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Date: 19981029

Dossier: 96-2155-UI

ENTRE :

2993678 CANADA INC., F.A.S. CHELSEA FRESHMART,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

DEAN PRONOVOST,

intervenant.

Motifs du jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1]            L'appelante, 2993678 Canada Inc., exploitant une entreprise d'épicerie sous la dénomination sociale de Chelsea Freshmart ("Chelsea Freshmart"), s'oppose aux cotisations du 24 octobre 1995 imposées par le ministre du Revenu national ("Ministre") relativement à des primes d'assurance-chômage pour la période du 2 mars au 29 mai 1994. Le Ministre a déterminé que monsieur Dean Pronovost occupait un emploi assurable avec Chelsea Freshmart pendant la période applicable, en vertu de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage ("Loi"); c'est-à-dire, monsieur Pronovost exécutait un travail pour Chelsea Freshmart en vertu d'un contrat de louage de services. L'appelante nie cette allégation.

[2]            Monsieur John Jauvin, actionnaire majoritaire de l'appelante et homme d'affaire avec plus de vingt ans d'expérience, a témoigné au nom de l'appelante. Ses activités principales étaient de financer les jeunes entrepreneurs, de les aider à partir une entreprise et de les conseiller dans leurs affaires. Il explique que sa pratique consiste à obtenir un prêt aux petites entreprises pour les entrepreneurs qui se présentent à lui et ensuite de les financer pour l'excédent. Généralement, ces entrepreneurs incorporent une compagnie sous laquelle ils exerceront des activités. Les activités de financement de monsieur Jauvin sont menées par une compagnie constituée sous le matricule " 102118 Canada Inc." et sous la dénomination sociale de Laurier Financing.[1] Cette dernière est également propriétaire d'un centre d'achat, Chelsea Plaza ("Plaza"), à Aylmer, Québec, dans lequel les locaux de l'appelante, Chelsea Freshmart, se trouvent.

[3]            Un certain monsieur Chartrand exploitait une épicerie dans le Plaza. Monsieur Jauvin lui avait prêté de l'argent pour démarrer l'entreprise. Celui-ci a fait faillite et a laissé l'épicerie. Monsieur Jauvin, ou Laurier Financing, s'est porté acquéreur de l'ensemble des biens délaissés par ce dernier ainsi que des équipements se trouvant sur les lieux.

[4]            Monsieur Jauvin déclare également n'avoir aucune expérience dans le domaine de l'épicerie. Il dit qu'il a acheté tout l'équipement de l'épicerie dans le but de sous-louer le local à quelqu'un d'autre. Il a ensuite mis le local de l'épicerie à louer. L'équipement faisait partie du loyer. Monsieur Dean Pronovost s'est montré intéressé à louer le local et à ouvrir une épicerie. Monsieur Pronovost a acquis de l'expérience comme épicier chez Loeb et Métro. Monsieur Jauvin a décidé de l'assister en finançant l'épicerie.

[5]            Monsieur Pronovost a incorporé l'appelante. Il était président et premier administrateur de la société. Monsieur Pronovost avoue qu'il possédait au tout début 100 pour-cent des actions de l'appelante.

[6]            Il y a eu une entente entre monsieur Pronovost et monsieur Jauvin qui consistait à ce que monsieur Pronovost incorpore une société pour exploiter l'épicerie, tandis que monsieur Jauvin essayait d'obtenir un prêt aux petites entreprises auprès du gouvernement. Toutefois, monsieur Pronovost a été incapable d'obtenir le prêt. Par conséquent, c'est monsieur Jauvin qui a obtenu le prêt aux petites entreprises auprès de la banque au nom de Chelsea Freshmart, tout en le garantissant personnellement. Selon monsieur Pronovost, monsieur Jauvin lui avait demandé de se déclarer propriétaire de l'épicerie parce que c'était bien pour l'image du magasin. De plus, monsieur Pronovost affirme avoir l'intention d'acheter le magasin s'il aurait été rentable.

[7]            Dans le Chelsea Plaza, il y a quatre entreprises : une banque, un restaurant, une quincaillerie et une épicerie. Monsieur Jauvin a expliqué que le restaurant a aussi été financé selon des termes semblables à ceux de l'épicerie. Monsieur Jauvin a fourni tous les équipements et inventaire. Le restaurant appartiendra au locataire quand le prêt sera remboursé à monsieur Jauvin. Une même entente de financement est conclue avec la quincaillerie. Or, monsieur Jauvin déclare ne pas détenir d'actions dans les sociétés qui exploitent la quincaillerie et le restaurant.

[8]            À l'occasion de l'emprunt, monsieur Jauvin devenait actionnaire majoritaire de Chelsea Freshmart, détenant 95 pour-cent des actions. Il explique que la raison pour laquelle il détenait ces actions était que les conditions du prêt exigeaient qu'il soit actionnaire majoritaire de la société. Au moment de l'audience, monsieur Jauvin a affirmé qu'il détenait 95 pour-cent des actions de Chelsea Freshmart, mais il a témoigné qu'il les détenait en fidéicommis pour monsieur Pronovost. Par une convention de prêt en date du 1er février 1994, entre Laurier Financing, le prêteur, et Chelsea Freshmart, l'emprunteur, et monsieur Pronovost, le garant, l'emprunteur et le garant ont reconnu que le prêteur a prêté à l'emprunteur 230 000 $. À cette même date, monsieur et madame Pronovost ont signé un billet de prêt de 220 000 $ en faveur de Laurier Financing. Pour garantir le remboursement du prêt, toutes les actions du garant dans Chelsea Freshmart étaient laissées en gage au prêteur en fidéicommis jusqu'au remboursement complet du prêt. En cas de défaut de la part de l'emprunteur dans les paiements d'intérêts ou de toute autre obligation, lesdites actions seraient transférées au prêteur.

[9]            Quand le prêt aux petites entreprises a été approuvé, Laurier Financing a été remboursé. Chelsea Freshmart, en ce temps-là, devait 200 000 $ à la banque en vertu du prêt aux petites entreprises. Monsieur Jauvin continuait de posséder des actions de Chelsea Freshmart. Monsieur Pronovost a commencé à travailler à l'épicerie.

[12]          Les équipements de l'épicerie appartiennent toujours au Plaza et n'ont pas été transférés à Chelsea Freshmart. Les équipements restent la propriété de Laurier Financing.

[10]          L'appelante a produit une convention datée du 16 février 1994 dans laquelle les parties, c'est-à-dire Laurier Financing et Chelsea Freshmart, déclarent que Laurier Financing a loué à Chelsea Freshmart tous les équipements se trouvant dans l'épicerie. Les parties déclarent également que monsieur Jauvin a cédé à monsieur Pronovost tous ses droits, titres et intérêts dans Chelsea Freshmart relativement au fonds du commerce du même nom. Il y a référence à une copie dudit bail annexé à la convention. Or, aucun bail n'est annexé à la copie de la convention déposée en Cour. Malheureusement, la convention n'est signé que par Laurier Financing et monsieur Jauvin dans sa capacité personnelle. Ni Chelsea Freshmart ni monsieur Pronovost n' signé la convention.

[11]          Selon monsieur Jauvin, monsieur Pronovost n'a jamais signé le contrat parce que ce document a été préparé en vue d'obtenir rapidement un permis d'alcool de la Régie des alcools du Québec. Il a alors signé le contrat et l'a envoyé à monsieur Pronovost afin d'obtenir sa signature. La demande relative aux permis d'alcool (pièce A-4), indique que la personne en charge d'administrer l'établissement est monsieur Pronovost. De même, monsieur Pronovost est déclaré comme le seul actionnaire à 100 pour-cent des actions de Chelsea Freshmart.

[13]          La demande de permis d'alcool était préparée par madame Pronovost, l'épouse de monsieur Pronovost, qui était responsable de la comptabilité à l'épicerie. Elle avait appelé la Régie des alcools du Québec qui l'informa que la demande devait être soumise par la personne qui détenait 100 pour-cent des actions. Elle a alors appelé monsieur Jauvin qui lui a dit d'inscrire monsieur Pronovost comme actionnaire unique, de passer chez le notaire, et quant au reste il s'en occuperait.

[14]          En outre, monsieur Pronovost a témoigné qu'il n'a pas connaissance du contrat de prêt entre Chelsea Freshmart et Laurier Financing, ni du contrat constatant le transfert des actions de monsieur Jauvin à monsieur Pronovost. Selon lui, il est bien normal qu'il ne reconnaisse pas ces pièces puisqu'il avait confiance en monsieur Jauvin et se fiait sur la parole de ce dernier.

[15]          Un rapport du comptable concernant les revenus de Chelsea Freshmart était également envoyé à monsieur Jauvin mensuellement. Selon ce dernier, monsieur Pronovost ne suivait pas ses conseils et par conséquent, celui-ci déclarait des pertes de 20 000 $ par mois. De plus, monsieur Jauvin a dû verser des fonds supplémentaires pour compenser les pertes à chaque mois.

[16]          Monsieur Jauvin passait plusieurs mois de l'hiver en Floride. Au retour de la Floride, monsieur Jauvin a pris la décision d'exiger que monsieur Pronovost travaille avec deux autres employés de l'épicerie et que les trois partagent la propriété de l'épicerie à parts égales. Monsieur Pronovost a refusé et a quitté l'entreprise. Puisque monsieur Jauvin détenait les actions de Chelsea Freshmart en garantie, il a repris le commerce. Il a trouvé deux autres jeunes entrepreneurs pour mener l'épicerie qu'il avait également financée.

[17]          Monsieur Pronovost a énuméré les tâches qu'il assumait chez Chelsea Freshmart, de même que les autres épiceries dans lesquelles il avait travaillé comme gérant employé. Essentiellement, il dit que ses tâches chez Chelsea Freshmart étaient les mêmes que celles qu'il assumait chez Loeb et Métro. Il n'avait pas d'horaire prédéterminé.

[18]          Selon monsieur Jauvin, les salaires de monsieur Pronovost et de son épouse étaient fixés par eux-mêmes. Il leur avait suggéré qu'ils prenaient un salaire trop élevé. Dans la même veine, dans la pièce I-2, le rapport mensuel des opérations de Chelsea Freshmart, monsieur Jauvin a écrit une note à monsieur Pronovost qu'il n'a plus d'autres choix que de réduire ses dépenses pour rencontrer un seuil de rentabilité. À cet égard, monsieur Jauvin a expliqué qu'il était de son devoir de surveiller et de conseiller les Pronovost

[19]          Monsieur Jauvin a témoigné que durant toute la période en litige, monsieur Pronovost n'avait rien investi dans l'entreprise. Or, il dit que si l'entreprise avait été profitable, les profits générés auraient été à monsieur Pronovost. Tout ce qui comptait, dit monsieur Jauvin, c'est que monsieur Pronovost lui rembourse le prêt. À cet égard, monsieur Pronovost a admis qu'il n'avait rien investi dans l'épicerie mais il a dit que si l'épicerie avait généré des profits, il n'y aurait pas eu droit.

[20]          Les décisions pour les dépenses appartenaient toujours à monsieur Jauvin. Quant aux vacances, monsieur Pronovost ajoute qu'il devait demander la permission à monsieur Jauvin. Monsieur Jauvin prétend également qu'il n'a jamais signé de document, de chèque ni de commande pour l'épicerie. Il ajoute qu'il n'était pas au courant quant aux retenues faites sur les paies des employés ni quant aux remises de taxes.

[21]          Les rénovations du magasin ont été payées par Chelsea Freshmart. Monsieur Pronovost venait toujours informer monsieur Jauvin de son intention de faire des changements au magasin parce qu'il n'avait pas d'argent.

[22]          Monsieur Jauvin ne se rendait pas souvent au magasin car les premiers six mois de l'ouverture, il était en Floride. Toutefois, il appelait monsieur Pronovost de façon courante et venait au magasin régulièrement lorsqu'il est revenu de la Floride. Monsieur Jauvin a dit que la seule raison pour laquelle il appelait de la Floride consistait à connaître le bilan mensuel.

[23]          Monsieur Jauvin insiste que son intérêt face à l'entreprise, repose sur le fait que c'est lui qui la finance. Par contre, si les paiements avaient été faits et que l'entreprise était profitable, monsieur Jauvin déclare qu'il ne serait pas intervenu. Par contre, madame Pronovost témoigne que monsieur Jauvin était à l'épicerie assez souvent. Au début, c'était presque à chaque jour. Quand monsieur Jauvin est parti en Floride, il appelait de façon régulière, parfois deux fois par jour. De plus, elle relate qu'elle avait fait remarquer à monsieur Jauvin, à plusieurs reprises, qu'elle et monsieur Pronovost n'étaient que des employés.

[24]          Un article de journal, en date du 3 juillet 1995, visait à rectifier une erreur dans un ancien article de journal qui avait présenté monsieur Pronovost comme propriétaire de Chelsea Freshmart. Il rapportait que le propriétaire avait toujours été monsieur Jauvin. Ce dernier est d'avis que ce sont les Pronovost qui avaient parlé aux journaux afin qu'ils puissent être éligibles à recevoir de l'assurance-chômage. Madame Pronovost a témoigné le contraire : c'était Jauvin qui l'avait exigé. Elle ajoute que l'éditeur du journal l'a informé que la correction avait été demandée par monsieur Jauvin.

[25]          Enfin, l'avocate de l'intimée a déposé une lettre en date du 25 mai 1995, envoyée par monsieur Jauvin à un certain monsieur Whelan de National Grocers, dans laquelle monsieur Jauvin proposait de vendre toutes ses actions de Chelsea Freshmart à National Grocers et référait à monsieur Pronovost comme étant le gérant. Néanmoins, il y a une disparité dans cette lettre : on remarque que l'épicerie Chelsea Freshmart est détenue par 2957159 Canada Inc. et non par 2993678 Canada Inc., comme allégué aux procès et plaidoiries. L'identité de 2957159 n'a pas été révélée lors de l'interrogatoire. Néanmoins, dans son témoignage monsieur Jauvin a expliqué que c'est monsieur Pronovost qui avait approché monsieur Whelan. Il a écrit la lettre parce que c'était lui qui détenait les actions de Chelsea Freshmart. En somme, il a insisté que c'était toujours monsieur Pronovost le véritable propriétaire.

[26]          Madame Faucher est comptable pour l'appelante, Chelsea Freshmart. Elle se rapportait à madame Pronovost et était payée par monsieur Pronovost. Selon elle, en 1994, le propriétaire de Chelsea Freshmart était monsieur Pronovost. Ce n'est qu'en juin 1994 qu'elle a connu monsieur Jauvin. C'étaient les Pronovost qui engageaient le personnel. Elle n'a reçu aucune directive de monsieur Jauvin. C'était également madame Pronovost qui l'avait informé que monsieur Pronovost n'était pas obligé de verser des cotisations d'assurance-chômage puisqu'il était propriétaire. Ce n'est qu'en février 1995 qu'elle a remarqué que le salaire net de monsieur Pronovost avait changé. Elle a questionné madame Pronovost à ce sujet et celle-ci a répondu que monsieur Pronovost avait commencé à cotiser à l'assurance-chômage au cas où les choses iraient mal. Quant à madame Pronovost, elle cotisait déjà à l'assurance-chômage.

[27]          Monsieur Pronovost rapporte que c'est monsieur Jauvin qui lui a dit que la cotisation à l'assurance-chômage n'était pas nécessaire, puisqu'il détenait cinq pour-cent des actions de la compagnie. Ce n'est qu'à la fin de l'année qu'il a approché son comptable, qui lui a dit qu'avec seulement cinq pour-cent d'actions, il fallait qu'il cotise à l'assurance-chômage. Il semblerait que son comptable l'aurait informé qu'une facture lui serait envoyée par le gouvernement pour les cotisations antérieures qui n'avaient pas été versées. Monsieur Pronovost n'a pas jugé important d'aviser monsieur Jauvin du défaut. En fait avoue-t-il, les choses n'allaient pas bien et la cotisation n'était qu'une couverture de sécurité. Dans la même veine, il dit que son salaire n'était pas dépendant de la rentabilité de l'épicerie.

[28]          Madame Nicole Perrier, chef-caissière au Chelsea Freshmart a témoigné que lorsque monsieur Pronovost a quitté l'épicerie, elle a continué à travailler pour les nouveaux propriétaires. Ces derniers lui avaient dit qu'ils allaient acheter le magasin. Même lorsque Chelsea Freshmart a changé de propriétaire, monsieur Jauvin venait encore assez souvent au magasin.

[29]          En l'espèce, la question est la suivante : monsieur Pronovost exerce-t'il un emploi assurable au sens de l'alinéa 3(1)a) de la Loi.[2]

[30]          Les deux témoins principaux, messieurs Jauvin et Pronovost, ont donné leur version des faits de la période applicable. Malheureusement, dans cette affaire, ils ont donné des récits très différents. Donc, ma décision repose essentiellement sur le témoignage qui semble le plus crédible, ou peut-être, le moins incroyable.

[31]          La Cour d'appel fédérale a établi les critères applicables lors de la recherche d'une relation employeur-employé dans l'arrêt Wiebe Door Services c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553; 87 DTC 5025. Elle a en fait adopté en principe le test établi par Lord Wright dans Montreal c. Montreal Locomotive Works Ltd. et al., [1947] 1 D.L.R. 161. À la page 169, Lord Wright affirme :

[TRADUCTION]

Dans les jugements antérieurs, on s'appuyait souvent sur un seul critère, comme l'existence ou l'absence de contrôle, pour décider s'il s'agissait d'un rapport de maître à préposé, la plupart du temps lorsque des questions de responsabilité délictuelle de la part du maître ou du supérieur étaient en cause. Dans les situations plus complexes de l'économie moderne, il faut souvent recourir à des critères plus compliqués. Il a été jugé plus convenable dans certains cas d'appliquer un critère qui comprendrait les quatre éléments suivants : (1) le contrôle; (2) la propriété des instruments de travail; (3) la possibilité de profit; (4) le risque de perte.

[32]          Le juge MacGuigan a considéré le critère de Lord Wright non pas comme une règle comprenant quatre critères mais comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes. Ces critères doivent être appliqués en insistant toujours sur ce que Lord Wright appelle "l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations", et ce, même si le juge MacGuigan reconnaît l'utilité des quatre critères subordonnés.

[33]          Monsieur le juge MacGuigan termine son ratio en référant, à la page 5030, au juge Cooke dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security,[3] qui en fait la meilleure synthèse :

[TRADUCTION]

Les remarques de Lord Wright, du Lord Juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : "La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte". Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

[34]          Ainsi, il est bien établi qu'il faut " examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties ".[4]

[35]          En l'espèce, l'avocate de l'appelante a cité l'affaire Roland Navennec c. M.R.N., [1992] A.C.F. 1005, de la Cour d'appel fédérale au soutien de son argument. Dans cette affaire, l'appelant était propriétaire d'une entreprise de pourvoirie. Il a ensuite incorporé une société par actions pour entreprendre ses activités. Son fils était le président de cette corporation et lui était le vice-président. Il a également vendu ses actions aux autres membres de sa famille afin de ne détenir que 20 pour-cent des actions de la compagnie et de qualifier aux exigences de l'assurance-chômage. Le Ministre soumet alors qu'il n'existe pas de contrat de travail véritable entre l'appelant et la corporation. Sous la plume du juge Desjardins la Cour d'appel fédérale affirme à la page 14 :

Dans Stubart, la question, il est vrai, était de savoir si dans le but avoué de réduire ses impôts, une société pouvait conclure une entente par laquelle ses profits futurs étaient passés à une filiale-soeur dans le but de se prévaloir du report des pertes de cette dernière. Mais les principes demeurent applicables en l'espèce alors qu'il s'agit de déterminer si le requérant n'a pas, somme toute, arrangé ses affaires de façon à pouvoir percevoir des prestations d'assurance-chômage. Et si, malgré les apparences, il ne demeure pas moins le propriétaire véritable de tous ses biens malgré leur vente à la société ainsi que l'unique détenteur des actions malgré leur vente à sa conjointe et ses fils.

[36]          Enfin, le juge Desjardins est d'avis que les vraies questions à se poser sont établies à la page 15 du jugement :

Mais ce qui importe est d'établir si, par leurs conventions, elles ont fait ce qu'elles ont dit vouloir faire. Le requérant entendait-il effectivement faire de la société une entreprise familiale ou s'est-il gardé le contrôle? Sa conjointe et ses enfants avaient-ils effectivement l'intention d'acquitter leurs billets promissoires par les profits qu'ils tireraient de l'entreprise ou par d'autres revenus? Ou n'ont-ils jamais eu cette intention? C'est-il agi d'obligations juridiques claires et exécutoires? Ou s'agit-il d'un trompe-l'oeil?

[37]          En l'espèce, l'appelante tente de contredire les allégations du Ministre par le témoignage de monsieur Jauvin que monsieur Pronovost était le propriétaire véritable. Or, je trouve que les témoignages de messieurs Jauvin et Pronovost ne sont pas très crédibles. Il faut alors garder à l'esprit le principe que l'appelante a toujours le fardeau de la preuve. Il appartient à l'appelante de prouver que les allégations du Ministre sont fausses. En l'espèce, pour invoquer la cause Navennec, supra, et l'existence d'un trompe-l'oeil, l'appelante a ce fardeau. Toutefois, en l'espèce, eu égard aux documents présentés en preuve, l'appelante n'a pas satisfait ce fardeau. Selon moi, l'appelante n'a pas pu démontrer que ce que constatent les documents ne reflétaient pas la réalité.

[38]          Il est certes vrai que quelques documents déposés par l'appelante semblent indiquer que monsieur Pronovost était propriétaire de Chelsea Freshmart, entre autres le contrat de prêt entre monsieur Pronovost et Laurier Financing et le certificat de constitution. Dans la même veine, monsieur Pronovost a même témoigné à l'effet qu'il avait effectivement l'intention au tout début de devenir propriétaire de Chelsea Freshmart. Cependant, l'intention de devenir propriétaire n'est pas déterminant dans la recherche d'un contrat de louage de service.

[39]          Il ressort des témoignages de monsieur Jauvin et de monsieur Pronovost que l'intention initiale a changé. Monsieur Pronovost, malgré sa bonne volonté, n'avait pas les moyens financiers pour démarrer l'entreprise. Il avait incorporé une compagnie à son nom. Lors de son témoignage, il a expliqué que ses essais d'obtenir un prêt ont échoué. Dès lors, l'ouverture de l'épicerie ne se fera pas telle que prévue. C'est alors que monsieur Jauvin décida d'ouvrir le magasin et d'employer monsieur Pronovost comme gérant. Par ailleurs, ce dernier lui transféra ses actions. L'explication avancée par monsieur Jauvin quant à la nécessité de détenir la majorité des actions est louable, mais était-il nécessaire de transférer 95 pour-cent des actions et de ne laisser que cinq pour-cent à monsieur Pronovost? Un homme raisonnable n'aurait jamais accepter un tel écart entre les parts.

[40]          L'existence et la validité du contrat de prêt intervenu entre Laurier Financing et Chelsea Freshmart ne sont pas contestées. Cependant, il faut examiner les circonstances entourant ce contrat. Le témoignage de monsieur Jauvin révèle que le prêt en question a été remboursé en totalité par Chelsea Freshmart suite à l'approbation du prêt pour petites entreprises accordé à celle-ci. Le seul prêt qui reste est celui entre la banque et Chelsea Freshmart, dont l'actionnaire principal est monsieur Jauvin qui s'est porté également garant de ce prêt.

[41]          Il ne reste donc quà appliquer les quatre parties du test d'un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes. La première partie, celle de la propriété des instruments de travail, démontre que monsieur Pronovost n'a aucun droit dans les équipements de l'épicerie. Il ressort clairement du témoignage de monsieur Jauvin que les équipements appartenaient au Chelsea Plaza dont il est également propriétaire. De plus, les sommes dépensées pour la rénovation du magasin ont été déboursées par monsieur Jauvin.

[42]          La deuxième partie, la possibilité de profits, est quelque peu pertinente en l'espèce, vu que l'appelante n'a jamais généré de profit. Monsieur Jauvin prétend que les profits auraient été à monsieur Pronovost s'il avait fait les paiements nécessaires relativement au prêt. Je ne peux accepter cet argument car aucun paiement ni tentative de paiement n'avait été fait. Il m'apparaît que la pratique normale et courante est que la compagnie verse les paiements au créancier même si elle est déficitaire, ce qui constituerait une perte au bilan. Une autre alternative est que le propriétaire paie le créancier à même son propre argent quitte à ne recevoir aucun salaire. Or, en l'espèce, monsieur Pronovost continue de recevoir son salaire et les paiements tel qu'allégués par monsieur Jauvin ne figurent pas au bilan de l'épicerie. De plus, il serait absurde que monsieur Pronovost recevait des profits si celui-ci n'a jamais rien investi dans la compagnie.

[43]          Quant à la troisième partie, celle de la chance de risque, monsieur Pronovost n'en assume point. Ce dernier n'a pas déboursé un sou. Quand l'épicerie déclarait des pertes, c'est monsieur Jauvin qui injectait de l'argent. Si l'épicerie avait fermé ses portes, monsieur Jauvin serait également responsable envers le prêt consenti par la banque. En somme, il assume un gros risque de pertes tandis que cette chance de risque n'affecte aucunement monsieur Pronovost.

[44]          Enfin, il reste la question du contrôle. Le juge Pratte commente au nom de la Cour d'appel fédérale dans Gallant c. M.R.N., [1986] A.C.F. No 330 :

Quant au premier motif, il nous semble basé sur l'idée fausse qu'il ne peut y avoir de contrat de louage de services à moins que l'employeur n'exerce en fait un contrôle étroit sur la façon dont l'employé exécute son travail. Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions. Si on envisage les circonstances de cette affaire à la lumière de ce critère, il est manifeste que le requérant était un employé plutôt qu'un entrepreneur. [Je souligne.]

[45]          En l'espèce, le fait que monsieur Jauvin était en vacances en Floride pour une bonne partie de la période en litige et le fait qu'il n'était pas au magasin quotidiennement ne sont d'aucun secours à la cause de l'appelante. Comme le dit si bien le juge Pratte, le contrôle envisagé dans le test établi par Montreal Locomotive Works, supra, ne réfère pas à un contrôle étroit mais plutôt au pouvoir que l'employeur exerce sur son employé. Bref, en l'espèce je suis convaincue que monsieur Jauvin exerce ce pouvoir. D'ailleurs il n'est pas contesté que monsieur Jauvin s'est présenté au magasin et a exigé que monsieur Pronovost gère l'épicerie avec deux autres gérants. Il appert de la correspondance entre messieurs Jauvin et Pronovost que le contrôle appartient à monsieur Jauvin car ce dernier dirigeait le fonctionnement de l'épicerie. De plus, monsieur Pronovost devait demander la permission à monsieur Jauvin pour partir en vacances. Indubitablement, le contrôle appartient à monsieur Jauvin et monsieur Pronovost n'est qu'un gérant.

[46]          Je ne donne pas beaucoup de poids aux témoignages de mesdames Faucher et Perrier. Elles étaient employées de l'appelante. La plupart de leur témoignage était du "ouï-dire". Monsieur Pronovost était gérant de l'épicerie et c'est pour cette raison que j'estime que madame Faucher recevait son salaire directement de celui-ci. Enfin, madame Perrier n'était pas dans la position de connaître les arrangements entre monsieur Jauvin et les "nouveaux propriétaires", ce qui rend son témoignage peu pertinent.

[47]          Je suis d'avis que monsieur Pronovost occupait un emploi assurable. Il existe un véritable contrat de louage de services. En effet, il existe un lien de subordination, un travail et une rémunération,[5]

[48]          Par conséquent, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour d'octobre, 1998.

"Gerald J. Rip"

J.C.C.I.



[1]               Dans ces motifs, la référence à Laurier Financing dénote 102118 Canada Inc.

[2]               L'alinéa 3(1)a) de la Loi se lisait ainsi :

Un emploi assurable est un emploi non compris dans les emplois exclus et qui est, selon le cas :

a)             un emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, en vertu d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit de toute autre manière;

[3]               [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.) aux pp. 738-739.

[4]               Montreal Locomotive Works Ltd. et al., supra, p. 169.

[5]               La Loi sur l'assurance-chômage ne prévoit pas de définition d'un contrat de travail. Donc, on peut se référer au Code civil du Québec, l'emploi ayant eu lieu dans la province du Québec. Ces éléments constituent un contrat de travail et sont prévus à l'article 2085 du Code civil du Québec.

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