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Date: 20000409

Dossier: 98-2561-IT-G

ENTRE :

CANADIAN HELICOPTERS LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur

[1]            L'appelante, Canadian Helicopters Limited (CHL), interjette appel de nouvelles cotisations d'impôt établies à son égard pour les années d'imposition 1990 et 1991. Il s'agit d'abord de déterminer si les intérêts de 578 970 $ et de 1 021 820 $ respectivement qu'elle a payés sont des intérêts versés sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien conformément à l'alinéa 20(1)c) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi). Le problème, en quelques mots, tient au fait que l'appelante a emprunté les fonds nécessaires pour acheter Viking Helicopters Ltd. (Viking) et qu'elle a payé les intérêts à cet égard, alors que c'est sa société mère qui a acquis le titre des actions. La deuxième question en litige consiste à déterminer si certaines dépenses engagées en Thaïlande étaient des dépenses engagées ou effectuées par la contribuable en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien conformément à l'alinéa 18(1)a) de la Loi.

[2]            La plupart des faits pertinents ne sont pas en litige. L'appelante, une société canadienne, a son siège à St. John's (Terre-Neuve). Elle exploite une entreprise de transport par hélicoptères et offre des services de location et d'entretien d'hélicoptères partout dans le monde.

[3]            Au cours des années pertinentes, sa société mère était CHC Helicopter Holdings Ltd. (Holdings), ayant elle-même pour société mère CHC Helicopter Corporation Ltd. (CHC). Depuis 1985, elle menait une politique dynamique d'acquisition d'entreprises semblables de transport par hélicoptères. En mai 1989, CHC a conclu une entente en vue d'acheter les actions de Viking Helicopters Ltd. (Viking) de Québec. Au mois d'août, l'appelante a emprunté à US West Financial Services Inc. (USWFS) 30 millions de dollars américains (l'emprunt américain). Elle a prêté à Viking 20 millions de dollars américains à un taux d'intérêt égal à celui qui était exigé par USWFS. Elle a prêté 8,95 millions de dollars américains à Holdings, qui a reprêté ce montant à CHC. Cette dernière a versé le montant en question à Viking en contrepartie de ses actions. L'appelante n'a consigné aucune entente particulière relativement à l'argent prêté à Holdings et, dans les faits, Holdings ne lui a versé aucun intérêt. Le ministre a rejeté la déduction par l'appelante de l'intérêt payé sur le montant de 8,95 millions de dollars américains.

[4]            Les documents produits en preuve indiquent ceci :

a)                    Le 10 mai 1989, CHC a conclu avec Corporation Provost Ltée une entente en vue d'acheter les actions de Viking. On y accordait à CHC le droit de céder l'entente à l'une de ses filiales ou à sa société mère.

b)                    Le 21 juillet 1989, USWFS a délivré en faveur de CHC une lettre d'engagement approuvant le financement accordé à CHL pour permettre à cette dernière d'acheter les actions de Viking et à d'autres fins commerciales générales.

c)                    Les parties à l'entente ont convenu de signer les contrats le 31 août 1989.

d)                    Le 25 août 1989, les administrateurs de CHL ont adopté une résolution visant à emprunter à USWFS 30 millions de dollars américains aux fins du [TRADUCTION] " financement de l'acquisition de Viking par la Corporation (CHL) " et à d'autres fins commerciales.

e)                    Le 31 août 1989, le contrat d'emprunt entre USWFS et CHL prévoyait que l'emprunt de CHL avait pour objet [TRADUCTION] " pour un montant non supérieur à 10 000 000 $ CAN, de financer à la date du tirage initial un prêt entre sociétés à Holdings visant à financer un autre prêt à CHC pour que celle-ci puisse acheter toutes les actions émises et en circulation de Viking ".

f)                     Le 13 septembre 1989, une note interne du groupe de sociétés CHC demandait que les états financiers fassent état des opérations suivantes :

(i)                    le prêt par CHL à Holdings de 8,95 millions de dollars, dont le remboursement était garanti par un billet;

(ii)                  le prêt par Holdings à CHC de 8,95 millions de dollars, dont le remboursement était aussi garanti par un billet;

(iii)                 l'utilisation par CHC des 8,95 millions de dollars pour acheter les actions de Viking.

[5]            Le ministre a refusé à l'appelante la déduction des dépenses liées à un contrat visant à fournir des hélicoptères utilisés dans l'industrie pétrolière en Thaïlande. Le problème, en ce qui concerne les dépenses faites en Thaïlande, est que c'était Thai Aviation Services Limited (TASL) qui y exploitait une entreprise, et non l'appelante.

Dispositions législatives

[6]            Les deux parties ont invoqué l'alinéa 18(1)a) de la Loi relativement aux dépenses faites en Thaïlande et l'alinéa 20(1)c) de la Loi relativement à la déduction des intérêts. Voici le texte de ces deux dispositions :

18(1)        Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

a)             les dépenses, sauf dans la mesure où elles ont été engagées ou effectuées par le contribuable en vue de tirer un revenu de l'entreprise ou du bien [...].

20(1)        Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant :

[...]

                c)             la moins élevée d'une somme payée au cours de l'année ou payable pour l'année (suivant la méthode habituellement utilisée par le contribuable dans le calcul de son revenu) et d'une somme raisonnable à cet égard, en exécution d'une obligation légale de verser des intérêts sur :

(i)                    de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien (autre que l'argent emprunté et utilisé pour acquérir un bien dont le revenu serait exonéré ou pour contracter une police d'assurance-vie) [...].

Thèse de l'appelante

[7]            L'appelante a emprunté les 8,95 millions de dollars américains dans le but direct et admissible de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien. Les avocats ont ajouté que la contrepartie que l'appelante a obtenue pour reprêter les fonds en question sans intérêt à sa société mère incluait les éléments suivants :

(i)                    la prise en charge des activités de Viking à l'extérieur du Québec, soit en Ontario, au Manitoba, à Terre-Neuve et au Gabon, en Afrique, ce qui devait rapporter des revenus annuels bruts de 7 000 000 $ à 9 000 000 $;

(ii)                  le droit de facturer des frais de gestion élevés à Viking qui, dans les faits, allait devenir une filiale de CHL;

(iii)                 l'économie des frais de garantie payables à Holdings ou à CHC qui, sur un emprunt de 40 000 000 $, auraient été normalement de 400 000 $ à 800 000 $;

(iv)                le fait que CHC ne lui réclamerait rien au titre d'une clause de non-concurrence de cinq ans signée par Provost Corporation (la société mère de Viking);

(v)                  l'élimination du principal concurrent de CHL au Canada et au Gabon.

[8]            L'appelante a cité l'arrêt Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, à la page 638 (99 DTC 5669, à la page 5675) à l'appui de son argument selon lequel les fonds empruntés peuvent être retracés lorsqu'il existe un " lien suffisamment direct entre les fonds empruntés et l'utilisation admissible actuelle ". Les avocats ont conclu que la contrepartie que l'appelante avait reçue de Viking lorsqu'elle avait reprêté les fonds à Holdings et à CHC était directement liée à ses activités productrices de revenus et à l'objet qui sous-tendait l'utilisation des fonds.

[9]            Subsidiairement, les avocats ont fait valoir que, s'il était conclu qu'il y avait eu utilisation admissible indirecte, cette utilisation tombait dans la catégorie des circonstances exceptionnelles dont le juge en chef Dickson a fait mention dans l'affaire Bronfman Trust c. La Reine, [1987] 1 R.C.S. 32 (87 DTC 5059) et qui ont été analysées dans l'affaire 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N., [1997] 2 C.F. 471 (97 DTC 5126) par le juge Robertson de la Cour d'appel fédérale.

Thèse de l'intimée

[10]          L'utilisation directe faite par l'appelante a consisté à prêter l'argent à Holdings sans intérêt. L'appelante a emprunté l'argent pour permettre à CHC d'acheter les actions de Viking. L'argent n'a pas été emprunté en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, car son utilisation n'a servi aucune fin directe admissible.

[11]          L'intimée a reconnu que l'appelante avait tiré profit de l'achat des actions de Viking par CHC. Toutefois, a-t-elle fait valoir, c'était là un avantage indirect, trop éloigné et de nature trop spéculative car l'emprunt avait été effectué pour répondre aux exigences de l'alinéa 20(1)c). L'avocat de l'intimée a mentionné également l'affaire 74712 Alberta Ltd. c. M.R.N.

[12]          En ce qui concerne l'argument relatif à l'existence de circonstances exceptionnelles, l'intimée soutient que l'opération en cause n'a rien d'exceptionnel. L'appelante fait partie d'un groupe complexe de sociétés qui savaient ce qu'elles faisaient; en conséquence, ce n'est pas ce que le juge en chef Dickson avait en tête lorsqu'il a invoqué des circonstances exceptionnelles dans l'arrêt Bronfman Trust.

Analyse

[13]          Comme dans nombre d'affaires antérieures portant sur la déduction d'intérêts, la présente affaire amène à interpréter les remarques incidentes du juge en chef Dickson dans l'arrêtBronfman Trust relatives à la possibilité d'établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin et à une utilisation admissibles. Aux pages 45 et 46 (87 DTC 5059, à la page 5064), il a écrit ceci :

[...] Le législateur a conçu le sous-al. 20(1)c)(i) et lui a donné effet nonobstant l'al. 18(1)b) pour favoriser l'accumulation de capitaux productifs de revenus imposables. Ce ne sont pas tous les intérêts qui sont déductibles. L'intérêt sur l'argent emprunté pour produire un revenu exempt d'impôt ne l'est pas. L'intérêt sur l'argent emprunté pour acheter des polices d'assurance-vie ne l'est pas. L'intérêt sur les emprunts utilisés à des fins non productives de revenu, telles que la consommation personnelle ou la réalisation de gains en capital, ne l'est pas non plus. La déduction prévue par la loi exige donc qu'on détermine si l'argent emprunté a été utilisé en vue de tirer un revenu imposable d'une entreprise ou d'un bien, ce qui constitue une utilisation admissible, ou s'il a été affecté à quelqu'une des possibles utilisations inadmissibles. Il incombe au contribuable d'établir que les fonds empruntés ont été utilisés à une fin identifiable ouvrant droit à la déduction. Par conséquent, si le contribuable mélange des fonds utilisés à différentes fins, dont une partie seulement est admissible, il peut ne pas pouvoir réclamer la déduction : voir, par exemple, Mills c. Ministre du Revenu national, 85 D.T.C. 632 (C.C.I.); No. 616 v. Minister of National Revenue, 59 D.T.C. 247 (C.A.I.)

                La disposition prévoyant la déduction des intérêts exige non seulement la détermination de l'usage auquel ont été affectés les fonds empruntés, mais aussi la détermination de la " fin ". L'admissibilité à la déduction est soumise à la condition que l'argent emprunté soit utilisé pour produire un revenu. Cependant, il est bien établi par la jurisprudence que le point pertinent n'est pas la fin de l'emprunt lui-même. Ce qui est pertinent est plutôt la fin qu'a visée le contribuable en utilisant l'argent emprunté d'une manière particulière : Auld v. Minister of National Revenue, 62 D.T.C. 27 (C.A.I.) Il s'ensuit donc que l'examen de la situation doit être centré sur l'usage que le contribuable a fait des fonds empruntés.

[14]          Dans l'arrêt Shell, rendu récemment par la Cour suprême du Canada, la juge en chef McLachlin s'est exprimée dans les termes suivants à la page 638 (99 DTC 5669, aux pages 5674 et 5675) sur la déductibilité des intérêts en vertu de l'alinéa 20(1)c) :

[...] La déduction est donc exclue lorsqu'il n'y a qu'un lien indirect entre les fonds empruntés et l'utilisation admissible. L'intérêt est déductible seulement s'il existe un lien suffisamment direct entre les fonds empruntés et l'utilisation admissible actuelle : Tennant c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 305 [96 DTC 6121], aux par. 18 à 20, le juge Iacobucci. En outre, la confusion des fonds empruntés avec des fonds affectés à d'autres fins n'est pas nécessairement déterminante dans la mesure où les fonds empruntés peuvent dans les faits être rattachés à une utilisation admissible actuelle.

La juge en chef McLachlin a ensuite examiné la portée de l'alinéa 20(1)c) aux pages 641 et 642 (99 DTC 5669, à la page 5676) :

                Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l'opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle-ci : Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298 [98 DTC 6505], au par. 21, le juge Bastarache.

                Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la " réalité économique " d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée : Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312 [94 DTC 6314], aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 [95 DTC 5551], au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.

Elle a également décrit dans les termes suivants le rôle de la Cour, aux pages 644 et 645 (99 DTC 5669, à la page 5677) :

[...] Il incombe aux tribunaux d'interpréter et d'appliquer la Loi telle qu'elle a été adoptée par le Parlement. Les remarques incidentes formulées dans des arrêts antérieurs dont on peut dire qu'elles appuient un principe d'interprétation plus large et moins certain ont donc été supplantées par les arrêts que notre Cour a rendus depuis en matière fiscale. Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d'être imposé en fonction de ce qu'il a fait, et non de ce qu'il aurait pu faire et encore moins de ce qu'un contribuable moins habile aurait fait.

                Examiner la " réalité économique " d'une situation donnée, au lieu d'appliquer simplement une disposition claire et non équivoque de la Loi aux opérations juridiques effectuées par le contribuable a des répercussions regrettables en pratique. Cette démarche favorise à tort l'application d'une règle voulant que, s'il existe deux manières de structurer une opération pour produire le même effet économique, le tribunal doive ne tenir compte que de l'option qui ne confère aucun avantage fiscal. Avec égards, cette démarche n'accorde pas l'importance voulue à la jurisprudence de notre Cour selon laquelle, en l'absence de dispositions législatives expresses contraires, le contribuable peut diriger ses affaires de façon à réduire son obligation fiscale : Stubart, précité, à la p. 540, le juge Wilson, et à la p. 557, le juge Estey; Hickman Motors Ltd. c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 [97 DTC 5363], au par. 8, le juge McLachlin; Duha, précité, au par. 88, le juge Iacobucci; Neuman, précité, au par. 63, le juge Iacobucci. Le tribunal qui adopte sans réserve une démarche fondée sur " l'effet économique " fait indirectement ce que, selon la jurisprudence constante de notre Cour, le législateur n'a pas voulu que la Loi fasse directement.

[15]          Compte tenu des faits, je n'éprouve aucune difficulté à conclure que l'appelante a emprunté 8,95 millions de dollars américains pour permettre à CHC, l'une de ses sociétés mères, d'acheter les actions de Viking. Elle a utilisé l'argent directement pour le prêter à Holdings qui, à son tour, l'a reprêté à CHC. La question de savoir pourquoi l'argent a d'abord été remis à Holdings reste sans réponse. Un témoin appelé à comparaître par l'appelante a déclaré que l'acquisition du titre au nom de CHC avait été une erreur. Apparemment, cette erreur découle du fait que c'est CHC et non l'appelante qui a demandé et obtenu l'approbation de l'Office national des transports, et qu'il n'était pas pratique de corriger l'erreur avant la signature des contrats. Quoi qu'il en soit, le fait est que CHC a payé les actions et en est devenue propriétaire. Un contribuable doit être imposé " en fonction de ce qu'il a fait, et non de ce qu'il aurait pu faire " : Shell, précité, à la page 644 (99 DTC 5669 : à la page 5677).

[16]          L'emprunt par l'appelante de 8,95 millions de dollars américains avait pour objet le financement de l'achat de Viking par sa société mère CHC. Les fonds ont été utilisés directement pour accorder un prêt sans intérêt à Holdings; il s'agit d'une utilisation directe inadmissible.

[17]          Ayant conclu qu'il y avait eu utilisation directe inadmissible, je dois maintenant examiner l'argument subsidiaire de l'appelante selon lequel les faits particuliers de la présente affaire sont des circonstances exceptionnelles au sens où le juge en chef Dickson l'entendait dans les remarques incidentes qu'il a faites dans l'arrêt Bronfman aux pages 53 et 54 (87 DTC 5059 : à la page 5067) :

[...] Il ne faut pas supposer à la légère qu'une utilisation effective et directe d'argent emprunté est moins réelle que les utilisations abstraites et indirectes que les contribuables ont, à l'occasion, alléguées dans une tentative d'obtenir une qualification avantageuse de l'utilisation d'emprunts. [...]

[...] À mon avis, le texte de la Loi exige que les fonds empruntés aient été affectés à une utilisation admissible précise, car, à l'évidence, le but restreint qu'elle vise est d'encourager les contribuables à améliorer leurs possibilités de produire des revenus. [...]

                Même s'il est des circonstances exceptionnelles dans lesquelles, selon une appréciation réaliste des opérations d'un contribuable, il pourrait convenir, en raison d'un effet indirect sur sa capacité de gagner des revenus, de lui permettre de déduire l'intérêt sur les fonds empruntés pour un usage inadmissible, je suis convaincu que de telles circonstances n'existent pas en l'espèce. Il me semble qu'à tout le moins, le contribuable doit convaincre la Cour que la fin réelle qu'il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu. [...]

[18]          Dans l'arrêt 74712 Alberta Ltd., précité, le juge Robertson a analysé la mention par le juge en chef Dickson de " circonstances exceptionnelles ". À la page 503 (97 DTC 5126, aux pages 5139 et 5140), le juge Robertson a conclu que " dans certaines circonstances, les intérêts payés peuvent être déduits même s'ils se rapportent à une utilisation directe inadmissible de l'argent emprunté ". À cet égard, il a mentionné deux conditions : (i) le contribuable doit démontrer que la fin réelle (l'intention) qu'il visait en utilisant les fonds était de gagner un revenu, et (ii) le contribuable s'attendait raisonnablement à ce que l'opération d'emprunt lui procure un revenu supérieur aux intérêts payés.

[19]          À mon avis, l'arrêt Shell n'est d'aucune utilité pour déterminer si une opération relève de la catégorie des " circonstances exceptionnelles " puisque, dans l'arrêt Shell, la Cour suprême du Canada a conclu qu'il y avait eu utilisation directe admissible et qu'elle n'a fait aucune mention de " circonstances exceptionnelles ".

[20]          En ce qui concerne le premier critère mentionné, l'appelante a emprunté les fonds pour permettre à son groupe de sociétés d'acquérir les actions de Viking. On a produit une preuve concluante selon laquelle, lorsqu'il a acquis les actions, le groupe avait pour but d'augmenter le revenu de l'appelante en facturant à Viking des frais de gestion en contrepartie de services ayant une valeur réelle. Il est très peu probable que cet objet prépondérant de l'emprunt ait changé entre le 25 août 1989 et le 31 août 1989, date à laquelle CHC est devenue l'acheteur final. L'appelante a empoché 2,5 millions de dollars de frais de gestion au cours des années pertinentes, et elle a payé des intérêts de 1,6 million de dollars.

[21]          Le prêt de l'appelante à sa société mère était accordé sans intérêt ni condition. L'avocat de l'intimée a fait valoir que l'appelante n'avait rien à gagner en accordant le prêt et qu'elle aurait pu en exiger le remboursement.

[22]          J'estime que cet argument ne tient pas compte des remarques du juge en chef Dickson sur l'utilisation indirecte de fonds admissibles. En réalité, l'appelante a emprunté l'argent et, en contrepartie, elle a obtenu des frais de gestion beaucoup plus élevés que l'intérêt payé. L'appelante a emprunté l'argent et a obtenu un avantage substantiel. On ne peut pas faire abstraction de ces faits. Qui plus est, en 1996, les activités de Viking ont été intégrées à celles de l'appelante.

[23]          Pour satisfaire à la deuxième condition, la plus importante, l'appelante devait raisonnablement s'attendre à ce que l'opération lui procure un revenu supérieur aux intérêts payés.

[24]          L'appelante s'attendait raisonnablement à obtenir des frais de gestion et à ce que les activités de Viking à l'extérieur du Québec lui soient transférées, ce dont elle espérait tirer des revenus annuels bruts de 7 à 8 millions de dollars. L'utilisation indirecte visait un usage admissible, soit gagner un revenu. Les intérêts étaient des " intérêts sur de l'argent emprunté et utilisé en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien " au sens de l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

Dépenses faites en Thaïlande

[25]          Pour maintenir son permis d'exploitation d'une entreprise en Thaïlande[1], l'appelante s'est sentie obligée de payer 300 000 $ US annuellement, lequel montant se retrouvait entre les mains d'un intermédiaire de l'endroit qui, apparemment, jouissait d'une certaine influence auprès du gouvernement. Sans ce paiement, le permis n'aurait pas été renouvelé.

[26]          Voici un résumé de la preuve relativement à ces dépenses :

(i)                    Thai Aviation Services Limited (TASL) et Unocal Thailand Limited (Unocal) ont conclu une entente de services relatifs à des hélicoptères;

(ii)                  au cours de la période en question, l'appelante détenait 10 % des actions en circulation de TASL;

(iii)                 TASL détenait un permis lui permettant d'exploiter son entreprise en Thaïlande;

(iv)                l'appelante payait annuellement à un cabinet d'avocats 300 000 $ US qui étaient déposés dans le compte bancaire du cabinet en question à Hong Kong;

(v)                  la totalité ou une partie des 300 000 $ US était versée à M. Pitak, dont le rôle paraît avoir été d'abord d'obtenir le permis de TASL, puis de le maintenir en vigueur.

Thèse de l'appelante

[27]          Les pratiques commerciales en vigueur en Thaïlande diffèrent de celles du Canada, mais le montant en cause était une dépense déductible parce qu'il devait être versé pour gagner un revenu en conservant un contrat intéressant en Thaïlande. La preuve à cet égard n'a pas été contredite.

[28]          Pour des motifs inexpliqués, l'appelante a amorti ces paiements faits en Thaïlande sur un certain nombre d'années. Cette pratique n'est pas en litige.

Thèse de l'intimée

[29]          Les paiements ont été effectués dans le but de permettre à TASL de conserver son permis. TASL est peut-être en mesure de déduire la dépense, mais pas l'appelante. L'avocat a fait valoir que l'on ne peut faire abstraction de TASL puisqu'il s'agissait d'une personne morale distincte. L'appelante n'exploitait pas d'entreprise en Thaïlande et TASL en exploitait une. Les ententes contractuelles ont été conclues entre TASL et Unocal. L'avocat a ajouté que l'on peut qualifier le paiement fait en Thaïlande de dépense faite en vue d'exploiter une entreprise, mais cette entreprise était celle de TASL et non celle de l'appelante.

Analyse

[30]          J'adhère à la thèse de l'intimée. TASL détenait un permis d'exploitation en Thaïlande. L'appelante n'était qu'une actionnaire minoritaire (10 %) de TASL. Les paiements ont été effectués pour permettre à TASL de conserver son permis. Le contrat visant à tirer un revenu d'entreprise en Thaïlande a été conclu entre TASL et Unocal. L'appelante n'aurait pu gagner un revenu du fait du contrat conclu en Thaïlande qu'en facturant des frais de gestion ou en recevant des dividendes de TASL, ce dont il n'y a aucune preuve.

[31]          Je n'ai aucun doute que l'appelante a payé 300 000 $ US annuellement pour protéger le permis d'exploitation de TASL, mais ce montant a été payé pour TASL afin que cette dernière, et non l'appelante, puisse tirer un revenu d'entreprise. Si l'appelante est disposée à agir selon les règles ou les pratiques en vigueur en Thaïlande, elle doit aussi s'attendre à en payer le prix lorsque le droit canadien est appliqué.

[32]          En conclusion, les appels sont admis en tenant compte du fait que l'appelante est en droit de déduire dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1990 et 1991 l'intérêt déduit sur l'argent emprunté à US West Financial Services Limited, conformément à l'alinéa 20(1)c) de la Loi. L'appelante, ayant obtenu gain de cause, a droit à la taxation d'un seul mémoire de frais. L'appelante n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 2001.

" C. H. McArthur "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 19e jour de septembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-2561(IT)G

ENTRE :

CANADIAN HELICOPTERS LIMITED,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus les 7 et 8 décembre 2000 à Montréal (Québec), par

l'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Avocats de l'appelante :              Mes Pierre Barsalou et Geneviève Lille

Avocat de l'intimée :                   Me Peter J. Leslie

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le Revenu pour les années d'imposition 1990 et 1991 sont admis et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelante est en droit de déduire dans le calcul de son revenu pour les années d'imposition 1990 et 1991 l'intérêt sur l'argent emprunté à US West Financial Services Limited, conformément à l'alinéa 20(1)c) de la Loi.

          L'appelante, ayant obtenu gain de cause, a droit à la taxation d'un seul mémoire de frais.

                   L'appelante n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 9e jour d'avril 2001.

" C. H. McArthur "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 19e jour de septembre 2001.

Martine Brunet, réviseure




[1]               Les hélicoptères de l'appelante étaient utilisés par une société américaine exploitant une entreprise pétrolière dans la mer de Siam.

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