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[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Dossier : 2001-4181(GST)G

ENTRE :

Régime de retraite des

Collèges d'arts appliqués et de technologie,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Appel entendu le 12 décembre 2002 à Toronto (Ontario)

Devant : L'honorable juge E. A. Bowie

Comparutions :

Avocats de l'appelant :

Me Susan L. Van Der Hout,

Me Sean Aylward et

Me D'Arcy Schieman

Avocats de l'intimée :

Me John McLaughlin et

Me Suzanne M. Bruce

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JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 17 mai 1999 et porte le numéro 981830071129P1, est accueilli et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a droit au remboursement de la taxe sur les produits et services perçue et versée par les directeurs de placements du 1er juillet 1994 au 31 mai 1998.

          Les dépens sont adjugés à l'appelant, avec des honoraires pour les services d'un avocat principal et d'un avocat en second.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2003.

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Référence : 2003CCI618

Date : 20030904

Dossier : 2001-4181(GST)G

ENTRE :

Régime de retraite des

Collèges d'arts appliqués et de technologie,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]      Le présent appel découle d'une demande de l'appelant au ministre du Revenu national (le « ministre » ) visant le remboursement de quelque 885 413 $ de taxe sur les produits et services ( « TPS » ). L'appelant a payé la TPS en question à certains sous-traitants désignés dans la preuve comme des « fournisseurs de services » . Ceux-ci l'ont alors remise au Receveur général du Canada. En juin 1998, après avoir conclu que les services que ces particuliers lui fournissaient n'étaient pas assujettis à la TPS, l'appelant a demandé au ministre de rembourser le montant de la TPS versée du 1er juillet 1994 au 31 mai 1998. Le ministre a rejeté la demande de remboursement par le biais d'un avis de cotisation daté du 17 mai 1999, et le présent appel vise donc cette cotisation. La seule question en litige ici est celle de savoir si les services fournis à l'appelant et visés par le versement de la TPS constituaient des « services financiers » selon la définition figurant alors au paragraphe 123(1) de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ). S'ils l'étaient, il s'agissait alors de fournitures exonérées, non assujetties à la TPS, et l'appel doit être accueilli. Dans le cas contraire, l'appel doit être rejeté.

[2]      La partie pertinente de la définition en question, selon le libellé qui était en vigueur avant la modification de 2000[1], se lit comme suit :

123(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à l'article 121, à la présente partie et aux annexes V à X.

[...]

« service financier »

a) L'échange, le paiement, l'émission, la réception ou le transfert d'argent, réalisé au moyen d'échange de monnaie, d'opération de crédit ou de débit d'un compte ou autrement;

b) la tenue d'un compte d'épargne, de chèques, de dépôt, de prêts, d'achats à crédit ou autre;

c) le prêt ou l'emprunt d'un effet financier;

d) l'émission, l'octroi, l'attribution, l'acceptation, l'endossement, le renouvellement, le traitement, la modification, le transfert de propriété ou le remboursement d'un effet financier;

e) l'offre, la modification, la remise ou la réception d'une garantie, d'une acceptation ou d'une indemnité visant un effet financier;

f) le paiement ou la réception d'argent à titre de dividendes, sauf les ristournes, d'intérêts, de principal ou d'avantages, ou tout paiement ou réception d'argent semblable, relativement à un effet financier;

f.1) le paiement ou la réception d'un montant en règlement total ou partiel d'une réclamation découlant d'une police d'assurance;

g) l'octroi d'une avance ou de crédit ou le prêt d'argent;

h) la souscription d'un effet financier;

i) un service rendu en conformité avec les modalités d'une convention portant sur le paiement de montants visés par une pièce justificative de carte de crédit ou de paiement;

[...]

l) le fait de consentir à effectuer un service visé à l'un des alinéas a) à i) ou de prendre les mesures en vue de l'effectuer;

m) un service visé par règlement.

La présente définition exclut :

[...]

q) l'un des services suivants rendus à une personne morale, à une société de personnes ou à une fiducie dont l'activité principale consiste à investir des fonds, par une personne qui lui rend des services de gestion ou d'administration :

(i) un service de gestion ou d'administration,

(ii) tout autre service (sauf un service prévu par règlement);

[...]

[3]      Les parties ont convenu que les services en question ici répondent aux dispositions de la définition, sauf en ce qui concerne l'exclusion à l'alinéa q). La position du ministre est que l'alinéa q) s'applique, car l'appelant est une fiducie dont l'activité principale consiste à investir des fonds. L'appelant dit que ce n'est pas son activité principale et que les services sont donc des services financiers sur lesquels la TPS n'est pas exigible. Il s'agit donc de savoir si, pendant la période pertinente, l'activité principale de l'appelant consistait à investir des fonds ou si elle était autre. L'appelant soutient que son activité principale consiste à verser des prestations de retraite ou, subsidiairement, à recueillir des cotisations.

[4]      À présent, il est bon de souligner deux questions. La première, c'est que si je suis persuadé que l'activité principale de l'appelant n'était pas d'investir des fonds, celui-ci doit l'emporter. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire de déterminer quelle était son activité principale. La deuxième, c'est que puisque la définition a été modifiée en 2000[2] de façon rétroactive à 1991, la décision qui sera rendue en l'espèce n'aura qu'une application très limitée. La loi modificative a préservé les droits de contribuables qui, à l'instar de l'appelant, ont demandé un remboursement avant le 30 juillet 1998. Compte tenu de l'application limitée que la présente décision sera appelée à avoir et du fait que les parties ont maintenant convenu que la question en litige est si limitée, je n'ai pas l'intention de m'égarer dans les méandres des dispositions de la Loi qui produisent une incidence fiscale. Il suffit d'examiner la preuve déposée relativement aux activités de l'appelant et de décider si son activité principale au cours de la période pertinente consistait à investir des fonds.

[5]      L'appelant est une fiducie (la « fiducie de retraite » ) régie par un régime de retraite interentreprises (le « régime » ). La fiducie de retraite est enregistrée en vertu de la Loi sur les régimes de retraite[3] de l'Ontario et aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu[4]. Les participants du régime sont les employés des 25 collèges d'arts appliqués et de technologie de l'Ontario. À l'époque pertinente, le régime comptait plus de 6 600 pensionnés qui recevaient des prestations de retraite, et plus de 14 300 employés cotisants. Il s'agit d'un régime à prestations déterminées, c'est-à-dire que les prestations auxquelles l'employé a droit pendant sa retraite sont définies par le régime. La fiducie de retraite est régie de sorte à assurer que le financement repose sur des bases actuarielles solides; si, pour une raison ou une autre, les actifs ne suffisent pas à répondre aux obligations du régime à l'égard des prestations futures à verser, le conseil d'administration doit effectuer la hausse requise aux cotisations pour y remédier.

[6]      La fiducie de retraite est administrée par un conseil d'administration qui établit les politiques et est responsable du fonctionnement en général. Celui-ci mène ses activités par l'intermédiaire de trois comités : le comité administratif, le comité de vérification et le comité de placement, lesquels doivent tous rendre compte au conseil. La surveillance des activités quotidiennes incombe au directeur général et gestionnaire du régime, dont la principale responsabilité consiste à mettre en oeuvre les décisions du conseil, en plus de s'acquitter, bien entendu, des fonctions prévues par l'acte de fiducie. Il s'agit notamment de recueillir les cotisations des participants et des employeurs, de calculer et de verser les prestations auxquelles les retraités sont admissibles, de préparer et de déposer les déclarations et les rapports aux organismes de réglementation, de placer les fonds de la fiducie qui ne sont pas immédiatement affectés au versement de prestations et de communiquer avec les participants quant à leurs droits et aux prestations qui leur reviennent ou leur reviendront. Pour la plupart, ces activités sont le fait des employés de la fiducie, qui étaient au nombre de 23 à l'époque pertinente. La fiducie a confié à State Street Trust Company Canada et à CIBC Mellon Global Securities Services Company les fonctions de dépositaires de la fiducie de retraite et de banquiers. Ceux-ci recevaient directement les cotisations et émettaient les chèques de prestations, le tout sous la direction du plus grand groupe d'employés de l'appelant.

[7]      La fiducie de retraite verse le montant des prestations à même les cotisations en cours en premier lieu, ou encore à partir du revenu produit par les placements ou à partir du produit de la vente de placements, si cela s'avère nécessaire. Les cotisations et autres actifs qui ne sont pas immédiatement affectés au versement de prestations sont placés. L'un des employés de la fiducie est chargé de superviser et de contrôler les activités de plusieurs directeurs de placements carte blanche qui sont engagés pour offrir des services de placement à la fiducie de retraite. Engagés par le conseil d'administration, ces directeurs de placements ont l'autorité de gérer une portion précise des placements de l'appelant. Ils perçoivent des honoraires calculés selon un pourcentage des fonds qu'ils gèrent. Les administrateurs déterminent la politique de placement devant être mise en oeuvre, mais les directeurs prennent seuls les décisions relatives aux placements, et ils inscrivent directement les ordres d'achat et de vente afin de mettre ces décisions en oeuvre. La TPS en cause ici a été payée sur ces services. Il n'est pas nécessaire d'approfondir l'étude de la preuve relativement aux activités de ces directeurs de placements, car les parties ont convenu que c'est en déterminant l'activité principale de l'appelant qu'on pourra décider si les services des directeurs étaient des services financiers, et non d'après la façon dont ils s'acquittaient de leurs fonctions.

[8]      Dans l'interprétation de l'expression « activité principale » , le désaccord des avocats ne porte pas sur le sens du mot « principale » , mais sur la question de savoir s'il est pertinent, lorsqu'on détermine l'activité principale de l'appelant, de tenir compte des objectifs pour lesquels l'appelant a été constitué. Le dictionnaire The Canadian Oxford Dictionary[5] définit le mot « principal » comme suit :

[TRADUCTION]

1. premier en rang ou en importance; 2. important, en tête.

Cette définition est comparable à celles données dans d'autres dictionnaires qui m'ont été mentionnées, et dans le contexte présent, elle est totalement dénuée d'ambiguïté[6]. D'après l'avocate de l'appelant, puisque l'objet de la fiducie de retraite était d'offrir des prestations de retraite aux employés des collèges communautaires de l'Ontario, son activité principale consistait à verser de telles prestations. Quant à l'avocat de l'intimée, il souligne que de 1994 à 1998, la fiducie avait investi de 2,25 à 3,5 milliards de dollars, que le revenu tiré de ces placements pouvait dépasser de 75 p. 100 le revenu tiré des cotisations au cours d'une année, et qu'il l'a toujours dépassé d'au moins 25 p. 100. Les frais associés à ces activités de placement variaient de 58 p. 100 à 65 p. 100 des dépenses totales de la fiducie de retraite. Le taux de rendement annuel des placements fluctuait entre 1,7 p. 100 et 15,8 p. 100. Dans ce contexte, il estime donc que l'activité principale doit être celle de faire des placements, puisqu'elle occupe une part si grande du budget d'exploitation et produit une telle part du revenu de l'appelant. On en trouve la preuve, d'après l'avocat de l'intimée, dans les bulletins et rapports distribués par la fiducie de retraite à ses participants. Ces documents sont largement consacrés aux politiques de placement et à leurs résultats. Il estime également que l'avocate de l'appelant confond à tort le mot « activité » avec le mot « objectif » quand elle affirme que le versement de prestations de retraite constitue l'activité principale de l'appelant.

[9]      Les deux parties conviennent que l' « activité principale » ne peut être définie simplement par le nombre d'employés qui se consacrent à une activité ou par le nombre d'opérations qui ont lieu relativement à une activité. Je suis d'accord. Cependant, on pourrait dire la même chose de la contribution du revenu de placement au revenu total. Si le législateur avait voulu qu'un tel critère soit déterminant, il aurait certainement pu trouver des termes plus précis pour exprimer cette intention. À mon avis, la mesure d'une « activité principale » doit être l'importance de l'activité en vue d'atteindre les buts ou les objectifs d'un organisme.

[10]     L'avocat de l'intimée, par nécessité peut-être, est allé jusqu'à affirmer que l'objectif pour lequel l'appelant a été créé et continue d'exister n'est pas pertinent et ne devrait pas entrer en ligne de compte quand on se demande quelle est son activité principale. Je ne souscris pas à cette opinion, qui me semble d'ailleurs contraire au sens commun et à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire M.N.R. v. Consolidated Mogul Mines Ltd.[7], dans laquelle le juge Spence a mis en relief l'importance des buts et des objectifs de la constitution de Mogul Mines pour déterminer son activité principale. L'appelant n'existe que pour remplir ses objectifs, et son objectif principal, ou le plus important, est de verser des prestations de retraite aux retraités des collèges communautaires. Les activités principales de l'appelant, ou les plus importantes, doivent être celles qui contribuent le plus à atteindre cet objectif. D'après ce que je comprends de la position de l'intimée, l'activité la plus importante est celle qui, au cours des quatre années visées par l'appel, a le plus contribué au revenu de la fiducie de retraite, qui a nécessité le plus de dépenses et qui, semblerait-il, intéressait le plus les lecteurs des rapports annuels et des bulletins. Toutefois, cet argument ne tient pas compte du fait que l'appelant pouvait, du moins en théorie, recueillir des cotisations des employeurs et des employés et verser des prestations aux pensionnés à même ces cotisations sans jamais les placer. J'admets que ce serait un gaspillage, mais ce serait néanmoins conforme aux objectifs pour lesquels l'appelant a été constitué, même si c'était de façon inefficace.

[11]     Les deux activités sans lesquelles l'appelant ne pourrait ni exister, ni remplir ses objectifs sont la collecte des cotisations des employeurs et des employés, et le calcul et le versement des prestations de retraite auxquelles les retraités ont droit. Cela ne veut pas dire que les placements ne sont pas importants; durant la plupart des années, ceux-ci produisent un revenu important[8] qui, bien entendu, sert à réduire le montant des cotisations devant être versées par les employeurs et les employés pour payer les prestations et préserver la santé actuarielle de la fiducie. Mais sans cotisations, il n'y aurait rien à placer, et sans versements aux retraités, la fiducie de retraite ne pourrait aucunement prétendre remplir les objectifs pour lesquels elle a été créée.

[12]     L'appel est accueilli. L'appelant a droit au remboursement de la TPS perçue et versée par les directeurs de placements du 1er juillet 1994 au 31 mai 1998. La cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte de ce fait. Les dépens sont adjugés à l'appelant, avec des honoraires pour les services d'un avocat principal et d'un avocat en second.


Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de septembre 2003.

« E. A. Bowie »

Le juge Bowie

Traduction certifiée conforme

ce 22e jour de juin 2005.

Yves Bellefeuille, réviseur



[1]           L.C. 2000, ch. 30, par. 18(3).

[2]           L.C. 2000, ch. 30, par. 18(3) et 18(10).

[3]           L.R.O. 1990, ch. P.8.

[4]           L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, telle que modifiée.

[5]            The Canadian Oxford Dictionary, 1998, p. 1150.

[6]            Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, 2002 CSC 42, au par. 29.

[7]            [1969] R.C.S. 54.

[8]           En 2000 et 2001, l'activité de placement a produit des pertes. Il est difficile d'affirmer que c'était l'activité la plus importante pendant ces années-là. En outre, aux fins de l'alinéa q) de la définition, l'activité la plus importante ne peut être raisonnablement considérée comme variant d'une année à l'autre en fonction des cycles économiques et du rendement produit par les directeurs de placements.

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