Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20000706

Dossier: 1999-215-GST-I

ENTRE :

RENÉ BÉRUBÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel concernant l'application de l'article 256 de la Loi sur la taxe d'accise (la " Loi ") relativement à une maison construite par l'appelant ou par un intermédiaire sur la rive sud du fleuve St-Laurent.

[2]            La question en litige est de savoir si cette résidence a été construite pour servir de résidence habituelle à l'appelant ou à un de ses proches et ainsi donner droit à l'appelant au remboursement prévu audit article 256 de la Loi.

[3]            Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le " Ministre "), s'est appuyé pour refuser le remboursement sont décrits au paragraphe 15 de la Réponse à l'avis d'appel (la " Réponse ") comme suit :

a)              les faits ci-dessus admis;

b)             au cours de l'année 1996, l'appelant s'est construit une résidence secondaire située au 18560, rue Champagne dans la municipalité de St-Grégoire;

c)              la valeur de cette résidence secondaire serait de 160 000 $;

d)             le ou vers le 19 août 1997 l'appelant, à titre d'auto-constructeur, a produit une demande de remboursement de " T.P.S. " au montant de 3 217,93 $;

e)              la demande de remboursement fut refusée par l'intimée en raison des faits suivants;

f)              le ou vers le 19 novembre 1997, l'appelant a fait part au vérificateur qu'il occupait sa résidence secondaire à l'occasion soit environ un jour par semaine, que la construction n'était pas tout à fait terminée et qu'il prévoyait en faire sa résidence principale au cours de 1998;

g)             l'appelant ajoute au cours de la même conversation qu'il a commencé à meubler sa résidence secondaire;

h)             le ou vers le 21 novembre 1997, l'appelant fait part au vérificateur qu'il occupe sa résidence secondaire trois à quatre jours par semaine depuis le mois d'août 1997 et réitère son intention d'en faire sa résidence principale au cours de 1998;

i)               dans le cours de cette discussion, l'appelant ajoute que son fils mineur Jean-Alexandre Bérubé habite la résidence secondaire depuis septembre 1997;

j)               l'appelant précise lors de cet entretien que la résidence est terminée à 90 pour-cent;

k)              au moment de la vérification, des recherches ont permis au vérificateur de constater que l'appelant, sa conjointe Céline Plourde ainsi que son fils Jean-Alexandre Bérubé donnent comme adresse le 17575, rue Thibodeau dans la municipalité de St-Grégoire, soit l'adresse de la résidence principale de l'appelant;

l)               le 17 février 1998, l'appelant faisait parvenir le relevé de notes de son fils Jean-Alexandre Bérubé pour le trimestre d'automne 1997 donnant comme adresse celle de la résidence secondaire de l'appelant;

m)             par contre, lors de l'obtention de son permis de conduire le 26 septembre 1997, Jean-Alexandre Bérubé a donné comme adresse le 17575, rue Thibodeau, soit celle de la résidence principale de son père;

n)             ce n'est que le 3 juillet 1998 que Jean-Alexandre Bérubé fit faire un changement d'adresse à son permis de conduire;

o)             au surplus, Jean-Alexandre Bérubé n'est devenu majeur que le 15 septembre 1998;

[4]            L'appelant a témoigné pour sa part. Monsieur Claude Picard, technicien en vérification fiscale du ministère du Revenu du Québec, a témoigné pour l'intimée.

[5]            Il est à noter au départ que l'appelant et sa famille habitent toujours la propriété familiale située au 17575 rue Thibodeau à St-Grégoire. Lors de sa réclamation en remboursement au montant de 3 217,93 $ en date du 19 août 1997, l'appelant a soutenu qu'il avait construit la maison du bord du fleuve dans le but d'en faire sa résidence habituelle. Durant ce mois, l'appelant et son épouse auraient habité la maison du bord du fleuve à raison de un à trois jours par semaine. Lors de l'audience, l'appelant a expliqué que c'était leur but premier de faire de la maison du bord du fleuve leur résidence habituelle mais que, vu un événement familial inattendu, c'est plutôt son fils, Jean-Alexandre, qui l'aurait habité à titre de résidence principale à partir de septembre 1997. L'appelant explique que son fils de 17 ans était tombé amoureux, (il est né le 15 septembre 1980) et désirait vivre dans un cadre plus autonome.

[6]            Pour prouver que son fils habitait cette résidence de manière habituelle, l'appelant a déposé comme pièce A-1 une photocopie du permis probatoire de conduite en date du 3 juillet 1998. Il a déposé comme pièces A-2, A-3 et A-4, les bulletins d'études collégiales de son fils Jean-Alexandre montrant l'adresse de ce dernier comme étant au 18560 Champagne, St-Grégoire. Ces bulletins sont respectivement en date du 13 janvier 1998, du 8 janvier 1999 et du 25 octobre 1999. L'appelant a produit comme pièces A-5 et A-6, les factures de l'Université du Québec à Trois-Rivières respectivement en date du 22 octobre 1999 et du 22 février 2000.

[7]            L'appelant a présenté comme pièce A-7 une lettre provenant des assureurs de ses résidences en date du 23 janvier 1998. Cette lettre se lit comme suit :

...

La présente vient confirmer que l'assuré René Bérubé possède avec l'assureur une police d'assurance " propriétaire-occupant ". pour chacun des emplacements suivant soit le 17 575, Chemin Thibodeau à St-Grégoire et le 18 560, Boul. Bécancour à Bécancour.

Chacun de ces deux emplacements sont considérés par l'assureur comme affecté d'un usage d'au moins 50 % par l'assuré et de ce fait, constituent chacune des résidences principales.

Les mentions " résidences principales et secondaires " utilisées à la face de la police ne servent pour nous, qu'à différencier les deux emplacements ci-avant mentionnés, mais n'affectent en rien la considération qui est portée par l'assureur à ces résidences qui en soi, sont considérées comme étant deux résidences principales. À cet effet d'ailleurs, veuillez prendre note que nous aurions pu inverser les termes alloués à chacune des deux résidences et la couverture d'assurances ne s'en serait vu aucunement affectée.

[8]            Monsieur Claude Picard a eu une conversation avec l'appelant en novembre 1997. L'appelant a alors décrit les faits qui ont été rapportés dans la Réponse aux alinéas 15f) à 15j). L'agent du Ministre a vérifié les livres du téléphone, les registres de l'assurance-automobile, les adresses de correspondance dans les fichiers d'impôt et a demandé à voir les polices d'assurances. Il n'a trouvé aucun indice indiquant que la résidence du bord du fleuve était devenue en août ou en novembre 1997 la résidence habituelle de l'appelant ou d'un de ses proches. Tout, au contraire, indiquait qu'il s'agissait d'une résidence secondaire de l'appelant.

[9]            L'avocat de l'intimée soumet que puisque la propriété a été occupée par les parents au mois d'août, ils sont les premiers occupants et l'on n'a pas à considérer l'occupation de Jean-Alexandre puisqu'il ne serait pas le premier occupant tel que demandé par le sous-alinéa 256(2)d)(i) de la Loi. Toutefois, si l'usage du mois d'août par les parents ne constitue pas une première occupation, l'avocat de l'intimée soumet également que même si l'on considère la présumée occupation de Jean-Alexandre comme la première occupation, il n'y a pas de preuve suffisante qu'il s'agissait de la résidence habituelle de Jean-Alexandre. De plus, il met en doute la crédibilité de l'appelant puisque d'une part en août 1997, il a demandé le remboursement en prétendant qu'il s'agissait de sa résidence habituelle et qu'en novembre il prend l'attitude que c'est son fils qui y réside habituellement.

Conclusion

[10]          Les paragraphes 256(1) et (2) de la Loi se lisent ainsi :

256(1)      Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.

...

" proche " " relation " L'ex-conjoint d'un particulier ou un autre particulier lié à ce particulier.

256(2)      Le ministre verse un remboursement à un particulier dans le cas où, à la fois :

a)             le particulier, lui-même ou par un intermédiaire, construit un immeuble d'habitation — immeuble d'habitation à logement unique ou logement en copropriété — ou y fait des rénovations majeures, pour qu'il lui serve de résidence habituelle ou serve ainsi à son proche;

b)             la juste valeur marchande de l'immeuble, au moment où les travaux sont achevés en grande partie, est inférieure à 450 000 $;

c)              le particulier a payé la taxe prévue à la section II relativement à la fourniture par vente, effectuée à son profit, du fonds qui fait partie de l'immeuble ou d'un droit sur ce fonds, ou relativement à la fourniture effectuée à son profit, ou à l'importation par lui, d'améliorations à ce fonds ou, dans le cas d'une maison mobile ou d'une maison flottante, de l'immeuble (le total de cette taxe prévue au paragraphe 165(1) et aux articles 212 et 218 étant appelé " total de la taxe payée par le particulier " au présent paragraphe);

d)             selon le cas :

(i)             le premier particulier à occuper l'immeuble après le début des travaux est le particulier ou son proche,

(ii)            le particulier effectue par vente une fourniture exonérée de l'immeuble, et la propriété de celui-ci est transférée à l'acquéreur avant que l'immeuble ne soit occupé à titre résidentiel ou d'hébergement.

Le montant remboursable est égal au montant suivant :

...

[11]          L'Énoncé de politique P-228 émis le 30 mars 1999 distingue ainsi entre une résidence habituelle et une résidence secondaire :

Une " résidence habituelle " peut être différenciée d'une résidence secondaire puisque les termes " habituel " et " secondaire " ont chacun un sens précis. Le terme " habituel " désigne ce qui tient de l'habitude par sa régularité, sa constance, tandis que le terme " secondaire " s'entend de ce qui vient au second rang. Il s'ensuit que lorsqu'un particulier a plus d'une résidence, la résidence qui n'est pas la plus importante pour ce particulier est la résidence secondaire puisqu'elle est subordonnée à la résidence habituelle (p. ex. elle est utilisée principalement à des fins de loisirs ou est occupée moins qu'une autre).

...

Critères indicatifs d'une résidence habituelle

1.              L'immeuble d'habitation ou l'habitation devrait être, ou devrait manifestement être destiné à être, la résidence du particulier en question, ou celle d'un proche admissible, pour les fins suivantes :

·          l'adresse postale,

·          l'impôt sur le revenu (p. ex. formulaires ou déclarations),

·          le droit de vote,

·          les taxes municipales ou scolaires,

·          la liste des inscriptions téléphoniques.

2.              Après la possession ou le moment où les travaux sont achevés en grande partie, selon le cas, le particulier ou le parent admissible devrait démontrer l'occupation en déménageant la plupart de ses effets personnels (en termes d'utilisation et de valeur) à l'immeuble d'habitation ou à l'habitation.

3.              Lorsque le particulier ou le parent admissible n'occupe pas l'immeuble d'habitation ou l'habitation après la possession ou le moment où les travaux sont achevés en grande partie, selon le cas, il devrait y avoir des preuves que l'occupation de l'immeuble ou de l'habitation a été empêchée (p. ex. par une réinstallation due à un emploi ou un manque de financement).

4.              Lorsque le particulier ou le parent admissible a contracté une assurance, l'utilisation déclarée de la résidence aux fins de la police d'assurance devrait être à titre de résidence personnelle de l'assuré, c.-à-d. l'assurance de propriétaire ou de locataire, plutôt que bien saisonnier ou de location.

5.              Si le particulier possédait ou louait une autre résidence au moment où l'immeuble d'habitation ou la part dans la coopérative en question a été acquis ou construit ou a fait l'objet de rénovations majeures, la disposition de cette résidence ou une preuve claire que la résidence est mise en vente ou est louée au moment de l'occupation de l'immeuble ou de l'habitation ou avant peut indiquer que l'immeuble ou l'habitation est la résidence habituelle du particulier.

6.              Si un particulier ou un parent admissible possède ou loue plus d'une résidence et continue à les occuper, les facteurs suivants peuvent indiquer quelle résidence est la résidence principale :

·          la quantité de temps consacré à l'une ou l'autre des résidences,

·          l'emplacement du lieu de travail du particulier ou du parent admissible,

·          la disponibilité de commodités propres aux besoins personnels du particulier ou du parent admissible, ou du particulier habitant avec lui,

·          la mesure dans laquelle le bien convient pour être utilisé par le particulier ou le parent admissible à titre de résidence tout au long de l'année.

[12]          Un énoncé de politique n'est évidemment pas la Loi et ne lie pas la Cour. Toutefois, il est intéressant de connaître l'interprétation donnée au texte de la Loi par l'administration qui a réfléchi sur la matière.

[13]          Le texte de l'article 256 de la Loi ne permet pas deux résidences habituelles. Le texte dit qu'il y aura un remboursement de taxe à un particulier qui se construit, ou à un de ses proches, un immeuble d'habitation qui lui servira de résidence habituelle. Le texte anglais utilise les termes "primary place of residence". C'est une question de faits à savoir ce qu'est la résidence habituelle d'un particulier. Celle-ci sera déterminée à partir des éléments factuels qui sont normalement présents en regard de la résidence la plus importante d'un particulier. Les éléments pris en compte ou suggérés par l'administration dans la détermination de la résidence habituelle tels que ci-haut décrits me paraissent tout à fait raisonnables. Ils ne sont pas exhaustifs. Un particulier peut tenter de prouver par d'autres éléments factuels qu'une résidence est sa résidence habituelle. Sa preuve doit toutefois convaincre la Cour par la prépondérance de la preuve qu'il s'agit bien d'une résidence habituelle.

[14]          Je vais en premier lieu donner mon avis sur la première prétention de l'appelant à savoir que la résidence du bord de l'eau avait été construite pour devenir sa résidence habituelle. Il s'agissait peut-être d'un souhait pour un avenir lointain au moment de la retraite mais il n'y a pas d'indices montrant qu'il s'agissait là de l'intention immédiate de l'appelant. Ces indices seraient peut-être la mise en vente de la résidence habituelle actuelle, les changements d'adresse, les arrangements pour le déménagement ou d'autres actions indicatives d'une intention immédiate de changement d'habitation habituelle. En fait il n'y a aucune description d'un fait montrant l'intention de changer de résidence habituelle de la part de l'appelant.

[15]          L'appelant ayant abandonné au moment de son avis d'appel et de l'audience, la prétention que la résidence avait été construite par lui pour devenir sa résidence habituelle mais ayant adopté la prétention que c'était pour les fins de Jean-Alexandre, il ne me reste qu'à analyser la preuve en fonction de la résidence habituelle de Jean-Alexandre. Il est à noter que Jean-Alexandre n'est pas venu témoigner. Son témoignage était important vu qu'il s'agissait de sa résidence habituelle. Les allégués du Ministre que l'on trouve à la Réponse n'ont pas été contredits. Des preuves ultérieures d'adresses ont été apportées mais ces preuves, en face d'absence d'autres éléments de preuve, ne sont pas suffisantes pour prouver que la résidence est la résidence habituelle de Jean-Alexandre. Ainsi il n'y a pas eu de preuve que Jean-Alexandre avait pleine autorité sur les lieux. Je crois plutôt si je me fie aux commentaires de l'appelant que les parents ont continué à avoir accès à la résidence comme s'il s'agissait de la leur. Il n'y a pas eu de preuve que l'occupation de Jean-Alexandre avait été mentionnée à l'assureur. La lettre de l'assureur qui est en date du 23 janvier 1998 indique que l'appelant est assuré sur la résidence du bord du fleuve à titre de propriétaire-occupant au même titre que sur la maison de la rue Thibodeau. Les polices d'assurance n'ont pas été produites en preuve. Il faut aussi prendre en compte le jeune âge de Jean-Alexandre au temps des événements. Ce qui peut être plausible dans le cas d'un enfant plus âgé que les parents veulent aider dans son établissement, devient fort peu plausible dans le cas d'un fils encore mineur qui est loin d'avoir terminé ses études et d'être prêt à subvenir à ses propres besoins.

[16]          Je ne peux que conclure que vu le changement de versions de l'appelant, vu l'absence du témoignage de Jean-Alexandre, vu la lettre de l'assureur, vu l'âge de Jean-Alexandre et selon la prépondérance de la preuve ci-avant relatée, que selon la prépondérance de la preuve, l'appelant n'avait pas construit la maison pour être la résidence habituelle de son fils.

[17]          En conséquence, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet 2000.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-215(GST)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 René Bérubé et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 19 mai 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 6 juillet 2000

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                    l'appelant lui-même

Pour l'intimée :                       Me Louis Cliche

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                       Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

1999-215(GST)I

ENTRE :

RENÉ BÉRUBÉ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 19 mai 2000 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Pour l'appelant :                                            L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                                     Me Louis Cliche

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation de la taxe sur les produits et services établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 24 novembre 1997 et qui porte le numéro 012229, est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 6e jour de juillet, 2000.

" Louise Lamarre Proulx "

J.C.C.I.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.