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Date: 20000613

Dossier: 98-911-UI

ENTRE :

JEAN-GUY LAGACÉ,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge en chef Garon, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel fait en vertu de l'article 103 de la Loi sur l'assurance-emploi d'une décision en date du 15 juin 1998 selon laquelle l'appelant n'occupait pas un emploi assurable auprès de la société par actions « Scierie Mobile Bois Plus Inc. » , (le « payeur » ), du 1er avril 1997 au 21 novembre 1997. À l'appui de sa décision, le ministre du Revenu national a invoqué que l'appelant contrôlait plus de 40% des actions comportant droit de vote du payeur.

[2]            Les allégations de fait sur lesquelles le ministre du Revenu national s'est basé en concluant à la non-assurabilité de l'emploi de l'appelant durant la période en cause sont formulées dans le paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Ce paragraphe se lit ainsi :

a)              Le payeur, constitué en corporation le ou vers le 21 mars 1997, exploite une entreprise de coupe de bois à l'aide de deux scies mobiles.

b)             Le payeur effectue des travaux de coupe de bois principalement auprès de particuliers mais aussi auprès de compagnies.

c)              L'appelant et Gaston Dionne sont demi-frères (même mère) et s'étaient associés, en mai 1995, pour exploiter une entreprise de coupe de bois sous la raison sociale de "Scierie Mobile Bois + Enr."

d)             À cette époque, la société détenait une seule scie mobile et comme les deux associés travaillaient pour des tiers, ils avaient embauché un travailleur pour effectuer la coupe de bois.

e)              Avant l'incorporation du payeur, l'appelant et M. Dionne étaient sociétaires à parts égales.

f)              L'appelant perdait son emploi au début de 1997 et décidait avec M. Dionne d'acheter une deuxième scie mobile et de constituer en corporation leur société.

g)             Lors de sa demande auprès du ministère des Institutions financières, le payeur émettait 3 actions ordinaires, comportant droit de vote, aux personnes suivantes : Gaston Dionne, l'appelant et Joseph-Marc Laforest.

h)             Les seuls certificats d'actions émis et inscrits au registre des actionnaires du payeur représentent la situation telle que décrite ci-dessus.

i)               Au moment de la constitution en corporation, il y a eu roulement des actifs et avoirs de la société de l'appelant et de M. Dionne.

j)               Le roulement s'est fait selon la même proportion des avoirs de chaque sociétaire, c'est-à-dire 50% chacun, alors que les actions votantes du payeur auraient prétendument été réparties ainsi :

                Gaston Dionne avec 59 % des actions.

                L'appelant avec 40 % des actions.

                M. Joseph-Marc Laforest avec 1 % des actions.

k)              M. Laforest est conseiller en développement régional pour le gouvernement du Québec; il n'a pas investi dans l'entreprise du payeur et ne participe pas à l'exploitation de l'entreprise; il aurait symboliquement reçu gratuitement son action du payeur.

l)               Pour la saison 1997, le payeur a embauché l'appelant et le fils de ce dernier, M. Jean-François Lagacé, pour effectuer la coupe de bois.

m)             L'appelant a opéré l'une des deux scies mobiles du payeur tout en se chargeant des ajustements et réparations des équipements du payeur.

n)             L'appelant aurait reçu une rémunération fixe de 600 $ brut par semaine, pour 40 heures de travail alors que son fils recevait une rémunération horaire de 15 $ pour effectuer la coupe de bois.

o)             L'appelant a soumis un relevé d'emploi indiquant 1 120 heures de travail, ce qui représente 28 semaines à 40 heures par semaine, alors que la période en litige couvre 34 semaines et que l'appelant a travaillé durant toutes les semaines de la période en litige, sauf une.

p)             L'appelant et M. Dionne contrôlait [sic] dans les faits chacun 50 % des actions comportant droit de vote du payeur.

[3]            L'appelant, par l'entremise de son avocat, a admis les allégations figurant aux alinéas a), b), c), d), e), g), h), l), m) et n) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Les allégations aux alinéas f), i), j) k), o) et p) dudit paragraphe 5 ont été niées.

[4]            Ont témoigné à l'audience l'appelant lui-même et monsieur Gaston Dionne à la demande du premier. Madame Lyne Soucy, agente d'appels de Revenu Canada a été la seule personne à déposer pour le compte de l'intimé.

[5]            Dans son témoignage, monsieur Dionne, un technicien forestier, affirme qu'il exploitait depuis mai 1995 une entreprise de sciage de bois et utilisait dans le cadre de cette entreprise des scies mobiles.

[6]            Monsieur Dionne a mentionné qu'un contrat de société, souscrit devant notaire, dont copie fut produite à l'audience, avait été conclu entre lui-même et l'appelant en date du 5 mai 1995. À l'article 1 de ce contrat, il est mentionné que l'appelant et monsieur Dionne « forment entre eux une société civile, aux fins de mettre en commun les revenus et dépenses résultant de l'exploitation d'une entreprise de transformation de bois et tous[sic] ce qui y est connexe » . Il est stipulé notamment dans cette convention que le partage des revenus entre les deux associés se ferait à parts égales.

[7]            Par un autre contrat fait celui-ci sous seing privé portant la même date et entre les deux même individus, il est fait état de l'acquisition d'équipement en date du 24 février 1995 au prix de 30 000 $ et d'un emprunt de 30 000 $ contracté aux fins de cette acquisition par les deux associés auprès de la Caisse populaire de Rimouski. Il est en outre indiqué dans cette même convention que monsieur Dionne avait consenti relativement à ce prêt une garantie sur sa résidence personnelle en faveur de cette même Caisse; cet acte de garantie hypothécaire immobilière en faveur de la Caisse populaire de Rimouski porte la date du 17 mars 1995. Il était aussi prévu dans ce deuxième contrat du 5 mai 1995 qu'advenant le cas où la Caisse populaire de Rimouski ferait valoir sa garantie l'appelant reconnaîtrait que monsieur Dionne serait « en droit de lui réclamer la moitié du solde restant dû à cette époque sur ledit prêt de trente mille (30 000 $) » .

[8]            Deux contrats de prêt auxquels Scierie Mobile Bois Plus Enr. et Scierie Mobile Bois Plus Inc. (Cie à être formée) désignées comme « L'Emprunteur » dans chacun de ces contrats ont été souscrits le 27 mars 1997 et portent chacun sur un emprunt de 12 500 $. Ce libellé « Scierie Mobile Bois Plus Inc. (Cie à être formée) » est celui adopté pour désigner le payeur qui fut créé le même jour. À l'un de ces contrats, ci-après désigné le « premier contrat » , la Société d'aide au développement de Collectivités de la Neigette Inc., est décrite comme « Le Prêteur » et dans l'autre contrat le « deuxième contrat » la Société locale d'Investissement dans le développement de l'emploi (Solide) de la MRC de Rimouski-Neigette, (la « Solide » ) est la société prêteuse[1]. Aux articles 1.2 et 1.3 du premier contrat il est mentionné que le capital-actions de la société en voie de formation est de 10 000 actions, Catégorie « A » et que l'appelant et monsieur Dionne détiennent respectivement 40% et 60% des actions. À l'article 17 du deuxième contrat de prêt il est mentionné que monsieur Dionne et l'appelant confirment qu'ils détiennent respectivement 6 000 et 4 000 actions du capital-actions de Scierie Mobile Bois Plus Inc. et « qu'ils ont entièrement acquitté en numéraire les actions qu'ils détiennent » .

[9]            Le même témoin relate que l'entreprise a été constituée en société par actions parce que cette forme d'exploitation offrait de plus grandes possibilités au sujet de l'obtention de contrats. Une deuxième scie mobile fut acquise en mars 1997 au prix de 20 000 $ grâce au prêt de 12 500 $ consenti par la Solide en vertu du deuxième contrat dont il est question dans le paragraphe précédent.

[10]          L'un des amis de monsieur Dionne, monsieur Joseph-Marc Laforest, qui possède un baccalauréat en administration, a fait le nécessaire pour former cette société par actions.

[11]          Selon le compte-rendu du 16 mars 1997 (pièce A-3) il y eut une « première assemblée des actionnaires » du payeur — ainsi appelée dans le compte-rendu — à laquelle monsieur Dionne, l'appelant et monsieur Laforest étaient présents. Selon monsieur Dionne, le moment de l'émission d'actions est le 16 mars 1997. Il est catégorique sur le point qu'il n'a pas eu émission de 10 000 actions. Il explique qu'au départ, il avait été décidé que le partage des actions serait fait sur une base de 60-40% étant donné que lui-même prenait à son compte certains risques à l'égard d'une dette de 15 000 $[2]. À cet égard, il ajoute que dès l'incorporation du payeur la convention d'associés devenait nulle. Il mentionne aussi qu'il gérait l'entreprise du payeur sans être rétribué. Lors de cette « première réunion des actionnaires » monsieur Laforest aurait demandé qu'on lui accorde 1% des actions. L'émission du certificat d'actions à monsieur Laforest n'aurait été faite que plus tard, à un moment qui ne fut pas précisé. Monsieur Laforest agissait aussi comme conseiller de l'entreprise.

[12]          En contre-interrogatoire, monsieur Dionne affirme que trois actions ordinaires ont été émises et que trois certificats d'actions représentant chacun une action ont été complétés et livrés. Au cours du contre-interrogatoire, il est noté que la résolution du conseil d'administration du payeur n'indique pas le nombre d'actions détenu par l'appelant, messieurs Dionne et Laforest. Dans le bilan du payeur au 1er avril 1997, il n'est pas indiqué que des actions ont été émises et que des sommes ont été payées pour l'acquisition d'actions. Monsieur Dionne fournit certaines explications quant au changement des pourcentages de participation que lui-même et l'appelant possédaient dans le capital-actions du payeur par rapport à ceux qu'ils avaient dans la société de personnes qu'ils avaient formée le 5 mai 1995.

[13]          Monsieur Dionne a aussi précisé qu'il y a eu des réunions d'actionnaires en 1998 et 1999 auxquelles l'appelant, monsieur Dionne et monsieur Laforest étaient présents. Monsieur Dionne insiste que la répartition des actions est indiquée dans les livres du payeur à la date du 16 mars 1997.

[14]          Monsieur Dionne a expliqué son rôle dans les activités du payeur. Il s'occupait de la gestion et de la planification du travail. Il supervisait les travaux au jour le jour. Il s'occupait des besoins de la société en équipement. Il s'adonnait à certains aspects de la comptabilité de l'entreprise. Il avait recours également aux services de madame Dolores Desrosiers qui effectuait certains travaux de nature comptable. Monsieur Dionne n'était pas rémunéré par le payeur pour les services qu'il rendait à ce dernier.

[15]          Selon monsieur Dionne, la principale tâche de l'appelant consistait à « scier sur le moulin à scie » . L'appelant n'était pas le seul employé. Il y avait un autre employé qui était le fils de l'appelant. L'appelant était payé 600,00 $ sur une base hebdomadaire. Les employés du payeur, y compris l'appelant, étaient rémunérés aux taux de 0,10 $ du kilomètre pour l'utilisation de leur véhicule pour se rendre chez les clients.

[16]          J'aborde maintenant la déposition de l'appelant.

[17]          Lors de son témoignage, l'appelant s'est décrit comme opérateur de scies. Il avait auparavant travaillé comme technicien en génie civil dans une firme d'ingénieurs-conseils pendant environ 11 ans; cette firme a dû le mettre à pied n'ayant pas obtenu assez de contrats. Il a commencé à travailler pour le payeur le 1er avril 1997.

[18]          Au niveau de son travail quotidien, il a expliqué que monsieur Dionne communiquait avec lui par téléphone la veille au sujet des travaux qu'il devait exécuter le lendemain. Il se déplaçait alors avec sa scie pour effectuer les travaux qui avaient été déterminés. Il pouvait être appelé dans certains cas à faire les factures pour les travaux qu'il avait accomplis et à les remettre aux clients. Certains clients envoyaient leurs chèques directement à monsieur Dionne. L'appelant s'occupait aussi de l'entretien régulier de la machine, faisait la vidange d'huile et des réparations mineures à cette machine chez les clients ou chez lui.

[19]          Madame Lyne Soucy, agente des appels, a déposé brièvement pour le compte de l'intimé. Elle a fourni certains renseignements au sujet de l'enquête qu'elle a menée. Son rapport CPT-110 fut déposé à l'audience.

[20]          La preuve documentaire fait voir, à la troisième page d'un document (pièce A-3) intitulé « Première assemblée des actionnaires de Scierie Mobile Bois Plus Inc. » , tenue le 16 mars 1997, qu'il avait été « convenu et adopté que la compagnie émette trois (3) actions ordinaires, chaque actionnaire achetant une action au montant de 2,46 $ » .

[21]          Dans le même document relatif à cette « première assemblée » du 16 mars 1997 à la cinquième page, on lit sous la rubrique « Proposition d'achat d'actions (Montréal) » ce qui suit :

Sujet: Répartition des actions: Gaston Dionne 59%, Jean-Guy Lagacé 40%, ADMI INC. entreprise représentée par M. Joseph Marc Laforest 1%.

Conclusions: Les 2 actionnaires majoritaires perçoivent le rôle d'ADMI (Administration de marque) Inc comme jouant un rôle de conseiller de l'entreprise.

Actions à entreprendre: Vote de partage adopté unanimement.

[22]          Sous l'intitulé « Résolutions du conseil d'administration » du payeur, dans un document en date du 16 avril 1997 (également à la pièce A-3), je note les mentions suivantes :

SOUSCRIPTIONS ET ÉMISSIONS D'ACTIONS

Il est résolu:

                                d'accepter la ou les souscriptions suivantes et d'émettre les certificats d'actions appropriés:

Nom du souscripteur/

actionnaire

Nombre et catégorie d'actions

Prix par

action

No du certificat

Gaston Dionne

59% "A"

2.46

Jean-Guy Lagacé

40% "A"

2.46

Marc Laforest (Admi)

   1% "A"

2.46

La Compagnie ayant reçu paiement complet desdites actions, celles-ci sont déclarées entièrement payées et libérées.

[23]          Finalement, une autre résolution du payeur en date du 16 avril 1997 (pièce I-2) se lit comme suit :

À l'unanimité, les actionnaires de la compagnie émettent 10 000 actions ordinaires. Deux actions sont mises en circulation au prix de $2.46 fondé sur le calcul établi le 16 mars 1997 (pièce versée au livre de la compagnie); chaque actionnaire achetant et payant une action.

Les parties conviennent de rouler les biens de l'entreprise enregistrée dans l'entreprise incorporée sans toutefois payer de TPS ni de TVQ.

Il est entendu unaniment[sic] que M. Gaston DIONNE agira comme officier de la compagnie à titre Président. M. Jean-Guy

LAGACÉ pour sa part ne jouera aucun rôle dans l'administration courante de l'entreprise afin que, comme employé, son rôle soit subalterne aux officiers et gestionnaires.

Gaston Dionne

(Signature)

Jean-Guy Lagacé

(Signature)

J.Marc Laforest

(Signature)

Analyse

[24]          L'avocate de l'intimé a informé la Cour après que la preuve fut close que l'intimé ne contestait plus que l'appelant était lié au payeur par un contrat de louage de services. La seule question en jeu porte donc sur l'application de l'alinéa 5(2)b) de la Loi sur l'assurance-emploi où il est indiqué que n'est pas assurable « l'emploi d'une personne au service d'une personne morale si cette personne contrôle plus de quarante pour cent des actions avec droit de vote de cette personne morale » .

[25]          Il s'ensuit que si l'appelant ne possédait que 40% des actions du payeur durant la période en cause, comme il le prétend, son emploi était assurable. L'intimé soutient pour sa part que l'appelant et monsieur Dionne détenaient chacun 50% des actions du capital-actions du payeur durant la période pertinente.

[26]          Il n'est pas contesté que le payeur a été constitué en société par actions le 21 mars 1997 en vertu de la Partie IA de la Loi sur les compagnies du Québec comme cela appert du certificat de constitution qui fut mis en preuve. Il n'y a aucun doute que le payeur a commencé à exister comme société par actions à compter de la date figurant sur le certificat de constitution, soit le 21 mars 1997. Cela est dit toutes lettres à l'article 123.16 de la Loi sur les compagnies du Québec, C-38, des Lois refondues du Québec, qui se lit ainsi :

                À compter de la date figurant sur le certificat de constitution, la compagnie est une corporation au sens du Code civil du Bas Canada.

Il y a aussi lieu de noter l'article 299 du Code civil du Québec qui dispose comme suit :

                Les personnes morales sont constituées suivant les formes juridiques prévues par la loi, et parfois directement par la loi.

                Elles existent à compter de l'entrée en vigueur de la loi ou au temps que celle-ci prévoit, si elles sont de droit public, ou si elles sont constituées directement par la loi ou par l'effet de celle-ci; autrement, elles existent au temps prévu par les lois qui leur sont applicables.

[27]          Je suis d'accord avec l'avocate de l'intimé que le procès-verbal du 16 mars 1997 indiquant que l'appelant, monsieur Dionne et monsieur Laforest possédaient chacun une action ne pouvait pas avoir d'effets juridiques. Le payeur n'existait pas à la date du 16 mars 1997. Aucune action ne pouvait être émise et répartie par le payeur. Personne ne pouvait non plus être autorisée à signer pour le payeur les certificats d'actions car le payeur n'avait pas encore été constitué en personne morale. Je n'oublie pas les dispositions de l'article 123.7 de la Loi sur les compagnies qui prévoit la ratification d'actes posés dans l'intérêt d'une compagnie si elle les ratifie dans les 90 jours qui suivent sa constitution. Je doute que cette disposition puisse s'appliquer, par exemple, à l'émission et à la répartition d'actions. À tout événement, aucune preuve de ratification n'a été présentée. Les certificats d'actions datés du 16 mars 1997 (pièce I-1), donc cinq jours avant la constitution du payeur, indiquant que l'appelant et messieurs Dionne et Laforest détenaient chacun une action du payeur ne sont pas valides.

[28]          Je n'attache aucune importance à la mention dans les deux contrats de prêt en date du 27 mars 1997 qui se lit ainsi :

ensemble ils détiennent la totalité des actions comportant droit de vote de l'Emprunteur leur conférant le contrôle de toutes les décisions devant être prises par les actionnaires de l'emprunteur.

En effet, cette mention ne précise pas notamment le pourcentage d'actions qui est détenu par l'appelant et monsieur Dionne.

[29]          L'appelant soumet dans son mémoire de juillet 1999 que d'après la preuve l'intention des parties est claire que monsieur Dionne, l'appelant et monsieur Laforest détenaient respectivement 59%, 40% et 1% des actions du capital-actions du payeur.

[30]          Pour les fins de l'application de l'alinéa 5(2)b) de la Loi sur l'assurance-emploi, il me paraît absolument essentiel dans un premier temps, qu'il doit avoir eu une émission et une répartition valides des actions par le payeur. Dans un deuxième temps, il sera alors possible de déterminer, par exemple, si l'appelant, dans le présent cas, contrôlait plus de 40% des actions avec droit de vote du payeur. Ce n'est pas seulement une affaire d'intention des parties. Voir la décision du 18 juin 1994 du juge Dussault dans les affaires Abraham Weitz et Morton Cornblit et le ministre du Revenu national, [1994] A.C.I. no 20 (QL) — confirmée par la Cour d'appel fédérale — 95 DTC 5031. Il aurait fallu que le payeur ait posé certains gestes concrets. On ne peut même pas déterminer le nombre précis d'actions que possédaient monsieur Dionne, l'appelant et monsieur Laforest à l'époque pertinente. Comment peut-on alors déterminer le pourcentage d'actions détenu par l'appelant ou monsieur Dionne dans le capital-actions du payeur?

[31]          Au sujet de l'émission d'actions, il est bon de se rappeler les dispositions de l'article 123.17 de la Loi sur les compagnies (L.C.Q.) qui se lit ainsi :

Après la constitution de la compagnie, les administrateurs tiennent une réunion d'organisation au cours de laquelle ils émettent au moins une action.

[32]          Les commentaires suivants des auteurs André Morrisset et Jean Turgeon, Droit corporatif canadien et québécois, Les publications CCH/FM Ltée, Vol 1, aux pages 741 et 742, décrivent bien la situation juridique qui découle d'un manquement à l'obligation d'émettre une action après la constitution d'une compagnie :

                L'obligation pour les administrateurs d'émettre au moins une action s'explique par la nécessité d'avoir au moins un actionnaire dans la compagnie afin que celui-ci puisse élire le conseil d'administration, tenir les assemblées d'actionnaires, recevoir les dividendes versés par la compagnie, participer dans le reliquat des actifs de la compagnie lors de sa liquidation, etc. Le retard dans la tenue de l'assemblée d'organisation et le défaut d'émettre au moins une action peuvent conduire, dans le cas d'une compagnie qui n'a qu'un administrateur, à une situation sans issue. Ainsi, si cet administrateur décède ou démissionne sans avoir émis une action, il y aura impossibilité de désigner un autre administrateur (puisqu'il n'y a aucun actionnaire!) et les biens de la compagnie, s'il y en a, devront échoir à la Couronne car aucune personne ne possédera la qualité d'actionnaire requise pour recevoir lesdits biens lors de la dissolution de la compagnie.

[33]          La résolution du conseil d'administration du payeur en date du 16 avril 1997 qui montre que ce dernier accepte les souscriptions de l'appelant, de monsieur Dionne et de monsieur Laforest n'est pas non plus valide puisqu'elle n'indique pas le nombre d'actions qui ont été émises. Elle indique seulement un pourcentage d'actions. Comme l'indique maître Martel dans son volume « La compagnie au Québec, Volume I Les aspects juridiques » (Edition à feuilles mobiles, à jour au 1er octobre 1999) à la page 14-14 :

                L'émission et la répartition d'actions entraînent en général trois opérations: une résolution du conseil d'administration décrétant l'émission, des inscriptions dans le registre des actionnaires de la compagnie la confirmant, et finalement la livraison de certificats d'actions, qui en constituent une « preuve portative » et facilitent la « transférabilité » des actions.

Il faut aussi se rappeler que les fractions d'actions en vertu de la Loi sur les compagnies du Québec ne peuvent être émises valablement selon le même auteur, à la page 14-19 de la publication précitée :

                Le capital-actions de la compagnie est divisé en unités: les actions. Ces unités ne sont pas elles-mêmes divisibles puisque ce sont des unités de base. Non seulement l'émission de fractions d'actions n'est-elle autorisée nulle part dans la loi, mais les règles d'un vote par action, de responsabilité limitée au montant non payée sur l'action, et de plein paiement de la valeur au pair des actions libérées prohibent implicitement de telles émissions.

                                                                                                [Notes infrapaginales omises.]

[34]          Au paragraphe 14 de son mémoire, l'avocate de l'intimé avance ce qui suit :

En l'absence d'inscription au registre des actionnaires et de certificat d'actions valides, l'intimé soutient que l'appelant et Gaston Dionne sont les seuls véritables actionnaires et qu'ils détiennent chacun 50% des actions du payeur, actions émises en considération de leur apport en biens résultant du roulement d'actifs de la société à la compagnie.

[35]          Je ne puis voir en vertu de quelle règle de droit l'intimé peut déduire que l'appelant et monsieur Dionne possédaient chacun 50% des actions du capital-actions du payeur. L'apport des biens par un actionnaire ou futur actionnaire au payeur ne détermine pas automatiquement le pourcentage d'actions. Ce n'est pas un contrat de société; c'est un contrat d'acquisition d'actions. Dans le cas actuel, il n'y a tout simplement pas eu émission et répartition des actions. Il est donc impossible de déterminer le pourcentage d'actions qui a été attribué à l'appelant et à monsieur Dionne.

[36]          De plus, dans le présent cas, eu égard à toutes les circonstances, il n'est pas du tout invraisemblable d'après les intentions de l'appelant et de monsieur Dionne que l'appelant ne détienne à un moment à être précisé que 40% des actions. En effet, monsieur Dionne avait pris à sa charge des risques plus grands que l'appelant en hypothéquant sa maison à l'égard d'un emprunt contracté par la société de personne qui a précédé l'incorporation du payeur. En outre, il n'était pas rémunéré pour son travail de gestionnaire et, en particulier, comme dirigeant des activités du payeur. Bien qu'à mon point de vue les commentaires que je viens de formuler dans le présent paragraphe ne soient pas nécessaires pour trancher la question en jeu dans cet appel, ils me paraissaient d'un certain intérêt aux fins de la compréhension de l'attitude de l'appelant et de monsieur Dionne touchant les pourcentages de participation dans le capital-actions du payeur à être attribués à l'appelant et à monsieur Dionne.

[37]          Je note qu'à l'alinéa 5 g) de la Réponse à l'avis d'appel, l'intimé allègue que trois actions ordinaires ont été émises par le payeur « lors de sa demande au ministère des Institutions financières » . Cette allégation fut admise par l'appelant. La validité de cette émission d'actions n'était pas alors contestée par l'intimé. De toute façon, même si cette allégation était juste, cette allégation n'appuie pas la thèse de l'intimé.

[38]          J'en viens donc à la conclusion que le payeur n'a pas procédé valablement à l'émission et à la répartition des actions. Par voie de conséquence, je ne peux pas conclure que l'appelant possédait plus de 40% des actions du payeur au cours de la période en litige. À supposer que des effets juridiques puissent être donnés aux résolutions du 16 mars 1997 et du 16 avril 1997, l'appelant ne pourrait détenir au maximum que 40% des actions du capital-actions du payeur.

[39]          Pour ces motifs, l'emploi de l'appelant était assurable durant la période en cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2000.

« Alban Garon »

J.C.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        98-911(UI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Jean-Guy Lagacé

                                                                                                et le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Rivière-du-Loup (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    7 juin 1999

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         L'honorable Alban Garon

                                                                                                Juge en chef

DATE DU JUGEMENT :                      13 juin 2000

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :                               Me Daniel Longpré

Pour l'intimé(e) :                                    Me Suzanne Morin

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                                Nom :                       Daniel Longpré

                                Étude :                     Montréal (Québec)

Pour l'intimé(e) :                                    Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

98-911(UI)

ENTRE :

JEAN-GUY LAGACÉ,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 7 juin 1999 à Rivière-du-Loup (Québec) par

l'honorable juge en chef Alban Garon

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Daniel Longpré

Avocate de l'intimé :                            Me Suzanne Morin

JUGEMENT

          Par les présentes, il est ordonné que le règlement de la question en litige soit infirmé. L'emploi de l'appelant, pour la période du 1er avril 1997 au 21 novembre 1997, est assurable.

Signé à Ottawa, Canada, ce 13e jour de juin 2000.

« Alban Garon »

J.C.C.C.I.




[1] Ce deuxième contrat de prêt porte en haut de la première page le mot « projet » mais il est signé par les parties concernées et a été traité comme un contrat par les parties et non comme un projet de contrat.

[2] Monsieur Dionne doit se réferer au montant impayé de l'emprunt d'une somme de 30 000 $ contracté le 17 mars 1995.

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