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Date: 20000225

Dossiers: 96-814-UI, 96-815UI

ENTRE :

ROBERT FOREST, FERME DES PEUPLIERS INC.,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

ET

Dossiers: 96-816-UI, 96-817-UI

ROBERT FOREST, AGRISEM INC.,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge en chef Garon, C.C.I.

[1]            Il s'agit de quatre appels interjetés à l'encontre des deux décisions, toutes deux en date du 22 avril 1996, du ministre du Revenu national selon laquelle l'emploi de monsieur Robert Forest ("l'appelant") n'était pas assurable en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage ("Loi")durant les périodes visées par ces décisions. L'une de ces décisions porte sur la période du 18 novembre au 28 décembre 1990. L'autre décision porte sur les périodes du 27 mai 1991 au 27 décembre 1991, du 25 mai 1992 au 20 novembre 1992 et du 17 mai 1993 au 21 janvier 1994.

[2]            Ces quatre appels furent entendus sur preuve commune.

[3]            Les hypothèses retenues par le ministre du Revenu national portant sur l'emploi de l'appelant durant la période du 18 novembre 1990 au 28 décembre 1990 dans le cas du dossier de l'appelant (96-814(UI)) et du dossier de Ferme des Peupliers Inc., ("l'appelante Ferme des Peupliers") (96-815(UI)) sont en substance les mêmes dans chacun de ces dossiers. Je ne reproduirai que le paragraphe 5 dans le dossier de l'appelant (96-814(UI)). Ce paragraphe se lit comme suit :

5.              En rendant sa décision, l'intimé, le ministre du Revenu national s'est basé, notamment, sur les faits suivants :

a) le payeur a été incorporé en 1975;

b) M. André Forest, Mme Rita Morin et M. Claude Forest sont les actionnaires du payeur;

c) ils détiennent respectivement 98%, 1% et 1% des actions avec droit de vote émises par le payeur;

d) l'appelant est le frère de M. André Forest;

e) le payeur exploite une entreprise spécialisée dans la culture du maïs et du soja;

f) les tâches de l'appelant sur la ferme était de préparer le terrain pour les semences, d'étendre les herbicides et de faire la récolte;

g) lorsqu'il ne travaillait pas sur la ferme, l'appelant rendait aussi des services à la quincaillerie exploitée par Agrisem inc. dont Mme Rita Morin, conjointe de M. André Forest, était la seule actionnaire;

h) la rémunération hebdomadaire versée à l'appelant était de 750 $;

i) la rémunération versée à l'appelant n'était pas raisonnable compte tenu de la nature des tâches accomplies par l'appelant;

j) depuis août 1994, l'appelant travaille à l'année longue pour Agrisem inc. et reçoit une rémunération de 350 $ par semaine;

k) l'appelant et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

l) le payeur n'aurait jamais engagé une personne sans lien de dépendance aux mêmes conditions que celles offertes à l'appelant, encore moins pour une telle rémunération;

m) du 7 mai au 17 novembre 1990, il existait un contrat de louage de services entre l'appelant et le payeur.

[4]            À l'exception des alinéas i) et l) qui ont été niés, les autres alinéas du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel dans le dossier de l'appelant (96-814(UI)) ont été admis, dans certains cas avec explications, pour le compte de l'appelant et de l'appelante Ferme des Peupliers.

[5]            Les Réponses aux avis d'appel dans le dossier de l'appelant (96-816(UI)) et de Agrisem Inc. ("l'appelante Agrisem") (96-817(UI)) ont trait à l'emploi de l'appelant durant les trois périodes suivantes : 27 mai 1991 au 27 décembre 1991, 25 mai 1992 au 20 novembre 1992 et du 17 mai 1993 au 21 janvier 1994.

[6]            Les hypothèses prises en compte par le ministre du Revenu national à l'appui de la non-assurabilité de l'emploi de l'appelant dans ces deux derniers dossiers sont en substance identiques. Ces hypothèses sont énoncées au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel dans le dossier de l'appelant (96-816(UI)). Ledit paragraphe 5 se lit ainsi :

[...]

a) le payeur a été incorporé en février 1986;

b) Mme Rita Morin est la seule actionnaire du payeur;

c) l'appelant est le beau-frère de Mme Rita Morin;

d) le payeur exploite une quincaillerie et fait également la vente de semences et de matériaux de construction;

e) les activités du payeur se déroulent tout au long de l'année;

f) les tâches de l'appelant étaient principalement de faire la livraison chez les clients, ce qui occupait environ la moitié de son temps, et de recevoir les marchandises;

g) l'appelant rendait également certains services à la ferme exploitée par Ferme des peupliers inc. dont M. André Forest, conjoint de Mme Rita Morin et frère de l'appelant, était actionnaire à 98%;

h) la rémunération hebdomadaire versée à l'appelant était de 750 $ pendant les deux premières périodes en litige et de 500 $ pendant la troisième période;

i) la rémunération versée à l'appelant n'était pas raisonnable compte tenu de la nature des tâches accomplies par l'appelant;

j) le payeur prétend que, pendant une bonne partie de chacune des périodes en litige, l'appelant ne travaillait qu'une semaine sur deux alors que l'appelant était le seul à détenir le permis requis pour conduire le camion de livraison du payeur;

k) depuis août 1994, l'appelant travaille à l'année longue pour le payeur et reçoit une rémunération de 350 $ par semaine;

l) le payeur prétend que l'appelant a travaillé 22 semaines pendant la première période en litige, 14 semaines pendant la deuxième période et 20 semaines pendant la troisième période;

m) les prétendues semaines de travail de l'appelant ne correspondent pas aux périodes d'activités fortes du payeur;

n) l'appelant et le payeur ont un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

o) le payeur n'aurait jamais engagé une personne sans lien de dépendance aux mêmes conditions que celles offertes à l'appelant, encore moins pour de telles périodes et de telles rémunérations.

[7]            Ont été admis pour le compte de l'appelant et de l'appelante Agrisem les sous-alinéas a) à e) inclusivement, h), k), l), et n) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Les sous-alinéas f), g), i), j), m) et o) de ce même paragraphe ont été niés.

[8]            L'appelant et son frère, monsieur André Forest, ont donné leur déposition lors de l'audition de ces appels. Madame Rita Morin, la seule actionnaire de l'appelante Agrisem, a témoigné brièvement à la demande de l'intimé.

[9]            Monsieur André Forest a témoigné qu'il possède une ferme à St-Célestin depuis 1974 qu'il avait achetée de son père. En 1975, il a formé la société par actions, l'appelante Ferme des peupliers. Cette société a exploité une ferme laitière jusqu'à 1982. En 1982, la ferme laitière a été liquidée. Cette ferme a été par la suite utilisée pour la culture du maïs et du soja. Cette ferme durant les périodes en cause était une très grande ferme par suite de l'acquisition de certaines terres. Quant à l'appelante Agrisem, elle fut constituée en société par actions en 1985. Cette société s'est lancée dans la vente des équipements de ferme de petites dimensions comme des silos à grain et des "nettoyeurs" d'érable. L'appelante Agrisem a fait l'acquisition d'une petite quincaillerie dans la même municipalité, St-Célestin.

[10]          Ce même témoin a relaté qu'il a engagé l'appelant en 1990. Ce dernier avait auparavant été opérateur de bulldozer, de pelle mécanique et de draineuse et il conduisait des camions. Il a affirmé qu'il a été le seul dirigeant de l'appelante Ferme des Peupliers. Quant à l'appelante Agrisem, elle avait comme mission de vendre des grains de semence et des matériaux de construction. Elle était installée dans les locaux de la l'appelante Ferme des Peupliers. L'appelante Ferme des Peupliers pouvait ainsi se procurer les grains de semence et les herbicides au prix du gros.

[11]          Monsieur André Forest a raconté que l'appelant avait perdu son emploi en 1989. Il lui a proposé de l'engager par l'entremise de l'appelante Ferme des Peupliers, une semaine sur deux, pour faire des travaux bien spécifiques sur la ferme, comme le nivellement et le drainage des terres, après lui avoir indiqué qu'il était incapable de le rémunérer au même taux que celui qui lui avait été accordé par son ancien employeur en 1989. L'appelant n'a pas travaillé à la quincaillerie en 1990. Les travaux sur la ferme comme, par exemple, l'opération d'une draineuse au laser, exigeaient une compétence spéciale. Monsieur André Forest a affirmé que lui-même n'était pas capable d'opérer une telle machine.

[12]          L'appelant a reçu des paies à tous les 15 jours pour une semaine de travail durant les mois de mai, juin, juillet, août et septembre au cours de l'année 1990. Le témoin a précisé que l'appelant a travaillé à chaque semaine durant la période du 18 novembre au 28 décembre 1990. En 1990, l'appelant fut rémunéré au taux hebdomadaire de 675 $ par l'appelante Ferme des Peupliers.

[13]          Le témoin André Forest a fourni les précisions suivantes concernant les semaines de travail de l'appelant pour l'année 1991 :

Me JEAN-PIERRE HINSE :

Q.             Alors, en 1991, Monsieur Forest là, est-ce que votre frère a travaillé une semaine sur deux uniquement?

R.             On a refait, tout dépendant des travaux qu'il y avait à faire, dans les mois de mai, juin, juillet et août, il a travaillé une semaine sur deux.

Q.             Oui.

R.             Dans le mois de septembre aussi.

Q.             Oui.

R.             Puis dans le mois d'octobre, novembre et décembre, il a travaillé régulièrement à toutes les semaines.

                                                                (Notes sténographiques, page 33, lignes 24 et 25

                                                                et page 34, lignes 1 à 10.)

[14]          Quant à l'année 1992, le témoin André Forest a mentionné que l'appelant n'a pas travaillé durant les mois de mai, juin, juillet, août et décembre mais que ses services ont été utilisés durant une semaine en septembre et durant les mois d'octobre et novembre au complet. En passant, la période de travail de l'appelant au cours de l'année 1992 pour les sociétés appelantes, selon les dires de ce témoin, ne coïncide pas avec la période d'emploi de l'appelant relativement à l'année 1992 qui est l'objet du présent litige.

[15]          Le témoin André Forest a été catégorique; c'est lui qui décidait des semaines où l'appelant devait travailler après avoir tenu compte de ses liquidités et de celles des sociétés appelantes.

[16]          Le témoin André Forest a expliqué qu'au début de l'année 1993, lui et l'appelant se sont rencontrés pour discuter des travaux qui devaient être exécutés pour les sociétés appelantes. Monsieur André Forest a informé l'appelant que son salaire devait être réduit à cause des sérieuses difficultés financières auxquelles faisaient face les deux sociétés concernées. Il a aussi mentionné qu'il y avait moins de travaux à faire sur la ferme et que les activités de l'appelante Agrisem avaient diminué dans une certaine mesure. Ces discussions ont abouti à une réduction de salaire de l'appelant et à des semaines de travail échelonnées.

[17]          En 1991 et 1992, l'appelant était payé à raison de 750 $ par semaine. Le salaire de l'appelant fut réduit à 500 $ par semaine pour ses semaines de travail en 1993. L'appelant a travaillé davantage à la quincaillerie. Au cours du printemps 1994, il a été rémunéré à 920 $ pour une semaine et 500 $ pour les deux autres semaines. Au cours de ces trois semaines, l'appelant avait l'entière responsabilité de l'entreprise dirigée par monsieur André Forest durant son absence à l'extérieur du pays. À partir du mois d'août 1994, l'appelant a été embauché à 350 $ par semaine. L'appelant a rendu des services sur la ferme en 1994 aussi bien qu'à la quincaillerie. Le témoin André Forest témoigne qu'il n'a pas lui-même reçu de salaire en 1994. Il ajoute qu'il a retenu les services de l'appelant parce qu'il avait des travaux à faire.

[18]          Le témoin André Forest a aussi mentionné que monsieur Vignault, un étranger par rapport à monsieur André Forest, a fait des travaux sur la ferme et a été payé 800 $ par semaine au taux horaire de 20 $; ce dernier a travaillé six semaines durant l'année 1991.

[19]          Pour l'année 1994, l'appelant a été engagé à l'automne de l'année en question au taux hebdomadaire de 350 $ et il a cessé d'être au service des deux appelantes au mois de janvier 1995 parce que, selon lui, l'appelant "n'arrivait pas à ce salaire-là" en raison de ses charges de famille. Le payeur était incapable de le rémunérer suffisamment. Par la suite, le témoin s'est occupé lui-même de la quincaillerie. Il a fait faire par la suite, à forfait, par des étrangers, les travaux qu'accomplissait son frère. Il a précisé que les travaux à forfait lui ont coûté "beaucoup plus cher" à cette époque que durant la période où ils étaient faits avec les machines possédées par l'une des sociétés appelantes et où le payeur bénéficiait des services de l'appelant. Il a fait état notamment d'un prix de 165 $ de l'heure pour la fourniture d'une batteuse avec les services d'un chauffeur.

[20]          Quant au travail pour l'appelante Agrisem, l'appelant faisait des livraisons de marchandises, comme d'ailleurs monsieur André Forest et les enfants de ce dernier, à l'occasion. Le payeur a aussi retenu les services d'autres personnes de temps à autre. Le travail à la quincaillerie était devenu plus exigeant.

[21]          Monsieur André Forest confirme que l'appelant a réellement travaillé durant les semaines en question. Il était engagé pour le travail qui devait être exécuté. Monsieur André Forest a fourni des explications au sujet des services rendus par l'appelant durant les périodes en cause à un préposé du ministère concerné par l'administration de la Loi sur l'assurance-chômage, lequel préposé, selon lui, ne voulait rien comprendre.

[22]          D'après les talons de paie de l'appelant pour l'année 1987, lorsqu'il était employé de la société Les Pavages de Nicolet Inc., qui ont été produits, l'appelant a reçu des revenus bruts de son emploi s'élevant en plusieurs occasions à plus de 700 $ et pouvant même atteindre 1 000 $ par semaine, mais il affirme ne pas connaître le nombre d'heures de travail par semaine que l'appelant a pu faire pour cet ancien employeur. Selon monsieur André Forest, l'appelant travaillait en 1990 environ 11 ou 12 heures par jour, six jours et parfois sept jours par semaine. Il a travaillé pendant un peu moins d'heures en 1991 et 1992, environ 55 ou 60 heures par semaine. Le témoin mentionne qu'il aurait été difficile d'avoir un employé — qui aurait été un étranger — qui aurait accepté de travailler un si grand nombre d'heures de travail. Si un étranger avait accepté de travailler un aussi grand nombre d'heures de travail, il lui aurait donné le même salaire.

[23]          En contre-interrogatoire, le témoin monsieur André Forest confirme qu'il n'avait pas l'impression de verser une rémunération trop élevée à son frère. Il ajoute de sa propre initiative, sans que sa crédibilité soit mise en doute par l'avocat de l'intimé et sans être pressé par les questions de ce dernier, qu'un opérateur de pelle mécanique et de bulldozer était rémunéré à ce temps-là de 10 $ à 12 $ de l'heure; il avait pourtant mentionné au cours de l'interrogatoire principal qu'un opérateur de bulldozer ou de pelle mécanique gagne environ 16 $, 17 $ et 18 $ de l'heure.[1] Il confirme aussi que l'appelant travaillait une semaine sur deux au printemps. À la question "Pourquoi une semaine sur deux? Pourquoi pas des blocs de semaines?", il a répondu ainsi :

R.             C'est parce que le travail était quand même fait comme ça puis ça me permettait, moi, de voir, parce que j'ai tout le temps fait mon affaire tout seul chez nous.

Q.             Dans les faits, il était payé une semaine sur deux, est-ce qu'il travaillait effectivement ces semaines sur deux-là ou ça pouvait être décalé?

R.             Je ne voudrais pas vous conter de mensonge, je ne vous dis pas, pour avoir des semaines décalées, non. Je ne vous dis pas qu'il n'a pas, peut-être, un avant-midi des fois où est-ce qu'il n'aurait pas été supposé de travailler puis qu'il venait jeter un coup d'oeil, ça je n'irais pas ... j'aurais pas la prétention. Mais je peux vous dire une chose, on a essayé le plus possible de respecter les payes.

                Première des raisons, mon frère, quand je l'ai engagé, il avait quand même trente (30) quelques années, puis moi j'en avais, je m'en rappelle pas, ça fait, l'année 90, ça, ça fait vingt (20) ans, j'en ai cinquante-deux (52), il avait trente-deux (32) ans. Il avait quand même des responsabilités puis j'avais les miennes. Ce n'est pas parce que c'était mon frère là que j'allais manger chez eux puis qu'il venait manger chez nous. Vous savez, on avait chacun nos affaires. Puis je ne l'ai pas engagé par charité, il gagnait déjà ce salaire-là ailleurs, je ne sais pas s'il avait une assez grosse preuve d'amour pour venir travailler pour moi pour trois cent piastres (300 $) de moins par semaine, je ne peux pas vous ...

                                                                (Notes sténographiques, page 70, ligne 7

                                                                jusqu'à la page 71, ligne 9.)

[...]

                Moi, la semaine qu'il ne travaillait pas, ça me permettait de faire le tour dans mes champs puis de voir, bon, bien, il y aurait ce fossette-là à redressir, il y aurait cette clôture-là à démancher, il y aurait ce haie-là à enlever, et je pouvais combiner mon travail, autrement, ça, cet ouvrage-là, j'aurais été obligé d'aller le faire moi-même par les soirs ou le faire faire par d'autres.

                Puis, dans le temps, j'évaluais que ça me coûtait moins cher de le faire faire par quelqu'un et surtout que je le faisais faire à mon rythme. Tandis que, le plus bel exemple, un exemple, vous avec un fossé à faire faire, un fossé de deux cents (200) pieds de long. Si vous faites venir un bull, il va vous charger deux heures de transport, puis il n'est pas intéressé de venir travailler dix heures, il veut venir travailler une semaine parce que les frais de base sont quand même là. Mais moi, si ça me tentait de faire faire cent (100) pieds de fossé, je faisais faire cent (100) pieds de fossé et après ça on arrêtait ça là puis on faisait d'autre chose.

[...]

... Tandis que là, on le faisait nous autres mêmes, aussitôt qu'il rentrait un peu d'argent, aussitôt qu'on voyait qu'on était capable de payer, on faisait un bout puis on l'a fait tranquillement pas vite à venir jusqu'à maintenant.

                                                                (Notes sténographiques, page 73, ligne 13 jusqu'à

                                                                la page 74, ligne 7 et page 74, lignes 15 à 19.)

[24]          Le témoin André Forest précise que l'appelant était payé à la semaine; le taux hebdomadaire n'était pas diminué pour tenir compte des journées de pluie. Ces journées de pluie n'étaient pas "reprises" la semaine suivante. Le même témoin a aussi expliqué que vers la fin d'une période de travail dans une année donnée, l'appelant travaillait sans interruption chaque semaine parce que le gros du travail sur une ferme céréalière doit se faire à la fin de l'automne. Il explique que les travaux à l'automne peuvent se poursuivre très tard, parfois jusqu'aux Fêtes. À cet égard, il indique que le taux d'humidité du grain joue un rôle très important sur sa qualité et sur le moment où il est souhaitable de le récolter.

[25]          Monsieur André Forest explique que les appelantes Ferme des peupliers et Agrisem sont deux sociétés étroitement liées ayant effectivement le même dirigeant, c'est-à-dire lui-même. L'appelante Agrisem s'occupait de la vente de grains de semence et des équipements de ferme. Lorsque l'appelant était au service de l'appelante Agrisem, il effectuait surtout des livraisons de grains de semence et de bois.

[26]          Le témoin André Forest n'a pas été clair au sujet des raisons pour lesquelles le salaire de l'appelant qui était de 675 $ par semaine en 1990 a été porté à 750 $ par semaine en 1991. Il a déclaré que cette augmentation était peut-être attribuable à une surcharge de travail, après avoir souligné que le chiffre d'affaires annuel des deux entreprises avait monté à au-delà d'un million $ à cette époque-là.

[27]          En passant, il a été précisé par l'avocat des appelants — et cela ne fut pas contesté par l'avocat de l'intimé — qu'un permis de conduire spécial est requis dans le cas d'un camion qui pèse plus de 4 500 kilos. Le camion utilisé pour les entreprises de l'une ou l'autre société ne pesait que 2 700 kilos. Monsieur André Forest a expliqué que dans le temps il n'était pas sûr s'il savait qu'il avait le droit de conduire le camion en question.

[28]          Le chiffre d'affaires de l'appelante Agrisem pour les années 1991, 1992, 1993 et 1994 s'est élevé 652 619 $, 703 056 $, 612 434 $ et 689 112 $ respectivement. Les revenus nets pour les années 1992, 1993 et 1994 se sont élevés respectivement à 8 630 $, 1 097 $ et 7 668 $. L'exercice financier de l'appelante Agrisem se terminait le 28 février de chacune de ces années.

[29]          L'appelant a témoigné assez brièvement.

[30]          L'appelant a d'abord mentionné qu'il avait travaillé avant 1989 pour Drainage Richelieu comme opérateur de machine lourde. Immédiatement avant son emploi pour l'appelante Ferme des Peupliers, il avait travaillé pour Les Pavages de Nicolet Inc. Pour cette dernière société, il avait deux taux de rémunération; comme camionneur, il gagnait 12 $ de l'heure et comme opérateur de machine lourde, il était payé au taux horaire de 21 $ et quelques cents. Il a cessé d'être au service de la société Les Pavages de Nicolet Inc. à l'automne de 1989.

[31]          L'appelant était sans emploi lorsqu'il a commencé à négocier les modalités de son contrat avec monsieur André Forest, le représentant des sociétés appelantes. Il lui a offert ses services à un salaire fixe. Il corrobore la version de monsieur André Forest sur les circonstances relatives à son emploi pour l'une et l'autre des sociétés appelantes. Il a mentionné, en particulier, qu'il travaillait en moyenne entre 60 et 70 heures de travail par semaine en 1990 et environ 60 heures par semaine durant les années 1991, 1992 et 1993. Il avait "ses cartes" de qualification de la Commission de la construction du Québec comme opérateur de machine lourde. Comme détenteur d'un permis de classe I, il était autorisé à conduire camions, autobus, taxis et tout autre véhicule. Il confirme qu'il n'avait pas besoin d'un permis spécial pour conduire le camion des sociétés appelantes durant les années en litige.

[32]          Durant les années 1991, 1992 et 1993 il a affirmé avoir travaillé surtout pour l'appelante Ferme des Peupliers; il faisait des livraisons à l'occasion pour l'appelante Agrisem. Il confirme qu'il a bel et bien travaillé durant les semaines qu'il a notées sur les cartes. Il faisait parvenir ces données au bureau d'assurance-chômage.

[33]          Il mentionne qu'en 1999 il a travaillé pour une firme de Ste-Victoire de Sorel comme opérateur de machine lourde et qu'il était rémunéré au taux de 15 $ de l'heure. Il a produit des talons de paie pour la période du 6 mai 1999 au 5 août 1999 qui font voir que son taux horaire était de 15 $ comme opérateur de machine lourde et qu'il travaillait 52 heures par semaine. Il faisait dix heures de temps supplémentaire par semaine, la semaine régulière de travail étant de 42 heures. Il gagnait ainsi 850 $ par semaine.

[34]          S'il avait travaillé pour un étranger, il affirme qu'il n'aurait pas accepté de travailler au même salaire pour un si grand nombre d'heures et il ajoute qu'il aurait demandé une rémunération plus élevée. Sa résidence était voisine de celle de son frère. Il travaillait une semaine sur deux parce que son frère n'était pas capable de payer le salaire qu'il voulait avoir. Il a reconnu qu'en travaillant une semaine sur deux, il recevait des prestations d'assurance-chômage à l'égard de la semaine où il ne travaillait pas.

[35]          Le témoignage de madame Rita Morin, la belle-soeur de l'appelant, n'a apporté rien de significatif.

Analyse

[36]          Eu égard aux faits relatifs à ces appels, il me faut en premier lieu déterminer la légalité des deux décisions du ministre du Revenu national qui sont l'objet de ces appels. En somme, est-ce que le ministre du Revenu national a exercé de façon appropriée la discrétion qui lui est conférée par l'alinéa 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage, c'est-à-dire de façon non arbitraire et en tenant compte de tous les faits pertinents.

[37]          Avant d'entreprendre l'analyse des faits relatifs à ces appels, je souligne que j'ai examiné le comportement de monsieur André Forest et de l'appelant et ils m'ont paru des gens honnêtes et j'accepte leurs versions des faits.

[38]          Plusieurs des allégations de fait retenues par le ministre du Revenu national à l'appui de ses décisions n'étaient pas contestées, comme il a déjà été noté.

[39]          La contestation a porté notamment sur le caractère raisonnable ou non de la rémunération versée à l'appelant par les deux appelantes Ferme des Peupliers et Agrisem durant les quatre périodes en cause. Dans sa plaidoirie, l'avocat de l'intimé n'a pas prétendu que la rémunération de l'appelant était excessive; il n'a pas soutenu non plus que l'appelant n'était pas suffisamment rémunéré. Il a souligné les nombreuses fluctuations de la rémunération de l'appelant au cours des quatre périodes en litige. Sur ce sujet de la rémunération, l'intimé au paragraphe 5 de chacune des Réponses aux avis d'appel dans les quatre dossiers, a simplement affirmé que "la rémunération versée ... n'était pas raisonnable compte tenu de la nature des tâches accomplies par l'appelant". Cette affirmation est faite aussi bien à l'égard des périodes où l'appelant a reçu un salaire hebdomadaire de 675 $ et de 750 $ qu'à l'égard de la période où il a été payé au taux de 500 $ par semaine.

[40]          Le travail de l'appelant comportait, au cours des périodes en litige, deux volets, l'un comme opérateur de machine lourde et l'autre comme employé à la quincaillerie. L'ensemble de la preuve démontre que durant les années 1990, 1991, 1992 et 1993, le travail de l'appelant s'exécutait principalement sur la ferme comme opérateur de machine lourde. Cela est particulièrement vrai pour les premières périodes en cause. Comme opérateur de machine lourde, le taux hebdomadaire de l'appelant, si on tient compte du nombre d'heures de travail, se ramène à un taux horaire approximatif maximal de 12 $ ou 13 $ pour les périodes antérieures à 1993. L'appelant était un travailleur spécialisé, hautement qualifié, comme opérateur de machine lourde. Immédiatement avant la première période d'emploi en litige, le taux de rémunération de l'appelant versée par un autre employeur à l'égard d'une certaine catégorie de travaux par rapport à ce taux de 12 $ ou 13 $ dont il vient d'être question était substantiellement plus élevé et à l'égard d'une autre catégorie de travaux, le niveau de rémunération est à peu près équivalent. Quant à l'autre volet de son travail touchant les services de l'appelant à la quincaillerie — volet qui fut moins important durant les périodes en cause — il ne saurait influer de façon marquée sur le taux de rémunération qui serait normalement payable durant les années en question à un opérateur de machine lourde.

[41]          Les témoignages de l'appelant et de monsieur André Forest m'ont persuadé que la rémunération du premier était raisonnable à l'égard de chacune des périodes en cause. Cette rémunération était peut-être même un peu basse, par rapport notamment à la période où l'appelant était rémunéré au taux hebdomadaire de 500 $. La situation financière difficile des sociétés appelantes expliquait au moins en partie cette réduction. La nature des travaux à effectuer durant l'année 1993 a pu jouer un rôle. L'avocat de l'intimé a fait état dans sa plaidoirie d'une rémunération de l'appelant de 350 $ par semaine à partir d'août 1994. Il est aussi question de ce taux de rémunération de 350 $ par semaine au paragraphe 5 de chacune des Réponses aux avis d'appel. À ce sujet, je dois souligner que ce taux hebdomadaire de 350 $ ne s'applique à aucune des quatre périodes en cause mais bien plutôt à une période postérieure à la dernière période en litige. En outre, aucune preuve n'a été présentée par l'intimé à l'appui des allégations touchant la rémunération de l'appelant formulées au sous-alinéa 5 i) de chacune des Réponses aux avis d'appel. Les appelants ont fait la démonstration que le taux de rémunération de l'appelant était raisonnable, comme il leur incombait de le faire.

[42]          Je conclus que l'hypothèse retenue par le ministre du Revenu national selon laquelle la rémunération de l'appelant "n'était pas raisonnable compte tenu de la nature des tâches accomplies par l'appelant" est mal fondée et ne repose pas sur un examen sérieux et objectif de l'ensemble des circonstances.

[43]          L'allégation dont il est question dans le paragraphe 5 de chacun des dossiers 96-816(UI) et 96-817(UI) selon laquelle "les tâches de l'appelant étaient principalement de faire des livraisons chez des clients et de recevoir des marchandises" est mal fondée également. Le travail principal de l'appelant, particulièrement durant les périodes de travail en 1991 et 1992, avait trait à des travaux sur la ferme.

[44]          A été également réfutée par la preuve l'hypothèse retenue par le ministre du Revenu national dans les dossiers 96-816(UI) et 96-817(UI) selon laquelle "les prétendues semaines de travail de l'appelant ne correspondent pas aux périodes d'activités fortes du payeur". Par exemple, à l'automne de chacune des années en cause dans ces deux appels, le travail sur une ferme céréalière était très intense et l'appelant a travaillé à l'automne des années en cause pendant plusieurs semaines sans interruption.

[45]          L'allégation à l'alinéa 5 j) dans les dossiers 96-816(UI) et 96-817(UI) sur laquelle le ministre du Revenu national s'est appuyé est également erronée étant donné qu'il a été démontré — et non contesté par l'intimé — qu'un permis de conduire spécial n'était pas requis aux époques pertinentes pour opérer le véhicule utilisé pour les livraisons pour le compte de l'une des appelantes.

[46]          De ce qui précède, il ressort que le ministre du Revenu national a mal apprécié certains faits dont l'importance ne peut être mise en doute et ainsi exercé de façon non appropriée la discrétion confiée par l'alinéa 3(2)c) de la Loi. La décision du ministre du Revenu national est ainsi entachée d'illégalité.

[47]          Je dois donc former mon propre jugement à la suite de l'examen des faits pertinents. Considérant l'ensemble de la preuve, il est probable qu'un employeur et un employé — qui sont des étrangers — placés dans une situation semblable à celle qui est l'objet de ces appels auraient conclu des contrats à peu près semblables à ceux qui nous concernent dans le cas actuel. Les modalités du contrat liant l'appelant et chaque société appelante sur la question de la rémunération me paraissent raisonnables. Il est vrai que le nombre d'heures de travail est inusité mais si l'on tient compte de l'ensemble des circonstances je suis enclin à croire qu'un contrat à peu près semblable aurait pu être conclu entre un payeur et un employé qui n'ont pas de lien de dépendance.

[48]          Somme toute, j'en viens à la conclusion que l'emploi de l'appelant était assurable durant les quatre périodes en cause.

[49]          Pour ces motifs, les appels sont accueillis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de février 2000.

" Alban Garon "

J.C.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        96-814(UI), 96-815(UI),

                                                                96-816(UI) et 96-817(UI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Robert Forest, Ferme des Peupliers Inc.

                                                                Robert Forest, Agrisem Inc. et le

                                                                ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Drummondville (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    17 août 1999

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         L'honorable Alban Garon

                                                                Juge en chef

DATE DU JUGEMENT :                      25 février 2000

COMPARUTIONS :

Pour les appelants :                              Me Jean-Pierre Hinse

Pour l'intimé :                                         Me Yanick Houle

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour les appelants :

                                Nom :                       Me Jean-Pierre Hinse

                                Étude :                     Hinse Tousignant

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

96-814(UI)

96-815(UI)

ENTRE :

ROBERT FOREST,

FERME DES PEUPLIERS INC.,

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appels entendus sur preuve commune avec les appels de

Robert Forest (96-816(UI)) et Agrisem Inc. (96-817(UI))

le 17 août 1999 à Drummondville (Québec) par

l'honorable Alban Garon

Juge en chef

Comparutions

Avocat des appelants :                         Me Jean-Pierre Hinse

Avocat de l'intimé :                             Me Yanick Houle

JUGEMENT

          Par les présentes, il est ordonné que le règlement de la question soit infirmé et que l'emploi de l'appelant Robert Forest auprès de l'appelante Ferme des Peupliers Inc. soit assurable quant à la période du 18 novembre 1990 au 28 décembre 1990 selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de février 2000.

" Alban Garon "

J.C.C.C.I.




[1] Comparer les passages suivants des notes sténographiques à la page 57, lignes 13 à 19, page 69, lignes 3 à 8 et page 91, lignes 17 à 24.

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