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Date: 20010109

Dossier: 2000-297-IT-I

ENTRE :

PHILIP J. O'BRIEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]            L'appel porte sur la cotisation d'impôt sur le revenu établie à l'égard de l'appelant pour son année d'imposition 1997. Dans sa déclaration de revenu pour l'année en question, l'appelant demandait un remboursement de taxe sur les produits et services (TPS) en vertu de l'article 253 de la Loi sur la taxe d'accise. Ce remboursement (appelé parfois « remboursement pour les salariés et les associés » ) est accordé aux associés d'une société de personnes qui est un inscrit, ainsi qu'à certains salariés d'un inscrit, au titre de la TPS incluse dans les dépenses qu'ils sont tenus d'effectuer et qui sont déductibles de leur revenu pour l'année. En l'instance, l'unique question contestée est de savoir si l'appelant a gagné son revenu à titre de salarié ou d'entrepreneur indépendant. S'il était salarié, il a droit au remboursement, mais non s'il était entrepreneur indépendant.

[2]            Depuis 1990, M. O'Brien est administrateur et président de McKin Health Care Specialties Inc. ( « McKin » ), et il en est l'unique actionnaire. Au cours de 1997, et depuis quelques années déjà, il était également président et actionnaire minoritaire de SurgiTech Canada Inc. ( « SurgiTech » ). Ces deux sociétés exploitaient une entreprise de vente de produits utilisés dans le cadre de traitements médicaux et de soins de santé à des hôpitaux, à des foyers de soins infirmiers et à d'autres utilisateurs finals similaires. Les produits vendus sont fabriqués aux États-Unis et distribués au Canada par McKin et SurgiTech. Il s'agit d'un secteur où la concurrence est très forte.

[3]            Selon le témoignage de M. O'Brien, aux termes des contrats l'unissant à McKin et à SurgiTech, il devait fournir à titre gracieux des services de direction en qualité d'administrateur et de président. Il consacrait environ 70 p. 100 de son temps aux activités de McKin et 30 p. 100 à celles de SurgiTech; outre ses autres fonctions, il travaillait comme vendeur pour l'une et l'autre sociétés, et c'est à ce titre uniquement qu'il était rémunéré. Sa rémunération était constituée exclusivement des commissions gagnées sur ses ventes, et il devait, sur ces commissions, payer toutes les dépenses liées à ses activités de vente, ce qui comprenait entre autres les frais de publicité, de promotion et de participation à des salons professionnels, l'utilisation d'un véhicule loué, un téléphone cellulaire et un bureau situé à son domicile. Le revenu de commissions reçu par M. O'Brien des deux sociétés en 1997 s'est chiffré à 78 543 $, et ses dépenses se sont élevées à 63 903,96 $.

[4]            D'après son témoignage, M. O'Brien, au nom des sociétés, a conclu ces contrats avec lui-même, à titre personnel, aux environs de 1990. Il n'existe pas de contrat écrit, mais c'est conformément à ces modalités que M. O'Brien a été rémunéré depuis. L'intimée ne conteste pas l'existence de ce contrat et en a tenu compte aux fins du calcul de l'impôt sur le revenu. Toutefois, elle soutient que, à la lumière du critère de common law, M. O'Brien, à titre de vendeur, n'est pas le salarié de l'une ou l'autre de ces sociétés mais est plutôt un entrepreneur indépendant. L'intimée admet que M. O'Brien est un salarié lorsqu'il exerce la fonction de président des sociétés — fonction pour laquelle il ne touche aucune rémunération. Son droit, s'il en est, au remboursement de TPS doit découler de sa relation avec les sociétés en ce qui concerne ses activités de vente à commission.

[5]            Dans l'arrêt Wiebe Door[1], la Cour d'appel fédérale a examiné à fond la démarche à suivre dans les cas comme celui qui nous occupe. Le juge de première instance doit examiner soigneusement la preuve quant aux circonstances de l'emploi, en se rappelant les facteurs mentionnés par la Cour d'appel fédérale dans cette affaire, en vue de déterminer si le travailleur est un préposé ou un entrepreneur indépendant. Il n'existe pas de critère facile et unique régissant chaque cas. Il faut tenir compte des souhaits explicites du travailleur et de l'employeur, mais ces souhaits ne sont pas concluants[2]. Au nombre des facteurs importants, il y a le degré de contrôle qu'exerce l'employeur sur la manière d'effectuer le travail, la propriété des

instruments de travail et de l'équipement, les chances de bénéfice et les risques de perte pour le travailleur, la mesure dans laquelle le travail et le travailleur font partie intégrante de l'entreprise de l'employeur, l'existence d'une obligation pour le travailleur d'accomplir le travail lui-même ou la possibilité qu'il a d'embaucher et de rémunérer quelqu'un pour l'aider. La Cour d'appel a explicitement approuvé la manière dont le juge Cook a formulé la question dans l'affaire Market Investigations[3] :

Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel.

[6]            L'avocat de l'intimée a accordé beaucoup d'importance aux facteurs suivants : le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail et la possibilité qu'avait M. O'Brien d'accroître son revenu en augmentant ses ventes.

[7]            D'après ce que j'ai compris du témoignage de M. O'Brien, son horaire de travail dépend d'abord et avant tout de la disponibilité de ses clients. Il fait affaire avec des administrateurs et du personnel médical, et il doit les rencontrer au moment qui leur convient. Hormis cette contrainte, M. O'Brien peut établir son horaire à sa guise et travailler à sa convenance. Il n'est par contre pas facile de déterminer dans quelle mesure cette liberté tient à ce que, à titre de président des deux sociétés, il peut se l'accorder, et dans quelle mesure elle tient à la nature même d'un travail de vendeur. Aucun contrat écrit ne stipule le degré de contrôle qu'il peut, comme président, exercer sur lui-même en tant que vendeur. À mon avis, il ne convient pas d'accorder beaucoup d'importance à ce facteur.

[8]            Me Sood a indiqué que les instruments de travail d'un vendeur sont son automobile, son téléphone cellulaire et son bureau à domicile, ainsi que sa publicité, ces instruments sont tous fournis par M. O'Brien à ses propres frais. De nombreux vendeurs à commission doivent engager les mêmes dépenses tout en ayant le statut de salariés. Selon moi, la fourniture des instruments de travail est un facteur plus important dans les cas où les instruments et l'équipement nécessaires à l'exécution du travail représentent des dépenses en immobilisations importantes. Dans la présente affaire, l'automobile est louée, tandis que le bureau est situé au domicile familial. Rien ne donne à penser que M. O'Brien a engagé d'importantes dépenses en immobilisations. Il m'apparaît donc que ce facteur, lui non plus, ne devrait pas revêtir une grande importance ici.

[9]            Les chances de bénéfice et les risques de perte ne se rapportent pas uniquement à la possibilité qu'a un travailleur à la pièce ou un vendeur à commission de gagner davantage en faisant de plus longues heures ou en travaillant de façon plus efficiente. L'esprit d'entreprise du travailleur entre aussi en jeu. Il est encore une fois difficile d'appliquer ce facteur en l'instance, étant donné la relation particulière unissant M. O'Brien aux sociétés McKin et SurgiTech. Il est probable que ces deux sociétés sont le fruit de l'esprit d'entreprise de M. O'Brien, en sa qualité d'actionnaire, d'administrateur et de président. En tant que vendeur, il exerce des activités de vente pour les sociétés et, d'après ce que j'ai compris de son témoignage, il est assujetti aux mêmes règles que les autres vendeurs. Ce facteur, selon moi, n'étaye pas l'argument voulant que M. O'Brien exerce des activités de vente à titre d'entrepreneur indépendant.

[10]          À mes yeux, le facteur le plus important dans la présente affaire est la mesure dans laquelle le travail de M. O'Brien fait partie intégrante de l'entreprise des sociétés. Son travail de vendeur a pour unique objet la vente des produits de McKin et de SurgiTech. Il semble probable qu'un certain chevauchement existe entre ses activités de vente et ses activités de direction. Les ventes constituent l'unique raison d'être de ces sociétés, le seul moyen qu'elles ont de gagner de l'argent. Je pense qu'un observateur informé mais indépendant associerait M. O'Brien aux sociétés lorsqu'il vend des produits et lorsqu'il fournit des services de direction. Lorsque M. O'Brien quitte son bureau pour se rendre chez des clients, l'observateur ne conclurait pas qu'il travaille à son propre compte et non plus pour les sociétés.

[11]          Dans le cadre de son argumentation habile, Me Sood a avancé que M. O'Brien, en tant que vendeur, devait être considéré comme un travailleur indépendant du fait que, dans sa déclaration de revenu (T1 Générale) de 1997, il avait inscrit son revenu à la ligne réservée au revenu d'un travail indépendant[4]. Ce fait ne me paraît pas déterminer la relation juridique entre l'appelant et ses sociétés davantage que ne l'aurait fait une clause contractuelle. Ainsi que l'a conclu la Cour d'appel fédérale[5], la nature de la relation doit être déterminée à partir des faits et de la loi, et non en fonction de ce dont ont convenu les parties. Cela est particulièrement vrai dans les cas, comme celui en l'instance, où l'appelant a signé une déclaration de revenu remplie par son comptable. M. O'Brien s'est certainement demandé si la déclaration faisait état de la totalité de son revenu. Il est moins probable qu'il se soit arrêté, ne serait-ce même qu'un instant, à la question de savoir s'il était vendeur à commission ayant le statut d'employé ou entrepreneur indépendant. Je conclus que l'appelant était employé à titre de vendeur à commission.

[12]          L'appel est admis et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant avait droit au remboursement de taxe sur les produits et services de 3 566,73 $ qu'il avait demandé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de juin 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-297(IT)I

ENTRE :

PHILIP J. O'BRIEN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 4 et 6 décembre 2000, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  M. Howard A. Back

Avocat de l'intimée :                            Me Bobby Sood

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1997 est admis et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant avait droit au remboursement de taxe sur les produits et services de 3 566,73 $ qu'il avait demandé.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour de janvier 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour de juin 2001.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



     [1]Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553.

     [2]Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 DTC 6099).

     [3]Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732, à la page 737.

[4]           Il a également qualifié son revenu de « revenu d'un travail indépendant » sur l'annexe 8 de sa déclaration, qui sert au calcul des cotisations au Régime de pensions du Canada pour l'année.

[5]           Standing v. Canada, [1992] F.C.J. No 890.

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