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Date: 20010403

Dossier: 2000-138-IT-I

ENTRE :

DANIEL FERRON,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Archambault, C.C.I.

[1]            Monsieur Daniel Ferron conteste une nouvelle cotisation à l'égard de l'année d'imposition 1997 établie par le ministre du Revenu national (ministre). Le ministre a refusé une partie, soit 41 856 $ (pension refusée), du montant de pension alimentaire de 65 856 $ que monsieur Ferron avait déduit dans le calcul de son revenu. Le ministre soutient que la pension refusée représente le paiement de dépenses alimentaires à des tiers (paiements à des tiers) et non une « allocation périodique » payée par monsieur Ferron à madame Hélène Bernard, son épouse, comme elle doit l'être selon l'alinéa 60b) et le paragraphe 56.1(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi). De plus, il prétend que l'accord entre monsieur Ferron et madame Bernard ne prévoyait pas l'application du paragraphe 60.1(2) de la Loi. Ce paragraphe se lisait en partie comme suit :

(2)           Entente. Pour l'application de l'article 60, du présent article et du paragraphe 118(5), le résultat du calcul suivant :

A – B

où :

A              représente le total des montants représentant chacun un montant (sauf celui qui constitue par ailleurs une pension alimentaire) qui est devenu payable par un contribuable au cours d'une année d'imposition, aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit, au titre d'une dépense (sauf la dépense relative à un établissement domestique autonome que le contribuable habite ou une dépense pour l'acquisition de biens corporels qui n'est pas une dépense au titre de frais médicaux ou d'études ni une dépense en vue de l'acquisition, de l'amélioration ou de l'entretien d'un établissement domestique autonome que la personne visée aux alinéas a) ou b) habite) engagée au cours de l'année ou de l'année d'imposition précédente pour subvenir aux besoins d'une personne, d'enfants confiés à sa garde ou à la fois de la personne et de ces enfants, dans le cas où la personne est :

a) le conjoint ou l'ancien conjoint du contribuable,

[...]

est réputé, lorsque l'ordonnance ou l'accord écrit prévoit que le présent paragraphe et le paragraphe 56.1(2) s'appliquent à un montant payé ou payable à leur titre, être un montant payable par le contribuable à cette personne et à recevoir par celle-ci à titre d'allocation périodique, que cette personne peut utiliser à sa discrétion.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

Les faits

[2]            Seul monsieur Ferron a témoigné à l'audience. Madame Hélène Bernard, à qui on avait signifié personnellement à son domicile un subpoena à la demande du procureur de monsieur Ferron, n'était pas présente et aucun motif n'a été fourni à la Cour pour expliquer son absence.

[3]            Monsieur Ferron et madame Bernard se sont mariés le 27 novembre 1972. Le couple a eu trois enfants : Julie, Patrick et Luc. Monsieur Ferron et madame Bernard vivent séparés depuis le 30 janvier 1993. Madame Bernard a rédigé une entente de séparation (entente de principe) à l'amiable le 21 février 1993. Dans cette entente signée par madame Bernard et monsieur Ferron, il est stipulé que monsieur Ferron versera à madame Bernard une pension alimentaire mensuelle viagère de 2 000 $. Cette pension doit être versée en franchise d'impôt. L'entente stipule de plus que monsieur Ferron doit effectuer certains paiements à des tiers relativement aux enfants, soit les paiements des frais médicaux et paramédicaux, les frais d'éducation et les frais des loisirs. Finalement, il y est prévu qu'une entente définitive doit être rédigée par un notaire choisi par madame Bernard et que monsieur Ferron doit assumer ses honoraires.

[4]            Le notaire, Me Leroux, a rédigé trois actes notariés que les parties ont signés le 31 août 1993, l'un accordant à madame Bernard un droit d'habitation à l'égard de la résidence familiale, un autre prévoyant la nomination de madame Bernard comme fiduciaire d'une fiducie établie par les parents de monsieur Ferron et le troisième (entente alimentaire) portant sur le versement de la pension alimentaire et sur la garde des enfants. Dans sa note d'honoraires du 27 août 1993, Me Leroux indique avoir rencontré madame Bernard et Me Claude Leblanc, avocat, pour prendre connaissance du dossier en mars 1993. Comme il n'était pas son avocat, monsieur Ferron croit que Me Leblanc était le procureur de madame Bernard.

[5]            Me Leroux a d'abord préparé des projets d'entente à partir des données fournies notamment par l'entente de principe. Ces projets ont été envoyés à Me Leblanc et à madame Bernard ainsi qu'à monsieur Ferron. Il semble que monsieur Ferron n'a pas rencontré madame Bernard et Me Leblanc au cours des négociations qui ont eu lieu au cours des mois de mars, avril, juin et août 1993. Monsieur Ferron indiquait ses modifications sur les projets eux-mêmes de Me Leroux. Ce dernier a rencontré à plusieurs reprises madame Bernard et Me Leblanc pour discuter des modifications suggérées par monsieur Ferron.

[6]            L'entente alimentaire stipule ce qui suit sous la rubrique « Pension alimentaire » :

2               PENSION ALIMENTAIRE

2.1           Monsieur paiera à Madame, pour elle-même, sa vie durant, une pension alimentaire de DEUX MILLE DOLLARS (2 000 $) par mois, payable d'avance le premier jour de chaque mois, au domicile de Madame, à compter du premier février mil neuf cent quatre-vingt-treize (1993);

2.2           Ladite pension alimentaire de DEUX MILLE DOLLARS (2 000 $) par mois sera indexée le premier janvier de chaque année suivant l'indice annuel des rentes établi conformément à l'article 119 de la Loi sur le régime des rentes du Québec;

2.3           Sous réserve de l'article 2.4 ci-après, Madame subviendra aux besoins de ses enfants à même la pension alimentaire fixée ci-devant;

2.4           De plus, Monsieur paiera pour subvenir aux besoins des enfants, tous frais médicaux, chirurgicaux ou paramédicaux, tous frais de scolarité exigés par les institutions privées, tous frais raisonnables de loisirs ainsi que tous frais reliés au budget mensuel des enfants;

2.5           Monsieur s'engage à assumer tous les frais d'entretien de la propriété, 470 Antoine Forestier, à Laval, notamment le chauffage, l'électricité, le gaz, le téléphone, le déneigement, la pelouse, l'entretien paysager, les réparations locatives, les taxes municipales, scolaires, d'église ou autres, les assurances ainsi que toutes autres charges et contributions.

2.6           Monsieur remboursera à Madame tous impôts sur le revenu que cette dernière serait appelée à payer aux termes des paragraphes 2.1 à 2.6 en fonction du taux marginal le plus bas;

2.7           Les paiements versés aux termes des paragraphes 2.1 à 2.6 ci-dessus seront imposables comme revenus sur la tête de Madame et pourront être déduits comme pension alimentaire par Monsieur.

                                                                                                [Je souligne.]

[7]            Monsieur Ferron avait demandé qu'on spécifie dans cette entente les numéros des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi. On l'a informé que Madame refusait cette demande parce que cela pouvait, selon elle, porter à confusion : qu'arriverait-il si le numéro de l'article était modifié dans l'avenir? Lors de la négociation de l'entente alimentaire, monsieur Ferron n'était pas représenté par un avocat.

[8]            Le 31 mai 1995, madame Bernard a présenté une requête pour mesures provisoires dans le cadre d'une demande en divorce. Madame la juge Sévigny de la Cour supérieure du Québec a confirmé et entériné au stade provisoire tous les engagements que monsieur Ferron avait pris envers madame Bernard dans l'entente alimentaire « du 31 mai 1993 » . Il semble qu'il s'agit plutôt, en vérité, du 31 août 1993. Le 26 février 1998, la Cour supérieure a accordé le divorce au couple Ferron-Bernard.

[9]            Monsieur Ferron s'est acquitté de toutes ses obligations alimentaires vis-à-vis de madame Bernard et de ses enfants de 1993 à 1997. En mars 1998, madame Bernard a abandonné la résidence familiale et les enfants de monsieur Ferron sont venus habiter chez lui.

[10]          Un vérificateur du ministre a demandé à monsieur Ferron de fournir les pièces justificatives à l'égard de la somme de 65 856 $ déduite à titre de pension alimentaire. Monsieur Ferron a non seulement fourni toutes les preuves et explications justifiant la déduction de cette somme, mais il a découvert qu'il avait en fait versé une somme supérieure à celle-ci. Par la suite, le vérificateur a informé monsieur Ferron qu'il n'avait pas droit à la déduction d'une somme de 41 856 $, puisqu'elle représentait des paiements à des tiers et que « la convention ne mentionnait pas expressément l'application des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi » .

[11]          Monsieur Ferron croit que madame Bernard a contesté auprès du ministre l'inclusion dans son revenu des paiements à des tiers pour les années 1995, 1996 et 1997. Selon lui, cela explique pourquoi le ministre lui a demandé de signer des avis de renonciation à la prescription pour les années 1995 et 1996. Toutefois, comme l'année 1995 était prescrite, il n'a fourni la renonciation que pour l'année 1996.

Analyse

[12]          Le 22 novembre 1996, j'ai rendu une décision dans l'affaire Pelchat c. La Reine, 97 DTC 945, où le litige était semblable à celui en l'espèce. Dans cette affaire-là, il s'agissait plutôt d'une ordonnance d'un tribunal que d'un accord entre des conjoints. Le tribunal avait ordonné que « cette pension alimentaire [soit] imposable dans les mains de la défenderesse et déductible d'impôt pour le demandeur » . Le procureur du ministre soutenait que cette ordonnance ne satisfaisait pas aux conditions du paragraphe 60.1(2) de la Loi. À l'appui de son argument, il citait quelques décisions dont notamment celle de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Armstrong, [1996] A.C.F. no 599 (96 DTC 6315, [1996] 2 C.T.C. 266). Après avoir analysé cette décision, j'avais dit, à la page 946 :

Toutefois, dans cette affaire, il n'y avait aucune stipulation dans l'ordonnance de la Cour fixant l'obligation alimentaire concernant le traitement fiscal des sommes à être versées par le contribuable.

Dans ses motifs, la Cour d'appel cite les propos de mon collègue le juge Beaubier dans l'arrêt Mambo c. La Reine, [1995] A.C.I. no 931, [1996] 1 C.T.C. 2388, expliquant la raison d'être de cette condition énoncée au paragraphe 60.1(2) de la Loi. Voici la première raison qu'il énonce: « Premièrement, confirmer que les deux parties savent qu'il y a des attributs fiscaux à une telle ordonnance ou à un tel accord » .

Le procureur du ministre a aussi cité la décision du juge Garon de cette Cour dans l'affaire Mailloux c. Sa Majesté la Reine, [1991] A.C.I. no 641, dans laquelle ce dernier énonce ce qui suit:

Il me paraît probable que le législateur veuille s'assurer que les parties en cause se rendent bien compte des conséquences fiscales qui découlent des paiements faits conformément à un accord écrit, un jugement ou ordonnance d'un tribunal pour les fins précises indiquées dans cet accord, jugement ou ordonnance.

[ Je souligne. ]

[13]          Finalement, j'en étais arrivé à la conclusion suivante à la page 947 :

La seule disposition d'une loi que je connaisse qui puisse assujettir Mme Patry à l'impôt à l'égard du remboursement est le paragraphe 56.1(2) de la Loi. De façon similaire, la seule disposition d'une loi que je connaisse qui puisse permettre la déduction de ce remboursement par M. Pelchat est le paragraphe 60.1(2) de la Loi. Je n'ai donc aucun doute que lorsque le jugement traite du caractère imposable du remboursement pour Mme Patry et de son caractère déductible pour M. Pelchat, il fait référence à ces deux dispositions pertinentes de la Loi. Il s'ensuit que M. Pelchat remplit cette condition du paragraphe 60.1(2) de la Loi et qu'il a droit à la déduction du remboursement dans le calcul de son revenu.

Il est à noter que l'appel de monsieur Pelchat avait été interjeté sous le régime de la procédure générale et que la décision rendue n'a fait l'objet d'aucun appel devant la Cour d'appel fédérale.

[14]          Ici, le procureur de l'intimée soutient que ma décision dans l'affaire Pelchat aurait été indirectement infirmée par la décision subséquente de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine c. Larsson, [1997] A.C.F. no 1044 (97 DTC 5425), rendue le 5 août 1997. Tout d'abord, je fais remarquer que les juges de la Cour d'appel fédérale dans cette affaire ne se sont pas référés à ma décision et qu'il n'y a eu aucun commentaire sur le bien-fondé de l'interprétation que j'avais adoptée dans Pelchat. Deuxièmement, les faits pertinents dans Larsson sont différents de ceux dans Pelchat.

[15]          Dans Larsson, plusieurs ordonnances alimentaires avaient dû être rendues pour préciser l'intention du tribunal. Dans la troisième, rendue en novembre 1993, le tribunal ordonnait que les paiements hypothécaires effectués en 1989 et 1990 soient réputés être des « periodic maintenance payments » (une allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins de la bénéficiaire) en vertu de la Loi, sans faire aucune mention expresse du paragraphe 60.1(2) de la Loi. Par la suite, une quatrième ordonnance a été rendue dans laquelle on faisait explicitement référence à cette disposition de la Loi. Par contre, le tribunal ne disait pas « expressément » que cette ordonnance devait avoir un effet rétroactif. C'est ainsi que le juge McDonald décrit au paragraphe 20 (DTC à la page 5428) la question en litige :

Comme on peut le constater, le débat tourne en grande partie autour de la question de savoir si la Cour suprême de la Colombie-Britannique voulait que sa quatrième ordonnance s'applique rétroactivement. La question à laquelle notre Cour doit répondre est donc celle de savoir si la quatrième ordonnance devrait être réputée avoir été rendue nunc pro tunc.

[16]          En analysant le contexte dans lequel cette ordonnance avait été rendue, le juge McDonald a conclu que, de façon implicite, elle avait un effet rétroactif.

[17]          Ainsi, la question que devait trancher la Cour d'appel dans l'affaire Larsson n'était pas — comme c'est le cas ici — celle de savoir si une ordonnance selon laquelle des paiements à des tiers devaient être déductibles du revenu par le payeur et imposables entre les mains du bénéficiaire satisfaisait aux conditions d'application des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi. Il s'agissait plutôt de déterminer si la quatrième ordonnance, dans laquelle on ajoutait de façon expresse une référence à ces deux dispositions de la Loi, pouvait s'appliquer de façon rétroactive à des années antérieures. Par conséquent, j'en viens à la conclusion que la Cour d'appel ne s'est pas encore prononcée sur l'interprétation que j'ai adoptée dans l'affaire Pelchat (précitée). Peut-être aura-t-elle l'occasion de le faire à la suite de la décision rendue en l'espèce, si l'intimée continue à croire que je me suis trompé en droit dans l'application des dispositions en question.

[18]          En effet, je persiste à croire que l'interprétation que j'ai adoptée dans Pelchat est la bonne. Tout d'abord, si on lit attentivement le libellé des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi, on constate que ces paragraphes n'exigent pas que l'accord entre les parties ou l'ordonnance d'un tribunal mentionne de façon expresse les numéros de ces paragraphes. Tout ce qu'ils exigent, c'est que l'accord ou l'ordonnance prévoie que les deux paragraphes s'appliquent[1].

[19]          Il faut alors se demander si un accord entre les parties ou une ordonnance d'un tribunal peut implicitement prévoir que les deux paragraphes pertinents s'appliquent à des paiements à des tiers. J'ai répondu de façon affirmative dans Pelchat parce que le libellé de l'ordonnance était amplement clair pour justifier cette conclusion. Même si la Cour supérieure du Québec n'avait pas mentionné expressément les numéros des paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi, elle avait clairement indiqué que ces paragraphes s'appliquaient aux paiements à des tiers effectués par monsieur Pelchat en ordonnant que « cette pension alimentaire sera imposable dans les mains de la défenderesse et déductible d'impôt pour le demandeur » . Tel que je le mentionnais dans Pelchat, les seules dispositions de la Loi qui obligent l'inclusion ou permettent la déduction des paiements faits à des tiers dans le calcul du revenu sont les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2).

[20]          Je ne peux m'empêcher de constater que la démarche que j'ai adoptée dans Pelchat ressemble à celle adoptée par le juge McDonald pour régler le litige dans Larsson. Rappelons ici les propos qu'il tient aux paragraphes 21 à 23 (DTC à la page 5428) :

En principe, les ordonnances rendues par un tribunal prennent effet à compter de la date à laquelle elles sont prononcées, sauf disposition contraire. Ainsi, lorsqu'un tribunal ne déclare pas expressément qu'il veut que l'ordonnance qu'il prononce s'applique rétroactivement, son ordonnance n'est pas censée s'appliquer rétroactivement. Dans le cas qui nous occupe, la Cour suprême de la Colombie-Britannique n'a pas expressément déclaré que la quatrième ordonnance devait s'appliquer rétroactivement.

L'analyse ne se termine cependant pas là. Bien que l'on doive présumer qu'une ordonnance judiciaire prend effet à la date à laquelle elle est rendue, il est également raisonnable de présumer que, lorsqu'un tribunal rend une ordonnance, il veut que celle-ci produise certaines conséquences et ait un certain effet au moment où elle la rend. En l'espèce, la quatrième ordonnance vise expressément la nature des versements hypothécaires faits depuis 1989 par le contribuable. Toutefois, au moment du prononcé de la quatrième ordonnance, en 1993, le foyer conjugal avait été vendu et le contribuable ne faisait plus de versements hypothécaires. Ces faits démontrent à l'évidence que, si la Cour suprême de la Colombie-Britannique ne voulait pas que sa quatrième ordonnance ait un effet rétroactif, celle-ci serait sans objet. Ces faits révèlent donc à tout le moins un indice de rétroactivité et réfutent peut-être même la présomption de non-rétroactivité.

À mon avis, il serait abusif d'interpréter une décision judiciaire de manière à la rendre sans objet dès son prononcé. En l'espèce, si la quatrième ordonnance n'est pas interprétée rétroactivement, elle n'a aucun effet à compter du jour où elle a été rendue. Dans ces conditions, la seule interprétation raisonnable consiste selon moi à présumer que la Cour suprême de la Colombie-Britannique voulait que la quatrième ordonnance ait été prononcée nunc pro tunc.

                                                                                                                                [Je souligne.]

[21]          Ici, l'entente alimentaire stipule clairement au paragraphe 2.7 que les paiements visés au paragraphe 2.4 (soit les paiements à des tiers) sont « imposables comme revenus sur la tête de Madame » et peuvent être « déduits comme pension alimentaire par Monsieur » . De plus, madame Bernard avait exigé qu'on lui rembourse l'impôt qu'elle aurait à payer non seulement à l'égard de la pension viagère de 2 000 $ mais aussi relativement aux paiements à des tiers (paragraphe 2.6 de l'entente alimentaire). Ces paiements devaient donc être assujettis à l'impôt. Compte tenu de la clarté de ces paragraphes, madame Bernard ne pouvait ne pas en comprendre la portée lorsqu'elle a signé l'entente alimentaire.

[22]          Selon toute vraisemblance, madame Bernard a bénéficié non seulement des conseils du notaire qui a rédigé l'entente alimentaire — un notaire qu'elle a choisi et qui avait le devoir de s'assurer que chacune des parties à l'entente en comprenait bien la portée — mais aussi de ceux d'un avocat engagé pour défendre les intérêts de madame Bernard. Il n'y a aucune preuve établissant que madame Bernard n'avait pas les capacités intellectuelles pour comprendre que « les paiements versés aux termes des paragraphes 2.1 à 2.6 ci-dessus [seraient] imposables comme revenus sur la tête de Madame » .

[23]          Il est important de rappeler de plus que madame Bernard, à qui on avait personnellement signifié un subpeona de cette Cour à la demande de monsieur Ferron, non seulement n'a pas comparu mais n'a pas fourni d'explications pour son absence. Je crois qu'il est tout à fait approprié d'inférer de son absence dans ces circonstances qu'elle n'aurait pas pu nier qu'elle avait bien saisi la portée de son obligation d'inclure dans son revenu les sommes versées par monsieur Ferron. Il convient de s'inspirer des propos des auteurs Sopinka et Lederman cités par ma collègue la juge Lamarre dans l'affaire Huneault c. La Reine, 98 DTC 1488, à la page 1491 :

Je rappellerai ici les propos que l'on retrouve dans "The Law of Evidence in Civil Cases", par Sopinka et Lederman et qui sont cités par le juge Sarchuk de notre Cour dans l'affaire Enns v. M.N.R., 87 DTC 208 à la page 210:

[TRADUCTION]

Dans l'ouvrage de Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases, les auteurs font remarquer ce qui suit au sujet des conséquences de l'omission de faire comparaître un témoin, je cite:

Dans l'affaire Blatch v. Archer, (1774), 1 Cowp. 63, p. 65, Lord Mansfield a déclaré:

Il existe certainement un principe voulant que tous les faits soient appréciés à la lumière de la preuve que l'une des parties était en mesure de produire et que l'autre partie était en mesure de réfuter.

L'application de ce principe a conduit à établir une règle bien connue selon laquelle l'omission d'une partie ou d'un témoin de produire une preuve que la partie ou le témoin était en mesure de produire et qui aurait peut-être permis d'élucider les faits, fonde la Cour à déduire que la preuve de la partie ou du témoin en question aurait été défavorable à la partie à laquelle l'omission a été attribuée.

                                                                                                                                                [Je souligne.]

[24]          À mon avis, le libellé du paragraphe 2.7 de l'entente alimentaire est encore plus clair que si on avait simplement stipulé que les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi devaient s'appliquer aux paiements versés conformément aux paragraphes 2.1 à 2.6. Madame Bernard aurait pu prétendre par la suite qu'elle n'avait pas compris la portée de cette stipulation. Ici, Madame ne peut pas prétendre ne pas avoir compris la portée des mots « seront imposables comme revenus sur la tête de Madame » .

[25]          De plus, le libellé adopté par les parties a aussi l'avantage d'éviter toute erreur typographique dans le numéro de la disposition de la Loi. Quelle position aurait adoptée madame Bernard (et même le ministre) si l'entente alimentaire avait fait référence plutôt aux paragraphes 56.1(1) et 60.1(1) de la Loi? Auraient-ils prétendu que monsieur Ferron ne pouvait bénéficier de la déduction des paiements à des tiers parce qu'on n'avait pas fait référence aux bons numéros des dispositions de la Loi?

[26]          Dans la Loi sur les impôts, L.R.Q. c. I-3, on retrouve des articles semblables aux paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi : il s'agit des articles 313.0.1 et 336.1. Si, en 1993, au moment où l'entente alimentaire est intervenue, monsieur Ferron et madame Bernard résidaient en Ontario et qu'en 1997 monsieur Ferron résidait au Québec, est-ce que le ministre du Revenu du Québec aurait raison de prétendre que les paiements à des tiers ne sont pas déductibles parce que l'entente ne fait référence qu'aux paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi, et non aux articles 313.0.1 et 336.1 de la Loi sur les impôts?

[27]          Il me semble tout à fait raisonnable de croire que la nouvelle cotisation établie par le ministre fait suite à une demande de madame Bernard d'obtenir un remboursement de l'impôt relativement aux paiements à des tiers. Je ne crois pas me tromper non plus en affirmant qu'en 1984, lorsque les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) ont été ajoutés à la Loi, la très grande majorité des personnes bénéficiant de pensions alimentaires étaient des femmes et que le libellé de ces paragraphes visait à faire en sorte qu'elles ne se voient pas assujetties à l'impôt relativement aux paiements à des tiers sans qu'elles n'y consentent ou que le juge qui fixe le montant de la pension alimentaire n'en décide ainsi.

[28]          Il est déplorable que madame Bernard se soit prévalue de façon aussi abusive d'une disposition de la Loi adoptée pour mieux protéger l'intérêt des femmes. Je conclus à l'abus parce que madame Bernard a non seulement obtenu de monsieur Ferron le remboursement de l'impôt qu'elle devait à l'égard des paiements à des tiers mais elle aurait demandé aussi au ministre le remboursement de ce même impôt. Elle aurait donc obtenu ainsi plus que ce à quoi elle avait droit.

[29]          Toute cette affaire est d'autant plus troublante que c'est madame Bernard elle-même qui a refusé, au prétendu motif que cela aurait pu créer de la confusion, la suggestion de monsieur Ferron que soient mentionnés expressément les numéros des paragraphes pertinents de la Loi.

[30]          Il est troublant aussi que le ministre, consciemment ou non, se fasse le complice d'un tel abus. Je m'explique mal qu'il n'ait pas jugé opportun dans les circonstances de refuser à madame Bernard le remboursement de l'impôt qu'elle demandait à l'égard des paiements à des tiers, compte tenu de la décision que j'ai rendue dans l'affaire Pelchat (précitée) en 1996. En décidant plutôt de refuser une partie de la déduction demandée par monsieur Ferron, le ministre a obligé ce dernier à se présenter devant cette Cour et à engager des frais juridiques en retenant les services d'un avocat. Si en raison de la décision rendue dans l'affaire Larsson, le ministre avait certains doutes quant au bien-fondé de ma décision, il aurait pu en informer madame Bernard tout en la laissant libre de soulever cette question à nouveau, si elle le désirait, devant cette Cour. Dans les circonstances, c'est elle qui aurait dû avoir à assumer les frais de la contestation.

[31]          Le paragraphe 60.1(2) doit être interprété de façon à lui donner son effet, qui est de protéger adéquatement de l'impôt les bénéficiaires de paiements à des tiers lorsque ces bénéficiaires n'ont pas assumé la charge fiscale en toute connaissance de cause. Il ne doit pas s'interpréter de façon à fournir un outil pour arnaquer les payeurs de pension alimentaire qui, comme monsieur Ferron, exécutent de bonne foi toutes leurs obligations alimentaires.

[32]          En conclusion, je crois que toutes les conditions énoncées à l'alinéa 60b) et au paragraphe 60.1(2) sont réunies et que monsieur Ferron a droit à la déduction de la somme de 41 856 $ que lui a refusée le ministre.

[33]          Pour tous ces motifs, l'appel de monsieur Ferron est admis et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant pour acquis que monsieur Ferron a droit, dans le calcul de son revenu, à une déduction de 65 856 $ qu'il a au titre de la pension alimentaire payée. Compte tenu des circonstances de cette affaire, j'accorde à l'appelant, en vertu du paragraphe 10(2) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle) une somme de 1 500 $ à titre de montant forfaitaire au lieu des dépens taxés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'avril 2001.

J.C.C.I.



[1] Il est bien évident que si dans l'entente alimentaire ou dans l'ordonnance qui l'a entérinée on avait stipulé que « les paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi s'appliquent » , le ministre n'aurait pas refusé la déduction de la somme de 41 856 $. L'intimée reconnaît que monsieur Ferron a amplement fait la preuve du versement de cette somme.

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