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Date: 20020904

Dossier: 2001-3252-IT-I

ENTRE :

JACQUES PÉPIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel par voie de la procédure informelle concernant l'année d'imposition 1998.

[2]            La question en litige est de savoir si une indemnité au montant de 20 000 $, reçue par l'appelant en règlement d'un litige entre la Commission scolaire Saint-Hyacinthe (la « Commission scolaire » ) et le Syndicat de l'enseignement Richelieu-Yamaska (le « Syndicat » ) doit être incluse dans le calcul du revenu de l'appelant en vertu des articles 3, 5 et 56 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ).

[3]            Les faits que le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a pris en compte pour établir sa nouvelle cotisation sont décrits au paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel (la « Réponse » ) comme suit :

a)              l'appelant a enseigné l'anglais, langue seconde, aux adultes depuis 1990 jusqu'au 30 juin 1996, à titre d'employé de la Commission scolaire Saint-Hyacinthe;

b)             le 10 juin 1996, la Commission scolaire Saint-Hyacinthe avisait par écrit l'appelant que son nom sera retiré de la liste de rappel des enseignants et enseignantes en formation générale aux adultes lors de la mise à jour du 1er juillet 1996 en invoquant des motifs disciplinaires;

c)              le 20 juin 1996, le Syndicat de l'enseignement Richelieu-Yamaska, pour le bénéfice de l'appelant, répliquait en déposant un avis de griefs et d'arbitrage pour non-rengagement;

d)             selon copie d'un jugement de cour daté du 3 avril 1998, l'honorable Jean Marquis, J.C.S., a jugé, dans un premier temps, que la lettre datée du 10 juin 1996 de la Commission scolaire Saint-Hyacinthe adressée à l'appelant constituait un avis de non-rengagement pour l'année scolaire 1996-1997 et, dans un deuxième temps, que la dite Commission scolaire n'avait pas respecté les délais prescrits, à l'égard de la signification par lettre à l'appelant de son non-renouvellement de contrat;

e)              en guise de règlement du litige, entre la Commission scolaire Saint-Hyacinthe et le Syndicat de l'enseignement Richelieu-Yamaska, une entente hors cour datée du 14 avril 1998, stipulait les mesures suivantes :

i)               l'appelant était réintégré dans ses fonctions d'enseignant, sans indemnité ni compensation,

ii)              le retrait de la liste de rappel est transformé en mesure disciplinaire,

iii)             l'appelant est réinscrit sur la liste de rappel et les parties conviennent que son nom n'a jamais été retiré de la dite liste,

iv)            en contrepartie de ce qui précède, le Syndicat de l'enseignement Richelieu-Yamaska abandonne une série de procédures moyennant une indemnité de 20 000 $;

f)              le ministre n'a obtenu aucun renseignement quant à l'établissement du calcul de l'indemnité de 20 000 $;

g)             le Syndicat de l'enseignement Richelieu-Yamaska a remis, au cours de l'année d'imposition 1998, la dite somme de 20 000 $ à l'appelant, bien que ce dernier n'était pas à l'emploi dudit syndicat.

[4]            L'avis d'appel de l'appelant fait valoir que « ... la somme qui m'a été versée en dommages intérêts par ma commission scolaire n'était aucunement une prime de séparation puisque je suis toujours à l'emploi de ma commission scolaire où j'ai depuis été nommé permanent et où je poursuis ma carrière. Cette somme m'a été versée suite à une décision du Tribunal du travail qui reconnaissait que j'avais été lésé dans mes droits fondamentaux d'employé et que la Commission scolaire et son représentant (directeur du personnel) devait me dédommager. Cette somme m'a été versée en règlement hors cour pour compenser mes dommages et préjudices. »

[5]            Les témoins ont été l'appelant et monsieur Robert St-Germain. Ce dernier a témoigné à la demande de l'avocate de l'intimée.

[6]            L'appelant est un enseignant. L'appelant a admis les alinéas 5a) à 5e), et 5g) de la Réponse. Le jugement mentionné à l'alinéa 5d) a été déposé comme pièce I-1. Ce jugement de la Cour supérieure, en date du 3 avril 1998, infirmait une sentence arbitrale en date du 26 mai 1997, déposée comme pièce I-2. Cette sentence arbitrale donnait raison à l'employeur de ne pas avoir suivi la procédure de non-rengagement prévue à la convention collective car elle ne se serait appliquée qu'aux enseignants à plein temps. Le jugement a infirmé cette décision en statuant que l'employeur devait suivre la procédure de non-rengagement également à l'égard des enseignants à temps partiel car la disposition pertinente de la convention ne faisait pas de distinction entre les deux catégories.

[7]            En contre-interrogatoire, l'avocate de l'intimée a demandé à l'appelant d'expliquer ce qu'il voulait dire quand il a mentionné dans son avis d'appel qu'il avait été lésé dans ses droits fondamentaux. Il a répondu que cela voulait dire que la Commission scolaire en retirant son nom de la liste de rappel, lui retirait son seul lien avec l'employeur puisqu'il était enseignant à temps partiel. Il perdait tous ses droits relatifs à son emploi.

[8]            L'appelant a aussi relaté, qu'en avril 1996, comme il le faisait à l'occasion, il avait fait part à la Commission scolaire, qu'il ne désirait pas être rappelé pour l'année scolaire 1996-1997, car il désirait prendre cette année en congé. Toutefois, par une lettre en date du 10 juin 1996, la Commission scolaire lui donnait l'avis que son nom serait radié de la liste de rappel et qu'il ne serait pas rengagé.

[9]            Monsieur Robert Saint-Germain est un conseiller syndical. C'est lui qui le 20 juin 1996 a soumis un grief à l'arbitrage concernant le non-rengagement de l'appelant par la Commission scolaire. Il s'agit d'un avis d'arbitrage déposé auprès de l'Arbitre en chef, au greffe des tribunaux d'arbitrage, secteur de l'éducation. Ce document a été déposé comme pièce I-4. La demande première du grief était de constater la violation de la procédure pour le non-rengagement.

[10]          Comme on le sait déjà la sentence arbitrale en date du 26 mai 1997 a été défavorable au Syndicat. Par la suite le jugement de la Cour supérieure, en date du 3 avril 1998, a donné raison au Syndicat.

[11]          Le règlement hors cour intervenu entre le Syndicat et la Commission scolaire, en date du 14 avril 1998, a été déposé comme pièce I-5. Les principaux points de l'entente sont les suivants pour leur partie pertinente :

...

1.              Monsieur Jacques Pépin est réintégré dans ses fonctions d'enseignant à la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe avec une pleine tâche d'enseignement (contrat temps partiel) le ou vers le 1er avril 1998, sans indemnité ni compensation.

2.              Le retrait de la liste de rappel de monsieur Jacques Pépin est transformé en mesure disciplinaire au sens de l'article 5-6.00 et ...

3.              Monsieur Jacques Pépin est réinscrit sur la liste de rappel à toutes fins que de droit et les parties conviennent que son nom n'a jamais été retiré de ladite liste.

4.              En contrepartie de ce qui précède le syndicat de l'enseignement Richelieu-Yamaska abandonne toutes les procédures mentionnées en titre et tous les griefs ci-haut mentionnés en contrepartie d'une indemnité de vingt mille dollars (20 000,00 $) versée par la Commission scolaire au syndicat à titre de dommages-intérêts liquidés et compensés.

...

7.              La commission scolaire de Saint-Hyacinthe et le syndicat de l'enseignement Richelieu-Yamaska se donnent par les présentes quittance finale et irrévocable quant à toute poursuite relative aux faits entourant les griefs et recours mentionnés aux présentes.

...

[12]          L'avocate de l'intimée a demandé à monsieur Saint-Germain d'expliquer la nature de l'indemnité reçue. Il a répondu que normalement au niveau des tribunaux d'arbitrage pour un non-rengagement, ce qui est prévu c'est que la personne a droit au salaire perdu durant cette période plus l'intérêt qui est prévu au Code du travail. Ce qu'on réclamait à ce moment-là, c'était le remboursement du salaire perdu durant les deux ans où a duré le litige. Est-ce que 20 000 $ représentait ce que l'appelant aurait perdu durant dans ces deux années? Si on se réfère au moment du règlement hors cour, on est à un an et trois quarts de suspension de non-réengagement. Monsieur Pépin, à l'époque, gagnait autour de 40 000 $ par année, donc on est rendu à une somme d'environ 70 000 $ plus les intérêts prévus qui tournent probablement autour de 10 p. 100 à l'époque.

[13]          Monsieur Saint-Germain explique qu'en définitive il appartient au plaignant de décider si la somme proposée est acceptable.

Arguments

[14]          L'appelant fait valoir qu'il n'a pas été compensé pour une perte d'un emploi puisqu'il a été remis sur la liste de rappel et que maintenant il est enseignant à temps plein. Il ne s'agit donc pas d'une allocation de retraite. Il réitère le point que pour l'année scolaire 1996-1997, il avait décidé d'être en sabbatique. Il avait déposé le document pertinent en avril 1996. Le montant indemnitaire reçu ne peut donc pas être pour compenser la rémunération perdue pour cette année. Il a été réintégré dans ses fonctions le ou vers le 1er avril 1998.

[15]          L'avocate de l'intimée s'est référée à la décision du juge Dussault de cette Cour dans Leest c. Canada, [1991] A.C.I. no 744 (Q.L.) dont les faits se rapprochent beaucoup de ceux en l'espèce. Il s'agissait dans l'affaire Leest de la perte d'un emploi lors de l'acquisition d'une entreprise de camionnage par une autre entreprise. Le Tribunal du travail a trouvé que l'acquéreur était devenu un employeur successeur. L'appelant a été réintégré et a obtenu un paiement indemnitaire des sommes perdues à cause de son renvoi.

[16]          L'avocate de l'intimée cite quelques passages que l'on trouve à la page 7 :

Comme je ne doute aucunement que l'appelant a été, en réalité et à toutes fins utiles, sans emploi pendant une longue période, même si la perte n'a pas été permanente puisqu'il a été plus tard rétabli dans ses fonctions par la décision du conseil d'arbitrage, je conclus également que les dommages-intérêts dont le versement a été ordonné par le conseil d'arbitrage étaient directement liés à cette perte et avaient pour objet de la compenser.

En ce sens, le montant a été versé « relativement à » la perte d'emploi. Ainsi, ces dommages-intérêts peuvent, à bon droit, être considérés comme une « allocation de retraite » , au sens donné à cette expression au paragraphe 248(1) de la Loi. Ils sont donc imposables en vertu du sous-alinéa 56(1)a)(ii) de la Loi.

...

En second lieu, je crois que le libellé de la définition d' « allocation de retraite » au paragraphe 248(1) de la Loi est sans équivoque. Je ne vois pas comment la mention d'une perte d'emploi peut être interprétée de manière à signifier une perte d'emploi permanente. Il n'en est pas question dans la Loi et, à mon avis, il n'y a pas lieu de déduire que les termes employés dans la Loi ont ce sens, alors que le législateur n'a pas jugé à propos de le préciser.

Conclusion

[17]          Le paragraphe 5(1), le sous-alinéa 56(1)a)(ii) et la définition d' « allocation de retraite » au paragraphe 248(1) de la Loi se lisent ainsi :

5(1)          Revenu tiré d'une charge ou d'un emploi - Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, tiré d'une charge ou d'un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l'année.

56(1)        Sommes à inclure dans le revenu de l'année - Sans préjudice de la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a)             Pensions, prestations d'assurance-chômage, etc. - toute somme reçue par le contribuable au cours de l'année au titre, ou en paiement intégral ou partiel :

(i)             ...

(ii)            d'une allocation de retraite, sauf s'il s'agit d'un montant versé dans le cadre d'un régime de prestations aux employés, d'une convention de retraite ou d'une entente d'échelonnement du traitement,

248(1)      « allocation de retraite » Somme, sauf une prestation de retraite ou de pension, une somme reçue en raison du décès d'un employé ou un avantage visé au sous-alinéa 6(1)a)(iv), reçue par un contribuable ou, après son décès, par une personne qui était à sa charge ou qui lui était apparentée, ou par un représentant légal du contribuable :

a)             soit en reconnaissance de longs états de service du contribuable au moment où il prend sa retraite d'une charge ou d'un emploi ou par la suite;

b)             soit à l'égard de la perte par le contribuable d'une charge ou d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent.

[18]          La décision du juge Dussault dans Leest (précitée) est particulièrement pertinente car elle a été rendue dans des circonstances fort analogues à celles de la présente instance. Même si l'employé a été réintégré dans ses fonctions le montant reçu était une allocation de retraite, car elle lui a été payée à l'égard de la perte par le contribuable de son emploi, même si cette perte d'emploi avait été temporaire.

[19]          Je me réfèrerais également à une décision du juge St-Onge de cette Cour, dans Abramovici c. M.R.N., 80 DTC 1151. Monsieur Abramovici était un enseignant à l'emploi de la Commission scolaire régionale des Cantons de l'Est. À la suite d'un grief interjeté par l'Association des Professeurs des Cantons de l'Est au motif que la Commission scolaire n'avait pas engagé le nombre requis de professeurs pendant l'année scolaire, il y a eu un règlement hors cour pour un montant total dont monsieur Abramovici reçut sa part. Le juge a conclu que le montant reçu était un revenu tiré d'un emploi au sens du paragraphe 5(1) de la Loi.

[20]          Donc, même si le montant reçu n'était pas une allocation de retraite, ce serait quand même un montant à être inclus dans le calcul du revenu provenant d'un emploi en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi.

[21]          Les dommages se calculent en fonction du tort causé à la personne qui a droit à la réparation. Dans le cas des enseignants, ainsi que monsieur St-Germain l'a mentionné, ces dommages se calculent à partir de la rémunération perdue sans justification. L'indemnité réclamée par l'appelant l'a été parce que l'employeur avait coupé le seul moyen de rattachement entre ce dernier et lui-même. Il s'agissait d'une perte d'emploi. Le jugement de la Cour supérieure l'a remis dans ses droits d'employé à temps partiel, auprès de son employeur la Commission scolaire.

[22]          L'appelant a accepté 20 000 $. Ceci semble être la portion du revenu perdu pour la partie de l'année 1997-1998 où il n'a pas travaillé. Il avait informé son employeur, avant de recevoir son avis de non-rengagement, qu'il allait prendre l'année 1996-1997 en congé. Donc il aurait perdu un revenu d'emploi pour la première partie de l'année scolaire 1997-1998.

[23]          Il n'est toutefois pas nécessaire d'expliquer le calcul des dommages. Il s'agit tout simplement de constater que ces dommages ont été payés pour compenser la perte de revenu causée par la perte de l'emploi.

[24]          Le texte de la définition d'allocation de retraite au paragraphe 248(1) de la Loi est clair. Une somme reçue par un contribuable à l'égard de la perte d'un emploi, qu'elle ait été reçue ou non à titre de dommages ou conformément à une ordonnance ou sur jugement d'un tribunal compétent, est une allocation de retraite. La somme reçue par l'appelant dans le présent litige est une telle allocation de retraite.

[25]          Même s'il ne s'agissait pas d'une allocation de retraite (ce qu'elle est), c'est une somme reçue pour dédommager les salaires perdus et les intérêts, ou une somme reçue en fonction d'un contrat d'emploi, somme qui doit être incluse dans le calcul du revenu en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi.

[26]          L'appel est en conséquence rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2001-3252(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Jacques Pépin et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 28 mai 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 4 septembre 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                    l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                          Me Nancy Dagenais

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2001-3252(IT)I

ENTRE :

JACQUES PÉPIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 28 mai 2002 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Pour l'appelant :                                                                    l'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                                                          Me Nancy Dagenais

JUGEMENT

                L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est rejeté, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2002.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

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