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Date: 19971222

Dossiers: 96-767-UI; 96-768-UI

ENTRE :

SUZIE LATOURELLE, RAYMOND LATOURELLE

appelants,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

Motifs du jugement

Le juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Ces appels ont été entendus sur preuve commune.

[2]            Pour l'appelante, il s'agit de savoir si du 29 juillet 1991 au 17 janvier 1992 et du 10 septembre 1992 au 29 janvier 1993, elle exerçait un emploi assurable au sens des alinéas 3(1)a) et 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage (la "Loi").

[3]            Pour l'appelant, il s'agit de savoir s'il exerçait un emploi assurable au sens des mêmes dispositions de la Loi pour les périodes du 17 février 1992 au 11 septembre 1992, du 9 août 1993 au 10 décembre 1993 et du 1er août 1994 au 10 mars 1995.

[4]            Pour rendre sa décision dans le cas de l'appelante, madame Suzie Latourelle, le ministre du Revenu national (le "Ministre") a pris en compte les faits décrits au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel ("Réponse no 1") :

(a)            le payeur opère une entreprise de plomberie depuis 1988;

(b)            l'entreprise a débuté sous forme de partenaires entre Lucien Bédard et l'appelante, chacun avec 50 % de l'entreprise;

(c)            par la suite au mois d'août 1991, Raymond Latourelle devient un partenaire dans l'entreprise du payeur et les parts des partenaires sont comme suit :

                                                                                                                Pourcentage des parts

                                Lucien Bédard                                                                       52 %

                                Raymond Latourelle                                                             24 %

                                l'appelante                                                                             24 %

(d)            Raymond Latourelle est le frère de l'appelante (le "frère");

(e)            Lucien Bédard est l'époux de l'appelante ("l'époux");

(f)             l'appelante était partenaire dans l'entreprise donc ne pouvait être son propre employé;

(g)            depuis le début, l'appelante s'est toujours occupée de l'administration de l'entreprise du payeur;

(h)            avant et après les périodes en litige, l'appelante rendait des services au payeur pour aucune rémunération;

(i)             il est allégué que l'appelante était rémunérée un montant fixe par semaine n'importe les heures qu'elle travaillait pour le payeur;

(j)             le payeur opère 12 mois par année;

(k)            l'appelante a signé pour le payeur une marge de crédit de 50 000 $ à la banque;

(l)             l'appelante a l'autorité de signer les chèques du payeur;

(m)           l'appelante et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

(n)            l'appelante et le payeur ont entre eux un lien de dépendance;

(o)            compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelante et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable, s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[5]            Pour rendre sa décision dans le cas de l'appelant, monsieur Raymond Latourelle, le Ministre s'est fondé sur les faits décrits au paragraphe 6 de la Réponse à l'avis d'appel ("Réponse no 2"), qui sont les suivants :

(a)            le payeur opère une entreprise de plomberie depuis 1988;

(b)            l'entreprise a débuté sous forme de partenaires entre Lucien Bédard et son épouse Suzie Latourelle, chacun avec 50 % de l'entreprise;

(c)            par la suite au mois d'août 1991, l'appelant devient un partenaire dans l'entreprise du payeur et les parts des partenaires sont comme suit :

                                                                                                                Pourcentage des parts

                                Lucien Bédard                                                                       52 %

                                Suzie Latourelle                                                     24 %

                                l'appelant                                                                               24 %

(d)            le 11 février 1994, le payeur s'incorpore et la répartition des parts de l'incorporation demeure la même que celle indiquée au paragraphe (c);

(e)            Suzie Latourelle est la soeur de l'appelant ("la soeur");

(f)             Lucien Bédard est le beau-frère de l'appelant (le "beau-frère");

(g)            durant les périodes du 17 février 1992 au 11 septembre 1992 et du 29 août 1993 au 10 décembre 1993, l'appelant était partenaire dans l'entreprise donc ne pouvait être son propre employé;

(h)            l'appelant a signé pour le payeur une marge de crédit de 50 000 $ à la banque;

(i)             l'appelant a l'autorité de signer les chèques du payeur;

(j)             l'appelant rendait des services pour le payeur durant certaines périodes de l'année durant lesquelles le payeur étaient moins occupé;

(k)            quoique le payeur déclare avoir un manque de travail, il engage l'appelant afin que ce dernier puisse obtenir ses cartes d'apprenti-plombier;

(l)             sur sa demande de prestation d'assurance-chômage, l'appelant indique qu'il travaillait à son propre compte;

(m)           l'appelant et le payeur sont des personnes liées au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

(n)            l'appelant et le payeur ont entre eux un lien de dépendance;

(o)            compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, il n'est pas raisonnable de conclure que l'appelant et le payeur auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable, s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[6]            Les moyens que l'appelante a invoqués au soutien de ses appels sont exprimés aux paragraphes 8 à 13 de son Avis d'appel :

8.              L'appelante pour les périodes du 28 juillet 1991 au 17 janvier 1992 et du 10 septembre 1992 au 29 janvier 1993;

a)              Lucien Bédard est mon époux et ce, à la connaissance de l'intimé et du Centre d'emploi de Buckingham;

b)             J'ai débuté en 1988, lorsque nous avions commencé l'entreprise à la maison et je ne faisais que la tenue de livre sans salaire, puisque pour la Régie des Entreprises, je devais m'associer avec mon époux, celui-ci n'ayant aucune connaissance en administration, tel qu'il appert à la raison sociale dans l'Annexe 4;

c)              Au mois d'août 1991, nous avons loué un local au 52 rue Boucher, parce que l'entreprise prenait de l'ampleur et avec l'arrivée de Raymond Latourelle, à titre d'assistant nous avons obtenu des contrats de contracteurs, tel qu'il appert à la raison sociale produite à l'Annexe 5;

d)             À partir de cette date, j'ai commencé à travailler à plein temps avec salaire;

e)              Mes tâches étaient maintenant de secrétaire, tenue de livres, administration, recevoir les clients, répondre au téléphone et de m'occuper des comptes;

f)              Les heures de travail étaient de 8:00 hres à 16:00 hres, du lundi au vendredi;

g)             Son salaire n'était pas supérieur à d'autres puisque lorsque nous avions besoin d'une remplaçante ou même en période occupée d'une assistante, celle-ci était payée le même salaire;

h)             Étant soumis aux fluctuations du marché, j'ai dû être mise à pied pour les périodes ci-dessus mentionnées;

9.              Une société de personnes a été incorporée le 1 avril 1994 incluant l'appelant à titre d'associé et ce, à titre de 24% des actions votantes et participantes et ce, dans un but purement fiscal, tel qu'il appert à l'incorporation produit à titre d'Annexe 6;

10.            L'appelante a continué à être employée recevant le même salaire fixé étant soumise aux mêmes ordres de Lucien Bédard et aux mêmes heures que tout employé dans les mêmes fonctions;

11.            L'appelante n'a investi aucune somme d'argent et n'a aucun droit ou regard dans la gestion de l'entreprise;

12.            L'actionnaire majoritaire est M. Lucien Bédard, tel qu'il appert à une copie de l'historique de la société 9001-4390 Québec Inc. produit avec les présentes et faisant partie intégrale du dossier à titre d'annexe 7;

13.            En aucun temps pendant cet emploi, l'appelante a ou aurait reçu des avantages, bonis, salaires différents ou plus avantageux parce qu'elle avait un lien de dépendance ou était associée dans l'entreprise;

[7]            Les moyens de l'appelant se retrouvent aux paragraphes 10 à 15 de son Avis d'appel :

10.            L'appelant pour les périodes du 17 février 1992 au 11 septembre 1992 et du 9 août 1993 au 10 décembre 1993 allègue :

a)              L'appelant était considéré un employé avec la Commission de construction du Québec ayant un certificat de compétence émis par celle-ci;

b)             Que ledit certificat de compétence n'est pas émis pour un associé;

c)              L'appelant était soumis à titre d'employé aux ordres de M. Lucien Bédard maître plombier en ce que :

1)              Il devait l'assister pour des réparations et des constructions et cela sous les ordres de Lucien Bédard;

2)              Il avait des heures de travail fixes et même était sur appel le soir et les fins de semaine, lorsque M. Lucien Bédard en avait besoin;

3)              Le salaire de l'appelant était fixé par la Commission de la construction du Québec et ce salaire était le même que tous les employés de même niveau;

4)              Lorsqu'il n'était pas sur appel avec Lucien Bédard, l'appelant se rendait au bureau pour faire entreposer des pièces et faire la préparation des matériaux nécessaires pour les contrats des prochaines journées;

5)              L'appelant était soumis aux fluctuations du marché et a été mis à pied pour les périodes ci-dessus mentionnées:

                Pour la période du 1 août 1994 au 10 mars 1995.

11.            Une société de personnes a été incorporée le 1 avril 1994 incluant l'appelant à titre d'associé et ce, à titre de 24% des actions votantes et participantes, tel qu'il appert à une copie de ladite incorporation produite sous l'Annexe 5;

12.            L'appelant a continué à être employé recevant le même salaire fixé par la C.C.Q. étant soumis aux mêmes ordres de Lucien Bédard et aux mêmes heures que tout employé dans les mêmes fonctions. L'incorporation n'étant que pour un but fiscal;

13.            L'appelant n'a investi aucune somme d'argent et n'a aucun droit ou regard dans la gestion de l'entreprise;

14.            L'actionnaire majoritaire est M. Lucien Bédard, tel qu'il appert à une copie de l'historique de la société 9001-4390 Québec Inc. produit avec les présentes et faisant partie intégrale du dossier à titre d'Annexe 6;

15.            En aucun temps pendant cet emploi, l'appelant a ou aurait reçu des avantages, bonis, salaires différents ou plus avantageux parce qu'il avait un lien de dépendance ou était associé dans l'entreprise;

[8]            Madame Suzie Latourelle, monsieur Christian Gratton, le comptable de l'entreprise à partir de l'année 1994, monsieur Raymond Latourelle et monsieur Lucien Bédard ont témoigné à la demande de l'avocat des appelants.

[9]            L'alinéa 6(a) de la Réponse no 1 a été nié. Comme nous le verrons plus tard, lors de la description du témoignage de monsieur Lucien Bédard, ce dernier est arrivé à Ripon en l'année 1988. C'est toutefois en 1989 qu'il a obtenu la licence d'entrepreneur plombier.

[10]          Les alinéas 6(b) à 6(e) et l'alinéa 6(l) de la Réponse no 1 ont été admis.

[11]          L'alinéa 6 (g) de la Réponse no 1 a été nié pour le qualifier de l'adverbe "périodiquement". Comme nous le verrons lors de la description de la preuve, l'allégué de cet alinéa se révélera être vrai. Dans le même ordre d'idée, l'alinéa 6(h) de la Réponse no 1 a été nié pour soutenir que l'appelante aidait le soir pour un maximum d'une heure et non pas le jour à temps plein comme elle faisait dans les périodes d'emploi. L'alinéa 6(i) de la Réponse no 1 a été nié.

[12]          L'alinéa 6(j) de la Réponse no 1 n'a été ni admis ni nié. En fait, la preuve révélera qu'il est exact sauf que certains mois peuvent être plus occupés que d'autres dépendant de la demande d'ouvrage et que cela varie à chaque année.

[13]          L'alinéa 5(k) de la Réponse no 1 a été nié quant au montant qui devrait être selon l'appelante de 25 000 $ et non de 50 000 $.

[14]          En ce qui concerne la Réponse no 2, celle relative à l'appelant, les alinéas 6(a) à 6(c) de cette Réponse no 2 sont identiques à celle de l'appelante, donc les admissions ou négations sont les mêmes que pour l'appelante. Les alinéas 6(d) à 6(e) de la Réponse no 2 sont admis. En ce qui concerne les alinéas 6(h) et 6(i) de la Réponse no 2, l'appelant a soutenu que quoiqu'il ait pu signer des papiers l'engageant, il ne s'est jamais considéré engagé ni non plus autorisé à signer les chèques de l'entreprise.

[15]          L'alinéa 6(j) de la Réponse no 2 a été nié parce qu'il n'y avait pas de périodes habituelles où l'entreprise était moins occupée. Cela variait d'année en année selon les gros ou les petits contrats obtenus. L'alinéa 6(l) de la Réponse no 2 a été nié.

[16]          Monsieur Lucien Bédard a travaillé 21 ans pour des entrepreneurs plombiers, "Robinson", dans la région de Gatineau. En 1988, il a décidé de s'établir à son compte. Il est venu chez son père à Ripon. Il a expliqué que pour qu'une entreprise en plomberie puisse obtenir une licence d'entrepreneur-plombier, il faut, en plus d'avoir le certificat de plombier, obtenir un certificat en administration. Il n'a pu obtenir ce certificat. Son épouse, Suzie Latourelle, a étudié et l'a obtenu ainsi qu'en fait foi la pièce A-1. C'est ainsi qu'en 1989, a pu commencer officiellement l'entreprise "Plomberie Lucien Bédard Enr.".

[17]          Le 9 août 1991, une déclaration de raison sociale est faite par Lucien Bédard, Suzie Latourelle et Raymond Latourelle. Ces derniers déclarent être propriétaires d'un commerce de plomberie et désirent l'exploiter sous la raison sociale "Plomberie Lucien Bédard Enr.". Cette déclaration annule celle qui avait été faite en 1989 par les deux époux en tant qu'associés. En 1991, les époux avaient acquis une propriété, rue Boucher, qui consistait en leur résidence et un atelier-entrepôt près de cette résidence.

[18]          Monsieur Bédard et madame Latourelle ont affirmé, lors de leur témoignage, que s'ils étaient associés dans l'entreprise c'était à cause de leur contrat de mariage qui prévoyait un régime commun des biens, mais que dans les faits il s'agissait de l'entreprise de monsieur Bédard car c'était lui seul qui la dirigeait et qui aurait honoré ses dettes, le cas échéant.

[19]          Selon les témoins, monsieur Raymond Latourelle n'aurait pu obtenir une carte d'apprenti-plombier s'il n'avait été en partie propriétaire de l'entreprise, mais que dans les faits il n'était pas propriétaire mais un employé.

[20]          Selon ce qui est mentionné dans une petite brochure publiée par la Commission de la construction du Québec, qui a été produite comme pièce A-24, il est possible qu'il ait été plus facile pour monsieur Raymond Latourelle d'obtenir un certificat de compétence apprenti s'il se présentait comme un candidat employeur. Dans ce cas, il doit être un représentant désigné d'un employeur qui est soit une société ou soit une corporation. Ce représentant doit être soit membre de la société ou administrateur ou actionnaire avec droit de vote de la corporation.

[21]          Les états financiers montrent que les trois associés ont partagé dans les profits et les pertes de l'entreprise de plomberie. Toutefois, monsieur Lucien Bédard a affirmé que tous les profits étaient réinvestis dans l'entreprise, que lui seul dirigeait et garantissait l'entreprise et que c'est lui qui contrôlait dans les faits.

[22]          Les tâches de l'appelante consistaient à la tenue de livres, faire les listes de paye, établir et envoyer les comptes à recevoir et payer les fournisseurs, faire et signer les chèques, remplir les documents exigés par les gouvernements, répondre au téléphone et prendre les rendez-vous.

[23]          Quand l'appelante ne travaillait pas, c'est-à-dire hors des périodes en litige, c'est monsieur Bédard qui aurait fait le travail et qui le lui aurait amené le soir, travail qu'elle aurait alors exécuté en une heure. Monsieur Bédard fait valoir que c'est un travail d'entraide normal entre époux. Toutefois, la preuve a révélé que ce travail était en grande partie informatisé et que l'ordinateur se trouvait dans l'atelier et non à la résidence. Madame Suzie Latourelle a continué à signer les chèques de l'entreprise au cours des périodes où elle n'était pas censée travailler, pièces I-14 et I-15.

[24]          Durant les périodes d'emploi, l'appelant soutient qu'il travaillait à plein temps. S'il n'y avait pas de travaux de plomberie à faire, ce qui n'arrivait pas souvent ou quand les travaux de plomberie n'occupaient pas toute ses journées, il faisait des réparations à l'entrepôt-atelier. Ses heures de travail étaient de huit heures à seize heures. Raymond, avant de venir participer à l'entreprise de son beau-frère, était un mécanicien. Il a apporté avec lui ses outils.

[25]          Monsieur Bédard explique que l'appelant ne pouvait pas travailler tout seul. Il a expliqué à un moment de l'audition que lui non plus ne devait pas travailler seul et qu'il devait toujours y avoir quelqu'un avec lui soit pour des fins de sécurité, soit pour des fins d'assurance. Par la suite, il s'est repris pour dire que sur des chantiers, en autant qu'il y ait quelqu'un d'un autre corps de métier qui se trouvait sur les lieux, que cela suffisait.

[26]          Monsieur Bédard n'a pas su expliquer pourquoi les appelants avaient travaillé à tour de rôle et jamais aux mêmes périodes.

[27]          La pièce I-17 est un tableau des périodes travaillées par les différents employés de l'entreprise de plomberie préparé par le procureur de l'intimée. On y voit que madame Suzie Latourelle et monsieur Raymond Latourelle ont travaillé à des périodes de temps différentes. En ce qui concerne madame Nicole Deschênes Latourelle, épouse de monsieur Raymond Latourelle, elle a travaillé en 1991 deux mois en même temps que madame Suzie Latourelle. Elle était alors payé 315 $, alors que madame Suzie Latourelle était payée 235 $. Il est à noter qu'en 1991, monsieur Raymond Latourelle n'aurait pas travaillé. Madame Nicole Deschênes Latourelle aurait travaillé six mois en 1994, de janvier à juin, alors que personne d'autres ne travaillait. D'après la pièce I-3, son salaire hebdomadaire en 1994 aurait été 499 $. Celui de son mari, qui a commencé à travailler au mois d'août de cette même année, était de 480 $. La pièce A-6 est une fiche de travail de la Commission scolaire Seigneurie pour le personnel occasionnel. On y voit que madame Suzie Latourelle y a travaillé 13 jours en juin et juillet 1993 à un taux horaire de 12,15 $. Cette pièce a été produite afin de démontrer que le salaire de celle-ci était raisonnable.

[28]          Le 26 mars 1992, madame Suzie Latourelle a reçu une lettre d'un agent de l'Assurance à Emploi et Immigration Canada. Cette lettre a été déposée comme pièce A-25. Le premier paragraphe de cette lettre dit ceci :

Ceci est pour vous aviser que votre emploi à la Plomberie Lucien Bédard Enr. était assurable durant la période suivante : 28 juillet 1991 au 17 janvier 1992 parce que vous rencontrez les exigences de l'article 3(2)c) de la Loi sur l'assurance-chômage.

[29]          Les Motifs de la révision ont été rédigés par le comptable de l'entreprise, monsieur Christian Gratton, et envoyés au Ministre avec d'autres documents à la suite de sa décision dont il y a appel, dont l'ensemble constitue la pièce A-15. Dans ces Motifs, on appuie avec insistance sur la portée de l'affirmation ci-avant citée relativement à la confiance que les appelants ont accordé à cette affirmation.

[30]          Dans son Avis d'appel, l'appelante a expliqué ses mises à pied par les fluctuations du marché. Les états des revenus et dépenses démontrent toutefois que les affaires de l'entreprise étaient relativement stables tout au long de l'année (pièce I-19).

Arguments et conclusions

[31]          Le représentant de l'intimé, pour appuyer les énoncés de l'alinéa 4 (f) de la Réponse no 1, et de l'alinéa 6(g) de la Réponse no 2 qui sont les suivants :

4 (f)          l'appelante était partenaire dans l'entreprise donc ne pouvait être son propre employé;

6 (g)         durant les périodes du 17 février 1992 au 11 septembre 1992 et du 29 août 1993 au 10 décembre 1993, l'appelant était partenaire dans l'entreprise donc ne pouvait être son propre employé;

s'est référé à la décision de la Cour d'appel du Québec, dans Ville de Québec c. La Cie d'immeubles Allard Ltée et le Régistrateur de la division d'enregistrement de Québec [1996], R.J.Q. 1566, qui a décidé que quoiqu'une société puisse paraître posséder certains attributs de la personnalité juridique elle ne la possède pas et ne peut donc pas jouir de la propriété d'un patrimoine distinct. En se fondant sur cette décision, le représentant de l'appelant soutient qu'une société n'étant pas une personne n'a pas de pouvoir contractuel.

[32]          Comme cette décision ne dit pas qu'une société en droit québécois n'a aucun pouvoir contractuel, je m'abstiendrai de me fonder sur cet aspect pour rendre ma décision, surtout qu'il me semble que telle affirmation vient à l'encontre du texte même de l'article 2221 du Code civil du Québec, qui se lit comme suit :

À l'égard des tiers, les associés sont tenus conjointement des obligations de la société; mais ils en sont tenus solidairement si les obligations ont été contractées pour le service ou l'exploitation d'une entreprise de la société.

Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement contre un associé qu'après avoir, au préalable, discuté les biens de la société; même alors, les biens de l'associé ne sont affectés au paiement des créanciers de la société qu'après paiement de ses propres créanciers.

[33]          Le représentant de l'intimé s'est aussi référé à deux décisions de cette Cour dont l'une, Alain Carpentier c. M.R.N., du 14 mai 1996, qui va dans le sens qu'il ne peut y avoir un contrat d'emploi entre une société et un membre de cette société, et l'autre, Louise Brady-Charette c. M.R.N., du 6 décembre 1990, qui va dans le sens opposé.

[34]          En ce qui concerne l'impossibilité d'un contrat d'emploi entre un associé et une société dont il est membre, le représentant de l'intimé ne m'a cité ni jurisprudence ni doctrine québécoise appuyant sa prétention. Je m'abstiens donc également de fonder ma décision sur cet argument juridique.

[35]          L'avocat des appelants a beaucoup insisté sur le fait que l'appelante avait reçu une confirmation que son emploi était assurable par la lettre du 26 mars 1992, pièce A-25 et qu'il n'y a pas eu appel de cette décision de la Commission. Il dit que tous les faits étaient devant la Commission à cette époque et que la Commission n'a pas le droit à l'égard de l'époque en cause de poser à nouveau la question au Ministre dans le but d'obtenir une décision de celui-ci. La Cour d'appel fédérale a déjà analysé cette question dans Breault c. M.R.N., 117 N.R., 318, et je cite à la page 320 :

À notre avis, la décision initiale de 1984, de même que la seconde en sens contraire de 1987, ne sont que des prises de position nécessaires pour l'administration de la Loi, prises de position que le paragraphe 61(3) appelle "décisions de la Commission" (peu importe, à cet égard, soit dit en passant, la façon dont on a préparé la formule sur laquelle les décisions de ce genre sont enregistrées pour être communiquées aux intéressés). Il ne s'agit pas de l'exercice par le ministre du pouvoir de détermination que le paragraphe 61(6) lui attribue. Comment ainsi penser que l'une ou l'autre de ces décisions ait pu rendre le ministre "functus officio" et lui enlever son pouvoir de détermination?

[36]          Le Ministre a donc conservé, en vertu de l'alinéa 61(6) de la Loi, le pouvoir de rendre la décision dont il y a appel à l'égard de la période mentionnée dans la lettre de confirmation de la Commission en date du 26 mars 1992.

[37]          L'avocat des appelants a aussi insisté sur la nécessité pour les appelants d'être associés, pour l'appelante à cause de son contrat de mariage, pour l'appelant à cause des exigences des lois statutaires relatives à la construction. Comme j'en suis venue aux conclusions ci-après mentionnées en me fondant uniquement sur les circonstances de fait et les modalités de travail des appelants, je n'ai pas à déterminer l'exactitude de cette prétention.

[38]          Revenons maintenant au droit concernant l'application de l'alinéa 3(2)c) de la Loi qui se lit comme suit :

                                3.(2) Les emplois exclus sont les suivants :

                                ...

                                c)              sous réserve de l'alinéa d), tout emploi lorsque l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance, pour l'application du présent alinéa :

                                                                (i) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance étant déterminée en conformité avec la Loi de l'impôt sur le revenu,

                                                                (ii) l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées entre elles, au sens de cette loi, étant réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[39]          Selon la décision de la Cour d'appel fédérale dans Canada c. Jencan Ltd., du 24 juin 1997, le rôle de notre Cour à l'égard du pouvoir discrétionnaire exercé par le Ministre en est un de contrôle de la légalité de cette décision, et ce contrôle doit être exercé avec la retenue judiciaire requise. Je cite aux pages 17 et 23 de la version française :

... La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

...

... En d'autres termes, ce n'est que lorsque la décision du ministre n'est pas raisonnablement fondée sur la preuve que l'intervention de la Cour de l'impôt est justifiée. Une hypothèse de fait qui est réfutée au procès peut, mais pas nécessairement, constituer un défaut qui fait que la décision du ministre est contraire à la loi. Tout dépend de la force ou de la faiblesse des autres éléments de preuve. La Cour de l'impôt doit donc aller plus loin et se demander si, sans les hypothèses de fait qui ont été réfutées, il reste suffisamment d'éléments de preuve pour justifier la décision du ministre. Si la réponse à cette question est affirmative, l'enquête est close. Mais, si la réponse est négative, la décision est alors contraire à la loi et ce n'est qu'alors que la Cour de l'impôt est justifiée de procéder à sa propre appréciation de la prépondérance des probabilités. Le juge Hugessen l'a expliqué tout récemment dans l'arrêt Jolyn Sports, précité. À la page 4 de ses motifs du jugement, il déclare en effet :

Dans tout appel interjeté en vertu de l'article 70, les conclusions de fait du ministre, ou ses "présuppositions", seront énoncées en détail dans la réponse à l'Avis d'appel. Si le juge de la Cour de l'impôt qui, contrairement au ministre, se trouve dans une situation privilégiée pour apprécier la crédibilité des témoins qu'il a vus et entendus, parvient à la conclusion que certaines ou la totalité de ces présuppositions de fait étaient erronées, elle devra déterminer si le ministre pouvait légalement

tirer la conclusion qu'il a tirée en se fondant sur les faits établis en preuve. C'est manifestement ce qui s'est produit en l'espèce et nous ne sommes vraiment pas en mesure de déclarer que les conclusions de fait du juge ou sa conclusion portant que la décision du ministre pouvait se justifier étaient erronées. [Mots non mis en italiques dans l'original.]

[40]          L'alinéa 3(2)c) de la Loi pertinent aux situations d'ententes contractuelles entre personnes liées amène à analyser la situation de travail des travailleurs pour déterminer s'il s'agit d'emplois qui se retrouveraient normalement dans le marché du travail.

[41]          Dans les présents appels, il n'est pas plausible que les travailleurs n'aient pas travaillé aux mêmes périodes de travail. L'appelante est la personne qui a mis en place le système informatisé et qui sait l'utiliser. Elle ne peut donc que l'utiliser constamment. La preuve a aussi démontré que les contrats de plomberie au cours des années en litige se sont étalés pendant la totalité de ces années et non pas au cours de quelques mois. Il n'y a pas eu de preuve de fluctuations de marché telles que mentionnées dans l'Avis d'appel. L'appelant a donc travaillé tout au long de ces années et non pas seulement aux périodes en litige.

[42]          Je suis de plus d'avis que la preuve a révélé que les présomptions de fait du Ministre n'étaient pas erronées et que, vu les modalités de travail des appelants, notamment la rémunération versée et la durée du travail de chacun en regard des exigences réelles de l'entreprise, le Ministre a exercé judicieusement le pouvoir discrétionnaire qui lui échoit en vertu de l'alinéa 3(2)c) de la Loi, en décidant que les parties n'auraient pas conclu entre elles de mêmes ententes de travail si elles n'avaient pas été liées.

[43]          En conséquence les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de janvier, 1998.

"Louise Lamarre Proulx"

J.C.C.I.

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