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Date: 20010113

Dossier: 98-1704-IT-I

ENTRE :

KRZYSZTOF WIDLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Le présent appel est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie à l'égard de l'année d'imposition 1996 de l'appelant.

[2]            L'unique question en litige est celle de savoir si l'appelant pouvait déclarer en 1996 le montant de 4 559,81 $ dans le calcul du crédit d'impôt auquel il a droit en vertu de l'article 118.8 de la Loi de l'impôt sur le revenu, disposition qui se lisait ainsi en 1996 :

                Le particulier qui, à un moment d'une année d'imposition, est marié peut déduire dans le calcul de son impôt payable en vertu de la présente partie pour cette année — sauf si, pour cause d'échec du mariage, il vit séparé de son conjoint à la fin de l'année et pendant une période de 90 jours commençant au cours de l'année —, le montant calculé selon la formule suivante :

A + B - C

où :

A              représente le moins élevé de 680 $ et du total des montants que le conjoint du particulier peut déduire en application des articles 118.5 ou 118.6 pour l'année;

B              le total des montants que le conjoint du particulier peut déduire pour l'année en application des paragraphes 118(2) et (3) et 118.3(1);

C              le montant de l'impôt payable par le conjoint du particulier en vertu de la présente partie pour l'année, calculé avant toute déduction en application de la présente section — à l'exception d'une déduction prévue au paragraphe 118(1), par application de l'alinéa 118(1)c) ou prévue à l'article 118.7.

[3]            En 1994, l'appelant épousait celle qui est toujours sa conjointe, Monika. En 1996, l'appelant et Monica ont payé les frais de scolarité universitaire de cette dernière. Elle a été inscrite à l'université pendant 12 mois. L'appelant a indiqué dans son témoignage que les frais de scolarité de Monika avaient dépassé 5 000 $. Le revenu de Monika étant faible, les déductions avaient pour effet de ramener son impôt à zéro. Le solde a été transféré à l'appelant en vertu de l'article 118.8.

[4]            Il ne semble pas contesté que le montant de 4 559,81 $ constituait la fraction inutilisée des frais de scolarité et du montant relatif aux études de Monika.

[5]            L'appelant et Monika se sont séparés vers la mi-octobre 1996. Ils ne se sont pas réconciliés, et ils ont divorcé en 1998.

[6]            Les hypothèses avancées par le ministre sont les suivantes, dans la mesure où elles sont pertinentes au litige :

                [TRADUCTION]

a)              les faits admis ci-dessus;

b)             la demande de transfert des crédits inutilisés de la conjointe visait la fraction inutilisée des frais de scolarité et le montant relatif aux études de l'ancienne conjointe;

c)              l'appelant, en raison de l'échec de son mariage, vivait séparé de l'ancienne conjointe à la fin de l'année d'imposition 1996 et pendant une période d'au moins 90 jours commençant au cours de l'année d'imposition 1996.

[7]            Les faits admis sont les suivants :

                [TRADUCTION]

a)              que l'appelant a épousé Monika Widla (ci-après appelée l' « ancienne conjointe » );

b)             que l'appelant a demandé la fraction inutilisée des frais de scolarité de l'ancienne conjointe dans sa déclaration de revenus de 1996;

c)              que l'appelant a indiqué dans sa déclaration de revenus de 1996 qu'il était séparé le 31 décembre.

[8]            Comme cela est indiqué ci-dessus, rien dans la réponse à l'avis d'appel ne met en cause le calcul mathématique de la demande faite en vertu de l'article 118.8.

[9]            Selon ce que comprend l'appelant de la cotisation, l'exclusion mise entre tirets dans le préambule de l'article 118.8 signifie que, si les conjoints ne se sont pas réconciliés au cours des 90 jours suivant la date de la séparation (que les 90 jours dépassent la fin de l'année ou non), le conjoint demandant les crédits d'impôt inutilisés de l'autre conjoint perd le droit de le faire.

[10]          La question qui nous intéresse est celle de savoir si les 90 jours peuvent aller au-delà de l'année en cause. Il est possible de conclure, à la lecture des mots « commençant au cours de l'année » , que la période de 90 jours n'a pas à se terminer au cours de l'année, étant donné que, si le législateur avait voulu que la période commence et se termine au cours de l'année, il l'aurait dit.

[11]          La version française est ainsi rédigée :

                Le particulier qui, à un moment d'une année d'imposition, est marié peut déduire dans le calcul de son impôt payable en vertu de la présente partie pour cette année — sauf si, pour cause d'échec du mariage, il vit séparé de son conjoint à la fin de l'année et pendant une période de 90 jours commençant au cours de l'année —, le montant calculé selon la formule suivante :

A + B - C

[12]          Le libellé ordinaire de la disposition législative semble appuyer la position de la Couronne, même s'il commande de tenir compte d'événements qui se sont produits après la fin de l'année. Néanmoins, il semble aller à l'encontre de la règle énoncée par le juge Pratte dans un jugement dissident rendu dans l'affaire Dale c. La Reine, C.A.F., no A-15-94, 21 avril 1997, aux pages 9 et 10 (97 DTC 5252, à la page 5261), où il a déclaré ceci :

                Nous traitons en l'espèce de la validité d'une cotisation d'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1985. En vertu de notre droit, l'impôt sur le revenu est exigible tous les ans. Les contribuables doivent produire une déclaration de revenus pour chaque année d'imposition, et le ministre du Revenu doit par la suite évaluer l'impôt payable dans l'année. Il s'ensuit, à mon avis, que, sauf disposition contraire de la Loi [Voir Note 5 ci-dessous], le ministre, quand il évalue l'impôt à payer dans une année donnée, doit tenir compte des faits qui existaient au cours de cette année. Il s'ensuit également que, si un appel est formé à l'encontre de la cotisation du ministre, la justesse et la validité de la cotisation établie doivent être décidées en se fondant sur les faits qui existaient à la fin de l'année d'imposition en question. Une cotisation qui était exacte au moment où elle a été établie ne peut, du seul fait de l'écoulement du temps, devenir inexacte. Dans un appel formé à l'encontre d'une cotisation d'impôt sur le revenu, la question à trancher est de savoir si la cotisation était valide au moment où elle a été faite.

                Je ne veux pas dire que le ministre, en établissant une première cotisation ou une nouvelle cotisation, doit ignorer tous les jugements concernant le contribuable qui ont été rendus après la fin de l'année d'imposition. Pour déterminer l'impôt à payer, le ministre doit d'abord déterminer quels étaient les faits pertinents au cours de l'année d'imposition et, pour ce faire, il doit considérer tous les éléments de preuve pertinents, que ceux-ci soient portés à son attention avant ou après la fin de l'année d'imposition. Si un jugement prononcé en faveur ou à l'encontre du contribuable établit quelle était sa situation au cours de l'année d'imposition, le ministre ne peut ignorer ce jugement pour la simple raison que celui-ci a été rendu après la fin de l'année d'imposition. Bien entendu, la situation est différente lorsqu'un jugement, se fondant sur des faits qui se sont produits après la fin de l'année d'imposition, déclare que la situation qui existait au cours de cette année est différente de ce qu'elle était réellement. Dans ce cas, le ministre ne peut pas tenir compte du jugement parce que celui-ci ne se rapporte pas à la question qu'il doit trancher, c'est-à-dire évaluer la responsabilité fiscale du contribuable à partir des faits existant à la fin de l'année de l'imposition. Autrement dit, si le ministre ne peut, dans l'accomplissement de sa fonction d'évaluation, tenir compte de faits qui se sont produits après l'expiration de l'année d'imposition, il ne peut pas non plus tenir compte de jugements rendus à partir de ces mêmes faits.

______________________

5                Par exemple, en vertu de l'article 85, le ministre doit tenir compte, pour les fins de cet article, du choix qui est fait après la fin de l'année d'imposition et, à mon avis, de la situation qui existait quand le choix a été fait.

[13]          Je suis conscient que le juge Pratte était dissident et que le juge Robertson, s'exprimant pour la majorité, ne semblait pas avoir de difficulté à donner un effet rétroactif à une ordonnance rendue des années plus tard par un tribunal d'une province différente. Néanmoins, le point de vue exprimé par le juge Pratte semble avoir certains adeptes et il mérite d'être examiné.

[14]          Tout d'abord, le fait que des événements survenus après la fin d'une année ne peuvent être pris en considération afin que soit déterminée l'obligation fiscale relative à une année antérieure ne représente pas un principe d'interprétation législative. Le principe énoncé par le juge Pratte continue à représenter l'opinion acceptée, mais il souffre de nombreuses exceptions. En effet, la décision majoritaire, dans l'affaire Dale elle-même, semble constituer un abandon de la règle.

[15]          En outre, il existe de nombreuses dispositions législatives qui commandent que l'on tienne compte d'événements qui surviennent après la fin d'une année : les reports rétrospectifs d'une perte visés à l'article 111, les transferts en franchise d'impôt visés à l'article 85 (et mentionnés par le juge Pratte), les contributions à un REÉR et le remboursement de prestations d'assurance-emploi fait après la fin de l'année (alinéa 60v.1)) en sont des exemples.

[16]          L'opinion selon laquelle, en l'absence de dispositions législatives particulières, il ne faut pas tenir compte de ce qui se produit après la fin de l'année trouve son origine, à mon avis, dans la manière dont les tribunaux ont établi des distinctions entre un certain nombre d'affaires anglaises, où il avait été décidé que des comptes pouvaient être rouverts afin de donner effet à des événements s'étant produits au cours d'une année ultérieure. Ces affaires sont I.R.C. v. Newcastle Breweries, Ltd. (1927) 12 T.C. 927; I.R.C. v. Isaac Holden & Sons, Ltd. (1924) 12 T.C. 768 (l'affaire « Woolcomber » ); Gardner Mountain & D'Ambrumenil, Ltd. v. I.R.C., (1947) 29 T.C. 69; et Johnson (H. M. Inspector of Taxes) v. W. S. Try, Ltd., (1947) 27 T.C. 167. (Voir en général Hannan & Fansworth, The Principles of Income Taxation, aux pages 211 à 214.) Dans l'affaire M.N.R. v. Benaby Realties Limited, 67 DTC 5275, le juge Judson, s'exprimant au nom de la Cour suprême, a examiné le principe énoncé dans les affaires susmentionnées et a déclaré, aux pages 5276 et 5277 :

                                [TRADUCTION]

                L'application de la présente décision à la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) est douteuse. Cette décision signifie que des comptes peuvent être laissés ouverts tant que les profits découlant d'une certaine opération n'ont pas été établis, et que les comptes d'une période pendant laquelle une opération a eu lieu peuvent être rouverts une fois que les profits ont été établis.

                On ne peut s'objecter à cela lorsque la loi est correctement rédigée, mais la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) ne prévoit rien à ce sujet. Pour les fins de l'impôt sur le revenu, des comptes ne peuvent être laissés ouverts tant que les profits n'ont pas enfin été déterminés. Les contribuables doivent produire une déclaration de revenus pour chaque année d'imposition (par. 44(1)), et le ministre doit, « avec toute la diligence voulue » , examiner chacune des déclarations de revenus et établir une cotisation pour l'année d'imposition. Toutefois, dans de nombreux cas, l'indemnité payable aux termes de la Loi sur l'expropriation n'est déterminée que plus de quatre années après l'expropriation, et, dans beaucoup de ces cas, le ministre ne pourrait pas modifier la cotisation originale en raison du délai de quatre ans pendant lequel il peut établir une cotisation (par. 46(4)).

                À mon avis, la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) commande que les profits soient examinés ou évalués au cours de l'année où le montant est établi.

[17]          L'opinion exprimée dans le jugement dissident du juge Pratte dans l'affaire Dale représente le point de vue traditionnel et orthodoxe soutenu par la Cour suprême dans l'affaire Benaby Realties, alors que le jugement majoritaire semble concorder davantage avec la jurisprudence anglaise.

[18]          En l'espèce, bien entendu, l'article 118.8 nous donne une indication claire qu'un événement qui se produit après la fin de l'année doit être pris en considération. Le résultat est, comme le fait remarquer M. Widla, injuste. Il est impossible de discerner une raison politique rationnelle sous-tendant l'exception. Aussi absurde que puisse paraître le résultat, si la loi est claire, la Cour doit lui donner effet. En l'espèce, l'appelant entre carrément dans le cadre de l'exception comprise entre les tirets.

[19]          L'appelant forme également un appel à l'encontre de l'imposition d'intérêts. Je ne peux lui accorder une mesure de redressement à cet égard. Il s'est avéré que l'appelant n'avait pas droit au crédit d'impôt qu'il a demandé, et l'intérêt est automatiquement imposé sur les paiements insuffisants.

[20]          L'appel est donc rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de février 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 8e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-1704(IT)I

ENTRE :

KRZYSZTOF WIDLA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 23 novembre 2000 à Rankin Inlet (Nunavut) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Pour l'appelant :               l'appelant lui-même

Pour l'intimée :                 Personne n'a comparu

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de février 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d'août 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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