été exercé ou non. Il s'agissait de chauffeurs d'expérience et, comme tous les professionnels ou hommes de métier expérimentés, dans quelque domaine que ce soit, ils n'avaient pas nécessairement besoin d'une supervision quotidienne. Ils pouvaient accomplir le travail et, plus ils l'accomplissaient efficacement, plus ils gagnaient d'argent, tout comme la société. Cette dernière avait cependant le droit de mettre un terme à leurs services n'importe quand et de confier le camion à un autre chauffeur. Dans cette mesure, quoiqu'elle n'ait pas en fait exercé ce droit, elle contrôlait bel et bien le travail des chauffeurs. Qu'il s'agisse d'employés ou d'entrepreneurs indépendants, il en serait ainsi, a fait valoir l'avocat des appelants à la Cour. Mais la question à poser, je suppose, est de savoir ce qu'il resterait au chauffeur si la société exerçait ce droit. Dans le cas d'un entrepreneur indépendant, il lui resterait une entreprise à exploiter. Dans les circonstances de l'espèce, il ne resterait rien au chauffeur.

[27]          Il me semble que la société contrôlait un autre aspect important, c'est-à-dire qu'elle imposait l'exigence selon laquelle le chauffeur devait accomplir tout son travail par l'intermédiaire des bureaux de Hunterline. Ces chauffeurs n'étaient pas libres de faire des courses où ils voulaient, quand ils voulaient et pour qui ils voulaient. Ils étaient confinés au travail organisé par Hunterline ou par l'entremise de cette dernière. Ils étaient libres de refuser un voyage, mais pas d'organiser un voyage aller. Il me semble que cette restriction était un contrôle important qu'exerçait la société. Le travail qu'avaient ces chauffeurs dépendait uniquement de la poursuite de leur relation avec la société, relation à laquelle la société pouvait mettre fin ou qu'elle pouvait modifier n'importe quand. À mon avis, cet aspect du critère tend beaucoup à indiquer qu'il existait un contrat de louage de services.

[28]          En ce qui a trait aux instruments de travail, le principal instrument était nettement le camion. Il est vrai que ces chauffeurs avaient besoin d'autre matériel. Toutefois, en fournissant d'autres articles, ils obtenaient de meilleures modalités en matière de rétribution. Il semble que des employés font souvent cela. Le principal instrument de travail, qui correspond à la substance du travail, était le camion, qui appartenait à la société. Si les chauffeurs avaient loué les camions, ils pourraient avoir détenu certains droits propriétaux, mais tel n'était pas le cas. Les camions restaient carrément entre les mains de la société. En outre, cette dernière payait tous les frais relatifs aux camions, y compris les frais d'entretien et de réparation. Les chauffeurs n'avaient absolument pas d'intérêts dans les camions, et leur investissement dans les articles qu'ils transportaient était faible comparativement à la valeur des camions. Cet aspect du critère tend à indiquer qu'ils avaient conclu un arrangement comme employés plutôt que comme entrepreneurs indépendants.

[29]          Quant à savoir s'il y avait des chances de bénéfice ou des risques de perte, malgré le fait que les chauffeurs pouvaient être tenus pour responsables de réclamations éventuelles pour perte ou dommage, ils n'avaient guère d'intérêts dans l'affaire. Si le camion tombait en panne ou se révélait une perte pour quelque raison, ce n'était pas leur affaire. À part l'investissement relativement faible dans le matériel, ils n'avaient pas d'intérêts financiers en jeu, si ce n'est que, plus ils faisaient de voyages et plus ils les faisaient efficacement, plus ils pouvaient gagner d'argent. Aucune participation financière n'était toutefois générée. Si le camion n'était pas utilisé, ils n'étaient pas responsables des paiements relatifs à la location ou à l'achat, soit des paiements que la société devait effectuer. Dans une telle situation, ils ne gagneraient simplement pas d'argent, mais ils n'en perdraient pas non plus. C'est à cela que se rapporte cet aspect du critère. En bref, il n'y avait aucun aspect entrepreneurial à ce qu'ils faisaient. Je suis d'avis que cet aspect du critère tend carrément à indiquer qu'il s'agissait d'employés plutôt que d'entrepreneurs indépendants.

[30]          Enfin, je dois me pencher sur le critère d'intégration. Je dois considérer cela du point de vue des chauffeurs et déterminer à qui appartenait l'entreprise. Il est clair dans mon esprit que l'entreprise appartenait à la société. Celle-ci achetait les camions, puis s'entendait avec Hunterline pour lui fournir les camions ainsi que les chauffeurs, de manière que Hunterline puisse en disposer à ses fins de transport. Si elle n'avait pas fourni ces chauffeurs, la société en aurait fourni d'autres. On s'attendait que les chauffeurs choisis soient assez expérimentés et ingénieux pour effectuer des voyages d'une manière économiquement avantageuse aussi bien pour la société que pour eux-mêmes. C'était toutefois la société qui avait l'arrangement avec Hunterline et non les chauffeurs. Tout ce que ces derniers avaient à faire, c'était de conclure les arrangements individuels pour la conduite des camions. Hunterline payait la société pour le camion et le chauffeur, et la société payait de son côté les chauffeurs. C'était clairement l'entreprise de la société. Aucune facture n'était présentée par les chauffeurs. Aucune TPS n'était demandée. Tout cet arrangement n'était à mon avis rien de plus qu'un arrangement conçu pour permettre de payer à la pièce.

Conclusion

[31]          En définitive, quand je regarde non pas simplement les divers arbres de la forêt — qui portent tous à mon avis les marques d'un contrat de louage de services — mais aussi la forêt dans son ensemble, je ne vois qu'une situation dans laquelle il s'agissait d'employés et non d'entrepreneurs indépendants. À mon avis, les chauffeurs ne sont pas assez indépendants de la société pour que l'on puisse dire qu'ils ont été embauchés en vertu de contrats d'entreprise.

[32]          En conséquence, tous les appels sont rejetés, et les décisions du ministre sont confirmées.

Signé à Calgary (Alberta), ce 15e jour de mars 1999.

" Michael H. Porter "

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 10e jour de décembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-1213(UI)

ENTRE :

COUNTRY VENTURES LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Country Ventures Ltd. (97-131(CPP)) et de Brian Machniak (97-1217(UI) et 97-132(CPP)),

le 23 février 1999 à Winnipeg (Manitoba), par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me William P. Narvey

Avocate de l'intimé :                            Me Tracy Hardwood-Jones

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 15e jour de mars 1999.

" Michael H. Porter "

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-131(CPP)

ENTRE :

COUNTRY VENTURES LTD.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Country Ventures Ltd. (97-1213(UI)) et de Brian Machniak (97-1217(UI) et 97-132(CPP)),

le 23 février 1999 à Winnipeg (Manitoba), par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me William P. Narvey

Avocate de l'intimé :                            Me Tracy Hardwood-Jones

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 15e jour de mars 1999.

" Michael H. Porter "

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-1217(UI)

ENTRE :

BRIAN MACHNIAK,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Country Ventures Ltd. (97-1213(UI) et 97-131(CPP)) et de Brian Machniak (97-132(CPP)),

le 23 février 1999 à Winnipeg (Manitoba), par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me William P. Narvey

Avocate de l'intimé :                            Me Tracy Hardwood-Jones

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 15e jour de mars 1999.

" Michael H. Porter "

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-132(CPP)

ENTRE :

BRIAN MACHNIAK,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de Country Ventures Ltd. (97-1213(UI) et 97-131(CPP)) et de Brian Machniak (97-1217(UI)),

le 23 février 1999 à Winnipeg (Manitoba), par

l'honorable juge suppléant Michael H. Porter

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me William P. Narvey

Avocate de l'intimé :                            Me Tracy Hardwood-Jones

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Calgary (Alberta), ce 15e jour de mars 1999.

" Michael H. Porter "

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 10e jour de décembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


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